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tome 1, Chapitre 18 « Illusions - Deuxième partie » tome 1, Chapitre 18

Le cours de maître Alleman se révéla un peu répétitif par rapport à ce qu'Estrella avait déjà étudié avec lui. Au moins eut-elle le soulagement de constater qu'elle n'était pas celle qui suivait le moins bien. Elle s'efforça de se montrer la plus studieuse possible pour ne pas se démarquer des ces camarades, même si ces derniers lui glissaient de longs regards curieux. Ils n'étaient pas plus d'une dizaine, mais elle était rentrée dans la classe parmi les derniers et avait dû se contenter d'une place seule vers l'arrière de la salle, tandis qu'Aurean était assis au premier rang... seul lui aussi.

Elle ne put s'empêcher de trouver cela surprenant : après tout, il avait étudié parmi les élèves de l’École Jaune pendant une année entière avant de disparaître. Pourquoi aucun d'entre eux ne tentait de se rapprocher de lui ? Les coups d’œil lancées dans sa direction avaient quelque chose de soupçonneux, comme si, au cours de la journée, une aura négative était apparue autour du Gardien.

Vers la fin du cours, elle surprit les bribes d'une discussion à voix basse entre deux de ses camarades : elle entendit distinctement les mots « parasite » et « bâtard ». Elle les fusilla du regard, même si elle savait qu'ils ne pouvaient pas la voir. Elle était furieuse qu'ils se permettent de parler ainsi d'un des leurs... mais, malgré tout, elle comprenait bien que tous les mystères qui entouraient le Gardien avaient tendance à entraîner des questions troubles et des réponses qui l'étaient tout autant.

Quand la classe prit fin, elle ramassa ses affaires et se dirigea vers la porte pour essayer de rattraper Aurean. Soudain, elle sentit quelqu’un la retenir par le bras : elle se retourna pour tomber face à face avec un grand garçon aux cheveux de jais et à la peau mate, qui lui demanda d'un ton pressant :

« Tu es Estrella d'Outremont, c'est cela ? »

Elle hocha la tête, tirant légèrement sur son bras pour le dégager de l'emprise de l'inconnu.

« Il faut que je te parle », murmura-t-il gravement.

Estrella jeta un regard vers le couloir, pour constater qu'Aurean avait déjà disparu loin de sa vue. Elle considéra le visage sérieux de son camarade et se dit qu'elle pouvait bien lui donner une chance de s'expliquer.

« Seulement si tu me lâches, répondit-elle fermement. Qu'est-ce que tu me veux ? 

— Il paraît que tu sais où Aurean de Trente se trouvait ces deux dernières années... »

Elle sentit sa gorge se nouer : pourquoi fallait-il que les gens posent toutes ces questions indiscrètes ?

« Pourquoi tu ne lui as pas demandé ? rétorqua-elle sèchement.

— Tu crois qu'il va nous répondre ? Tout le monde sait bien qu'il est le préféré de maître Alleman, et que c'est son prétexte pour mépriser le monde entier. »

Il regarda précipitamment autour de lui, comme pour vérifier que le professeur ne se trouvait pas dans les environs :

« On se demande pourquoi d'ailleurs, ricana-t-il. Il a un niveau acceptable en Transfiguration, mais il ne possède aucune autre Couleur. Il est quasiment un incolore... Et puis... Tu ne l'as pas vu en action. Il profite d'avoir l'air jeune et innocent pour charmer toutes les filles... »

Surprise, Estrella écarquilla les yeux : elle crut d'abord à une plaisanterie, mais le garçon était tout à fait sérieux. Il y avait du ressentiment dans sa voix.

« Je n'ai pas vu de filles autour de lui... hasarda-t-elle.

— Parce que pour l'instant, son retour intrigue tout le monde. Cette stase magique... Ça n'a pas de sens. Pourquoi lui aurait-on fait une chose pareille ? Tu es sans doute la seule, avec cet imbécile de Vaste, à lui faire confiance ! »

Estrella se mordit la lèvre : faisait-elle confiance à Aurean ? Elle n'en savait rien, en fait... Elle ne put s'empêcher de penser à la facilité avec laquelle il avait gagné l'affection de sa mère et de sa sœur. Jouait-il réellement de son apparente innocence ? Les accusations de Lizbet sonnaient de nouveau à ses oreilles. Soudain, elle porta la main à son front : elle se sentait prise comme d'un étourdissement – ou plutôt d'un léger effet d'irréalité.

Les yeux de Lizbet semblaient la transpercer...

Des yeux glacés.

Derrière elle, quelque chose bougeait et palpitait...

Des ombres.

Lizbet s'avança avec un sourire moqueur.

Lizbet ou... Kina ?

« Est-ce que ça va ? »

Elle se mordit la lèvre et se dirigea sans répondre vers la sortie, serrant sa sacoche contre elle, bousculant le garçon au passage. L'heure du départ approchait ; la voiture de sa famille devait l'attendre devant sa porte. Ou plutôt les attendre, Aurean et elle.

Cette journée lui laissait un goût étrange. Elle s'était fait de nouveaux amis, mais l'épisode qui s'était déroulé au réfectoire avait jeté une ombre indélébile sur ses début à l'Académie. Si Aurean n'avait pas été présent, sans doute aurait-elle pu vivre son intégration plus sereinement. Sa situation était déjà bien assez délicate, sans qu'elle ait besoin de subir le contrecoup de celle du Gardien. Elle supportait difficilement de devoir mentir à tous ceux qu'elle croisait sur sa véritable nature et les raisons de sa disparition.

C'était dérangeant. C'était désagréable. Elle avait reçu un fardeau qui tôt ou tard pourrait se retourner contre elle, si la Haute Chambre de Magie venait à découvrir l'existence du Lien, ou si le mystérieux responsable de la mort de Bastian venait à se retourner contre elle. Auréan en valait-il seulement la peine ?

La même question lancinante stagnait dans son esprit : et si Lizbet avait raison ? S'il était vraiment plus dangereux qu'il n'y paraissait ? S'il lui avait menti ? Après tout, les Lucidiens, par le passé, n'avaient-ils pas manipulé les hommes d'Erastria pour qu'ils mènent à leur place leur lutte contre Penumbra ? Qu'est-ce qui prouvait qu'Aurean n'avait pas fait de même ? Après tout, il devait bien y avoir une raison pour laquelle la Haute Chambre de Magie avait interdit le séjour des Gardiens sur Erastria ?

Elle ralentit le pas. Elle avait la sensation de marcher au cœur d'un rêve : des fragments de couleurs étincelaient à la périphérie de sa vision, étrangement menaçants. Elle frémit et se rapprocha du mur : il lui semblait qu'au couvert des ombres, elles se trouvait plus à l’abri qu'en pleine lumière. Elle s'adossa à la paroi de pierre blanche et porta une main à sa tempe, luttant pour demeurer en éveil. Un autre élève s'approcha d'elle, un garçon de l’École Verte, un peu plus âgé qu'elle :

« Est-ce que tu te sens bien ? » demanda-t-il avec sollicitude.

Elle releva les yeux : le visage de l'élève ressemblait à un masque blanc, dans lequel seuls les yeux vivaient, deux lueurs verdâtre inquiétantes qui la transperçaient. Elle se détacha de la paroi en marmonnant rapidement :

« Tout va bien, ne t'inquiète pas... »

Elle n'avait qu'une envie, mettre le plus de distance possible entre elle et cet endroit. Son cœur s’affolait dans sa poitrine... Les images et les sons se disloquaient, le monde autour d'elle se transformait en un vaste kaléidoscope qui tournoyait autour d'elle.

Ils l'encerclaient inexorablement. Les monstres de Lucid, prêts à s'emparer d'elle, à pénétrer au plus profond de son être, à se nourrir de sa Lumière... Elle baissa les yeux, fixant le sol, le seul élément qui semblait garder un peu de cohérence.

« Estrella ? »

La voix à présent familière lui fit relever la tête : le visage qu'elle aperçut la fit reculer de terreur. En apparence, c'était celui, fin et innocent, d'un garçon de quinze ans. Mais il portait une expression terrifiante, dure, cruelle, impitoyable. Les yeux d'or brasillaient, comme ceux d'un prédateur.

Estrella le contempla, hagarde. Ses bras sans force laissèrent tomber sa besace ; le choc l'éveilla un peu.

Elle quitta l'ombre salvatrice du mur et courut vers le grand portail, bousculant d'autres élèves au passage. Les visages blafards et sans expression se tournaient en silence vers elle, tandis qu'elle bondissait vers la rue, au rythme de son propre cœur.

« Estrella ! »

Ses appels se faisaient lointains. Elle bondit vers la rue, reconnaissant vaguement la carriole familiale au milieu d'autres voitures à cheval. Elle fut tentée d'y monter et de demander au cocher de la ramener au plus vite chez elle, mais sans doute avait-il pour instruction de Le ramener aussi...

Elle sentit son poignet la brûler : sans cesser de courir elle remonta sa manche et vit que son bras rougissait douloureusement. Déjà des cloques se formaient sur sa peau. Avec un sanglot de douleur et de terreur, elle laissa retomber le tissu. Elle ne pouvait s'en préoccuper tant qu'Il serait à ses trousses...

« Estrella... Attends ! Que se passe-t-il ? »

Elle accéléra encore ; tous ses muscles la faisaient souffrir, sa respiration devenait haletante. Jamais elle n'avait été poussée à faire autant d'efforts ; tôt ou tard, sa résistance se briserait. Alors, Il n'aurait plus qu'à la rattraper... et là, elle n'osait penser à ce qui lui arriverait...

Il se repaîtrait de sa Lumière...

Il ne laisserait d'elle qu'une enveloppe vide...

Comme pour Bastian...

Bastian...

Elle laissa échapper un sanglot.

Estrella...

Au coin de sa vision éparpillée, elle eu la furtive impression d'une étincelle argentée, palpitant comme les ailes lumineuses d'un papillon...

« Estrella, il faut lutter... »

Lutter contre qui ?

Contre quoi ?

Contre ce monstre de Lumière... ou contre... autre chose ?

Un sanglot secoua son corps. Soudain, elle se heurta à quelque chose. Elle s'arrêta net, poussant un léger cri : deux mains se posèrent sur ses épaules. Elle releva lentement les yeux, pour rencontrer le visage d'un homme d'une quarantaine d'années, dont les longs cheveux argentés étaient retenus derrière la nuque. Son visage rasé de près lui parut beau et souriant, sous le bord d'un chapeau à large bord, de la même couleur violet profond que son grand manteau aux revers bordés de fourrure blanche. Il y avait en lui quelque chose de fascinant, de vaguement inquiétant aussi.

Estrella ouvrit la bouche pour parler, mais aucun son ne put en sortir. Autour d'elle, le monde s'était calmé ; chaque chose avait repris sa place. Encore tremblante, elle plongea les yeux dans ceux de l'homme : un regard couleur miroir, brillant d'intelligence.

« Est-ce que tout va bien, mademoiselle ? » demanda-t-il d'une voix harmonieuse, à la fois douce et ferme.

Un peu intimidée, la jeune fille recula de quelques pas et leva une main pour écarter de son visage ses mèches en désordre.

« Vous semblez fuir quelque chose... poursuivit-il d'un ton préoccupé. J'espère que rien ne vous menace.

— Je... Je ne sais pas », murmura-t-elle.

Elle n'osait en dire davantage. Que penserait-il d'elle si elle révélait avoir peur... d'un Gardien de Lucid, un être de légende ? Et si on découvrait que sa famille hébergeait l'un d'entre eux, ne serait-elle pas sanctionnée par la Haute Chambre de Magie ? Elle se sentait trembler sous les mains de l'homme, qui la retenaient toujours. Il était grand, et fort... Elle se sentait rassurée par sa présence.

« Peut-être puis-je vous reconduire chez vous ? » proposa-t-il avec sollicitude.

Estrella, gênée, baissa la tête en se mordillant la lèvre.

« Je... Je veux bien, merci », répondit-elle doucement.

Elle n'avait pas vraiment d'autres options pour le moment. Et après tout, cet inconnu la mettait en confiance.

ƸӜƷ

Depuis le portail de l'Académie, Aurean avait regardé Estrella s'élancer dans la rue, comme si elle était en proie à une immense terreur. Le Gardien allait la poursuivre, quand une main se posa sur son épaule. Il se retourna brusquement :

« Rufus ? »

L'assistant de Bertlam fronça les sourcils :

« J'aurais dû mieux veiller sur elle ! Je me suis focalisé sur toi, quand j'ai vu l'état dans lequel tu te trouvais après ce le numéro de Lizbet d'Arral dans le réfectoire. Mais à présent, je me demande si tout cela n’était pas prémédité... »

Le jeune homme aux cheveux rouge marqua un temps de silence, hésitant un peu avant de poursuivre :

« Ceux qui ont monté cette attaque ont délibérément profité de ta vulnérabilité, afin que notre attention se porte sur toi, et pas sur elle... A priori, quelqu'un joue avec sa perception de la réalité... »

Aurean baissa la tête et ses poings se serrèrent convulsivement :

« C'est de ma faute... murmura-t-il d'une voix tremblante. Si je m'étais montré plus... plus fort, rien de tout cela n'aurait pu arriver. C'était mon rôle de la protéger, et je n'ai vu que ma propre situation. »

Il ferma les yeux, laissant ses longues mèches blondes voiler son visage :

« S'il lui arrive quoi que ce soit, je ne pourrai pas me le pardonner... Il faut que j'aille l'aider. »

Rufus croisa les bras, toisant le Gardien d'Or avec une expression sévère :

« Mais si tu te jettes dans la gueule du du loup, la situation deviendra pire encore. Nous ne savons pas qui est derrière.

— Penses-tu qu'il puisse s'agir... de Lizbet d'Arral ? Après tout, elle a utilisé sa magie Violette du Rêve dans le réfectoire. Mais c'est à moi qu'elle en veut, ajouta-t-il pensivement. Pas à Estrella. D'accord, elle m'est venue en aide, mais est-ce suffisant pour que Lizbet fasse d'elle sa cible ? »

Aurean releva la tête et se tourna vers Rufus :

« Dis-moi, que penses-tu de... Kina ?

— Kina ?

— La sœur jumelle de Lizbet. Elle a toujours été très discrète. Je n'avais qu'un très vague souvenir d'elle. Mais elle me fait un effet bizarre... »

Il frissonna légèrement ; le regard rubis de son interlocuteur se fit soupçonneux :

« Maintenant que j'y pense... Elle est étrangement réservée. Toujours en retrait, comme dans l'ombre de sa sœur. »

Le Gardien d'Or haussa les épaules :

« Peu importe. Le plus urgent est de s'occuper d'Estrella.»

Il remonta sa manche, observa le bracelet de lumière dorée qui palpitait autour de son poignet :

« Le lien... murmura-t-il. Il n'est pas trop affecté pour le moment, mais Estrella est en train de s'éloigner. Il faut que je la rattrape avant qu'il ne s’affaiblisse... ou qu'il se rompe...

— Tu es sûr que ça ira ? »

Aurean hocha la tête ; ses prunelles dorées brillaient d'un éclat décidé.

« Il est temps que je cesse d'être un fardeau pour les autres. Si je ne peux pas aider ma propre Attache, alors je n'ai rien à faire dans ce monde ! »


Texte publié par Beatrix, 19 janvier 2014 à 23h58
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