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tome 1, Chapitre 7 « L'Eveil - Troisième partie » tome 1, Chapitre 7

Tous les invités avaient été réunis dans le petit salon mauve, où Estrella avait dû écouter un long sermon de Madame Maysie. La gouvernante lui avait expliqué, en long et en large, dans quelle mesure son attitude était dangereuse et inappropriée – tout en reconnaissant que leurs deux visiteuses étaient des personnes parfaitement convenables et qu'elles n'étaient certainement pas en cause.

La jeune fille avait été soulagée, en retournant dans la maison avec ses invitées imprévues, de découvrir qu'Aurean n'était nulle part en vue. Sans doute Sofie l'avait-elle déjà conduit dans sa chambre de fortune. Une fois le discours de Madame Maysie terminé, cette dernière, très satisfaite de son intervention, demanda à Millie de leur servir le thé. Une nouvelle fois, Estrella se retrouvait dans une situation plus qu'étrange : la pendule indiquait trois heures du matin et la gouvernante portait toujours sa robe de chambre à froufrous. Elle-même avait juste passé la sienne par-dessus sa chemise de nuit - alors qu'elle avait toujours aux pieds ses bottines tâchées de boue.

Au bout d'un moment, Madame Maysie papotait avec les deux étrangères comme si elle les avaient connues toute sa vie. Estrella n'en croyait pas ses oreilles... Était-ce bien la même femme, habituellement si méfiante ? Elle traitait l'ancienne cuisinière comme une amie de toujours, qui le lui rendait bien. Elle n'avait même pas paru choquée par le fait que la jeune personne qui l'accompagnait avait gardé son capuchon, ce qui était contre toute convenance.

Au bout d'une bonne demi-heure, la gouvernante bailla largement et déclara d'une voix ensommeillée :

« Eh bien, je pense qu'il est plus que temps d'aller se coucher... Puis-je vous confier ces invitées, Mademoiselle ? »

Estrella cherchait désespérément quoi répondre, quand la vieille cuisinière lui adressa un regard appuyé. Elle aperçut, à la surface de la main ridée, des vagues discrètes de lumière bleue qui semblaient jouer sous sa peau... Elle ne les aurait sans doute même pas remarquées si sa propre mère n'avait pas été une mage de l'Ecole Bleue.

Elle sentit un frisson lui parcourir le dos : la visiteuse était en train d'influencer Madame Maysie, incapable de résister à ses talents... Comment cette femme osait-elle, malgré les interdits en vigueur, ainsi jouer avec l'esprit de quelqu'un du peuple ? Essayait-elle de faire la même chose à Estrella ? Si c'était le cas, s'en rendrait-elle seulement compte ?

Cependant, quelque chose la poussait à en douter : si elle avait été contrôlée, elle ne se serait sans doute pas aperçue que la vieille femme manipulait Madame Maysie. La « cuisinière » l'avait certes poussée à explorer la demeure des Trente, mais en jouant sur sa curiosité, pas en usurpant sa volonté. Avait-elle seulement été consciente de la voix qui avait guidé Estrella ? Cette voix qui semblait appartenir à Bastian – à son esprit, son fantôme... Cette présence qui l'avait conduite à délivrer Aurean...

Le plus simple était, pour le moment, de ne pas s'opposer à l'intruse. Surtout si elle souhaitait avoir des réponses, celles qu'elle désirait désespérément obtenir – pas les contes de fée qu'Aurean, délibérément ou pas, lui avait servis.

« Ce... ce sera avec plaisir, déclara-t-elle avec un sourire figé.

— C'est parfait alors ! Je vais envoyer Millie et Sofie dans leur chambre. Surtout, ne restez pas debout trop longtemps, Mademoiselle.

— Euh... Bien sûr que non, ne vous inquiétez pas ! »

La jeune fille était certaine qu'une goutte de sueur venait de couler le long de sa tempe tant elle se sentait gênée par la situation. Quand la robe de chambre froufroutante eut disparu, elle se leva, sans prendre garde à sa tasse qui venait de se renverser dans l'impulsivité de son geste :

« A quoi tout cela rime ? lança-t-elle violemment. Qui êtes-vous donc ? Et qu'est-ce que vous avez fait ? »

La vieille cuisinière baissa légèrement la tête :

« Je pense que nous vous devons des explications... »

Elle échangea un regard avec sa compagne : cette dernière rejeta son capuchon en arrière, révélant une longue chevelure d'un bleu profond. Au même moment, l'apparence de la vieille femme se brouilla ; en ses lieu et place apparut une jeune femme brune qui sembla étrangement familière à Estrella...

Elle se trouvait seule, dans la pièce de l'Examen, et un par un les professeurs des Sept Ecoles de l'Académie se succédaient devant elle, posant brièvement la main sur son front. Leur toucher était froid, distant, indifférent... Et cependant...

Elle se prit à regarder dans les yeux gris d'une femme qui portait un uniforme bleu... un uniforme d'homme.

« Mon nom est Ledelian de Clare, professeur de l’École Bleue de l'Esprit à l'Académie des Sept Couleurs. Et voici ma Gardienne de Lucid, Azura. Peux-tu nous conduire auprès du Gardien Aurean ? »

ƸӜƷ

Ledelian de Clare ?

Gardienne de Lucid ?

Gardien Aurean ?

Estrella demeura figée sur place, submergée par le trop plein d'informations. Le professeur de l'Ecole Bleue la regarda avec un mélange de gravité et d'amusement.

« Je comprends bien que tout cela fait beaucoup pour vous, Estrella – si vous permettez que je vous appelle ainsi... Mais je me vois mal vous cacher quoi que ce soit... »

Elle se leva d'un geste fluide et vint se placer en face de la jeune fille. Posant les deux mains sur ses épaules, elle poursuivit :

« Vous devez penser que nous vous avons porté un grand préjudice en vous interdisant l'entrée de l'Académie. A ce jour, cela a été mon plus grand regret. Mais il s'avère qu'aucun d'entre nous n'était en mesure de comprendre que votre Lumière avait été scellée... »

Elle leva sa main droite vers le front de la jeune fille, qui sentit comme un léger choc à son contact :

« … Et quelle Lumière ! » ajouta le professeur d'un ton impressionné.

Elle recula légèrement, pour laisser Estrella reprendre un peu sa contenance :

« Nous allons avoir beaucoup de temps à rattraper, fit elle avec un large sourire. Mais en attendant, il nous faut voir Aurean. Savez-vous où il se trouve ? »

Estrella hocha timidement la tête :

« Sofie a parlé d'une chambre au-dessus du cellier. Je pense savoir comment s'y rendre. Si vous voulez bien me suivre... »

Après avoir erré un peu, elle finit par trouver l'escalier – qui ressemblait plus à une échelle de meunier – menant à la pièce. Elle frappa à la porte :

« Oui ? fit une voix jeune et fatiguée de l'autre côté du battant.

— Il y a des personnes qui veulent te voir, Auréan...

— Qui veulent me voir ? répondit-il avec surprise. Vous pouvez entrer si vous le souhaitez... La porte n'est pas fermée. »

Estrella tourna la poignée, poussa lentement la porte et jeta un coup d'oeil dans la pièce : ce n'était rien de plus qu'un réduit mansardé, aux murs un peu lépreux. Sofie avait gentiment garni le lit de fer de draps blancs et de couvertures neuves. Une table de nuit branlante, qui supportait une lampe allumée, et un tabouret boiteux constituaient le reste du mobilier. Aurean était assis sur le lit, entourant de ses bras ses genoux repliés. Il releva la tête en voyant Estrella :

« Je... je suis désolée, fit la jeune fille, un peu confuse. J'aurais dû veiller à ce que tu sois mieux installé.

— Ne t'inquiète pas, répondit-il avec un sourire, ça me va très bien. »

Dame Ledelian se fraya un passage dans la chambre et se campa devant le garçon, les mains sur les hanches, dans une posture dont l'autorité était renforcée par ses habits masculins :

« Comment osez-vous dire cela, Gardien ? fit-elle en haussant un sourcil. Vous pouvez largement prétendre à un séjour plus en accord avec votre rang ! »

Les grands yeux d'or d'Aurean s'élargirent. Aussi rapidement que sa lassitude générale le lui permettait, il sauta au bas du lit et s'avança vers la nouvelle venue :

« Dame Ledelian... Mais que faites vous ici... ? »

Sans attendre, le professeur de l'Ecole Bleue se laissa tomber sur un genou devant le garçon, tandis qu'Estrella contemplait la scène, bouche bée :

« Gardien Aurean... fit-elle d'une voix chargée d'émotion, après ces deux longues années, nous désespérions de vous retrouver en vie. Nous avons une dette immense envers mademoiselle d'Outremont, pour vous avoir sorti de ce piège où vous étiez emprisonné... »

Aurean se frotta la nuque, rougissant légèrement :

« Relevez-vous, s'il vous plaît, dame Ledelian. Je dois en effet beaucoup à Estrella... et de plus.. »

Avant qu'il n'ait pu s'expliquer plus, un ouragan bleu se précipita vers lui ; il se retrouva prisonnier de l'étreinte de deux bras pâles :

« Aurean... sanglota à demi Azura. Nous avons vraiment cru t'avoir perdu. La reine elle-même avait fini par désespérer... »

Un peu déstabilisé au premier abord, le garçon finit par rendre son étreinte à la jeune femme aux cheveux outremer :

« Azura... Je... je suis désolé... » murmura-t-il faiblement.

Estrella les contempla avec perplexité ; il lui semblait, étrangement, que leur corps s'était mis à luire doucement dans la semi-pénombre. Elle se tourna vers dame Ledelian :

« Ils viennent vraiment... de Lucid ? » demanda-t-elle, en ayant conscience de poser la question la plus stupide du monde... parce que ce fait était aussi évident qu'il était impossible.

Dame Ledelian se contenta de sourire avec tolérance :

« Je sais que cela peut paraître surprenant la première fois... Nous sommes tellement habitués à considérer que Lucid et ses habitants ne sont que des légendes qu'on raconte aux enfants qu'il est compliqué, même pour nous qui sommes issus des Hautes lignées, d'accepter la vérité. Et pourtant, Estrella, vous avez bel et bien devant vous deux des mythiques gardiens de Lucid. Azura, la Gardienne Bleue, et Aurean, le Gardien d'Or. »

Pensivement, la jeune fille baissa les yeux vers son poignet. Relevant sa manche, elle découvrit la bracelet de lumière et le présenta au professeur de l'Ecole Bleue :

« Peut-être pouvez-vous me dire ce que c'est ? » fit-elle d'un ton las.

Les yeux gris de dame Ledelian se firent lointain :

« Je le sais... mais je ne me l'explique pas, fit-elle pensivement. Tu n'aurais jamais dû pouvoir établir un lien avec Aurean. »

Elle se souvint d'une remarque que le garçon avait faite alors qu'ils se trouvaient encore dans la crypte :

« Parce que je suis une fille ? »

Le professeur hocha la tête :

« En effet. Les Lucidiens sont d'une nature différente de la nôtre : ils sont constitués, en quelque sorte, de lumière solide... Leur essence n'est pas en accord avec celle de notre monde matériel. C'est pourquoi ils ont besoin, pour demeurer sur Erastria, d'établir un lien avec un humain qui a été dépositaire de la Lumière de Lucid. On appelle cette personne l'Attache. Comme chacun des gardiens est lié à l'une des couleurs de la Magie, l'Attache doit posséder en couleur dominante celle de son Gardien... C'est parce que ma principale Couleur de magie était la magie Bleue de l'Esprit que j'ai pu me lier avec Azura », poursuivit-elle en tournant son regard vers la femme aux cheveux bleus.

Elle marqua une pause, avant de poursuivre d'un ton plus grave : 

« Mais l'autre règle intangible, c'est qu'un esprit masculin ne peut se lier qu'à un mage du même sexe... et même chose pour les esprits féminins.

— Il y a une raison particulière ? demanda Estrella d'une petite voix.

— Une question d'affinité, probablement, répondit Ledelian pensivement. A notre connaissance, il en a toujours été ainsi.

— Depuis toujours ? »

La jeune femme fronça légèrement les sourcils :

« Depuis que la porte entre Lucid et Erastria a été réouverte, tout au moins. Il est vrai que ce qui se passait auparavant reste très mystérieux... Après la chute du roi Morregan, voilà cinq cents ans, une nouvelle ère a commencé qui faisait table rase de tout ce qui avait pu se passer auparavant... Mais il n'y a pas de raison pour que les règles aient été si différentes... »

Elle reporta son attention vers les deux Gardiens, qui avaient relâché leur étreinte et conversaient à présent à voix basse :

« … savez-vous comment ce lien a été créé ? »

Estrella secoua la tête :

« Je n'en ai aucune idée. Quand je suis arrivée dans la crypte, il existait encore entre Bastian et Aurean... »

Le professeur de l'Ecole Bleue frémit de surprise :

« Vous voulez dire que Bastian... était encore en vie ? »

Estrella secoua précipitamment la tête :

« Non... Il était bel et bien... Je veux dire... »

Elle se mordit la lèvre, incapable de continuer, tremblant légèrement au souvenir du corps racorni qui avait été un jour un jeune garçon plein de vie.

« Un lien entre un Gardien et un mage mort... »

Dame Ledelian avait visiblement pâli ; même si le concept était d'emblée perturbant, il devait sembler encore plus ahurissant pour une mage telle qu'elle. Elle baissa la tête, et dans ses ses yeux gris, une colère profonde brasilla :

« C'est sans doute la raison pour laquelle Aurean n'a pas pu s'évader durant ces deux années... Le fait qu'il ait même survécu est un mystère. Les Lucidiens ont beau être différents des humains, même lui n'aurait pas dû tenir aussi longtemps dans des circonstances aussi terribles... J'espère juste qu'il n'en était pas conscient... »

Elle ferma à demi les yeux :

« Mais en tout cas, une chose est certaine : quelqu'un a bel et bien projeté la mort de Bastian comme celle d'Aurean. J'ignore qui... et pourquoi. Mais il ne sera pas en sécurité tant que nous ne l'auront pas déterminé. Et vous ne le serez sans doute pas non plus... »

Elle échangea un regard avec Azura, agenouillée à côté du lit où Auréan était à présent assoupi ; elle avait posé, dans un geste protecteur, une main sur la tête blonde. Le Gardien semblait profondément endormi, et la femme aux cheveux bleus avait tiré sur lui les draps et la couverture, comme une grande sœur attentionnée.

Estrella se mordit la lèvre : en une nuit, sa vie s'était trouvée intégralement chamboulée. Était-ce un mal ou un bien ? Il était encore trop tôt pour le dire. Elle étouffa un long bâillement.

« En attendant, fit Ledelian en souriant, cela ne sert à rien de rester à discuter. Vous avez besoin de vous reposer. Nous allons rester auprès d'Aurean cette nuit ; vous pouvez regagner votre chambre. Nous reparlerons de tout cela demain, et aussi... »

Elle marqua une pause et son expression redevint grave :

« Prévenir vos parents ainsi que ceux de Bastian. »


Texte publié par Beatrix, 22 août 2013 à 00h05
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