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tome 1, Chapitre 15 tome 1, Chapitre 15

Ses yeux se rouvrirent et en un instant, il se retrouva debout, en train d’analyser les environs. Dany comprit immédiatement.

« Thomas ?

— Qu’est-ce que vous avez encore fichu ?

— Je ne sais pas !

— Ce gamin est foutu comme une antenne satellite ! Je vous avais prévenu qu’il fallait le garder au calme, qu’est-ce que tu lui as dit ?

— Mais rien !

— Et pourquoi je n’arrête pas de manquer ? Ce n’est pas lui que je vise !

— Thomas ! Regarde ! »

Sa tête se tourna vers leur père, immobile au milieu du couloir fantasmagorique. Il était parfaitement pétrifié. Même son manteau s’était figé au milieu de l’air.

« Alors ça… »

Le corps d’Alex s’approcha, son jeune frère sur ses talons. En le contournant, il devint clair que l’homme était prisonnier d’une force invisible.

« Tu sais tous ces films où le temps s’arrête, mais la caméra continue de tourner ? Et ben, ça ressemble exactement à ça, marmonna Dany pour tromper son angoisse.

— La comparaison est malheureusement valable, répondit Thomas.

— P’pa ? Tu nous entends ? »

Le lycéen remarqua que ses yeux bougeaient. C’était d’ailleurs la seule partie de son corps qui n’était complètement immobile. Son demi-frère s’était placé juste devant le prisonnier et avait levé son index à quelques centimètres de son nez.

« Hé, le vieux fou, tu m’entends ? Suis mon doigt si tu le peux. »

Il balada sa main d’un côté, puis de l’autre.

« Oui, il est encore là, murmura-t-il. Bon, je vais te débloquer, ça va prendre quelques minutes. »

À peine eut-il terminé sa phrase qu’un grand vrombissement se fit sentir sous leurs pieds. Les murs qui jusqu’alors ne s’étaient pliés que sous la volonté de leur gardien, disparurent. Entièrement, fondus, liquéfiés, pour ne laisser place qu’à un gigantesque espace dénudé, ténébreux et informe. Le sol était toujours là. On avait encore l’impression de distinguer un plafond, mais tout le reste avait disparu. Un frisson parcourut l’échine de Dany, qui comprit que ce n’était pas le froid.

« Tu as senti ?

— Oui, répondit son frère d’un ton plus que sombre.

— Qu’est-ce que c’était ?

— Alba. »

Thomas se précipita soudain pour taper du bout des doigts les articulations de l’homme toujours figé entre eux deux. On avait l’impression qu’il s’attendait à une réponse, mais rien ne vînt.

« Est-ce que je suis censé comprendre ce qu’il se passe… ?

— Silence Dan ! J’essaie de me concentrer ! Si tu t’ennuies guette un chat. Et si tu le vois, crie très très fort ! »

Un chat ? Que voulait-il dire ? Il jeta un œil aux alentours et ne vit rien d’autre que du noir à perte de vue. Son cœur battait la chamade. Il se sentait tellement fatigué qu’il avait l’impression de fonctionner totalement en pilotage automatique. Sans réfléchir, il scrutait les ténèbres, sans avoir la moindre idée de ce qu’il cherchait. Puis son attention s’arrêta sur une tâche brillante. Comme un cercle. C’était étrange, il ne voyait pas trop ce que cela pouvait être. Il allait tout de même prévenir Thomas, qui s’énervait encore derrière lui, lorsqu’une deuxième grande tâche luminescente apparut.

Sa mâchoire se décrocha. Ce n’était pas des tâches. C’était des yeux. Des yeux gigantesques. Il appela son frère sans avoir la force de détacher son regard de ces formes terrifiantes qui commençaient à bouger. Un poids se logea dans son ventre, la volonté meurtrière qu’il sentait grandir en face de lui devenait aussi palpable qu’un coup de poing. L’animal les regardait telles des souris. Il était en chasse et il savait qu’on l’avait vu. Il s’avançait et lentement, apparut dans la lumière une tête de chat, aussi grande que le torse du lycéen. Son pelage noir se hérissait par endroit. Ses babines se retroussèrent et apparurent des dents de métal qui brillaient plus encore que ses pupilles. Le feulement qu’il lui adressa fut purement démoniaque. Tous ses membres tremblèrent. Ce son était irréel, cauchemardesque, plus proche de la machine que de l’être vivant.

Dany manqua de trébucher. Il cavala vers l’arrière. Son frère avait vu la menace et sa frayeur semblait équivalente à la sienne.

« Ok, il faut partir. Il faut partir, il faut partir. »

Il s’énervait sur ce sortilège qui ne voulait pas se rompre. Et pendant ce temps-là, la bête continuait à ramper vers eux, prête à bondir.

« On ne peut pas juste le porter ?

— Non ! Tais-toi ! »

Un second feulement le secoua jusque dans ses tripes. Lorsqu’enfin le son s’estompa, on entendit une grande inspiration.

« Courrez ! »

Il crut que le chat allait bondir, maintenant que ses proies étaient libres, mais la réalité fut bien pire. Sa tête se détacha dans un craquement atroce, avant d’être projetée vers l’avant, toujours attachée à sa colonne vertébrale devenue un serpent surnaturel. Tous trois se retrouvèrent projetés au sol, la gueule puante et gigantesque au-dessus d’eux, prête à les dévorer.

Le corps d’Alex se redressa alors et tapa dans ses mains.

« Thomas, non ! » cria leur père.

Dany sentit ses oreilles se boucher. Il y eut une grande aspiration. La bête et le jeune homme se retrouvèrent projetés en l’air avant d’atterrir au plafond. La gravité s’était inversée pour eux et seulement pour eux. Lui et son père étaient toujours à terre.

« Merde. »

L’adulte se releva en grognant. Ils levèrent le nez vers le spectacle terrifiant qui se déroulait là-bas. L’animal horrible était maintenant plus proche du serpent monstrueux que du chat et s’était mis à pourchasser sa cible, qui slalomait entre ses coups de tête. Dany se mit à crier. Il était persuadé que Thomas allait se faire attraper. Au dernier moment, le garçon frappa à nouveau des mains avant de se dématérialiser. Il réapparut quelques mètres plus loin, hors de porté, essoufflé mais vivant, menant le chasseur par le bout du museau.

Son regard glissa ensuite vers l’homme, impuissant face au danger que courrait son fils. Leur gardien commença à courir après le chat, les poings serrés.

« Tom ! Redescends tout de suite ! C’est le corps d’Alex, tu ne peux pas faire ça ! »

Les abominables sons qu’émettait la bête auraient pu geler un lac tout entier. Il rampait sur le plafond, sa queue miteuse toute hérissée et sa gueule béante au bout de ce squelette sortit horriblement de son corps. Ses griffes métalliques auraient pu transpercer le garçon des douzaines de fois déjà, si celui-ci ne s’esquivait pas, par une magie que Dany ne pouvait saisir.

« Mais qu’est-ce qu’il fout ?

— Il essaie de tenir Alba occupé, répondit son père, mais il se fatigue beaucoup trop vite. S’il lâche, Alex va se retrouver seul avec le monstre. Il faut qu’on les ramène. »

Il fit volte-face et saisit son fils aux épaules pour l’immobiliser.

« Écoute bien. Quoi qu’il arrive, reste où tu es. »

Avec une concentration aussi maîtrisée que possible, il traça au sol un cercle autour de lui, orné d’un « s ». Il avait fait de même avec leur frère.

« À quoi ça va servir ?

— S’il te plaît, fais-moi confiance. »

Quand il eut terminé, il le vit repartir au galop derrière le monstre et sa souris humaine. L’homme s’était mis à s’égosiller pour attirer l’attention du félin et lorsqu’il eut enfin l’impression de l’avoir, il s’accroupit d’un seul coup sur le sol, créant à nouveau un gigantesque appel d’air, plus lourd, plus difficile que le précédent. Et à l’instant où le gros chat se sentit à nouveau soulevé, sa tête se renversa rapidement et alla mordre la jambe d’Alex, qui cette fois ne l’avait pas vu venir.

Dany s’entendit crier. Il avait malheureusement juré de se tenir tranquille. Intérieurement, il fulminait. Il allait tuer Thomas. Il allait le tuer si Alex perdait sa jambe. Le plus vieux était en train de courir dans leur direction à toute allure. Sans aucun préambule, le lycéen le vit frapper du poing ce museau redoutable, sans aucune crainte ni retenue. Surpris, le chat laissa s’échapper sa première proie pour se tourner vers la deuxième. Thomas rampait sur le sol laissant une traînée de sang derrière lui.

Le sang.

L’adolescent se rappelait à quel point les évènements avaient dégénéré la dernière fois que son camarade avait saigné. Il devait faire quelque chose, mais quoi ? Il observa son père, qui visiblement ne pouvait pas se téléporter, et qui esquivait désespérément, chaque coup de patte, chaque coup de dents acérées comme des hachoirs. Il ne pouvait plus tenir.

C’était sans doute de l’inconscience, pas du courage, pourtant Dany n’en avait strictement rien à faire. Il ne comptait pas revivre l’angoisse qu’il avait déjà vécue une heure plus tôt, lorsqu’il avait cru Alex perdu. Il s’élança hors du cercle, en direction du corps à terre, dans l’espoir de pouvoir le ramener avec lui. Sa course ne dura que quelques secondes avant qu’une voix bien reconnaissable et autoritaire ne crie son nom. Il tourna la tête. La bête gigantesque l’avait vu et galopait à présent dans sa direction. En voyant cette masse énorme, musculaire et impitoyable arriver sur lui, son estomac tomba dans ses chaussettes. L’horreur allait bien trop vite. Il dérapa pour faire demi-tour et sprinta de toutes ses forces vers le cercle, son attention fixée dessus en priant pour que ses jambes le portent jusque là, son dos crispé, s’attendant presque à recevoir un coup de griffe entre les deux omoplates. Il sauta à l’intérieur de la forme tracée et s’effondra, ignorant ce qui allait se passer. Il se roula en boule. Le chat gigantesque lui sautait dessus.

Dany eut très chaud soudainement. La lumière avait changé. Tout était vert. De larges flammes couleur émeraude s’étaient élevées là où les marques du cercle étaient encore visibles et son assaillant lâcha un râle de douleur absolument terrifiant, avant de tituber vers l’arrière. Le garçon, lui, était indemne. Jamais il n’avait été aussi heureux d’avoir été assidu en athlétisme. Ce dernier jeta un coup d’œil derrière lui. Il s’attendait sans doute à voir son père auprès de Thomas, pour le protéger comme il l’avait protégé lui. Hélas, son manteau flottant n’était visible nulle part. Pire encore, la forme d’Alex gisant au sol convulsait. Son optimisme retomba comme une pierre.

Il ne voyait pas bien de là où il se trouvait. Le monstre noir se contorsionnait encore de douleur à deux mètres de lui. Au milieu de la confusion, il aperçut une forme rouge, comme une boule, grossir non loin du corps. On aurait dit d’abord que son sang avait formé une énorme bulle. Celle-ci enfla rapidement et se métamorphosa en une masse plus complexe. L’adolescent arrêta presque de respirer.

« Oh non, c’est quoi encore ce truc ? »

La chose se déplia alors en une carcasse fumante et putride. Les os gigantesques craquèrent et le pelage clair était parsemé pour laisser entrevoir de la chair rougie et des cloques. C’était un loup aux yeux blancs qui d’un seul coup se mit en embuscade, avant de se jeter comme un fou sur le félin. Dany se recroquevilla à nouveau, persuadé qu’il allait se faire aplatir comme une crêpe par les deux brutes. Ils roulèrent heureusement un peu plus loin, les crocs blancs nacrés plantés dans l’échine au pelage noir. La bagarre titanesque ne dura pas plus d’une minute, pendant laquelle les deux animaux s’entredéchirèrent avec une violence incroyable. Le loup reçut plusieurs coups de griffe en pleine tête et il crut presque que celle-ci était en train de se décrocher de son corps. Elle se retourna même un instant. La nuque aurait dû être brisée, mais le carnassier se battait toujours. Finalement, ce fut le chat qui lâcha en premier, presque démembré par son adversaire. Il feula de sa voix immonde avant d’à nouveau disparaître dans les ténèbres. Dany avait regardé tout cela, ébahit et hagard, il tremblait et ne s’en était même pas rendu compte. La créature qui restait sembla alors étourdie et perdue. Elle secoua la tête et fit demi-tour… Pour retourner vers la silhouette sans vie d’Alex, qui gisait là-bas, peut-être encore blessé.

Son sang ne fit qu’un tour. Le loup reniflait l’air et si la bestiole avait faim… Sans hésitation aucune, le lycéen sortit du cercle, espérant peut-être avoir l’opportunité de le piéger comme il l’avait fait pour le chat. À peine s’était-il mis à courir qu’il se heurta à une forme plus grande que lui.

Son père le saisit dans ses bras avec force et le stoppa net.

« Chut ! Souffla-t-il. Ne fais pas de bruit elle ne t’a pas encore vu. »

Un filet rouge coulait sur sa tempe. Que lui était-il arrivé ?

« On ne peut pas le laisser se faire manger…

— Je t’avais dit de rester dans le cercle. »

L’homme ne l’écoutait déjà plus. D’un geste brusque, il poussa le garçon derrière lui. La louve les regardait, la tête basse et les oreilles rabattues. Elle ne montrait pas encore les crocs, mais cela ne saurait tarder. Dany entendit la voix basse lui parler, comme si elle ne se trouvait qu’à quelques centimètres d’eux, alors qu’une vingtaine de mètres les séparaient.

« Salut à toi. Tu ne me reconnais peut-être pas. Moi je te connais. Laisse le gamin tranquille, il n’a jamais fait de mal à personne, pas même aux tiens. Je sais que tu peux le sentir. Laisse-le. Ce n’est pas lui qui te menace. »

La louve s’était assise à côté du jeune corps. Elle détourna son attention de l’adulte qui cachait désespérément son fils, pour regarder la petite forme fragile qui gisait là devant ses pattes avant. Terrifié, Dany voulait crier. Son père se retourna soudain le serrant contre lui, posant sa main devant sa bouche.

« Tant qu’Alex est sous la protection de Thomas, il ne craint rien. Toi en revanche elle pourrait te dévorer. »

Il le tenait si fort qu’il commençait à lui faire mal au dos. Par-dessus la grande épaule, il vit avec horreur la carcasse fumante du loup passer son museau sous le corps flasque du lycéen. Elle le souleva presque. Alex sembla alors revenir à lui et chacun de ses mouvements glaça le sang dans ses veines. Thomas n’était plus là. Dany ignorait comment il le savait, mais il en était persuadé. Au moindre cri... Il allait se faire manger !

Le jeune homme n'émit aucun son. Il avait l'air paralysé par la chose qu'il avait en face de lui et qui le poussait du bout de son museau sanguinolent. Tremblant sur ses jambes, il parvint à se mettre debout, les yeux ronds et les lunettes de travers. On entendit un couinement et la créature frotta sa tête contre lui, avec une délicatesse qui lui rappelait celle d’un simple labrador. Ses observations furent interrompues par un mouvement de surprise de la part de son père. L'animal était en train de disparaître. Sa chair rouge se repliait sur elle-même, comme ravalée par un trou invisible. Les os craquaient, se pliaient, et devant eux apparut le corps d'une femme en robe blanche. Un épais bandeau de bois masquait ses yeux, on aurait dit qu’elle ne voulait pas voir. Elle était menue, immuable. Elle ressemblait à un fantôme au milieu de l'immense obscurité. Dany sentit le corps devant lui se raidir et son propre esprit trembler.

Il se rappela le gouffre noir. Une vague de fascination identique vint le heurter de plein fouet. Il se sentait aspiré, appelé par une force sans nom qui le connectait à l’apparition. Alex devait ressentir cela également. Comme hypnotisé, ce dernier regarda le bras pâle et fin de la jeune femme se lever vers lui. De son poignet sortait une sorte d’épine, légèrement courbée et biseautée à son extrémité. Elle lui présentait cela presque tel un cadeau.

« Je ne comprends pas, » murmura-t-il.

À nouveau, elle lui présenta son bras, avec une expression indéchiffrable. Incertain, il alla nerveusement saisir ce bout noir qui dépassait de sa peau et tira aussi délicatement que possible. La chair céda et l'objet en sortit peu à peu. Une forme forgée dans l'ombre des ombres, elle n'avait aucune couleur et semblait absorber toute lumière. La jeune fille aux cheveux clairs lui sourit calmement et hocha la tête. Aussitôt la forme noire s’empara de la main du garçon, qui retomba au sol sans un cri. La louve inclina la tête avant de disparaître sous cette vague ténébreuse qui vînt danser, envelopper le bras d’Alex comme un gant de velours, le laissant seul au milieu du vide.

Dany parvint alors à s'extirper hors de l’emprise de cette transe. Lorsqu'il leva les yeux cependant, il prit peur. Son père avait les yeux écarquillés et son visage était d'une pâleur horrifique. Il regardait droit devant lui avec un mélange de stupeur et de tristesse on aurait dit qu’une idée terrifiante venait de le frapper, une idée trop grande pour lui. Lentement, il tourna la tête et ses prunelles se posèrent sur les siennes. Il retenait ses larmes, c'était évident. Et dès qu'il le vit, l’homme inhala d'un coup une grande quantité d'air. Il avait retenu sa respiration...

« P’pa ? Arrête, tu me fais peur. »

Il hocha la tête et lui fit signe de le suivre. Tous deux se précipitèrent vers Alex, qui était encore déboussolé par ce qui venait de se produire, sa main droite enveloppée d’une ombre surnaturelle.


Texte publié par Yon, 30 novembre 2017 à 22h19
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