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tome 1, Chapitre 10 tome 1, Chapitre 10

Petit Tom jouait avec son train. Il avait toujours adoré les trains. En recevoir un à Noël avait été la meilleure chose qui lui soit arrivée et dans les jours qui suivirent, il s'empressa d'installer des rails dans toute la maison pour que chaque pièce soit desservie. Au moment où la locomotive allait arriver en gare de Fauteuil-sur-Sallamanger, il se rendit compte que son frère n'était plus derrière lui. Il fronça les sourcils et se releva afin de rebrousser chemin vers le couloir. Il ne passa jamais la porte. Leur mère était à genoux, ses mains sur les épaules du plus jeune garçon, qui la regardait d'un air anxieux. Elle murmurait à son oreille. Tom n'osa pas aller vers eux, et son indécision se fit plus grande encore lorsqu’il vit son frère regarder dans sa direction avec une véritable crainte, placardée sur son visage rond. Leur mère le secoua un peu pour ramener son attention vers elle. Elle ne l'avait pas vu.

« †ù ∂0î∑ ƒæî®3 憆3ı†î0ı ∂'梢0®∂ ¿ ∏®0µ3†∑-µ0î ∂3 ƒæî®3 憆3ı†î0ı. » lui murmura-t-elle.

Pourquoi ? Que lui disait-elle pour que son frère ait si peur ces derniers temps ?

« î¬ ı'3∑† πæ∑ ı0®µæ¬. I¬ 3∑† µæ¬æ∂3, †ù ◊0î∑. µôµ3 ∑'î¬ †'æîµ3 î¬ π3ù† †3 ƒæî®3 ∂ù µæ¬. ¢'3∑† π0ù® Áæ ‡ù3 †ù ∂0î∑ †3 µëƒî3®. ¢'3∑† π0ù® †0ı ßî3ı 3† ¬3 ∑î3ı æù∑∑î. »

Tom ne comprenait pas. Il voulait juste s'amuser avec son train. Avaient-ils fait une bêtise ?

« ı3 ®3∑†3 πæ∑ ∑3ù¬ æ◊3¢ ¬ùî ∑'î¬ ı'Ÿ æ πæ∑ ∂'æù†®3∑ æ∂ù¬†3∑ æù†0ù®. ∑'î¬ ∑3 πæ∑∑3 ‡ù3¬‡ù3 ¢Ì0∑3 †ù ◊æ∑ ∂æı∑ †æ ¢Ìæµß®3 3† †ù ƒ3®µ3∑ ¬æ π0®†3 ø ¢¬3ƒ. †ù µ'3ı†3ı∂∑ ? »

Pourquoi son frère l'évitait tout le temps ? Pourquoi il ne l'aimait plus ? Ils avaient toujours été heureux ensemble.

« ï¬ ı'3∑† πæ∑ ı0®µæ¬. »

Que lui disait-elle pour qu'il ait si peur de lui ? Est-ce qu'il n'avait pas été sage ? Il travaillait très dur pour avoir de bonnes notes à l'école et pour que leur mère soit contente. Alors pourquoi ? Pourquoi elle ne voulait plus qu'ils jouent ensemble ? Il avait mal. Qu'est-ce qu'il se passait ? Il allait faire des efforts, comme ça son frère l'aimerait à nouveau. Oui, c'est ça. Il lui avait construit un château fort en boîte à chaussure lui-même parce qu'il en voulait un. Il avait l'air si heureux. Peut-être que s’il lui prêtait son camion... Pourqu0000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000

Alex.

Je suis Alex.

Mon nom n'est pas Tom. Je suis Alex.

Argh. Ce n’était pas bon. Perdre connaissance de façon répétitive après de longues chutes n’était certainement pas la meilleure routine qu’il ait connue. Il commençait à se dire qu’il allait développer un traumatisme crânien.

« Je distingue clairement un pattern. »

Il sursauta, surpris par la réplique. Contre toute attente, Alex était debout, à quelques pas de lui, visiblement indemne et bien portant. Secoué, il tenta tant bien que mal de rassembler ses pensées pour le moins chaotiques.

« De quoi tu parles ? » demanda le garçon à terre.

« Fuir des monstres ; tomber dans un trou. Fuir des monstres ; tomber dans un trou. Ca va vite devenir l’ennui, non ?

— J’n’aurais pas franchement vu les choses comme ça. »

Le lycéen à lunettes lui tendit une main amicale pour le relever. Se remettre sur ses jambes fut laborieux et légèrement vomitif. Il avait le tournis.

« Rends-moi un service, repris Alex, surtout ne cris pas. On ne sait pas ce qui pourrait nous entendre ici.

— Pourquoi tu dis… »

Ses mots moururent dans sa gorge au moment où son regard se posa sur les étranges parois qui les entouraient. Bleues, claires, translucides et lumineuses. Il aurait pu se croire au cœur d’un glacier dans les Alpes, ou quelque chose du genre, si ce n’était ces formes hideuses qui se trouvaient prisonnières de ces murs. Ce n’était d’ailleurs pas de la glace. Cela semblait plus gélatineux. Par transparence, on percevait des ombres crochues, peut-être des branches ou des racines, qui transperçaient, retenaient, emprisonnaient d’autres formes plus claires.

Des cadavres. Dany mit un instant à assimiler dans son esprit ce qu’il voyait. Des tissus blancs sales à motifs, des imprimés d’oursons ou des robes toutes bleues. Parfois des peluches visibles au milieu de ce désordre.

Tous étaient des enfants. C’était des corps d’enfants pendus par ces… Choses. Lorsque cette idée fit son chemin, il commença à réaliser… Ils étaient tous pâles, mais, pas tant que ça. Peut-être que ce n’était pas vraiment des cadavres. Ils avaient l’air plus endormis qu’autre chose. Comme en suspension. Et s’ils pouvaient être réveillés ?

Immédiatement, il se précipita vers l’un des murs et envoya son bras au travers. La gelée céda aisément. Il s’attendait à une sensation froide, toutefois la consistance était chaude et visqueuse. Il allait tenter de saisir le poignet d’une des victimes lorsqu’Alex l’attrapa par le col avant de le tirer de toutes ses forces vers l’arrière.

« Mais qu’est-ce que tu fous ?! »

Il n’était pas sûr de savoir si c’était lui ou son camarade qui avait parlé.

Dany sortit de sa stupeur.

« On ne peut pas les laisser là !

— C’est clairement un piège ! Si tu rentres là-dedans tu n’en sortiras jamais.

— Tu comptes les laisser ici ?!

— Regarde-les ! Regarde-les bien ! Ils sont tous morts Dan ! Ils sont morts depuis longtemps. Tu ne sauveras personne. »

Le plus grand tourna la tête et à sa surprise, la teinte de vie qu’il avait cru voir sur ces visages immobiles s’était effacée. Est-ce que son imagination lui jouait des tours ? Il prit une seconde ou deux pour se calmer. Puis autre chose vint perturber son cerveau déjà fragile.

« Tu m’as appelé “Dan” ? »

Les yeux sombres s’arrondirent derrière ses verres sales.

« Non, je t’ai appelé Dany.

— Je suis sûr du contraire.

— Tu as mal entendu. »

Le malaise grandit. Il n’était même pas certain d’en comprendre la raison. Il devait avoir une sale tête ; Alex le regardait avec une moue perplexe, limite inquiète. Il l’entendit murmurer :

« Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Rien. Je vais bien, je t’assure. J’essaie juste… »

Comment le garçon à lunettes pouvait-il être aussi sûr de ce qu’il disait au milieu de tout ce chaos ? C’était comme s’il avait des informations qu’il ne devrait pas avoir.

Comment avait-il si bien tenu la chute ? Pourquoi n’était-il pas déphasé par tout ceci ?

« Tu veux qu’on se repose quelque part ?

— Non ce n’est pas ça, rétorqua Dany. C’est comme si… Comme si…

“Comme si je ne te reconnaissais pas”. C’était ça qu’il voulait dire. Oh, c’était bel et bien le visage d’Alex qui le regardait dubitatif, il en était certain… Mais cette expression-là… N’était pas la sienne. Ce n’était pas son comportement. La lueur même au fond de ses yeux avait changé. Ce n’était pas normal. Tant de questions sans réponses. Et comment avait-il su que c’était un piège ? Oh, bien sûr il savait que l’adolescent n’était pas un idiot et qu’il pouvait très bien déduire tout ceci. Pourtant cela le perturbait, peut-être même autant que tous ces corps qui flottaient autour d’eux, comme autant de promesses de mort.

« Est-ce que tu es sûr de ce que tu fais ? » demanda simplement Dany.

Il entendit un soupir plus ou moins patient :

« Écoute, je sais que tu as peur. Moi aussi j’ai peur, crois-moi. C’est juste que pour l’instant il nous faut avancer, tu comprends ? Si on arrive à rentrer chez nous, je te jure qu’on pourra en débattre aussi longtemps que tu voudras, mais pour l’instant essayons de rester en vie, ça te va ? »

Dany fronça les sourcils.

« Vraiment ? pensa-t-il. Alors pourquoi tu m’emmènes de plus en plus profondément dans ce “piège” ? »

Il inspira profondément. Sa décision était prise. Sa main gauche empoignait encore le manche brisé du club de golf, qu’il traînerait avec lui jusqu’à son dernier souffle.

« Entendu. Mais j’aurai un paquet de questions à te poser, tu es prévenu. »

L’adolescent en face de lui se contenta de sourire.

« On commence par quoi ?

— Excellente question, répondit Alex. Je ne sais pas pour toi, mais je ne trouve pas le décor très encourageant. Soit ces enfants ont suivi le même chemin que nous et dans ce cas, nous devrions nous inquiéter…

— Soit quelqu’un les a tués et emmenés ici, coupa Dany.

— J’en ai peur.

— Reste à comprendre qui et pourquoi.

— Et si cette… créature… Peut nous faire sortir. Je n’aime vraiment pas ce plan, soupira le garçon à lunettes.

— Je n’aime rien du tout ici, » grogna son interlocuteur.

Ces horribles murs traçaient une sorte de route labyrinthique qui allait on ne savait où. Plus inquiétant encore, le trou béant par lequel ils étaient arrivés s’était résorbé. On aurait cru qu’il n’avait jamais existé. Plus il y pensait, plus Dany commençait à se dire qu’il ne s’en sortirait pas. Un poids lourd compressait sa poitrine. Il allait mourir, il le savait. C’était presque rassurant à ce stade, d’abandonner tout espoir, et l’angoisse qui allait avec.

Cependant, s’il devait disparaitre, il ne comptait pas le faire dans l’ignorance. Ou sans se défendre, aussi futile que cela puisse paraître.

Ils avançaient en silence dans l’espoir de trouver un quelconque indice. Alex avait à nouveau pris les devants, comme s’il savait exactement ce qu’il cherchait. Dans sa tête, Dany s’interrogeait sur comment reprendre la conversation.

« Si tu arrives à nous faire sortir d’ici, rappelle-moi de te céder ma console en gage de gratitude. »

Il priait pour que sa voix ne sonne pas trop faux. L’autre ricana.

« Est-ce que tu es sûr de vouloir faire ça ?

— Tu vas probablement passer plus de temps dessus que moi de toute façon, répondit Dany. Rappelle-moi aussi d’organiser d’autres journées gaming sans les vieux. C’était drôle. J’ai besoin de trucs drôles pour ne pas péter un câble, là maintenant. »

Ses yeux étaient fixés sur le dos du lycéen. Pas de réaction. Il avait encore en tête l’énorme dispute qu’ils avaient eue dans l’après-midi en jouant. Le mur, les coups, les poings crispés. Il aurait cru que l’évocation de ce souvenir déclenche au moins une pointe de sarcasme… Mais non, il n’avait fait qu’acquiescer.

« Ça t’irait ? Des week-ends gaming comme aujourd’hui ?

¬— Sûr. Pourquoi pas ? »

Rien. Pas même un froncement de sourcils. S’il avait des doutes auparavant, à présent il avait des certitudes. Alex aurait réagi, sorti un truc du genre “Tu as intérêt de te tenir à carreau”.

Impossible de savoir si ce fut la colère ou la terreur qui le paralysa en premier. Sans doute les deux. Il s’arrêta net.

« T’es qui toi alors bordel ? »

Il vit la silhouette s’arrêter net avant de se retourner.

« Euh… À qui tu parles ?

— Je crois que tu le sais très bien. »

Durant l’instant qui suivit, l’autre ne fit que le fixer, aucune expression visible sous ses cheveux noirs. Ce dernier rompit finalement le silence avec un sourire qui n’avait rien à faire sur cette figure-là.

« Ah. Et que comptes-tu faire exactement ? M’arracher la peau du visage pour voir ce qu’il y a dessous ? »

La question le déstabilisa. Il déglutit.

« Hahaha. Je t’ai eu idiot.

— Qu’est-ce que tu as fait d’Alex ?

— Je plaisantais, c’est tout. On peut passer à autre chose ?

— Que… Non ! S’égosilla Dany. Tu penses que je vais faire comme si je n’avais rien remarqué ? »

Il fut interrompu par un petit rire.

« Tu as toujours été stupide, gamin. Il n’y a rien d’autre à faire que continuer. Sinon tu vas mourir. »

Le ton condescendant lui chauffa les oreilles. Furieux, il poussa l’imposteur violemment, le collant à la paroi, ses doigts jaunis et crispés sur son col fin.

« Je ne sais pas ce qu'il se passe, mais tu n'es pas mon frère. »

Ce qui sortit de la gorge d'Alex fut un rire bruyant et glacé, bien trop grave pour venir de ce corps si jeune. Les bras du plus costaud faillirent et tremblèrent.

« Ton frère ? ricana-t-il. Ton frère ? Tu ne reconnaîtrais pas ton frère même s'il se tenait devant toi à te coller des baffes. »

Dany se renfrogna. La boule dans son ventre grandissait.

« Ton frère, continua la voix. Tu es bien prompt à le qualifier ainsi. Lui ne partage pas ton opinion du tout, désolé de te le dire. »

Les jeunes pupilles de l'adolescent en étaient changées, elles luisaient comme celles d'un chat, leurs reflets verts le transperçant de par en par plus sûrement qu'une balle. Il était terrorisé. Il ne voulait pas l'admettre, mais c'était le cas. L'intégralité de ses muscles s'était figée et les dernières miettes de son énergie étaient monopolisées pour retenir les larmes qui menaçaient, à chaque seconde, de sortir de ses yeux. Le corps d'Alex le regardait. Et ce n'était plus qu'un corps.

Alors c’était vrai. Il sentit la panique le saisir tout entier. Et si son frère d’adoption était bel et bien mort ?

« Rends-moi Alex ! Tu m’entends ? Tu vas me le rendre !

— Ça ne t’avancera à rien. »

Sans la plus petite hésitation, Dany propulsa son poing sur sa joue gauche, avant de le lâcher et de se saisir du manche fracturé à deux mains.

« Je vois que deux possibilités. Soit il est mort et tu es un cadavre parlant, soit tu n’es pas lui et tu n’as jamais été lui. Dans les deux cas, je compte bien avoir la réponse.

— Ne fais pas l’idiot gamin ! Sans moi tu vas mourir !

— Et moi je te dis que je m’en fou et que tu vas me rendre Alex ! »

Crispé et fou d’angoisse, il se prépara à le frapper avec le grip, priant de toutes ses forces pour que ce ne soit pas une gigantesque erreur. Il n’y eut jamais contact.

« Non ! Arrête ! Qu’est-ce que tu fais ? »

Cette voix…

Dany se figea. L’expression de ces yeux devant lui semblait vraie. Il était à terre et rampait en reculant, sous le choc. Le manche lui glissa des mains. Il s’attendait presque à ce que quelque chose vienne le frapper maintenant qu’il était désarmé, mais rien ne vînt.

« A… Alex ? »

Il continuait à reculer. Puis trouva un moyen de se remettre sur ses jambes.

« Est-ce que c’est toi ?

— Évidemment que c’est moi abrutis ! Qui veux-tu que je sois ?

— Vite ! Donne-moi la date de sortie de Street Fighter 2 !

— De quoi tu parles, tu étais en train de me menacer avec un club de golf !

— J’ai besoin d’être sûr que c’est toi ! La date ! Street Fighter 2 ! »

Éberlué, il resta bouche bée avant de brailler :

« Oui, mais lequel de Street Fighter 2 pauvre type !? »

Toute l’angoisse tomba d’un coup et Dany se précipita sur lui et le serra dans ses bras, malgré sa tête de dix pieds de long.

« Merci mon Dieu, t’es pas mort. »

Plus les secondes passaient, plus Alex se crispait.

« Ok, reprit ce dernier, est-ce que tu veux bien me dire pourquoi il y a des enfants qui nous regardent ?

— Quoi ? »

L’autre le lâcha et regarda autour de lui. Les corps inertes étaient toujours prisonniers des étranges murs translucides. Immobiles. Endormis.

« Mec, je crois qu’ils sont morts, je ne pense pas qu’ils puissent…

— Et moi je te dis que leurs yeux sont grands ouverts ! »

Or, Dany avait beau chercher, aucun d’entre eux n’avait ne serait-ce qu’entrouvert les paupières.

« Qu’est-ce que c’est encore que ces conneries ? Je te jure que pour moi ils sont tous… morts. »

Puis lui revint en tête ce qu’avait dit son double sur les créatures qui pouvaient les observer au travers de leurs propres yeux. Et si… Et s’ils pouvaient voir Alex et pas lui ? Ça n’avait pas de sens. Et pourtant une partie de son cerveau lui disait que ça en avait. Il s’empressa de saisir son frère par les épaules.

« Ne les regardes pas. Je sais que ça a l’air idiot dit comme ça, mais crois-moi regarde le sol, regarde où tu veux…

— Dany, est-ce que tu veux bien m’expliquer ce qu’on fout ici et pourquoi tu croyais que j’étais mort ? »

Le garçon avait l’air absolument terrorisé. Il y avait de quoi.

« D’accord », répondit-il, essayant désespérément d’avoir une voix rassurante et calme. « Je vais faire de mon mieux pour t’expliquer. De quoi tu te souviens ? »

Le plus petit remonta ses lunettes.

« Hum. La maison… Je crois.

— Ok. Tu te rappelles de ce qu’il s’est passé dans la maison ?

— Non pas cette maison là. Je… On est tombés dans un trou noir et je crois qu’ensuite… Il y avait une autre maison. En ruine. Elle était vieille. »

Cette fois, Dany était complètement perdu.

« Écoute-moi. Il n’y avait pas de maison. Tu étais possédé.

— Pardon ?

— Je ne sais pas l’expliquer autrement. On a tous les deux atterri dans cet endroit, sauf que ce n’était pas vraiment toi. Quelqu’un parlait à ta place et s’est fait passer pour toi. Je ne sais même pas comment c’est possible, ou où nous sommes. Ce que je sais c’est qu’on ne peut pas rester ici. Je crois qu’on a changé de dimension, ou un truc du genre… »

Plus il parlait, plus son camarade pâlissait. Soudain, il s’affaissa. Dany dut le retenir pour ne pas que ses genoux heurtent le sol.

« Ça va ? »

Il y avait des larmes derrière les lunettes. Alex releva une main tremblante. Ses doigts étaient couverts de sang.

« Merde. »

Tous deux baissèrent le regard. Il y avait une tâche gigantesque sur son T-shirt au niveau de l’abdomen.

Pourquoi ?

Ce n’était pas là où il l’avait frappé. Ca ne pouvait pas être lui qui… Il allait très bien il n’y avait même pas cinq minutes.

« Dany… »

Le garçon tremblait. Avec douceur, il l’allongea par terre.

« C’est normal qu’il fasse si froid ?

— Je crois que oui. J’espère. »

Puis il se rappela. La chute dans laquelle son double l’avait entraîné à l’aveugle. Le vague souvenir du corps d’Alex qui avait amorti le sol.

Non. Ce n’était pas possible. Il s’était tenu debout juste après !

« Ok. Ok. Je vais arrêter le saignement.

— Tu sais au moins comment faire ça ?

— Non. »

Dany portait encore son pantalon pour traîner. C’était du tissu mou. Il n’eut pas à faire beaucoup d’efforts pour en déchirer tout un pan. L’idée était d’utiliser ça comme bande. Il ne savait pas si ça allait vraiment améliorer les choses.

Avec délicatesse, il releva le T-shirt pour découvrir l’horrible plaie sombre et molle. D’une main peu assurée, il passa le tissu sous le dos du blessé et serra modérément. Il entendit un couinement, priant intérieurement pour ne pas lui faire mal. Une petite flaque de sang commençait à se former sur le sol. Le garçon s’efforçait de ne pas y penser.

En nouant le pansement de fortune, il remarqua qu’Alex portait une sorte de tricot en toile qui s’arrêtait au niveau des abdominaux et qui se fermait avec des broches. Le moment n’était pas opportun pour poser des questions. La curiosité avait dû cependant s’afficher sur son visage.

« Mêle-toi de ton cul. » grogna faiblement le blessé.

Dany allait se défendre, mais un bruit le stoppa net. Il reconnaissait ce son abominable. C’était celui qui accompagnait les créatures qui les avaient pourchassés.

« Non. Oh non. Comment ils nous ont retrouvés aussi vite ? »

D’un bond, il alla récupérer sa seule arme et la mit rapidement dans les mains d’Alex.

« Tiens-moi ça. Il faut partir.

— Qu’est-ce que tu fabriques pauvre idiot ?

— Désolé. »

Non sans difficulté, Dany le hissa dans ses bras et Alex s’agrippa à ses épaules, cachant mal la douleur et la panique. Ils ne purent pas aller bien loin comme ça.

« Arrête. Arrête, crétin tu vois bien que ça ne sert à rien. »

Il décida de déposer le blessé dans ce qui ressemblait à une alcôve, à l’abri des regards et des cadavres. On entendait encore des choses gratter le sol au loin.

« Où est-ce que tu comptais aller comme ça ?

— N’importe où. Si ces trucs nous trouvent… »

Il devint évident que le corps déjà maltraité au sol, tremblait de plus en plus. Ses lèvres étaient blêmes. Dany s’assit à ses côtés et lui donna sa parka, faisant de son mieux pour le garder au chaud.

« Je ne veux pas être pessimiste, mais je saigne.

— Je sais.

— Des tas de bestioles pas cool sont en général attirées par le sang. C’est peut-être pas une coïncidence. »

L’autre ne voulait pas l’entendre. Les craquements, grognements, continuaient à se rapprocher. Leur cachette ne les protègerait pas.

« Ce que j’essaie de dire… Tu devrais filer. »

Le souffle du lycéen était de plus en plus faible.

« Arrête ça. Tu me fais peur.

— Je me fais peur à moi-même, répondit Alex en toussotant. Si ça peut te rassurer, ça n’allait pas marcher. Je sais que tu voulais qu’on devienne… potes, ou un truc du genre, mais même maintenant, je te déteste. »

Il toussa à nouveau et fit de son mieux pour en étouffer le son malgré la douleur.

« Pardon. Je peux pas te pardonner, de toute manière. Si tu dois courir, alors cours. »

Dany garda le silence pendant très longtemps. Il serra son camarade de classe, se rappelant à quel point il ne savait presque rien de lui. Vint l’instant où les bruits se firent tellement proches que les grognements leur levaient le cœur.

« Alex, je compte pas aller où que ce soit. Je sais que t’étais pas conscient. Le truc c’est que ça fait un moment que j’ai compris qu’on ne sortirait jamais de cet enfer. Je n’ai pas osé te le dire. Je suis désolé pour ça aussi. »

D’un mouvement empli de crainte, Dany lui reprit le club de golf des mains avant de se lever péniblement.

« Bouge pas, je reviens. »

L’autre aurait eu l’ai abasourdis s’il ne gisait pas complètement affaiblit.

« Qu’est-ce que…

— Rends-moi un service Alex. Je sais que je ne le mérite pas, mais si je me pisse dessus, s’il-te-plaît ne ris pas. »

Dany sortit de l’alcôve sans un regard en arrière, pour avancer en terrain découvert. Il cria un grand coup. Sur le sol, devant lui, apparurent des traces de pas qui se perdaient au milieu des bruits indescriptibles. Les créatures restaient invisibles, mais elles avançaient vers lui.


Texte publié par Yon, 24 octobre 2017 à 13h59
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