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Frankenstein ou le Prophète Ressuscité
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tome 1, Chapitre 12 « Le Mort au Bois Dormant » tome 1, Chapitre 12

La civilisation a pour but, non pas le progrès de la science et des machines, mais celui de l’homme. Après tout, c’est le développement de la personnalité humaine qui est le but suprême de la civilisation.

Alexis Carrel, l’Homme, cet inconnu

Ma sœur, après quelques jours passés à Peebles, contraint par une tempête qui coupa les lignes de communication, me voici enfin dans la capitale écossaise. Là-bas, contre monnaie sonnante et trébuchante, le libraire a accepté de faire suivre ma commande jusqu'au port de Thurso. Il m'en aura coûté une guinée, mais cela est fort peu en regard des tracas que m'aurait causés un retour pour les y chercher. Si le temps se maintient, nous appareillons demain. En attendant, je profite de ces courtes heures pour flâner dans la ville. Je me suis rendue à l'université, puis au collège de médecine. J'ai ouï dire que leur bibliothèque était à la hauteur de leur rayonnement intellectuel, peut-être y découvrirai-je de quoi satisfaire ma curiosité.

En fait, je dois le confesser, cette conversation surprise au cours de mon dîner dans le train me perturbe encore. Il semble se loger dans leurs arguments une perversion de l'esprit de la théorie de monsieur Darwin ; une perversion à même de justifier l'abandon de ces populations déshéritées. Cependant, il est d'autres considérations que je ne puis balayer d'un revers de manche et qui méritent quelque attention de ma part. Néanmoins, vous ne l'ignorez pas comme moi, le destin peut se montrer fort capricieux et, alors que je me baguenaudais autour du Royal Mile, voici que mon regard fut attiré par une affiche. On y annonçait une conférence du professeur Maxwell, organisée par le professeur Crookes le lendemain à l'université. Comprenez mon trouble, après la mort de Jekyll, ce dernier semblait avoir abandonné toutes ses recherches annexes à cause du scandale provoqué par Hyde. J'approuve le cher homme. Un être de sa stature ne peut voir son nom mêlé et sali par les turpitudes d'un personnage aussi détestable. Ainsi ai-je donc décidé de reporter de quelques heures ma promenade dans ces antres de l'intelligence et de la sagesse, d'autant mon départ d'Édimbourg. Pour rien, je ne manquerai cette réunion. À la place, je me suis rendu sur la colline d'Arthur's seat qui surplombe le cœur de la ville. À cette occasion, j'ai sorti les carnets de feu notre oncle Viktor.

Comme nous le savons, sitôt sa créature élevée et, dépassée par ce qu'il a engendré, le brave homme prend la fuite en Savoie ; Clerval m'a confirmé la chose au cours de l'un de nos échanges. Convalescent, il part ensuite à Chamonix et la retrouve.

Ma sœur, nous n'ignorons pas que notre oncle s'était rendu en terre d'Angleterre, mais non les raisons. Depuis que je suis possession de ses carnets, je n'ai eu de cesse de les lire et de les relire jusqu'à ce qu'il fasse partie de mon être.

Ma sœur, mes découvertes me terrifient, cependant qu'elles affermissent ma détermination à ne point commettre ses mêmes erreurs. Malgré le dégoût que m'inspirent ces lignes, j'y ai néanmoins découvert sur quelle île des Orcades il avait jeté son dévolu : Damsay. Elle fait à peine cinq acres de superficie. C'est un caillou herbeux au centre de la baie de Firth. Sa voisine la plus proche, Holm of Grimbister, est à plus de dix miles. C'est là que je me rendrai. Je doute que les autochtones m'accueillent à bras ouverts ; de cela je ne pourrai leur en tenir rigueur. J'ignore s'ils accepteront l'offre que je leur ferai ; ils auraient tort de la décliner.

Amicalement, votre dévoué H.F.

***

Boulevard Périphérique Sud, France, 16 février 2067

Vitry dépassé, enterré, Achille poursuit sa route insensée dans l'obscurité. À sa droite, Franz somnole, les paupières entrouvertes. Un coup d'œil dans le rétroviseur, il aperçoit la silhouette de Max qui ne semble plus être que le spectre de lui-même.

Que s'est-il passé ?

Encore maintenant qu'il s'achemine vers Ivry, que l'ombre inquiète de la centrale en ruine n'est plus qu'un souvenir, que la brume a disparu, il s'interroge.

Les avaient-ils suivis, ou alors n'était-ce que pure coïncidence ?

Éprouvé par la journée, Achille chasse d'un geste las ces pensées parasites, pendant ce temps Robert Plant chante l'histoire d'une femme qui s'achète un escalier vers le paradis :

There's a lady who's sure all that glitters is gold

And she's buying a stairway to heaven

When she gets there she knows, if the stores are all closed

With a word she can get what she came for

Ooh, ooh, and she's buying a stairway to heaven*

Est-ce vraiment le paradis qui les attend ? Attentif à la route, Achille trace son chemin au travers des avenues assoupies, tantôt endormies. Sur la façade d'un hôtel, il croit voir la silhouette d'un aigle fondant sur sa proie. Mais déjà ils sont loin, et le mirage s'efface, tandis que ses phares percent un soir toujours plus noir. Bientôt, ils seront à Charenton-le-Pont et Franz descendra. La main posée sur toit de sa voiture, il se penchera, puis les saluera. Silencieux, Achille lui rend son regard, pendant qu'il l'observera s'effacer dans la nuit de velours. Derrière, Max dormira ; il ne le réveillera qu'arrivés à Montreuil, enfin il filera vers Bagnolet où il retrouvera son sous-sol qu'il affectionne tant.

Soudain, une tache rouge éclabousse l'obscurité ; c'est un feu tricolore. La pédale de frein enfoncé, le véhicule stoppe net sa course.

***

Clamart, France, 16 février 2067

Pendant ce temps, ce sont une femme et un homme ; elle, ses bras passés autour de sa taille, lui, les mains posées sur le guidon. À ses oreilles, malgré le casque qui enserre sa tête, elle entend le vent qui siffle. Parfois, elle tourne son visage de droite, ou de gauche, et regarde défiler les murs gris et anonymes. L'autoroute est pour eux. Balle sanglante, balle traçante lancée dans la nuit, ils filent sans se soucier des rares véhicules qui circulent. À cette vitesse, ils ne sont que de minuscules taches lumineuses, sans plus d'épaisseur. Comme d'autres, lancés à leur poursuite, ils roulent pour oublier, pour s'évader. Soudain, ils ralentissent. La décélération est presque imperceptible. Elle resserre son étreinte , tandis qu'elle bascule doucement son corps du côté opposé. Ses yeux s'attachent à une carcasse de voiture calcinée.

Elle marche seule en bordure de la rivière. L'après-midi est chaud. Dans le ciel voilé, aucun nuage n'est visible, sinon une brume persistante. Tout à coup, son regard est attiré : un tronc de bois couvert d'un paquet d'algues sales. Penchée sur la rambarde, elle la contemple qui dérive au gré du courant paresseux. Soudain, la souche s'accroche ; elle réalise sa méprise. Point de tronc d'arbre ou de masse d'algues séchées, mais un corps. C'est une femme ! ses cheveux, semblables à ses végétaux aquatiques, se sont pris dans une bouée. Son ventre, aux reflets verdâtres, est gonflé de gaz. De son panorama, elle distingue presque le réseau des veines qui affleure sous sa peau. Junkie assassinée par son dealer, parce qu'elle était endettée, ou bien prostitué des bas-quartiers rejetée par un client, parce qu'il l'aura trop cognée.

Non ! Elle n'est rien de tout cela ! Elle est seulement une poupée qu'on a jetée ; une poupée que l'on a rejetée, parce qu'elle était fanée.

Une brise légère se lève. Autour du cadavre, des vaguelettes s'écrasent mollement sur ses chairs mortes. Au loin, une péniche sinue paresseuse, indifférente à son sort.

Pourquoi s'en préoccuper ? Elle n'est qu'une poupée de chair gonflée.

Elle passe une main dans sa crinière brune. Les yeux secs, malgré des larmes qui perlent, elle lance un appel. Les paroles sont communes, l'échange s'éternise puis s'achève :

— Cinquante...

— ...

— Trente ? OK...

Elle est lasse.

Que lui arriverait-il si elle basculait ? Finirait-elle sa vie de la même manière : cadavre pourrissant dans des eaux mortes ?

Adossée sur la barrière en acier zingué, elle se penche en arrière, les yeux tournés vers le ciel. Sa main fouille sa veste à la recherche de son étui à cigarettes. Au contact du métal froid, elle ne peut réprimer un frisson tandis qu'elle l'extrait de sa poche. À l'intérieur, il n'en reste plus que trois, ainsi que son briquet. Au-dessus d'elle, une foule nombreuse s'amoncelle, sombre et orageuse. Mais elle ne s'en préoccupe pas et enflamme l'objet de son désir immédiat. La fumée envahit ses poumons pendant que la nicotine infuse son système sanguin. Elle se perd dans les méandres du fleuve Temps. Le vent gonfle ses cheveux alors que le ciel se fait plus menaçant. Elle ne bougera pas. Elle demeurera ainsi, jusqu'à l'arrivée de la vedette des forces de police.

Ils ont dépassé le virage et le souvenir s'est évanoui. Inlassables, ils poursuivent leur route au travers des quartiers anonymes ; enchaînement de barres grises, constellées de taches blanches comme autant de signes de vie. Soudain, ils ralentissent jusqu'à s'arrêter à hauteur d'un carrefour. Immobile, l'homme pose un pied sur le macadam défoncé, tandis qu'il pointe de l'index une nappe opaque qui semble jaillir de nulle part, puis une image dans le rétroviseur. Bien que minuscule, elle n'en reconnaît pas moins le véhicule ; celui conduit par cet homme étrange, un homme qui possède le regard de celui qui a vu bien trop de choses, en ce bas monde. Dans la brume, elle devine les silhouettes qui s'agitent, guerriers abandonnés d'une guerre oubliée, ils errent sans but, toujours accompagnés par ce smog poisseux. En meute, ils meuvent de ville en ville où ils pillent, violent et assassinent sans répit. Personne ne sait qui ils sont ni où ils vont. Pendant ce temps, la voiture s'est rapprochée, puis les dépasse sans les voir, avant de s'arrêter une dizaine de mètres plus loin.

— Que vas-tu faire ? s'enquiert-elle auprès de l'homme contre lequel elle se serre.

À travers le microphone, sa voix grésille, déformée et rocailleuse. Il ne dit rien. Les mains crispées sur le guidon de sa roue, il fait ronfler le moteur plus que de raison. Ils sont arrivés à hauteur du feu, mais ne l'ont pas dépassé. Les secondes passent, longues, rugueuses. Sous ses jambes, elle peut sentir les vrombissements des cylindres. Soudain, la roue se cabre, avant de s'élancer. En face d'eux, le brouillard jaune se dresse, lâche, tel un mur de sable, derrière lequel se cache une armée de déments. L'homme sait qu'il ne lui faut pas marquer la moindre hésitation. Autour d'eux, le décor se fige, la brume se densifie, les corps en mouvement restent en suspens. Dans son esprit, il a tracé une ligne, celle qui leur ouvrira la voie et les délivrera. C'est elle qu'il suit. Sûr de son geste, de sa maîtrise, il frôle les démons qui s'éparpillent en hurlant des imprécations. En arrière, le conducteur n'a pas hésité, il fend à son tour le voile. L'homme pousse un soupir. Soulagé, il poursuit sa route. Alors qu'ils s'engagent dans le virage, il ralentit sa course ; derrière eux, le véhicule les a suivis. Dans l'éclat mat des phares, il devine leurs visages. D'un geste de la main, il les salue puis s'enfuit dans la nuit noire, vers un lieu connu de lui seul.

— Merci, chuchote la femme dans son dos.

— Pourquoi me remercies-tu, Hyo-jin ? rétorque-t-il, les yeux rivés sur la route qui se déroule devant lui.

— Tu changes, Hugo, lui murmure-t-elle.

Dans son casque, sa voix est à peine audible, aussi faible que le souffle d'une brise. Mais il ne répond pas et s'enfonce toujours plus loin dans la nuit sans fin. Ses mots résonnent dans son esprit, martèle son âme meurtrie.

Est-ce de l'amertume ou de l'ironie, alors que ses lèvres s'étirent en sourire maladroit ?

Il pousse devant lui un chariot qui sent la javel et la fraise artificielle. Dans les couloirs vides, les seules sources de lumière sont de minuscules lumignons. Il est tard, il est tôt. C'est selon. Ainsi vêtu, invisible, il se confond avec les murs, il n'est qu'une ombre parmi d'autres. Quand il croise le regard d'un autre comme lui, alors ils se répondent : geste de la main ou hochement de tête, jamais de parole, toujours en silence.

Ce matin, il fait froid lorsqu'il sort la main de sa poche et c'est las qu'il la place dans la logette du lecteur. Un instant plus tard, une sonnerie retentit et la porte s'ouvre dans un soupir. Toujours derrière, jamais devant, ils ne doivent pas être vus. Il est le premier, il n'y a personne dans le vestiaire. Avec lenteur, il écarte le battant de son placard. Une odeur aigre de désinfectant le saisit à la gorge. Mais il n'en a cure et prend une grande inspiration. Ses gestes sont calculés, mesurés, neutralisés, il n'est qu'un employé parmi d'autres.

Sur le mur est suspendu un hologramme. Ses doigts virevoltent à la surface. Il a tout au plus trente minutes pour nettoyer. L'homme sourit, son chariot devant lui. À cette heure, les lieux sont déserts ; il savoure cette solitude. Soudain, il ouvre la porte d'un bureau, puis y pénètre indifférent au regard d'un œil inquisiteur. Par la fenêtre, il contemple la rue inanimée. Ses doigts courent sur la baie vitrée ; ces mêmes fenêtres derrière lesquelles il a passé tant d'années. Cette fois, il ne fuira pas. Il ignore pourquoi, mais il ne partira pas. Quelque chose le retient... un visage peut-être ?

— Je change ? Qui sait ? songe-t-il, en donnant les gaz.

La roue s'enfonce toujours plus profond dans l'obscurité. En ces lieux, plus rien ne les retient, ce ne sont à perte de vue que de gigantesques temples de métal vides, dans lesquels résonnent encore les échos des pas des gens perdus. Sur le toit de l'un d'entre eux, deux immenses projecteurs balaient le ciel y traçant le nom de l'enseigne, éclaboussant de leurs lumières crues les alentours. Hugo sent les bras de Hyo-jin se resserrer autour de sa taille ; il ralentit. Il y a toujours quelque chose d'insensé, de démesuré, qu'il ne peut s'empêcher d'admirer.

— Éloignons-nous, s'il te plaît, chuchote-t-elle d'une voix blanche.

Un frisson parcourt son corps frêle. Hugo n'insiste pas ; il remet les gaz. La roue reprend sa marche. Presque silencieuse, elle se faufile sur les routes sinueuses, qui glissent entre les bâtiments rendus anonymes par l'obscurité maladive. Parfois, ils croisent les silhouettes menaçantes de sombres dieux et de leurs idoles. Ainsi sont ces divinités lorsqu'elles se parent de la nouvelle ombre, dont il porte le poids sur ses épaules, Atlas des temps nouveaux. Il accélère. Dans le ciel, une lune rousse les observe de sa prunelle écarlate, observatrice muette d'une histoire qui jamais ne s'achève. Les yeux tournés vers elle, il pense au temps, aux jours, aux années, aux siècles qui se sont écoulés. Une sourde lassitude infuse son cœur, en même temps qu'un autre sentiment aux contours confus. Il élève soudain son poing et ouvre sa main comme pour la cueillir. Elle est si loin, inaccessible, insaisissable, et sans doute indomptable, comme lui, comme elle, comme eux tous, s'ils n'étaient réduits à l'état d'infirmes marionnettes ; âmes dénaturées enfermées dans des poupées de chair et de sang. Elle est là, prisonnière de l'anneau formé par ses doigts. Qu'il les déplace, elle devient alors la larme écarlate, celle qu'un jour il lui offrira. Autour de sa taille, il sent la prise de Hyo-jin se relâcher à mesure qu'ils s'éloignent de ses lieux dévoreurs d'âmes. Sur le chemin, personne ne les croise, ce ne sont que champs en friche, ouverts à tous les vents, entourés de hautes futaies, qui ceignent une immense forêt, son domaine.

— Hyo-jin...

La roue s'est arrêtée. Hugo pose un pied sur la route déserte et ôte son casque qu'il passe sous son bras. Derrière lui, celle qui l'accompagne en fait autant. L'homme se tient debout au sommet d'une antique borne kilométrique en béton. Sa compagne le rejoint, puis s'avance de quelques pas dans la masse mouvante des herbes folles. Une légère brise ébouriffe leurs cheveux en même temps qu'elle leur apporte les fragrances nocturnes de la forêt toute proche. Aucun échange, aucune parole, ils contemplent tous deux l'horizon ondoyant.

Dans le lointain, la ville, les villes ; lumières blafardes et artificielles qui traversent les ténèbres. Dans le ciel, la lune saigne. Elle est son cœur, elle est son âme, vivante et morte en même temps.

Point de larmes, point de chagrin, point de tristesse, Hyo-jin s'avance de quelques pas vers la bordure du champ. Ses mains effleurent les fragiles pointes des tiges tendres qui ploient sous le vent. Du bout des doigts, elle cueille une fleur gracile qui aussitôt s'envole dans la nuit, tache colorée perdue dans l'obscurité.

À quoi pense-t-elle ? À quoi pense-t-il ?

Leurs esprits sont semblables à ce fleuron en perdition. Libres et sauvages, ils voguent au fil des vagues de leur imagination. Absents de ce monde, ils en sont les spectateurs, les chroniqueurs, les observateurs qui, au gré des événements, se saisissent des éléments. Chacun, à leur manière, ils poursuivent des chimères.

— Hugo... murmure Hyo-jin à l'adresse de la nuit. Qui sont tes démons ? Comment se nomment-ils ? À quoi ressemblent-ils ?

Sa voix est un écho, un son venu de l'horizon ; elle se rappelle son regard quand il les a aperçus. Du haut de son Parnasse, Hugo scrute cette même ligne, indépassable, inatteignable.

Pourtant, n'a-t-il pas lui-même dépasser sa condition ? N'a-t-il pas réalisé le plus vieux rêve de l'homme ? Transcender la mort et fait de la vie sa maîtresse éternelle ?

L'affirmative est la réponse. La négative est la question, car il y a longtemps qu'il a échoué derrière l'horizon.

— Ils sont mes reflets, tristes et méprisables. Ils sont moi dans le noir miroir. Ils sont mes anges à la fenêtre d'occident.

Sur son visage roulent depuis le coin de ses yeux jusqu'à ses joues des larmes amères et obscures ; il ne peut en dire plus, il n'ose en dire plus. L'énigme doit demeurer, le talèth qu'il a jadis jeté sur sa figure, il n'appartient qu'à lui de le soulever. Sa compagne ne l'ignore pas. Patiemment, elle rassemble les pièces de cet ensemble d'ombre, de douleurs sourdes, puis les enferme dans son âme.

— Merci, Hugo, chuchote-t-elle, les bras serrés contre sa poitrine.

Elle tourne la tête vers la forêt. Au-delà des cimes, on peut apercevoir un point brillant, le cœur de son domaine ; pointe scintillante dans la direction du levant.

— Rentrons, lance ce dernier. La tristesse couvre sa voix d'un voile qui obombre sa figure.

Est-il un ange, un démon ?

Non, il est seulement un humain qui aujourd'hui cherche sa rédemption. Dans sa poche, sa main se referme sur l'instrument. Ni la haine ni la vengeance ne le guide, peut-être la justice. Il ne saurait répondre. Plongé ainsi dans l'obscurité de son cœur inachevé, il écoute le vent chanter dans les branches, moissonner les herbes hautes dont les tiges glissent les unes contre les autres. Il saute de sa borne. Dans la terre encore humide, ces pieds s'enfoncent de quelques pouces. Hyo-jin prend place, le casque dissimule déjà son visage. Il hésite un instant, puis se dirige vers la roue luisante. Assis, il fait ronronner le moteur quelques secondes puis s'élance ; étoile filante en direction de la funeste forêt. Tant de légendes urbaines courent à son sujet ; fantômes et autres revenants, morts-vivants et morts-filants hanteraient ces lieux, sans compter les nombreux disparus piégés à jamais dans des marais traîtres qui infestent ce domaine. Mais, il en est un plus mystérieux que les autres. Tapie au plus profond du bois, se cache la pièce maîtresse de son manoir, un ancien templé dédié au culte du dieu celte Cernunnos ; en fait un passage vers l'inframonde, dont les portes ne s'ouvrent qu'à certains automnes, lorsque la lune se pare de noir et d'écarlate. Toutefois, quiconque se glisserait derrière eux, dans le secret dessein d'en percer le mystère, serait aussitôt englouti par un labyrinthe végétal et vespéral, d'où jamais il ne ressortirait. Cette sylve ne reconnaît qu'un seul maître, celui qui l'a sauvé jadis des griffes de femmes et d'hommes cupides, qui ne voyaient en elle que matière et profit. Mais cela, Hugo et Hyo-jin l'ignorent, de même que tous ceux qui parfois l'accompagnent. Tel est le secret que renferme cette forêt.

Les yeux rivés sur la route qui serpente, Hugo s'enfonce entre les arbres majestueux sans se retourner. De temps à autre, il peut apercevoir, par les trouées dans la cime des arbres, l'astre du soir et son cortège d'étoiles, traînée laiteuse dans le ciel illumineux. Au-devant, les arbres déploient leurs branches comme autant de bras prêts à se saisir de l'intrus malvenu tandis que leurs mâchoires de bois claquent. Indifférente, la roue poursuit sa route, s'enfonçant toujours plus profond dans la sombre futaie.

*Deep Purple : Stairway to Heaven

Il est une femme qui est sûre que tout ce qui brille est d'or

Et elle s'achète un escalier pour le paradis

Et quand elle y arrive, elle sait, que si les magasins sont fermés

Alors un mot lui suffira pour obtenir ce pourquoi elle est venue

Ooh, ooh, et elle s'achète un escalier pour le paradis


Texte publié par Diogene, 25 juin 2017 à 17h42
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