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tome 1, Chapitre 11 « Révélations – Troisième partie » tome 1, Chapitre 11

Profondément choquée, Estrella se précipita vers le Gardien et s'accroupit à ses côtés, imitée par Azura. Aurean s'était déjà remis sur son séant ; des mèches échappées de leur lien dissimulaient son expression, mais la jeune fille pouvait entendre sa respiration saccadée. D'autorité, elle le prit par les épaules et repoussa d'une main douce les cheveux blonds pour inspecter les dégâts. Lumière solide ou pas, les Gardiens pouvaient de toute évidence subir des blessures quand ils se trouvaient sur Erastria. Sa pommette était rouge et commençaient à enfler. Un œil doré, cerné de pourpre, commençait à se fermer.

« Ce n'est rien », bafouilla-t-il en essayant d'échapper à ses attentions.

Azura le prit par le bras pour l'aider à se relever ; Estrella bondit sur ses pieds, sentant une terrible fureur monter en elle :

« Je peux comprendre que vous ayez de la peine, mais vous n'avez pas le droit de vous en prendre à Aurean ! Il est tout autant une victime que Bastian ! »

Trente la fixa avec dédain :

« Et à quel titre vous permettez-vous de parler ainsi, jeune fille ?

— C'est moi qui les ai trouvés, Bastian et lui, dans votre ancienne demeure ! Là où personne d'autre ne les avait cherchés ! Aurean était mourant... c'était déjà presque trop tard pour lui. Avez-vous la moindre idée de ce qu'il a enduré ?

— Et vous, avez-vous la moindre idée de ce qu'a enduré mon fils ? répliqua Trente, les poings serrés.

— Aurean n'est pas responsable ! C'est celui qui leur a fait cela, le seul vrai coupable ! Vous avez accueilli Aurean dans votre maison, vous l'avez considéré comme un fils... Comment pouvez-vous manquer de cœur à ce point ? »

L'expression de Trente passa du dédain au dégoût :

« En effet, nous avons dû prétendre avoir adopté cette chose... qu'on nous a imposée sous prétexte qu'il protégerait notre fils. C'est lui qui aurait dû mourir. Si ces créatures peuvent même mourir... »

Estrella sentit des larmes de rage perler dans ses yeux : comment cet homme pouvait-il se montrer aussi cruel ?

« Votre fils n'aurait jamais voulu que vous agissiez de cette manière !

— Mon fils avait fini par détester cet... être qu'on lui avait imposée... Je m'adresserai à la Haute Chambre de Magie s'il le faut, pour qu'on le renvoie une fois pour toutes d'où il vient ! Et je t'interdis de te mêler de ce qui ne te regarde pas, petite ratée d'incolore ! »

Même si l'insulte n'avait plus lieu d'être, Estrella la prit comme un coup de poing au creux du ventre. Elle comprit qu'elle ne pourrait pas faire entendre raison à l'homme aveuglé par le chagrin. Elle chercha le regard de sa femme, mais celle-ci détourna les yeux. Azura soutenait toujours Aurean, qui gardait la tête baissé, sans manifester la moindre volonté de se défendre. La jeune fille s'étonnait du silence de dame Ledelian, mais elle réalisa que cette dernière semblait à la fois soucieuse et concentrée... Elle crut même apercevoir des légères vagues bleues passer sous sa peau.

Francis d'Outremont posa une main sur l'épaule de Trente, le forçant à se tourner vers lui :

« Eveas, calme-toi, fit-il d'une voix chargée de fermeté. Je ne prétends pas savoir ce que tu ressens, mais je ne te permettrai ni de frapper un de mes hôtes ni d'insulter ma fille. C'est pour cela que je vous prierai, Karila et toi, de quitter immédiatement ma maison. Il me semble que vous avez des questions beaucoup plus graves à gérer pour le moment. Si tu le veux bien, nous reparlerons de toute cela plus tard, quand les émotions seront moins vives... »

Trente prit une longue inspiration, s’apprêtant à protester, mais la résolution de Francis l'en dissuada. Dame Ledelian s'avança pour prendre la main de Karila de Trente :

« Je suis tellement navrée, Karila, fit-elle d'un ton apaisant. Azura et moi allons vous accompagner, afin de vous aider à faire face à la situation, si vous le voulez bien...

— Merci, Ledelian », répondit la mère de Bastian avec un pâle sourire.

Le professeur guida la pauvre femme vers l'allée ; Eveas de Trente n'eut d'autre choix que de les suivre, après avoir jeté un regard sombre en direction de la famille d'Outremont. A contrecœur, Azura se détacha de l'autre Gardien pour les suivre :

« Je te le confie, Estrella », murmura-t-elle avant de rejoindre son attache.

La jeune fille hocha la tête, puis reporta son attention vers le garçon. Elle ne s'aperçut que son père s'était approchée d'elle que lorsqu'il posa une main sur son épaule :

« Je suis navré, Estrella, dit-il gravement. Nous n'avons pas pu nous retrouver comme il se doit... Puis-je te demander de te charger de ce jeune homme ? Nous parlerons... plus tard. »

Estrella hocha la tête, frustrée de voir ses retrouvailles avec ses parents gâchées par la violence inconsidérée de Trente... Même si elle les présageait maladroite au mieux, pénible au pire. Elle posa la main sur le bras d'Aurean :

« Viens, suis-moi », lui dit-elle gentiment.

Le gardien semblait plongé dans ses pensées ; il hocha la tête machinalement, les yeux baissés vers le sol, et la suivit comme un somnambule.

ƸӜƷ

La jeune fille l'entraîna dans le petit salon vert, une pièce calme et isolée dans l’aile droite de la maison, où elle l'obligea à s'asseoir sur le canapé confortable.

« Laisse moi regarder ton visage », lui commanda-t-elle.

Docilement, il releva la tête, la laissant écarter avec d'extrêmes précautions les cheveux dorés ; elle le sentit tressaillir de douleur quand ses doigts effleurèrent le côté blessé. Elle frémit en constatant que les ecchymoses avaient empiré.

« Cet homme est vraiment une brute, grommela-t-elle. Il faudrait peut-être que tu voies un docteur », ajouta-t-elle en fronçant les sourcils.

Il esquissa un sourire qui se transforma en grimace de douleur :

« Ce ne sera pas la peine... »

Avec douceur, il écarta sa main, puis ferma les yeux – du moins, celui qui n'était pas déjà clos par la force des choses. Une légère radiance dorée émana progressivement du côté meurtri de son visage ; les ecchymoses se résorbèrent lentement, pour finir par totalement disparaître. Il soupira de soulagement et se laissa aller contre le dossier, sous les yeux ébahis de la jeune fille :

« Comment as-tu fait cela ? Tu n'es pas un mage le l’École Verte de la Vie !

— Ce n'est pas vraiment une guérison, au sens propre du terme... Ce corps n'est pas mon apparence réelle. C'est un peu... son équivalent sur Erastria, si tu veux. Tel qu'il est, il est matériellement vulnérable, parce qu'il reproduit totalement un corps humain, mais je peux en quelque sorte... le réarranger pour éliminer les dommages. »

Estrella n'était pas sûre d'avoir tout compris, mais elle était soulagée qu'Aurean aille bien.

« Cela n'excuse pas cet homme de t'avoir frappé et d'avoir dit toutes ces choses horribles sur toi ! » rétorqua-t-elle.

Elle s'attendait presque à ce qu'Aurean en profite pour lui faire remarquer qu'une fois encore, elle montrait de l'intérêt pour son bien être, mais il n'en fit rien. Il se mordit la lèvre et fixa le tapis. Au bout d'un moment, il releva les yeux et murmura :

« Et si ce qu'il avait dit était vrai, Estrella ? »

Elle sentit ses yeux s'élargir de stupéfaction :

« Comment cela, dire vrai ? hoqueta-t-elle.

— Je veux dire... Alleman de Veritas, le professeur de l'Ecole Jaune de la Transfiguration, m'a confié à Bastian pour je le protège. Mais j'ai échoué. Et Bastian est mort, Estrella. »

La jeune fille serra les poings :

« Je ne comprends pas ! s'écria-t-elle. Tu es un Lucidien, une créature surnaturelle, tu vis depuis... quelque chose comme toujours, et tu te conduits comme un gamin pleurnichard ! »

Les yeux dorés d'Aurean s'écarquillèrent :

« Un... gamin pleurnichard ? » balbutia-t-il.

Estrella se leva, les mains sur les hanches :

« Oui, un gamin pleurnichard. Tu crois que Bastian aurait voulu que tu te laisses frapper par son père sans rien dire ? »

Il haussa les épaules :

« Tu ne comprends pas... Bastian... »

Il prit une grande inspiration, avant de poursuivre :

« Nous nous entendions très bien. Vraiment comme deux frères. Au début, son père n'appréciait pas la situation... ni ma présence. Mais il avait commencé à changer d'avis. Sa mère a toujours été gentille avec moi. Tout allait pour le mieux... et puis les choses ont commencé à changer. »

Un rictus d’amertume déforma ses lèvres :

« Il a commencé à éviter ma compagnie. Je pensais que c'était normal. Il avait ses propres amis à l'Académie. Après tout, j'étais bien devenu ami avec Eymeri... Ce n'était pas bien grave... Mais il a commencé à se montrer désagréable, puis agressif. Quand j’essayais de lui parler, il refusait de discuter avec moi. »

Il baissa la tête, regardant ses mains jointes sur ses genoux :

« J'en avais parlé à dame Ledelian et maître Alleman. Ils l'ont dit à ses parents. Ils ont finalement décidé de nous envoyer tous les deux ici pour que nous puissions parler de notre différend... et si possible régler les choses. Pendant deux jours, Bastian m'a totalement ignoré. Et le troisième jour... il m'a demandé de le rejoindre dans la crypte, pour que nous puissions discuter sans que les domestiques nous entendent... »

Il fronça les sourcils, absorbé par son propre récit :

« Je suis descendu... Il était seul dans la lumière des blasons. Et son regard... »

Il secoua la tête :

« Je ne le reconnaissais plus. Il y avait en lui tant d'arrogance, tant de mépris... J'ai essayé de lui parler, mais il m'a attaqué avec sa magie pour me faire taire. Il était mon attache, Estrella... il m'était possible de me défendre, mais pas de l'attaquer en retour... Et soudain, j'ai été comme engouffré par... »

Il se mit à frissonner :

« Je ne sais pas ce que c'était au juste, mais j'avais la sensation de tomber dans un puits sans fond. Comme si je ne reverrais jamais la lumière... »

Il ferma les yeux et enfouit son visage entre ses mains, respirant profondément. Estrella aurait voulut le prendre par l'épaule, lui monter qu'il n'était pas seul... mais quelque chose la fit hésiter, peut-être la peur de dissiper les souvenirs qu'il cherchait à invoquer. Enfin, au bout d'un long moment, il laissa retomber ses bras et se tourna vers elle :

« Et la première chose dont je me souviens ensuite, c'est d'avoir ouvert les yeux et de te voir. »

Il secoua la tête :

« Je ne sais vraiment pas ce qui s'est passé... Nous avons probablement été piégés. Je pense à présent qu'il devait se trouver sous l'influence de quelqu'un... J’aurais dû le comprendre... peut-être qu’aujourd’hui, il serait encore en vie... »

Une larme lui échappa, coulant sur sa joue : pas une perle liquide, comme celles des humains, mais une goutte de lumière pure, qui se dissipa dans l'air en particules étincelantes.

Un immense regret.. Une peine intense...

Aurean n'avait rien à se reprocher...

Rien...

Du coin de l’œil, Estrella crut apercevoir la forme diaphane, presque invisible dans la lumière du jour, d'un papillon argenté. Elle se retourna et passa un bras autour des épaules du garçon :

« Tu n'en sais absolument rien : peut-être que c'était juste impossible à éviter, même pour une créature puissante et immortelle interdite par la Haute Chambre la Magie ! En attendant, je compte sur toi pour intervenir si tu commences à me voir agir comme un idiote ! »

Il la regarda de biais, un léger sourire relevant les coins de sa bouche :

« Comment veux-tu que je voie la différence ? »

Avec un cri de protestation, elle lui asséna une légère tape sur le bras... mais en son fore intérieure, elle était soulagée de le voir retrouver un peu de son impudence.

Quelques coups retentirent à la porte.

« Entrez », fit-elle en sautant sur ses pieds, remettant un peu d'ordre dans sa tenue.

Comme elle s'y attendait déjà, il s'agissait de son père ; en voyant entrer le maître de maison, Aurean se leva à son tour, rattachant fébrilement ses cheveux défaits. Les mains derrière le dos, impeccable dans son habit bleu-nuit, Francis considéra longuement les deux jeunes gens, avant de déclarer :

« Je suis heureux de voir que vous allez mieux, Aurean. Je suis désolé de l'attitude d'Eveas. Et je ne tenterai pas de l'excuser, même si je le plains profondément. Mais compte tenu des circonstances, vous ne pourrez pas revenir chez les Trente. Je tenais à vous assurer que vous êtes le bienvenu chez moi... Je demanderai à ce que les Trente me transfère votre tutelle, afin que vous puissiez vivre sans difficulté sur Erastria en tant qu'adolescent humain. Si, bien sûr, cela vous convient... »

Estrella nota qu'il ne lui avait pas demandé ce qu'elle en pensait. Pas plus pour cela... que pour tout le reste. Peut-être attendait-il de pouvoir lui parler seule à seule. Mais elle ne pouvait s'empêcher de douter. La porte se referma sur le dos altier, la laissant seule face à ses doutes et ses interrogations...

Et bien entendu, Aurean se méprit sur son silence :

« Si cela te gêne à ce point, Estrella... »

Elle haussa les épaules :

« Espèce d'idiot, bien sûr que ça ne me gêne pas... »

Mais à l'expression dubitative sur le visage du Gardien, elle n'était pas sûre de pouvoir pleinement le convaincre.


Texte publié par Beatrix, 20 octobre 2013 à 01h25
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