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tome 1, Chapitre 12 « La Mélancolie des Déchus » tome 1, Chapitre 12

La créature d’os et de lune s’arrêta, sentant battre dans sa poitrine un cœur inexistant. Ce n’était pas la voix de la Tisseuse de Lune qui avait énoncé ces paroles. Quelque chose l’attendait dans les ombres… au-delà des anges de pierre et des stèles ouvragées. Elle aperçut un homme, à l’aube de la vieillesse, avec de longs cheveux blancs qui encadraient un visage élégant. Mais il n’était pas celui qui avait prononcé les mots de cette litanie.

« Ce que le temps a pris, la Tisseuse rendra »

« Je veux rentrer chez moi », frémit l’être en serrant ses mains pâles autour de son butin du soir.

« Voici donc cette malheureuse créature rappelée des morts… Un corps fabriqué de fragments d’os, une âme composée de fragments d’esprits… et le tout lié par du fil de lune… Pauvre chose, prisonnière d’une histoire qui aurait dû depuis longtemps reposer au milieu des cendres d’un âge révolu… »

La voix qui s’élevait de l’ombre était tout à la fois compatissante et implacable. Son propriétaire émergea de la nuit : juste un jeune homme aux cheveux blond foncé, dans un long manteau sombre et légèrement froissé. Il semblait inoffensif, mais l’être voyait au fond de son regard une étrange radiance vif-argent… Sur sa poitrine, un médaillon d’or blanc, en forme de croissant lunaire, brillait comme s’il avait capturé l’intensité de l’astre au-dessus d’eux.

Sa main droite serrait une dague ancienne… Cruelle et menaçante… Miséricordieuse.

« Tu devrais me laisser te reconduire chez toi. »

Il s’avança d’un pas :

« Ce qui défie la vie, la Lune reprendra… »

La créature aurait voulu s’en remettre au jeune inconnu, le laisser la guider. Il y avait en lui la promesse d’un Havre de paix, de l’autre côté du fleuve qui emporterait tous ses tourments…

Elle marcha vers son sauveur.

***

Fasciné par la scène, le comte avait relâché sa vigilance… Il n’entendit aucun son suspect, aucun pas derrière lui, aucun bruissement d’étoffe. Il ne perçut aucune ombre sur la lune. Mais comme issue de nulle part, une voix susurra à son oreille :

« Le plus jeune des Douze ? Vraiment ? Vous avez de précieuses relations, mon cher comte… »

D'Harmont se raidit de surprise ; il resserra sa prise sur le pommeau de sa canne-épée, bien décidé à en faire usage, si besoin, pour protéger sa vie et celle de son ami, même s’il savait que le danger ne serait pas forcément physique. Il n’osait quitter du regard ni Henri ni la créature, mais il y avait tout à la fois, dans cette voix inconnue, une menace subtile et une note infiniment séductrice. Sans réellement le vouloir, il se retourna lentement…

Il rencontra deux larges yeux de nuit aux reflets de sang, dans un visage blême comme la mort. Les lèvres pâles lui adressaient un sourire effrayant, cependant non dénué d’une étrange volupté. Tout le reste de son être, les cheveux de jais, la longue robe sombre se noyaient dans l’obscurité.

Le comte sentit son cœur se dérober dans sa poitrine :

« Pourquoi ? demanda-t-il simplement, sachant qu’elle comprendrait la question.

— Ces vols ? Cela vous choque ? »

Elle éclata de rire, un son rauque et sensuel :

« Vos scrupules sont étonnants, venant de quelqu'un qui s'associe à un voleur notoire. Et, après tout, a-t-on besoin d’une raison pour détruire d’un coup de pied une fourmilière ? Le défi… L’ennui… Il est distrayant de voir courir ces insectes dans tous les sens, dès qu’une menace les effleure.

— Nous ne sommes donc que cela pour vous ?

— Allons, cher comte, vous savez qui je suis ! Tout autant que je sais qui vous êtes… et voyez-y un insigne honneur, car il est rare que je m’embarrasse de retenir le nom d’un des vôtres.

— Vous ne vous considérez donc pas comme humaine ? demanda-t-il, poussé par une curiosité plus forte que sa crainte et son aversion.

— Voilà bien longtemps que je ne le prétends plus. Ne vous fiez pas à lui, ajouta-t-elle en désignant du menton le jeune homme. Sa façon de voir est assez unique, parmi les nôtres. »

Elle considéra gravement le journaliste, observant sa créature qui s’avançait vers lui, comme une âme perdue dans le désert vers une source d’eau fraîche.

« J’aurais dû me douter que malgré ses airs bravaches, sa sœur n’aurait pas le courage de me rencontrer en face. Je me demandais si elle oserait confier le fardeau à son frère. À ma connaissance, il n’a jamais bénéficié de sa faveur, encore moins de sa confiance. Il demeurait pour elle le morveux, le valet de leur père, le petit voleur sans envergure. Je doute qu’il ait suffisamment changé pour altérer sa vision des choses… En toute franchise, le discernement n’a jamais été le point fort de notre amie… »

Les paupières blafardes s’abaissèrent sur ses prunelles sanglantes :

« Mais j'ai toujours su que lui ne pourrait ignorer mes actes, et qu’il trouverait un moyen de venir… Il est mieux préparé que je m’y attendais, cela dit. Étrangement, je pense même qu’il est plus fort qu’il ne l’a jamais été, même si ses pouvoirs ont été en grande partie mis au sommeil… »

Une étrange tendresse transparaissait à travers ses paroles. Le comte ne pouvait manquer de s’interroger sur ses relations avec celui qui était aujourd’hui Henri Berliniac.

« Vous devez vous dire, sans doute, que les femmes sont des créatures complexes. Que nous sommes prêtes à aller bien loin pour rallumer une ancienne flamme… pour éviter d’être saluée d’un sourire et poussée sur le côté comme un objet suranné. Pour susciter la fascination, la peur même, peut-être… bien que je n’y croie pas vraiment. Mais au moins, je peux ainsi le revoir, non comme le pâle reflet de son être passé, mais comme la créature charismatique et fascinante qu’il était jadis, que nous étions tous… Ah, monsieur le comte, que savez-vous de la mélancolie des déchus ? De l’oubli poussiéreux qui enveloppe comme un suaire ceux qui ont perdu la grâce ? »

D’Harmont ne pouvait qu’écouter, avec crainte et fascination. Il ne savait plus que penser, si ce n’était que malgré toutes ses capacités, son ami courrait un terrible danger.

***

Il savait, confusément, au fond de lui, que jamais la Tisseuse de Lune ne le laisserait partir. Elle demeurait la maîtresse de sa volonté fracturée. Elle inondait sa conscience, son corps de son courroux glacé, qui le forçait à attaquer le seul qui pouvait lui offrir le salut.

Subitement, les yeux de la créature de mort et de lune perdirent leur pâleur rêveuse, pour se changer en puits d’ombres ténébreux. Ses ongles s’effilèrent, devenant des griffes aussi tranchantes que des lames. Avant même que la transformation ne soit totalement opérée, elle se jeta à la gorge du jeune homme…


Texte publié par Beatrix, 25 juillet 2017 à 14h22
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