Pourquoi vous inscrire ?
«
»
Lecture

Elle se regarda une fois de plus dans la glace. Bon ce n’était pas parfait et des progrès était encore à faire, mais elle n’allait pas de mettre en retard pour si peu.

Dans le salon, elle grignota rapidement quelques tartines, tandis qu’elle attrapait à la volée de petites gorgées de thé. Derrière elle, une horloge grinça dans un bruit sinistre de métal rouillé.

– Déjà ! Maugréa-t-elle.

Elle prit son sac à dos, ouvrit la fenêtre et sauta. Au bout d’une dizaine de secondes, elle finit par trouver la chute un peu longue. Voilà qui allait encore faire des histoires, d’autant qu’elle n’avait pas pu écrire plus de cinq lignes sur les conséquences de la défenestration, volontaire ou non.

– Bah, si cela se poursuit ainsi, j’aurai sans doute le temps de rédiger ce satané rapport pour monsieur Thanos.

En effet, la chute n’en finissait pas et elle en profita finalement pour sortir un carnet et de quoi écrire à l’envers. Elle ne prit pas garde au terrier, qui défilait sous ses yeux aveugles, et n’en fut que plus surprise lorsqu’elle s’écrasa avec élégance sur un sol en terre battue. Profitant de l’occasion, on fait rarement une chute kilométrique, elle fit quelques croquis sur le vif. Se ramassant, elle se leva en bougonnant :

– Bon ce n’est pas tout, mais où est-ce que j’ai atterri encore ?

Ce qui était certain, c’est qu’elle n’était pas à la morgue. Hormis une odeur tenace de pourriture, les lieux ne lui ressemblaient guère. Surgis alors de nulle part, une masse sombre, d’où dépassaient seulement quelques touffes blanches, s’écria d’une voix tout droit sortie d’un marigot :

– Dépêchez-vous enfin ! Je vais être encore en retard !

Elle n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche, que la créature avait déjà disparu. Elle l’aperçut néanmoins et elle se mit en devoir de le rattraper. Mais, malgré les apparences, elle était leste et agile et donc fort difficile à suivre. Heureusement, elle ne cessait de plaindre et de geindre. Bientôt elles furent dehors et Alicia put enfin admirer le paysage.

Des fongus géants jaillissaient de toutes parts en ce magnifique panache pastel depuis les marais putrides. Le ciel fuligineux ajoutait une touche délicate à l’ensemble. Au milieu, entre les vasières, sinuait un chemin boueux et fangeux. Au loin retentissaient des éclats de voix qui se mêlaient à un lugubre tintamarre. Très vite, elle aperçut la bestiole et se lança aussitôt à sa suite. Tout en trottinant, les jambes enfoncées jusqu’aux genoux dans la boue fétide, elle repassait dans sa tête tous les cours ennuyeux auxquels elle n’assisterait pas.

– Ah ! Ça me fend le cœur. Dommage, je n’en ai pas, éclata-t-elle de rire.

Elle était à ce point perdu dans ses pensées, qu’elle ne fit pas attention à la silhouette ronde qui arrivait en sens inverse.

– Hé grosse bouse ! Regarde où donc tu…

Mais ses paroles moururent sur ses lèvres, aussitôt son regard posé sur la personne qu’elle venait de percuter si violemment.

– Tss, tss. Décidément mademoiselle Fungis, vous êtes toujours aussi indécrottable.

Aïe, aïe. Elle devait être aussi rouge qu’une couronne mortuaire. Elle aurait préféré se trouver sagement six pieds sous terre, plutôt qu’avoir à affronter son regard de cerbère.

– Allons ! Cessez donc de tirer pareille tête. Auriez-vous oublié, quel jour nous sommes ?

Oh çà ! Il savait bien choisir ses mots. Quel jour ? Quel jour ?

– Euh, euh… le 31 octobre, je crois dit-elle d’une voix piteuse.

– Et… ?

– Euh…

– Voyons jeune fille, c’est la fête des morts. Pourquoi, croyez-vous donc que vous êtes ici ? Savez-vous qu’ils organisent de nouveaux concours cette année? Tenez ! En ce moment même, madame Muscarie participe à l’épreuve de démembrement volontaire.

Sans façon. Bien sûr, elle était capable de régénérer ses membres, mais cela lui prendrait plusieurs jours. De plus, le but de l’épreuve est de tenir le plus longtemps possible. En aucun cas son corps frêle ne le supporterait.

– Merci monsieur Aspartic.

– Allez ! Allez vous amuser jeune fille. Si vous voulez un dernier conseil, faites donc un tour à la boutique là-bas.

Il se tordit le cou en arrière vers un stand aux couleurs criardes.

– Ils ont les meilleures gourmandises des lieux.

– Merci Professeur.

– Au revoir jeune fille.

Et son professeur de toxicologie s’éloigna avec la grâce d’une baleine à terre. En se promenant, elle croisa, devant le stand de lapidation volontaire, son professeur d’anatomie, le professeur Avicenne, en grande conversation avec madame Naper, son professeur de botanique.

Ah ! Mais comment avait-elle pu oublier ce jour. Celui qu’elle attend avec tant d’impatience chaque année. Heureusement qu’elle emportait toujours avec elle quelques osselets. Tout de même, avant de céder à sa tendance naturelle, elle voulait tout d’abord se délecter cette épreuve de démembrement. Il lui fut facile de le trouver, les cris de souffrance, non plutôt de jouissance des suppliciés, étaient plutôt caractéristiques. En entendant la foule hennir, elle ne doutait plus de sa destination. Dans la fosse, elle reconnut, malgré le sourire extatique qui déformait sa mâchoire, son professeur d’entomologie. Chacun de ses membres, neuf au total en comptant la tête, étaient entravés de lourdes chaînes, que d’immenses pégases noirs étiraient de toute leur force. À chacun de leurs pas, leurs sabots faisaient jaillir des volées de flammes. Le corps de madame Muscarie semblait ne jamais vouloir en finir de s’étirer, si bien que les pégases prirent bientôt leur envol. Un peu déçu de la prestation, l’écartèlement n’avait même pas commencé, Alicia préféra s’en retourner vers la boutique de confiseries. Elle passa devant un stand, où un galant vantait, à qui le voulait, la toute dernière trouvaille en matière de décollation. Curieuse, elle s’approcha de l’estrade où trônait une machine en bois de plusieurs mètres de hauteur. À son sommet, une lame brillante taillée en biseau, qui coulissait le long des colonnes de bois. À sa base, une entrave amovible, capable de s’adapter à la morphologie de, n’importe qui complétait la merveille. Enfin, des pieds en bois massif imputrescible stabilisaient l’ensemble, comme le vantait le marchand. Ce dernier manda son assistante, qui tout sourire noua autour de sa taille l’entrave. Quelques secondes plus tard, son tronc saluait la foule, tandis que ses jambes partaient en goguette.

– Mouais, se dit-elle. C’est bien joli tout ça. Mais c’est bien trop rapide tout ça. Où est donc passé le temps où l’on déguste l’instant de la mort?

Elle musarda ainsi encore quelque temps dans la foule, retardant l’instant délicieux, où elle allait se précipiter et donner libre cours à sa gourmandise. Finalement, son estomac, n’y tenant plus, se jeta toutes dents dehors. Alicia eut le plus grand mal à le rattraper, d’autant plus qu’elle s’était prise les pieds dans son intestin grêle, qui avait eu le bon goût de se débiner aussi. Elle était devant l'échoppe occupée à ranger le reste de ses organes, car ces derniers avaient profité de la place libre pour descendre à leur tour. La réintégration achevée, elle put enfin dévorer des yeux ces exquises friandises qui s’offraient à celle : doigts panés, yeux en gelée ou grillés, confit de sang, pâtés de tripes au beurre salée, soufflé de vessie, cervelle glacée, gomme à mâcher au mou, tarte au cœur braisé, foie à l’eau-de-vie. Devant un tel choix, elle se mit baver à gros bouillons. Hélas elle n’avait que quelques osselets, aussi se décida-t-elle pour deux doigts panés, un œil en gelée et une tranche de foie. Elle paya la marchande et fut heureuse de découvrir que cette dernière lui avait glissé une part de tarte. Bien sûr, ce n’était pas bon pour sa ligne, mais e n’est pas tous les jours qu’elle se fait ainsi plaisir. Croquant à pleines dents dans la panure, une affiche attira soudain son regard :

Grand concours de Grimaces

Organisateur : Académie de la Terreur

Récompense : Stage d’un an auprès du Président Beetlejuice

Dans sa poitrine son cœur ne fit qu’un bond et elle eut le plus grand mal à le retenir dans sa cage thoracique. Beetlejuice, son idole depuis qu’elle était enfant. Il était là et elle pourrait être auprès de lui pendant un an. Ce le faisait si longtemps qu’elle se préparait pour cet instant et voici qu’il arrivait. Les métamorphes, comme elle, sont maîtres dans cette discipline et il est extrêmement difficile de séduire un public et un jury chaque année plus exigeant. Surmontant son trac, elle courut s’inscrire et se retrouva très vite dans une foule compacte, aux visages tous plus disgracieux les uns que les autres.

Elle n’eut aucun mal à se hisser jusqu'aux quarts de finale, où elle dut affronter de jeunes métamorphes forts ambitieux. Ayant surmonté, non sans difficulté l’avant-dernière épreuve, elle se précipita, avec celle qui fut son adversaire, vers la fosse où s’affrontait son futur concurrent. Un vieux métamorphe, particulièrement retors, connu sous le sobriquet de Tête en Lune, car il avait les fesses à la place du visage. En face de lui, un squelette dissimulé par une houppelande. Tête en Lune se gonfla alors comme une outre, faisant sortir par tous ses orifices bubons et autres prurits tous plus gracieux les uns que les autres. Et, pour ajouter à la grimace, il mélangea ses couleurs jusqu’à donner une jaunisse au jury. On ne sut jamais ce que devait faire son adversaire, car il était tombé à la renverse dès le premier retournement. Seul Beetlejuice gardait son calme, car la légende voulait qu’il soit l’auteur de la plus terrible des grimaces. Encore retournée par tant de mocheté, Alicia ne s’en laissa pas pour autant démonter et descendit dans l’arène pour disputer fièrement son épreuve. L’arbitre, un homme à la peau sombre, qui avait tatoué un crâne blanc sur son visage, présenta solennellement les deux protagonistes :

– À ma droite, Gazoère du Pet en Feu, dit Tête en Lune ! À ma gauche, mademoiselle Alicia Fungis, surprise de ce tournoi !

– Commencez donc monsieur Tête en Lune gazouilla-t-elle d’une voix ingénue.

Cela arracha un ricanement au vieux métamorphe qui se remit à enfler de manière démesurée, jusqu’à devenir une chose que la plus élémentaire décence nous interdit de décrire. Sachez seulement qu’il réussit à faire vomir tout le jury, même le président Beetlejuice ne put retenir un haut-le-cœur. Cependant, à l’exception de ce dernier, personne ne vit jusqu’au bout la performance d’Alicia, Tous avaient pris la fuite, à peine avait-elle esquissé les premières touches.

*****************************

Aujourd’hui que c’était à nouveau la Toussaint, elle se regardait dans le miroir. Secrètement elle espérait apercevoir son modèle, parce que alors elle pourrait aller la remercier.

Qui était-ce ? Oh ! Simplement une petite fille, une petite fille comme elle, qui s’appelle Alice.


Texte publié par Diogene, 17 novembre 2016 à 09h25
© tous droits réservés.
«
»
Lecture
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2613 histoires publiées
1166 membres inscrits
Notre membre le plus récent est ShiroiRyu
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés