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tome 1, Chapitre 47 « La Lumière de Lucid – Troisième partie » tome 1, Chapitre 47

Tandis que le bâton volait entre les mains du Gardien d’or, une vague de lumière parcourut son corps, depuis son torse jusqu’au bout de ses membres, guérissant au passage la blessure de son aile. Son visage était grave et intense ; il se dégageait de lui une présence inhabituelle. Le Prétorien leva ses mains nimbées de sombre énergie, qu’il cristallisa sous la forme d’une large lame en demi-lune, comportant une poignée à chaque extrémité, hérissée d’éclairs noirs. Elle rencontra le bâton de lumière dans un terrible crépitement…

Les deux créatures ailées s’opposèrent dans un combat aussi rapide qu’impitoyable, dans le craquement violent de leur puissance contraire. Quand l’un d’eux arrivait à effleurer son adversaire, des bribes d’ombre et de lumière arrachées à leur corps s’évanouissaient en tourbillonnant dans la nuit. Malgré tout, ils ne parvenaient, ni l’un ni l’autre, à porter de coup décisif, et aucune des atteintes légères qu’ils avaient pu s’infliger ne les ralentissaient de façon significative.

Aux yeux des spectateurs qui pouvaient les apercevoir depuis le sol, ils ne formaient plus qu’un kaléidoscope en clair-obscur, scintillant en plein ciel… Au bout d’un moment, ils se séparèrent, se toisant de nouveau, prêt à reprendre le combat à la moindre provocation, au moindre souffle. La palpitation frénétique de leurs ailes laissait deviner l’épuisement qui peu à peu les gagnait…

ƸӜƷ

Le feu brûlait autour d’Estrella, dangereux, aveuglant. La jeune fille resta un moment interdite, ne sachant que faire. Elle sentait la magie de Fontain à l’œuvre, contraignant l’embrasement à la barrière ; celle d’Yllias, éloignant toutes les autres plantes du cercle ardant pour éviter qu’il ne dévore tout ; celle de maître Alleman, qui utilisait sa transmutation pour contrôler l’intensité des flammes… L’effort était redoutable, et tôt ou tard, les laisserait éreintés.

La jeune fille se concentra sur la lumière qui se dégageait du feu, différente de celle qui l’habitait, mais d’une nature assez proche pour qu’elle puisse en nourrir l’éclat d’Or qui brillait au plus profond d’elle-même.

« Estrella… »

Elle pouvait sentir la présence de son père, toute proche, ainsi que sa détermination à lutter pour protéger tout ce à quoi il tenait, à n’importe quel prix. Elle se tourna vers lui, étonnée de le voir clairement à travers la brillance qui la cernait de toute part : ses yeux gris braqués sur elle exprimaient une absolue confiance qu’elle n’avait pas le sentiment de mériter. À l’éclat rouge qui jouait sous sa peau, il était prêt à relâcher sa Lumière à pleine puissance…

« Je suis désolée de vous avoir attiré dans tout ça… murmura-t-elle.

— Tu n’as fait qu’anticiper cette confrontation. Elle aurait eu lieu tôt ou tard. À présent, nous devons agir. »

Et comme pour appuyer cette affirmation, Francis libéra sa Magie Rouge pour repousser les assauts successifs des créatures, chaque fois qu’elles tentaient de s’approcher du groupe. Estrella résista à l’envie de se retourner pour vérifier comment allaient Kina et ses autres amis.

« Dame Ledelian ! lança-t-elle, dites à Azura de revenir ici ! Et d’y attirer ses poursuivants ! »

Elle n’entendit pas la réponse, mais elle vit la Gardienne Bleue effectuer une large boucle qui la ramena, ainsi que les Ombres mineures qui la harcelaient, au-dessus du cercle de feu. Son cœur battait à coups redoublés : et si son attaque blessait Azura ? Certes, elle était constituée de Lumière, mais est-ce que cela la protégerait intégralement de ce qui allait suivre ?

Estrella savait qu’elle ne pouvait pas attendre plus longtemps… Elle n’aurait pas le droit à un autre essai. Elle invoqua son don de transmutation pour transformer l’éclat des flammes en Lumière.

Elle faillit ployer sous la puissance de ce flot d’énergie, qui semblait doté d’une vie propre. C’était comme tenter de nager dans une mer démontée ou retenir un cheval emballé… Elle se sentait trop faible, trop chétive pour le dominer. Le souffle de la Magie Rouge de son père la frôla, écartant une ombre mineure qui s’était approchée de trop près. Estrella savait qu’elle ne pourrait pas tenir plus longtemps, au risque de se faire engloutir par sa Lumière, ou de la laisser s’échapper sans pouvoir la contrôler.

Elle serra les poings, tâchant de mieux se concentrer sur ce qui l’entourait… Une présence bienvenue résonna dans son esprit.

Aurean…

« Je vais t’aider, Estrella…

— Non ! hurla-t-elle en silence. Tu as ton propre combat… Si tu perds ta concentration, il va te tuer !

— Et si tu perds ton combat, le mien ne servira plus à rien ! »

Une force nouvelle l’investit… Celle d’un être pour qui la Lumière était un élément familier, qu’il savait dresser et contrôler à son gré, courber à sa volonté… Elle sentit ses battements de cœur devenir moins erratiques, sa respiration se calmer, tandis que la Lumière cessait de tournoyer en elle et autour d’elle comme un flot tumultueux pour s’écouler avec autant de puissance que de docilité.

Aurean…

« C’est ton œuvre, Estrella, je ne fais que te montrer la voie… »

— Comme pour la bouteille… »

Elle entendit son rire dans son esprit :

« Ou plutôt la carafe d’eau… »

La carafe d’eau… Oui !

Tandis que la présence d’Aurean se retirait, elle prit une profonde inspiration et vaporisa le flot étincelant en un nuage de particules qui se mirent à tourbillonner au-dessus d’eux.

ƸӜƷ

Le Gardien d’Or s’était brusquement reculé hors de portée de la lame du Prétorien. Son adversaire le contempla avec un sourire cruel :

« Aurais-tu soudain peur ? »

Aurean ne répondit pas : son regard s’était fait lointain ; un sourire flottait sur ses lèvres. Profitant de sa déconcentration, l’Ombre fonça vers lui, avec une force et une rapidité que le Lucidien ne put esquiver. Il parvint à la dernière minute à lever son arme pour bloquer le coup, mais le bâton de lumière se rompit sous le choc et la lame traça un sillon sombre sur sa poitrine. Le Gardien hoqueta légèrement ; il tomba en arrière, tourbillonnant paresseusement vers le sol. Malgré la stupéfaction et la douleur dans ses yeux, son sourire ne s’était pas effacé.

« Après tout, ce n’était pas si dur de te vaincre », grinça le Prétorien d’un ton triomphant, en regardant son adversaire poursuivre sa chute inexorable.

Il ne remarqua pas les particules de lumière qui s’étaient mises à flotter au-dessus d’eux. D’abord rares et disséminées, elles se déversèrent en pluie de plus en plus dense sur le parc et le cimetière. Usant de ses dernières forces, Aurean tendit les doigts vers les gouttes étincelantes… puis sa main retomba, inerte.

ƸӜƷ

Rufus leva le regard vers cette averse étrange, contemplant avec stupéfaction la lumière qui pleuvait doucement autour de lui. Il se tourna vers Mikhail d’Arral ; le mage sombre avait pâli derrière son mur éthéré ; sa mâchoire crispée, son visage blême et fermé en disaient long sur les efforts qu’il devait fournir pour maintenir la présence des Ombres.

Sa fille tremblait légèrement ; elle avait relevé la tête et ses grands yeux miroitants semblaient ouvrir droit sur ce puits d’obscurité dont elle tirait sa magie. Les arabesques sombres qui les protégeaient s’affinaient, se fragilisaient au fur et à mesure que la pluie lumineuse, à travers la grille écarlate créée par Rufus, venait glisser sur ses méandres.

« Vous avez raison après tout, déclara le Gardien rouge d’un ton désinvolte. Je ne pense pas que cela serve encore… »

Les pics de Lumière rouge se rétractèrent lentement, comme s’ils disparaissaient dans le sol, tandis que le gardien continuait à sourire sous l’averse aussi vivifiante pour lui qu’elle était dangereuse pour ses adversaires…

ƸӜƷ

Azura se retourna pour lancer ses longs fils étincelants sur les Ombres qui la harcelaient ; elle s’immobilisa, tout comme eux, quand la pluie dorée commença à tomber. Les particules passaient à travers les déchirures des ailes des Ombres mineures, puis se noyaient au sein de leur forme imprécise, avant de consumer leur substance, comme des rayons de soleil embrasant les bords des nuées d’orage, ou un feu assourdi brûlant des feuilles de papier.

Elle s’arrêta pour les voir disparaître sous cet assaut inattendu, suspendue dans les airs, les ailes à peine frémissantes.

ƸӜƷ

Segara et Kaeli, impuissantes, ne pouvaient que regarder Kina s’affaiblir. Parcourue de tremblements convulsifs, l’Ombre semblait perdre progressivement sa substance ; ses contours devenaient flous. Quand les premières particules de lumière commencèrent à tomber, elle se mit à hurler de douleur. Chaque goutte la transperçait comme une lame, libérant des chapelets de fumée sombre.

Devant la souffrance de leur amie, les deux jeunes filles la protégèrent de leur corps, la garantissant au mieux de l’averse ; voyant que cela ne suffisait pas, dame Ledelian ôta sa redingote pour l’en couvrir. Tout en abritant l’Ombre, elles observèrent avec un mélange de surprise et d’émerveillement la pluie incandescente qui descendait vers elle.

Yllias s’avança directement sous les particules de lumière et tendit les doigts, les laissant danser sur sa peau avant de disparaître.

À côté d’Estrella, Maître Alleman et Fontain avaient enfin lâché prise ; l’épuisement voûtait leurs épaules. Le maître de l’École Jaune jeta un regard empli d’une fierté manifeste vers la jeune fille, avant d’adresser un sourire approbateur à l’élève de l’École Orange de la Création. Autour d’eux, la barrière n’était plus qu’une palissade de bois à demi calcinée, où ne subsistait plus la moindre braise.

Francis d’Outremont était juste resté immobile, les yeux levés, tandis que les Ombres mineures étaient consumées avant d’avoir pu quitter les lieux… Puis, lentement, ses yeux revinrent sur sa fille, comme s’il la voyait pour la première fois. Il porta la main à son visage, comme pour retenir le trop-plein d’émotion qui semblait l’habiter.

Du ciel, la Lumière continuait de pleuvoir…

ƸӜƷ

Le Prétorien fut parcouru d’un frémissement : chaque particule qui tombait lui arrachait un morceau de pénombre qui s’évanouissait dans l’air saturé de clarté. La créature aux abois invoqua un tourbillon d’ombre et, d’un battement d’ailes, le projeta au-dessus de lui, formant un dais qui le garantissait du sortilège d’Estrella. Entre ses mains, la lame se reconstitua, reprenant toute sa puissance meurtrière. Il monta lentement, baissant la tête vers sa proie…

À deux mètres au-dessus du sol, la forme de lumière du Gardien s’était immobilisée et semblait flotter dans les airs ; ses paupières restaient ouvertes et son visage affichait une expression paisible ; les grains étincelants s’insinuaient dans son corps, ravivant son éclat et refermant la terrible entaille noire dans sa poitrine. Aurean cligna des yeux ; un sourire étira ses lèvres. Il se redressa d’un coup d’aile et monta à hauteur de la créature, à la profonde surprise de son adversaire. Entre ses deux mains tendues, il laissa le bâton se reconstituer, plus long et brillant que précédemment.

« Tu n’es pas encore mort ? crissa le Prétorien.

— Je crois qu’il en faut un peu plus pour me tuer », répondit sereinement Aurean.

Le Prétorien assura sa prise sur sa lame, prêt à rencontrer l’assaut du Lucidien… mais au lieu de porter une attaque, il gagna de l’altitude et, planant horizontalement, déchira de son arme le dais de pénombre qui protégeait la créature, l’exposant aux ravages de la lumière, avant de redescendre derrière son dos.

Il fit demi-tour, attendant que le Pétorien lui fasse de nouveau face. Quand l’être sombre pivota sur lui-même, Aurean, le toisa sévèrement :

« C’est ta dernière chance de retourner dans ton monde. »

Les yeux de néants se plissèrent ; le Prétorien fit mine de reculer, mais au lieu de disparaître de cette réalité, il bondit en direction d’Aurean, sa lame prête à infliger de nouveaux dommages… Cette fois, le Gardien d’or était en pleine possession de ses moyens. Il esquiva prestement l’attaque pour frapper le flanc droit grand ouvert de son adversaire.

Le bâton entailla la substance de l’Ombre, déjà affaiblie par la pluie lumineuse, jusqu’au cœur de son être. L’obscurité qui le constituait sembla voler à éclat, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un nuage de particules d’noires qui s’évanouirent dans les dernières lueurs de l’averse…

ƸӜƷ

« Non ! »

Mikhail d’Arral releva la tête, le visage angoissé. Il se tourna vers une Lizbet blême et tremblante.

« Mais comment a-t-il pu… » balbutia-t-elle.

Rufus esquissa un large sourire :

« Il ne faut jamais sous-estimer la puissance du lien entre un Gardien et son attache… »

D’Arral le toisa sous des paupières mi-closes, ses prunelles d’argent flamboyant dangereusement :

« Tout ne sera pas toujours aussi… lumineux pour vous, Gardien… »

Attrapant la main de Lizbet, le mage renégat commanda à sa cage sombre de se replier vers lui. En s’effaçant, elle les emporta avec elle vers cet autre Erastria où l’ombre triomphait. Rufus essaya d’envoyer dans leur direction une dernière attaque, mais ils avaient déjà disparu, ne laissant aucune trace de leur passage sur l’Erastria de lumière.

ƸӜƷ

« Kina ! »

Le cri déchirant de Segara attira l’attention de tous ceux qui se trouvaient encore dans le cercle de bois brûlé : entre les bras de la mage de l’École Indigo, l’ombre était en train de disparaître. Autour de son poignet, le lien s’était totalement effacé ; plus rien ne la retenait dans ce monde. La compagnonne attrapa sa main et demanda d’une voix pressante :

« Kina, si quelqu’un se lie à toi… est-ce que tu peux demeurer en ce monde ? »

En dépit des regards stupéfaits qui pesaient sur elle, elle poursuivit :

« Je suis seule ici et toi aussi. Lizbet n’a pas su reconnaître sa chance de se voir offrir une sœur. Est-ce que tu voudrais devenir ma sœur ? »

Dame Ledelian écarquilla les yeux :

« Segara… »

Dans une courbe gracieuse, les trois gardiens vinrent atterrir autour des humains, contemplant gravement la scène. Aurean s’avança avec un sourire :

« Si c’est ton choix, Segara, je veux que tu saches que je l’approuve. »

Les deux autres le regardèrent, interdits, mais Estrella approcha à son tour :

« Moi aussi, Segara. De tout cœur. »

Un doux sourire apparut sur le visage marbré d’obscurité de Kina :

« Merci, souffla-t-elle, merci à vous… »

Elle ferma les yeux. Une longue vague noire passa sur son corps, l’enveloppant totalement. Quand elle se dissipa, la jumelle de Lizbet avait disparu : les cheveux d’argent s’étaient assombris, son visage état devenu plus ovale et plus doux, sa silhouette plus grande et élancée…

Elle était à présent l’image parfaite de Segara.

Autour du poignet de la compagnonne comme du sien, un délicat entrelacs noir symbolisait désormais leur lien.


Texte publié par Beatrix, 13 juillet 2017 à 22h55
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