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tome 1, Chapitre 14 tome 1, Chapitre 14

« Alex ? »

Il revenait doucement, c’était certain. Sa vue devenait moins trouble et il reconnue la personne qui lui parlait. Dany se tenait derrière son beau-père, les traits crispés par l’anxiété.

« Comment tu te sens ?

— Épuisé.

— Tu as mal quelque part ? »

Cela lui prit une minute pour répondre. Il était encore assez déconnecté de ses membres et il dut faire de gros efforts pour se rappeler comment bouger ses jambes.

« Non. Je crois que c’est bon.

— Et bien c’est déjà ça. »

C’était comme revenir d’un long voyage. Il savait que seulement quelques minutes s’étaient écoulées, néanmoins son esprit était embrumé comme s’il avait dormi pendant des heures.

« Il m’a parlé. Thomas m’a parlé. »

Les deux autres n’eurent pas l’air surpris longtemps.

« Est-ce qu’il t’a expliqué ce qu’il se passait ?

— Je crois. Il dit qu’un vampire est après nous. Que rien de tout ça n’est réel. »

L’homme acquiesça.

« Il a dit… Il a dit que c’était important de me marquer, pour ma propre protection.

— Ah. Oui, ce n’est pas plus bête. »

On lui demanda son poignet. Leur gardien traça, simplement avec son index, un signe qu’il ne reconnaissait pas, quelques centimètres sous la paume de sa main. On aurait presque dit qu’il écrivait un mot. Son visage était sérieux et très concentré pour cette tâche.

« Ça devrait faire l’affaire, » dit-il enfin.

L’adolescent sentit soudain une sorte de vague lui traverser le corps. Son engourdissement l’avait quitté. Les veines de ses bras étaient encore très bleues cependant.

« Qu’est-ce que c’est, une sorte de magie ? » demanda-t-il.

Il eut un sourire.

« Si on veut. Disons que j’ai placé une idée sur ton bras. Comment dire. Nous venons d’une réalité où l’énergie se condense en matière. Les idées sont une forme d’énergie, mais elles sont abstraites et restent abstraites. Ici, c’est un petit peu différent. Rien n’est aussi immuable et la perception que l’on a du monde, peut le distordre dans de très grandes proportions. Le problème, c’est que l’inverse est aussi vrai. Ce monde essaie de te contrôler, il veut se frayer un chemin dans ta tête. C’est aussi vrai dans notre réalité d’une certaine manière, mais ici c’est différent. Pourquoi crois-tu qu’il t’a été si facile de t’en prendre à Dany ? »

Le garçon se crispa. Il avait oublié, l’espace d’une seconde, qu’il avait failli tuer quelqu’un. La personne en question était assise un peu plus loin, enfermée dans sa bulle. Plus surprenant encore, pour un père qui avait presque perdu son enfant, l’homme en face de lui semblait extraordinairement calme. Peiné, Alex se dit qu’il valait mieux pour tout le monde qu’il fasse ses excuses rapidement. Il voulut se lever, seulement quelque chose n’allait pas. Il fit de son mieux pour ne pas paniquer lorsqu’il réalisa ce que c’était. Il bafouilla un peu honteux :

« Le… Machin… S’est détaché. »

Son beau-père ne mit pas longtemps à comprendre.

« Ok, prends ton temps. »

Il se leva et alla prendre son fils par le coude pour l’emmener un peu plus loin.

« Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Rien.

— Ben quoi alors ?

— Laisse leur intimité aux gens ! »

Une fois la veste chirurgicale remise en place, il alla taper sur l’épaule de Dany. Tous deux lui tournaient le dos comme une paire d’écoliers mis au piquet. Il se retourna.

« Je m’excuse pour avoir essayé de te tuer. »

Sur une échelle du malaise de un à dix, cette phrase au-delà de neuf mille. Heureusement, l’autre garçon n’eut pas l’air de s’en rendre compte.

« Je suis désolé aussi. Enfin je l’ai déjà dit. Mais c’est peut-être bien de le redire… Ou pas. J’en sais rien. »

Puis il fronça les sourcils.

« Alex, tu…

— Oui, j’allai le dire.

— Où sont passés les corps ? »

Les murs translucides étaient vides. Aucun des enfants n’était là, plus aucune ombre n’habitait les lieux.

« Qu’est-ce que vous avez ? demanda son beau-père.

— Il y avait des corps ici avant l’attaque.

— C’est une distraction, ne t’en préoccupe pas.

— Quoi ?

— Écoutez-moi bien tous les deux, cet endroit est fait pour être remarquable, pour vous dérouter et vous empêcher de penser à la seule chose qui devrait vous sortir de là, c’est à dire la source. »

Ils se regardèrent, confus.

« C’est un peu vague, répondit Alex.

— Transforme ça en un truc qui te semble concret. Pense à un générateur, ou à une prise électrique, n’importe quoi qui te rapproche de ce qui génère cet endroit. Si on ne le fait pas, on va se retrouver coincés dans une boucle. Entendu ? »

Les deux jeunes acquiescèrent, même s’il leur était difficile de conserver un semblant d’assurance. La situation était si difficile à avaler et tant de détails leur échappaient encore. Ce n’était pas désagréable d’être enfin guidé, mais ce n’était pas rassurant pour autan.

« Bien, reprit l’adulte. Quoi qu’il arrive, il nous faut rester très proches les uns des autres. C’est important. Nous allons commencer à marcher dans une direction. Disons par là. Si nous restons tous concentrés, nous allons atterrir là où nous voulons être. »

Avec un large sourire rassurant, il leur fit signe de le suivre, marchant d’un pas certain dans la direction qu’il avait désigné… C’est à dire droit vers un mur. Sans s’arrêter.

« P’pa ! Tom a dit qu’il ne fallait pas passer dans les… »

Il se tut lorsque la gigantesque paroi s’écarta d’elle-même devant son père, comme si elle en avait peur. Celui-ci se retourna, visiblement satisfait de lui.

« Tu diras à ton frère que le vieux aussi il sait faire des trucs cool. »

Les deux lycéens suivirent derrière le grand manteau noir. C’était sans aucun doute bien plus facile d’évoluer lorsque la réalité tout entière semblait s’écarter pour vous tracer un chemin. L’angoisse liée au danger avait pour un temps disparu. Alex gardait, malgré tout, les traces de leur mésaventure sur ses bras et dans sa chair. Ses mains étaient comme en carton et ses veines ne voulaient pas s’éclaircir. Il essaya d’ignorer tout cela pour se concentrer sur cette seule image, le point d’origine, l’épicentre, la batterie.

Pendant qu’ils étaient encore en train de marcher, un flash le fit presque sursauter, puis des images passèrent à nouveau devant ses yeux, trop troubles pour être identifiées. Il tituba certainement, car dans la seconde, Dany s’était tourné.

« Ça va ?

— Je crois que ça revient.

— Quoi donc ?

— Les… Les visions bizarres. »

Il faisait de son possible pour ne pas paniquer, même si son environnement devenait de plus en plus sombre.

« Il lui faut une distraction, un truc sur lequel se concentrer, interrompit une voix plus mature.

— Euh ok, marmonna Dany. Attends, tu as joué à Mortal Kombat ?

— Lequel ?

— On s’en fiche, je te donne des noms, tu me donnes les fatalités.

— Je n’arrive pas à croire que ces jeux ont survécu jusqu’à votre génération, » ricana l’homme toujours devant eux.

Son corps devenait lourd, mais ce devait être dans sa tête. Ou alors c’était la fatigue. Depuis combien de temps n’avaient-ils pas vraiment dormi ? Ils continuaient leur route, péniblement, et Alex faisait de son mieux pour ne pas s’embrouiller dans la succession de croix, de triangles et de cercles. L’occupation n’était pas mauvaise. Cela marchait… Ou tout du moins jusqu’à ce que ses pieds décident de le lâcher soudain. Par pur réflexe, le garçon à sa gauche le rattrapa avant qu’il ne heurte violemment le sol, mais dans le même temps les flashs, le rattrapèrent, telles de vagues incontrôlables. Il se retrouva ébloui.

Dans cette grande lumière blanche qui lui brûlait les rétines, il finit par distinguer des carreaux blancs. Où était-il ? Il était à genoux et une affreuse migraine le rattrapait. Sur quoi devait-il se concentrer déjà ? Il s’embrouillait.

Tout tanguait légèrement et il eut un haut-le-cœur. Il fallait respirer. Ses yeux s’habituèrent rapidement, lui laissant l’opportunité de reconnaître les lieux. Était-ce les toilettes du lycée ? Que faisait-il là ? Pourquoi avait-il si mal à la tempe ? Se concentrer… D’où venait-il déjà ? Quelqu’un était là à côté de lui, sa silhouette bien présente dans le contre-jour. C’était…

Non.

Avec horreur, il reconnut rapidement la forme de Dorian, qui le regardait de haut avec mépris, avec orgueil, et cet air de moquerie qu’aucun mot ne pouvait qualifier. Ses poumons se glacèrent. Il se rappela ce jour. Son tourmenteur s’était mis bien en face de lui et commença à défaire sa ceinture.

Non ! Pas encore ! Ça suffit ! Laissez-moi tous tranquille !

« Stop ! »

Il ne savait pas lequel d’entre eux avait crié. Ou ce qu’il s’était passé. Dany le retenait encore, ses yeux révulsés et rougis fixés droit sur les siens. Il pâlissait progressivement un peu plus à chaque seconde. Alex avait peur d’être à nouveau en train de perdre tout contrôle.

« Qu’est-ce que c’était que ça ? » demanda l’autre d’une voix à peine audible.

Le temps passait au ralenti. Au travers de ses lunettes fendues, il le voyait passer d’une émotion à l’autre, perdu dans une réflexion qui l’étranglait.

Ne me dites pas qu’il a vu… Ne me dites pas qu’il a vu ce qui est dans ma tête. S’il-vous-plaît, tout mais pas ça.

Dans le même souffle laborieux, Dany demanda :

« Est-ce que c’était vrai ? »

Ce fut au tour d’Alex de pâlir. Il aurait voulu crier, nier, détruire les cinq dernières minutes, brûler tout ce qui se trouvait autour de lui.

Il était tétanisé.

Sans doute étaient-ils encore connectés l’un à l’autre par un lien invisible. Durant une première seconde, Alex ne lut que le choc sur les traits en face de lui, la deuxième, il vit la compréhension et la détresse, puis durant la troisième, lui-même comprit que Dany avait compris. Ils s’écartèrent l’un de l’autre et tombèrent presque à la renverse. Le maléfice s’était dissous.

Aussitôt, le garçon à lunettes se retrouva accroupis, presque roulé en boule, les bras autour de ses genoux. La fatigue, la panique, la douleur, tout le rattrapa. Il n’en pouvait plus de cette nuit sans fin, de tous ces monstres.

Ne pleure pas. S’il te plaît, ne pleure pas.

De grosses larmes coulaient le long de ses joues. Il voulait s’enterrer, disparaître complètement, ne jamais avoir été vivant.

Thomas. Thomas, reviens. Je t’en supplie, reviens.

Il crut entendre des pas. Puis Dany qui tenta d’appeler son père.

« Non ! Ne fais pas ça, tais-toi ! chuchota Alex. Ne dis rien à personne. »

Pourquoi n’avait-il pas laissé les créatures le tuer ? Personne ne l’aurait regretté ou alors pas pendant longtemps. Il était une gêne même pour sa propre mère.

« Ne dis rien. Ne dis rien. Ne dis rien. »

Il fondit en sanglots. Il exhalait sa honte même par ses pores. Le malaise que devait ressentir l’adolescent sur sa gauche était presque palpable dans l’air.

« Oublie. Oublie ce que tu as vu. Ne dis rien à ma mère. »

Une main, qui s’était voulue rassurante, se posa sur son épaule. Elle tremblait.

Ne dis rien. Oublie.

Ne dis rien. Oublie.

Ne dis rien. Oublie.

Or, à peine ce contact avait eu lieu que les bras du garçon se mirent à envoyer une incroyable vague de douleur. Ses veines s’étaient mises à pulser et de la lave en fusion devait être en train de parcourir ses bras à la place de son sang. Ses sanglots devinrent un cri suraigu qui résonna contre les parois bleues. Cette fois, Dany se retourna pour appeler à l’aide. À peine voulut-il crier après son père que ses mots moururent dans sa bouche. Alex ne pouvait apercevoir ce qui se passait, sa vision se troublait à nouveau.

« J’ai mal ! J’ai mal ! »

Thomas. Thomas.

La portière claqua. Cette nuit était devenue particulièrement fraîche. Le conducteur verrouilla la voiture en attendant les instructions.

« C’est juste au bout du chemin, murmura le jeune homme qui l’accompagnait.

— Tu ne veux pas que je sorte ton bazar du coffre ?

— C’est inutile, mon “bazar” est déjà marqué. Il peut donc rester où il est. »

Il remarqua à cet instant que le dormeur— qui se promenait en caleçon, le torse couvert de marques noires— avait encore les yeux fermés. Décidément, il ne pouvait rien faire comme tout le monde. Il ignora cet était de fait :

« Quel est le plan ?

— C’est très simple. Je ne peux pas regarder la maison. Si je le fais, Kana saura exactement où nous sommes. Il faut donc que je fasse tout à l’aveugle, c’est toi qui vas me guider.

— Est-ce que je ne risque pas de me faire également repérer ?

— Iel ne sait pas que tu existes. Littéralement. Et puis je te protège. Je vais servir de paratonnerre si tu veux. Tu ne risques rien, c’est moi qui dois éviter la foudre.

— Tu n’es pas particulièrement rassurant.

— Qu’est-ce que vous avez tous à me dire ça aujourd’hui ? »

Il se déplaça à tâtons vers le conducteur et celui-ci le guida le long du chemin de graviers blancs. Impossible de savoir comment le gamin faisait pour marcher ainsi pieds nus au milieu des cailloux. Lorsqu’ils arrivèrent près du porche, l’air ambiant changea imperceptiblement. Ils frissonnèrent.

« Tu as senti aussi ? Demanda le plus jeune.

— Oui.

— Toute la chaleur est en train d’être absorbée à l’intérieur de la maison. Je parie que la lumière aussi. Les volets sont fermés ? »

Le conducteur jeta un œil aux carreaux les plus proches.

« Non. Mais il fait incroyablement noir à l’intérieur.

— Tu vois. Viens ici et essaie d’ouvrir la porte s’il te plaît.

— Tu ne veux pas frapper d’abord ? »

Thomas fut secoué d’un rire joyeux. Sans un autre mot, on tenta de déverrouiller l’entrée, sans succès. C’était tout juste si la poignée tournait, ce qui n’était probablement pas normal.

« La maison est légèrement déphasée. L’espace, là derrière, n’est plus le bon. Je vais devoir nous faire traverser à la manière dure.

— Et si je me sens mal ?

— Ferme les yeux et accroche-toi à moi.

— Je ne suis pas certain…

— Ne commence pas avec tes manières, nous sommes pressés. »

L’homme s’exécuta, passant fermement ses bras autour des épaules gelées, avant le grand haut-le-cœur. La grande descente en chute libre ne dura que quelques secondes. Courte et impressionnante. Lorsque tout revint à la normale et qu’il observa les alentours, ils avaient atterris dans le hall d’entrée, sombre, silencieux. Le salon était droit devant. Il y avait une marche. Le conducteur, toujours agrippé au plus jeune, le guida en chuchotant, vers le cœur de l’habitation.

L’atmosphère y était écrasante. On avait l’impression d’y respirer du goudron et il y faisait absurdement moite. Il ne devait vraiment pas y faire plus de dix degrés, pourtant l’homme commença à y transpirer comme s’il en faisait quarante. Cela s’aggrava encore lorsqu’il comprit ce qu’étaient que ces mouvements au plafond. Des sphères, comme des œufs sombres, montés sur des pattes d’araignées. Des tonnes et des tonnes de ces créatures, toutes repliées sur elles-mêmes, qui hibernaient, pulsaient comme autant de cœurs pourris. Tout le haut de la salle et du couloir en était plein. Il y en avait tellement que tout était noir, on ne voyait plus la peinture, elles se grimpaient les unes sur les autres, se poussaient, se blottissait. Il fallait qu’il prévienne son ami, mais n’osa plus parler.

« Il y a un endroit un peu dégagé ? »

L’homme sursauta.

« Seigneur, ne parle pas si fort, chuchota-t-il. Il y a… Le plafond est surpeuplé.

« Du calme. Elles ne peuvent pas nous entendre. Ni nous sentir. Je sais ce que je fais. Un endroit dégagé, s’il te plait. »

Ils se dirigèrent vers un coin du salon pour y tracer un large cercle sur lequel le dormeur traça des espèces de “s”.

« Voilà. Ça devrait nous tenir à l’écart. Quoi qu’il arrive, ne sort pas de là tant que tu es seul.

— Tu comptes y retourner ?

— Je n’ai pas le choix. J’ai peur qu’on les perde autrement. »

Le dormeur s’allongea dans le cercle, sans la moindre gêne malgré le carrelage glacé. L’autre s’assit au sol, inquiet :

« Je ne vais donc pas servir à grand-chose.

— Tu as tort. Je n’ai jamais poussé aussi loin. Sans toi, il y a des chances pour que je ne me réveille plus jamais. »


Texte publié par Yon, 24 novembre 2017 à 14h52
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