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tome 1, Chapitre 12 tome 1, Chapitre 12

L’unique chose qu’il avait, c’était l’envie de vomir. Il expulsait déjà du liquide avant de s’être réveillé, il en était certain. Ses yeux étaient clos. Son corps était absent. Seules les convulsions le rattachaient à l’existence. Un picotement très désagréable emplissait ses narines, de plus en plus. Finalement, il prit une grande inspiration et ses poumons se déplièrent.

Dany ne s’était pas rendu compte qu’il avait arrêté de respirer, pas plus qu’il ne s’était rendu compte qu’il gisait dans les bras de quelqu’un. Qu’il était difficile de sortir de l’inconscience ! Rien ne lui obéissait. Cela faisait vingt fois qu’il ordonnait à ses paupières de s’ouvrir. Le noir était toujours là. L’adolescent était prisonnier de sa propre tête, de sa fatigue, de sa faiblesse.

Tout ce qu’il avait, c’était les spasmes. Le vomi. Attendant le moment où, peut-être, son corps voudrait bien lui répondre et l’extirper de la torpeur, sa conscience vagabondait de façon incohérente. Il ne s’était même pas rendu compte qu’il était sourd. Ce ne fut que lorsque les sons revinrent progressivement, il se rendit compte qu’il avait baigné dans un silence artificiel. Une voix lointaine se faisait entendre, sans queue ni tête, brouillée et basse. Confus, il revenait à lui. Ses paupières s’ouvrirent sur un grand flou bleu. De longues minutes s’écoulèrent et il réalisa qu’il connaissait cette voix.

« P’pa ? »

Une main se posa sur son front. Était-ce un rêve ?

« Shht. Respire. Lentement. C’est fini. »

Pour ne pas réfléchir, il essaya de se rappeler de paroles de chansons. La nausée était encore là, logée dans son torse. Une fois sa vue recouverte, il constata que du sang s’était répandu de partout, même sur ses mains. Il esquissa un “quoi” du bout des lèves.

« Ne panique pas. C’est bénin. Je sais que ça a l’air impressionnant vu comme ça. »

Il était blotti contre une forme très familière. Et si c’était vrai ? Ce n’était pas possible, leurs parents étaient partis à des milliers de kilomètres… Dany bougea lentement la tête. Son environnement tournait beaucoup trop vite. Il reconnut le nez allongé pourtant ; les cheveux coupés soigneusement, la mâchoire carrée.

« Je suis là, entendit-il. On va s’en sortir, je te le promets. »

Dany referma les yeux. Alors le cauchemar était vrai lui aussi. Avant qu’il ne puisse s’en empêcher, il se mit à pleurer.

« Alex, p’pa. Alex…

— Ne t’inquiète pas. Tout va bien. C’est fini.

— Mais… Mais… »

Articuler des phrases cohérentes était si difficile, même entre deux sanglots.

« Dany, je suis là. Je vais prendre soin de vous, d’accord ? Alex est juste là. Il dort. On ne risque plus rien. »

Le sang du plus jeune se glaça. Et s’il disait ça pour le rassurer ? Alex s’était transformé en une de ces créatures… Il dormait ? Il n’était pas mort quand même ? Oh non. Il tourna violemment la tête et faillit vomir à nouveau. Il tendait le bras vers une forme sombre et lointaine, qu’il pensait être le corps de son compagnon d’infortune.

« Tu veux le voir ? »

Ce fut tout juste si son père ne le porta pas sur les trois pauvres petits mètres qui les séparaient. Alex ressemblait à un ballon de baudruche dégonflé. Des morceaux de chair qui n’avaient rien à faire là gisaient, plats, autour de lui. Son visage était blême. Personne ne devrait ressembler à cela.

« Est-ce qu’il… Est-ce qu’il…

— Calme-toi. Il ne saigne plus.

— Pourquoi… Pourquoi il a l’air mort… ?

— Son pouls est encore là. »

Une large main solide prit la sienne et posa son doigt sur la gorge tiède. Et là, il y eut un soubresaut avant que les yeux du corps inanimé ne s’ouvrent grand. Dany recula en entendant le grognement.

« Ar, ché déguewache. »

La forme lutta pour se mettre en position assise. La trompe de chair qui l’avait étranglé, pendait encore de sa bouche de façon totalement absurde. D’étranges pattes d’araignées sortaient de son torse, mais les plaies semblaient propres. Dany se retrouva bloqué contre son père qui le maintenait contre lui. De sa voix rauque mais assurée, il demanda :

« Comment tu te sens ?

— Com on gros chac de meurde. »

Il reconnut cette voix. Ce n’était pas Alex, c’était son double. Horrifié, il voulut parler :

— Ne te fais pas passer pour lui saleté ! Lâcha-t-t-il en un souffle à peine compréhensible. C’est pas lui P’pa ! C’est pas lui ! »

Il était agrippé fermement et aucun de ses gestes n’aurait pu atteindre l’imposteur. L’homme à ses côtés n’avait pas bougé d’un pouce :

« Je sais. Calme-toi, ça ne sert à rien.

— Mais… »

Son agitation était telle que son père dut presque le secouer pour qu’il l’écoute.

« Dany, arrête. Tout va bien, je te le promets. Il est là pour nous aider. Tout va bien…

— Chteupé retiens-we, i a vaillit m’ouvrir we crâne.

— Il est avec nous Dan ! C’est Thomas ! C’est Thomas ! »

Ce nom. L’adolescent s’immobilisa les yeux fixes. Sa tête continuait de tourner.

Thomas était son frère. Son demi-frère plutôt. C’était ce que les adultes appelaient un enfant à problèmes, non ? Un tantinet violent, instable, constamment en proie à des sautes d’humeur. À ses quatorze ans, il avait disparu de la surface de la Terre. Rien, plus de nouvelles, personne ne savait où il était passé. Il avait juste décidé de couper les ponts, enfin c’était ce qu’il avait cru. Leur famille distante l’avait hébergé un moment ; il avait entendu une de ses tantines discuter avec son père du fait qu’il avait peut-être des problèmes d’alcool, mais à sa connaissance, c’était tout.

“Tu ne reconnaîtrais pas ton frère…” Alors c’était ça qu’il avait voulu dire.

Évidemment, Dany s’était toujours un peu douté que sa famille avait dû garder un œil discret sur Thomas. C’était bien leur genre. Seulement là… Le vieux n’avait même pas l’air ne serait-ce qu’un tantinet surpris de le voir. Comment l’avait-il identifié d’ailleurs ? C’était comme si tout le monde comprenait parfaitement la situation sauf lui. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Il n’en pouvait plus, c’était trop d’un coup. Dany s’affaissa en silence, observant la scène, à bout. Il allait se réveiller, tout ceci n’était qu’une mauvaise farce.

« Il va falloir que tu m’expliques comment tu t’es démerdé, grommela l’adulte.

— Pas chur de pouvoir.

— Est-ce qu’il va s’en sortir ?

— Tant que chon cœur bat, tout va bien. Bé chi en a pris un coup. Chi tu veaux que che le guériche en plein, cha va prendre un paquet de temps.

— Donc c’est réversible.

— Oh, oui. Il est chou jinfluenche, ché tout. »

Un soupir. Tous deux étaient excessivement calmes au vu des circonstances.

« Je crois qu’on est tranquilles pour le moment, repris le plus âgé. Qu’est-ce qu’il te faut pour le remettre sur pied ?

— Un chercwe et beaucoup de cawme. »

L’homme regarda tout autour de lui.

« On va te mettre dans un coin. Là-bas, ça me semble bien. En route, je vais te le tracer ton cercle. »

Il fallut remettre les deux jeunes debout pour se déplacer loin des enfants prisonniers. Alex… Ou plutôt Thomas regardait son frère du coin de l’œil et s’amusait de son expression déconfite. Ce dernier n’avait vraiment pas envie de rire. Combien de choses lui avait-on cachées au fil des ans ?

« Garde tes dichtanches. »

La voix avait stoppé net ses interrogations.

« Tu ne chens pas très bon, déchowé. »

Un coup d’œil à son pantalon déchiré d’un côté et ses joues s’empourprèrent. Il s’était bel et bien pissé dessus. C’était bien sa veine.

« Neu panique pas, ch’est tout à fait normaw. Tu étais prechque mort, tes muschcwes ont wâché. Marche un peu, cha chèchera. »

Qu’est-ce qui le retenait ? Ce type méritait des claques.

« J’aurais dû comprendre que c’était toi au moment où tu m’as appelé Dan.

— Ah. Tu as touchours été un peu won.

— Et toi tu as toujours été un gros salaud arrogant.

— Hahahaha. Chertaines choses ne changent pas, quoi qu’i warrive. »

La conversation n’eut pas le temps d’aller plus loin, interrompue par l’œil noir paternel qui les toisait. Ils préférèrent ne pas pousser le bouchon.

Enveloppés par l’air froid et totalement étranger, ils se déplacèrent lentement. Dany ne tenait pas encore très bien sur ses jambes. Et même si son frère maintenait un semblant de dignité, il n’avait pas l’air franchement plus en forme. Contre un mur, un cercle fut tracé au sol par l’index gauche de leur père. L’exercice prit plus de temps que de raison et le plus jeune se demanda pourquoi. C’était un simple trait, à peine visible.

« Ça te convient ?

— Cha ira, merchi. »

Le corps difforme s’y assit en son centre, dos appuyé au mur qui s’enfonça légèrement sous la pression. Il ferma les yeux avant de plonger dans une profonde méditation silencieuse. Ceci dura plus de minutes que Dany ne pouvait en compter. Il se retrouva donc en tête à tête avec la silhouette paternelle. Il n’était d’ailleurs pas tout à fait convaincu que sa présence en ces lieux ne soit pas une hallucination. Il n’y avait pas vraiment pris garde, mais l’apparence de son père n’était pas celle qu’il avait l’habitude de côtoyer. Celui-ci était enveloppé dans un grand manteau noir élimé, bien trop élégant pour son style ordinaire. Sa figure était crispée, presque artificiellement neutre, ce qui était étrange pour un être normalement si expressif et espiègle. Ils ne parlèrent pas tout de suite. Dany ne s’était pas remis complètement. Toutefois, l’ignorance commença à lui peser. Il fallait qu’il sache :

« Donc, tu es arrivé là comment ? »

L’homme toussota.

« C’est un petit peu compliqué. J’ai reçu un coup de fil d’un ami qui m’a prévenu que la tante qui devait vous garder a eu un accident sur la route.

— Quoi ?

— Rien de grave. La voiture ne s’en remettra pas par contre. Quand j’ai voulu vous appeler, vos téléphones sonnaient constamment occupés. Déjà, ça ne sentait pas bon. Un peu plus tard, Thomas m’a contacté pour me prévenir du danger… Ou tout du moins de ce qu’il pensait être un danger. Et j’ai pris le risque… De prendre un raccourci.

— Un raccourci ? Un… »

Dany comprenait de moins en moins.

« Tu sais où on est, oui ou merde ?

— Ah. Je croyais que Thomas t’aurait dit… Il est bien meilleur que moi pour les explications.

— Il ne m’a rien expliqué du tout ! Il n’a fait que me trimballer d’un endroit à un autre !

— Bon d’accord… Comment Arius écrivait ça déjà ? Est-ce que tu t’es déjà demandé où on allait quand on meurt ?

— Sans déconner ? Tu es en train de me dire qu’on a été transporté en enfer ?

— Ce n’est pas un mauvais terme pour désigner cet endroit, non ? »

Ils observèrent les alentours un moment.


Texte publié par Yon, 14 novembre 2017 à 13h09
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