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tome 1, Chapitre 9 tome 1, Chapitre 9

Le grand calme n’était pas venu comme il l’avait tant espéré. Dany se réveilla avec un soubresaut de douleur. Aiguë, brûlante, crispante, la souffrance se répandait dans tous ses muscles au point de contenir entièrement son souffle. Impossible de crier, impossible de voir. Il semblait entouré de ténèbres. Il ondulait sur le sol comme un ver, cherchant par tous les moyens à échapper à cette torture, à sa propre chair qui ne voulait lui envoyer que des signaux de rébellion. Lorsqu’il commença à retrouver le contrôle, la douleur s’estompa, lentement. Il étendit ses bras et ses jambes, non sans difficulté. Il fallait qu’il se relaxe, hélas quelque chose l’en empêchait. Très vite, il comprit que c’était la fraîcheur mordante qui régnait tout autour, comparable à celle d’une chambre froide. C’était pourtant bien de la terre qu’il sentait là sous lui, sous le dos de sa main.

Ses yeux mirent du temps à s’habituer à la pénombre. Le lycéen commença doucement à distinguer un réseau de lignes noires désordonnées vers le plafond. Sans doute, se trouvait-il à l’extérieur, mais il ne parvenait à se souvenir d’aucun évènement récent. Tout se chamboulait dans sa tête. La mémoire ne lui revint que quelques minutes plus tard et en un flash. Le monstre, les bruits, la maison, son demi-frère, la course, l’horreur, la tristesse, le plongeon. Ce n’était pas possible, il avait dû rêver. Non, le sentiment était encore là, dans sa poitrine, cette espèce de fascination sourde, innommable qui l’avait agrippé au moment où il avait posé pour la première fois son regard sur cette masse ténébreuse sans fond. Il s’était senti comme absorbé, sa raison évanouie. Il avait lutté si longtemps, mais confronté à cette mort plus que probable qui leur tendait les bras, il avait cédé et choisit le saut dans le vide, l’annihilation face à la souffrance. Contre toute attente, il était toujours vivant, frénétique, essayant tant bien que mal de se faire une idée précise de ce nouveau décor.

Des racines. Ou en tout cas ça y ressemblait, sortant des parois et de la terre. Après un regard circulaire, Dany dut se faire une raison. Il ne dormait pas. Il était allongé dans un souterrain, cela était évident. Toutefois les troncs des arbres et leurs gigantesques racines ne tombaient pas du plafond, mais émergeaient bien du sol, avant de se répandre au-dessus de lui. C’était littéralement le monde à l’envers. Cette forêt totalement surréaliste était éclairée par une lueur indéfinissable et qui n’avait aucune source apparente. Il aurait dû se trouver dans le noir total et pourtant il ne l’était pas. On se serait cru dans un rêve. La douleur, hélas, était authentique. Se forçant à prendre de grandes inspirations pour l’aider à dissiper le brouillard qui lui monopolisait le cerveau, il se releva, non sans difficultés. Il regrettait déjà la douce tiédeur de la terre sèche. L’air ambiant devait être bien en dessous de zéro et sa parka ne pourrait pas l’en protéger complètement. Le garçon ne perdit pas espoir. S’il s’était retrouvé là c’est qu’il devait bien y avoir un tunnel ou une entrée quelque part. Il commença à inspecter les lieux, ignorant l’affolement de son rythme cardiaque. Il ne se passa pas dix secondes avant qu’un reflet brillant n’attire son attention, avec à côté de lui, une silhouette sombre, allongée de tout son long, face contre terre.

« Alex!»

En quelques foulées chaotiques, il dévora la distance qui le séparait du corps inerte. Avec beaucoup de précautions, il le retourna, agenouillé à côté de lui. À son grand soulagement, son frère respirait et son visage était aussi calme que s’il s’était assoupi dans un recoin de son canapé. Dany jeta un œil anxieux à l’obscur tableau. Tout était silencieux, cependant quelque chose faisait qu’il n’était pas vraiment tranquille. C’était presque trop beau qu’ils soient tous deux en vie. Il secoua doucement l’adolescent en priant que rien de menaçant ne les attendait au détour d’une racine.

« Alex ? Alex, s’il te plaît, réveille-toi. »

Il garda sa voix aussi basse que possible. Après une dizaine de secondes, les paupières trop pâles frémirent et s’ouvrirent en papillonnant. Le regard encore vitreux de l’adolescent se posa sur lui et Alex sursauta d’un coup. Tous deux s’écartèrent l’un de l’autre par simple réflexe.

«Wow! Quoi ? Tu es… Qu’est-ce que je fais... Attends... Quoi ? »

Il avait l’air totalement déstabilisé, la bouche ouverte et les yeux plissés, comme s’il tentait de le voir au travers d’une purée de pois trop épaisse. Dany posa, par inadvertance, la main sur un objet au sol et il comprit.

« Alex, tes lunettes !

— Pardon ?

— Tes lunettes, elles sont justes là. »

Après un instant d’immobilité, le garçon récupéra l’artefact du bout des doigts, comme s’il n’était pas vraiment sûr que ce fût bien les siennes. Elles étaient craquelées dans un coin, mais encore en un seul morceau. Il les nettoya consciencieusement sur des vêtements avant de les placer délicatement sur son nez.

« Mieux.» Dit-il simplement, en regardant le paysage étrange qui les entourait.

Dany s’attendait à ce qu’il montre autant de stupeur devant ce lieu que devant le fait que c’était lui qui l’avait réveillé. À sa grande surprise, il ne souffla pas un mot, au contraire, il semblait dans une profonde concentration.

« Est-ce que ça va ? Tu as l’air... Heu...

— Je crois que je me suis cogné la tête, » répondit Alex sur un ton dénué de toute inquiétude. « Comment on est arrivés ici exactement ?

— Si je le savais… »

Il le regarda bizarrement au travers de ses verres avant de répondre:

« Enfin il a bien dû se passer quelque chose. Personne ne peut débarquer ici en venant de nulle part. On n’était pas à la maison... ? »

L’autre tiqua:

« Tu veux dire que tu ne te souviens de rien ?

— Hum, comme quoi ? »

En entendant ça, Dany commença sérieusement à s’inquiéter. Comment pouvait-on oublier des évènements pareils ?

« Je sais pas, les monstres, les bruits, le fait que tu te sois retrouvé enfermé dans ma chambre ? Les ténèbres ? Tout ça ne te dit absolument rien ? »

L’autre le regarda d’un air perplexe:

« Les ténèbres ? Qu’est-ce que tu veux dire “les ténèbres” ?

— Tu sais bien, le noir qu’on a traversé pour atterrir ici.

— On a traversé du noir pour venir ? Demanda Alex avec surprise.

— Oui. Je t’ai attrapé et on a plongé dans ce truc noir pour ne pas se faire découper par ces... choses. »

Dany n’avait jamais vu cette expression sur les traits de son nouveau petit frère. Vraiment. Elle lui paraissait familière, pourtant il n’arrivait pas l’associer à ce visage-là et il était incapable de comprendre pourquoi. Son estomac se creusa un peu plus. Il était frigorifié et en même temps, rien dans l’allure d’Alex n’indiquait qu’il ressentait un froid identique. Ce dernier reprit la parole, les sourcils froncés:

« Tu veux dire que tu m’as envoyé au travers d’un trou noir, contraint et forcé et que c’est comme ça qu’on est arrivés ici ?

— Je pense que c’est à peu près ça.

— Et ça t’a paru une bonne idée ?

— Tu ne te rappelles vraiment pas de ce qu’il y avait en face ? Excuse-moi mais oui, ça m’a paru une meilleure idée que de rester là où on était. C’était stupide, mais c’était la seule option. Enfin je crois. »

Tous deux prirent un moment pour observer leurs alentours.

« Tu as froid ? demanda tout à coup Alex dans son manteau noir.

— Un peu oui, pas toi ?

— Si, répondit-il rapidement. D’où vient cette voix à ton avis ?

— Pardon ?

— Tu n’entends pas ce bruit ? On dirait presque que quelqu’un pleure. »

Dany tendit l’oreille, mais rien n’y fit. Il ne percevait que le silence le plus total. Pas de vent pas de murmure, même pas l’écho de leur propre voix. C’était assez angoissant maintenant qu’il y prêtait attention.

« Je t’assure que je n’entends rien. Genre, vraiment rien.

— Je l’ai rêvé alors. Je me suis probablement fait mal en tombant. Enfin, si on est véritablement tombés. Je te propose de faire un tour, il doit bien y avoir une entrée à cet endroit.

— Je suppose, en tout cas je l’espère, répliqua le plus grand. Ce cauchemar a assez duré.

— Tu ne crois pas si bien dire. »

L’objet qu’il avait vu briller à côté du corps sans connaissance était en fait le manche brisé du deuxième club de golf, la seule arme qui leur restait et que Dany s’était empressé d’empoigner. Leur expérience précédente avait laissé ce dernier dans un état assez inattendu. Son cerveau avait fait disparaître toute peur pour ne pas le paralyser et l’avait également laissé dans un état de méfiance accrue. Un peu comme si toute fatigue l’avait abandonné. Son compagnon de mésaventure étudiait avec attention chaque recoin de cette forêt inversée, le nez en l’air, à l’affût d’un indice quelconque. Cette espèce de caverne était en réalité immense. Ils n’en percevaient pas la fin. Comment diable étaient-ils tous deux arrivés là ? Et où qu’ils aillent, ils continuaient à y voir relativement bien, alors qu’aucune source de lumière n’était apparente. Ce détail des plus étranges travaillait le plus grand emmitouflé dans sa parka.

« Comment ça se fait qu’on y voie aussi bien ? »

Son frère adoptif haussa les épaules.

« Je vais être honnête, je ne suis pas sûr que cet endroit ait ce genre de logique. »

Il ne savait pas quoi faire de cette réponse.

« Alex, tu as une idée en tête ?

— Difficile à dire, mais je n’aime pas ça. Je veux dire, c’est clairement une forêt. On marche depuis tout à l’heure, sous une forêt. Et nous ne sommes clairement pas seuls, mais nous n’avons pourtant rien croisé… »

Dany stoppa net.

« Comment ça pas seuls ? » bredouilla-t-il.

L’autre pointa du doigt le sol. Dans la terre brune, on distinguait clairement les traces de pas que les deux lycéens laissaient depuis le début de leur périple ainsi que d’autres traces, plus fines et allongées, faites par quelque chose qui ne semblait pas humain. Dany se crispa. Comment avait-il pu rater un truc aussi flagrant ? Et pire, qu’est-ce qui se trouvait là avec eux ? Les créatures les avaient-elles suivis ?

Son camarade d'infortune, quant à lui, étudiait les formes dans le sable, avec une moue assez mystérieuse. Il vit son regard doucement se diriger vers l'horizon, dans la direction où semblaient partir les marques.

« Dany…

— Oui ?

— Tu ne trouves pas ça étrange que l'on n’ait rien vu ?

— Si.

— Ne panique pas, mais je crois qu'on est filés.

— Pourquoi tu dis ça à voix haute ? Ils vont nous entendre.

— Je ne pense pas que ces êtres comprennent ce que nous disons.

— Comment tu peux être aussi sûr de tout ça ? » Demanda-t-il, sentant son angoisse revenir.

Alex fronçait les sourcils d'un air extraordinairement sombre, comme s'il n'était pas certain lui-même de la réponse. En y regardant de plus près, il était clair qu'elles appartenaient à plus d'une créature.

« Regarde, reprit le garçon à lunettes, d'autres traces là-bas. Si cet endroit est aussi peuplé, alors pourquoi… ?

— Ça va ! Arrête le suspense ou je vais craquer ! C'est quoi ta théorie ?

— Ferme les yeux.

— Tu rigoles j'espère ?

— Ils savent où nous sommes, tout le temps. Ils savent ce que nous voyons, c'est la seule explication.

— Comment est-ce que tu peux arriver à cette conclusion-là ?

— Ferme les yeux. Crois-moi.

— Si tu essaies à nouveau de me faire peur, je te jure...

— Ferme. Les. Yeux. »

Dans le même instant, les deux lycéens baissèrent les paupières et le noir se fit. D'abord, Dany n’entendit que le son calme et rassurant de sa propre respiration. Puis, après sans doute une minute, il perçut quelque chose de façon distante. D'autres mouvements. Impossible de savoir s'ils se rapprochaient. Tout à coup, Alex émit doucement un petit rire enfantin et moqueur :

« Ils ne savent plus où nous sommes. » murmura-t-il.

Un grognement y fit écho. On les avait entendus. Les bruits étaient clairs à présent. C'était des pas. Cela grouillait tout autour d'eux. Dany sentait la chair de poule envahir ses bras, puis son corps entier, naît de l'anticipation, de la crainte que l'un d'eux le frôle. L'air qui l'entourait devenait menaçant. Il avait l'impression que sa peur coulait de tous ses pores, se déversant dans le vide autour de lui, appelant les créatures à lui pour qu'elles le dévorent.

Puis il y eut un souffle. Il reconnut la faible voix d’Alex. Il avait murmuré quelque chose qu'il n'avait pas réussi à saisir. Était-il en danger ? Devait-il ouvrir les yeux ? Il sursauta quand quelque chose lui toucha la main. L'adolescent se calma tout de suite. Il venait de réaliser que c'était Alex lui-même qui lui avait saisi le poignet. Les pas menaçants se faisaient plus proches. Tout craquait autour d’eux. Ils étaient repérés. La poigne de l'autre se fit alors plus ferme et Dany se sentit traîné, littéralement, dans une direction inconnue, vers un horizon inexistant. Ses yeux toujours clos, il hésitait à demander des comptes. Le moindre bruit pourrait leur être fatal, mais il n'était pas à l'aise à l'idée de suivre Alex aveuglément. Et s'ils rentraient dans un arbre ? Comment diable savait-il où aller ? Pourtant son guide paraissait naviguer en toute confiance et ils n'avaient encore rencontré aucune embûche malgré les grognements qui se faisaient de plus en plus grinçants. À chacun de leurs pas, l’ambiance se faisait plus lourde. Dany voulait rester détendu mais quelque chose s’immisçait dans son esprit. La peur était si présente que ses muscles se contractaient dès que ses vêtements se plissaient de manière suspecte contre sa peau. Il se mordit la lèvre pour ne pas couiner. Sa dignité n'avait plus de prise sur lui. Le peu de contrôle qu’il avait réussi à regagner était en train de fondre comme neige au soleil.

Il voulait juste que tout s'arrête. Soudain, le noir protecteur et pourtant si anxiogène devint plus bleu et ce fut comme si le garçon pouvait voir au travers de ses paupières, semblable à l'un de ses cauchemars où vous tentez de vous détourner de l'horreur qui est devant vous mais sans succès. Il distinguait clairement dans l'ombre le dos du manteau et les cheveux noirs qui avançaient, le tenant fermement par le bras.

Il l'appela, paniqué.

« Ferme-la, grinça-t-il. Tu vas nous faire repérer !

— J'y vois Alex ! Je te jure j'y vois, même les yeux fermés ! »

Un juron. Il sentit la main du garçon se resserrer sur sa peau.

« Alors regarde le sol ! Regarde tes pieds ! »

Les bruits qui les suivaient devinrent immondes. Ils étaient encerclés, pas de doute. Dany ne voulait pas savoir ce que c'était. Maintenant, il aurait suivi son guide jusqu'au bout du monde si cela signifiait se retrouver loin d'ici et de toute cette horde abominable. Ils allaient presque au pas de course.

Bientôt, il sentit qu'il venait de heurter quelque chose... un corps, il en était certain. Il ne voulait pas y penser davantage. Il suivait la traction exercée sur son bras droit, il commençait à s’essouffler, voyant la vague forme du terrain défiler sous lui. Jamais il n'avait eu aussi peur de lever la tête. Il entendit Alex maugréer un juron.

« Il va falloir qu'on saute !

— Quoi ? Où ?

— Il y a une sortie, mais elle ne va pas vers le haut.

— Quoi ? »

Ils firent encore des détours. Dans la périphérie de sa vision occultée, Dany commençait à voir apparaître des membres sanguinolents qui tentaient de leur couper le passage. Il fit ce qu'il put pour ignorer leur présence, même si son cœur bondissait sans sa poitrine. Et soudain, il dut éviter des griffes. Les grognements montèrent en puissance. On aurait dit qu’une masse, invisible et affamée, s'était élevée pour converger vers eux. Le garçon fut gagné par la panique. Il ne pouvait plus penser ni respirer. Alex accéléra encore et tira si fort qu'il crut qu'il allait lui déboîter l'épaule. Depuis quand courait-il aussi vite ?

« Tu es près ? Saute !

— Quoi ? »

Il voyait vaguement la forme d'une crevasse dans le sol qui donnait sur un lieu indéfinissable. Et son camarade allait droit sur celle-ci. Sans la plus petite hésitation, il suivit et sauta, avec le même aveuglement que lorsqu'ils étaient encore dans le terrain familier de la maison. Pendant ce moment de flottement dans les air qui lui parut interminable, Dany sentit son frère adoptif le tirer vers lui et l'envelopper de ses bras. Le geste était si inattendu qu'il n’en comprit pas tout de suite le sens. Puis leurs deux corps s'écrasèrent au sol violemment, celui d'Alex amortissant sa chute avant qu'il ne perde connaissance.


Texte publié par Yon, 6 août 2017 à 22h17
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