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tome 1, Chapitre 6 tome 1, Chapitre 6

Tout tremblant, tâtonnant, il se saisit de la poignée d’une main et coinça ses lunettes dans sa poche de l’autre. Il avait beau tirer, la porte ne bougeait pas, inflexible tel un monolithe. Alex était enfermé, malgré l’absence de verrous.

Ouvres-toi !

Sa main gauche rejoignit la droite. Ses gestes étaient désordonnés, entravés par ce brouillard émotionnel. Il sentit à peine ses verres glisser hors de son jean et dégringoler le long de sa jambe. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il avait mal, qu’il était dans le noir et que sa tête avait heurté le mur. Il ignorait tout le reste, saisi par une crainte viscérale qui lui disait de sortir de là tout prix !

Calme-toi, tourne plus vers la droite…

Sa main glissa. Il s’y raccrocha de peur de ne plus retrouver la boule de cuivre. Le mécanisme semblait soudé en place.

Merde, merde, merde.

Son crâne bourdonnait si fort qu’il crut devenir sourd. La gorge serrée, il se mit à tirer de toutes ses forces. Il avait le souvenir de ces choses froides sorties de nulle part. Elles pouvaient revenir l’agripper à chaque instant.

Débloque-toi, allez !

Il ne voyait quasiment rien. Une secousse ébranla la porte. Était-elle en train de céder ? Un bruit juste derrière lui fit redoubler ses efforts. Il se rappela la créature invisible. Ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque, comme électrifiés. Ses muscles du dos se contractèrent. La douleur était encore vive. Et s’il mourrait ici, dans cette pièce ?

« Ouvre-toi putain de merde ! »

Un énorme bruit d’objets s’écrasant au sol tonna comme un cataclysme.

Cette fois-ci il se retourna. Le cœur figé, il sonda péniblement l’espace.

Il n’avait vu la porte qu’à cause des fines lignes de lumière qui traçaient son contour. Cela lui prit un peu de temps avant de réaliser qu’il était dans la chambre d’amis. Tout n’était qu’un grand flou noir parsemé de taches plus claires, mais au milieu de ce tableau si vague, il crut percevoir à trois mètres de lui une grande silhouette plus noire encore que le reste, luisante de reflets rougeâtres. Un bruit hideux vint lui chatouiller les oreilles. Un bruit de ventouse ou une succion. Et la pièce lui sembla plus petite. Et les ombres lui semblèrent plus ignobles. Tout son être se raidit. Au travers de sa paralysie nerveuse, il entendit quelque chose d’autre venant de sa droite.

« Hey ! lança une voix étouffée, tu es là ? »

Dany.

Terrifié et prêt à tout pour sortir de sa prison nocturne, même à s’humilier, il lâcha un petit cri enroué dans les airs :

« Je suis coincé ! »

Ses cordes vocales étaient en plomb. Il recula contre le mur lorsqu’il vit la forme disparaître derrière le lit, avançant dans sa direction en rampant. Le dégoût et un sens accru du danger qui était bel et bien là, effacèrent en lui toute trace de dignité ou de colère et en quelques secondes, il s’entendit supplier Dany de débloquer la porte, presque en pleurant. Des phrases incohérentes sortaient de sa bouche, hurlaient qu’il n’était pas seul dans la pièce. Il avait l’horrible impression de sentir déjà une pression glacée se poser sur ses épaules. Les sons qui l’entouraient le rendaient fou. Lorsque la masse sombre réapparut entre le matelas et le sol, à moins d’un mètre, toute forme de pensée le quitta. Ses jambes seules le déportèrent vers la fenêtre, un acte désespéré pour remettre de la distance, de la sécurité là où il n’y en avait plus. Il était certain d’avoir vu des dents.

Cette vision infernale fut interrompue par un incroyable tapage, abrupt et fulgurant. Il sursauta et ses yeux se déportèrent sur ce nouveau mouvement. La porte s’était ouverte et le deuxième lycéen déboula dans la chambre, avant de déraper et de s’écrouler sur le bureau devant lui. Il se retourna péniblement, lampe torche en main, cherchant dans chaque recoin un quelconque danger. Alex n’avait presque plus la force de respirer. Immobile, il regarda Dany ramasser ses lunettes sur le sol pour venir les lui rendre, et constata, effaré, qu’ils semblaient absolument seuls au milieu des ténèbres.

« Je… Je le jure il y avait quelque chose. » Murmura-t-il.

La silhouette haute et soucieuse s’éloigna alors de lui pour aller inspecter le dessous du lit et l’armoire. La longue étagère auparavant clouée au mur s’était effondrée, ce qui expliquait le bruit. Avec l’ingénuité des grands benêts, Dany revint vers lui, le front perplexe :

« Si c’est encore un de tes tours…

— Est-ce que j’ai l’air de raconter des conneries !? »

Il avait crié cela tellement fort que l’autre sembla convaincu dans la seconde.

« Je te crois, je te crois. Pardon. » reprit ce dernier, visiblement aussi perdu que lui. « Écoute, je ne sais pas ce qu’il se passe, mais on a besoin d’aide, d’accord ? Tu sais si les voisins sont là ?

— Les… Euh, oui, ils doivent être chez eux.

— Ok, voilà ce qu’on va faire, tu vas respirer deux secondes, on va prendre nos vestes et on va aller chez eux jusqu’à ce que ta tante arrive. S’il faut appeler les flics, on appelle les flics, mais on reste pas là. Allez, viens. »

Il le prit par l’épaule et le guida vers le salon. Alex remettait péniblement ses lunettes. Tout son corps lui faisait un mal de chien. Il ne savait pas trop ce que son collègue de lycée avait vu ou non dans ce couloir, mais malgré toutes les précautions de ce dernier pour sembler sûr de lui, il sentait sa paume trembloter légèrement au travers de son T-shirt. En fait il devait être mort de trouille.

« On va passer par la véranda, murmura Alex dans un éclair de lucidité, c’est plus court que par l’entrée. On aura juste à traverser l’allée de platanes. »

Rapidement, ils se retrouvèrent devant la baie vitrée, circonscrits dans un silence incroyablement pesant.

« Bouge pas, je reviens. »

Dany se dirigea vers le portemanteau, pendant que son camarade d’infortune s’occupait de déverrouiller la verrière d’un geste encore peu assuré. Au moment où il allait faire coulisser le panneau, il remarqua à quel point la nuit était devenue noire à l’extérieur. Puis il fut pris d’un doute. Il arqua ses deux mains contre la vitre pour se débarrasser des reflets et contempla quelques longues angoissantes secondes le néant qui les attendait dans le jardin.

« Dan… »

Il se retourna et le vit revenir, couvert de sa parka, transportant la torche et un vieux manteau noir.

« Quoi ?

— Passe-moi la lampe, vite. »

Rapidement, il braqua le faisceau de lumière vers le bas, là où dehors, la pelouse en temps normal serait venue caresser la première marche en béton. Cette fois, ce fut comme s’il n’y avait plus rien ; seulement un grand vide d’un noir opaque qui avalait la lumière. Les deux lycéens s’échangèrent un long regard plein d’incompréhension.

« Tu es toujours sûr de vouloir sortir ?

— Ok, non. Qu’est-ce qu’il se passe ? murmura Dany en lui passant son manteau. Dis-moi que c’est une illusion d’optique ou un truc du genre. »

Machinalement, Alex l’enfila, les yeux perdus dans le vide. Il se sentait presque fiévreux. Une goûte coulait du haut de son front vers sa joue. Le silence était passé d’étrange à menaçant. Plus rien ne faisait sens. Sa voix tremblait :

« Je peux ouvrir la porte vitrée si ça te tente d’aller voir.

— Je suis vraiment pas sûr que… »

Ces mots se glacèrent sur-le-champ, noyés par les échos d’un bruit sourd venant du plafond. Leurs yeux se levèrent. Des pas de courses se faisaient entendre au-dessus d’eux. La réalisation ne tarda pas.

Quelqu’un est vraiment dans la maison.

Leurs estomacs se nouèrent. Ils avaient le choix entre l’obscurité totale ou cette présence à l’étage. Le calme se fit à nouveau. Aucun d’eux n’osait parler. Lentement, Alex posa sa main sur le bras du lycéen dans l’espoir d’attirer son attention, mais à l’instant même où il esquissa son geste, les bruits de course repartirent de plus belle et il eut l’immédiate certitude qu’ils se dirigeaient vers l’escalier juste en face d’eux. Il empoigna alors Dany, le traîna au galop vers la cuisine. Il entendit des grattements sur les marches en pierres au moment où il ouvrit la porte du garde-manger. Il poussa le plus grand à l’intérieur et referma la porte derrière eux non sans un grand « clac » qui lui fit grincer des dents. Puis ses doigts encore cotonneux actionnèrent le verrou. Il fit quelques pas vers le fond de la minuscule pièce, avant d’éteindre la lampe dans sa main gauche. Tous deux étaient à présent dans le noir le plus absolu.

« T’es où ? »

Dany avait réellement chuchoté cette question, mais le concerné eut si peur qu’il l’empoigna pour se saisir de sa mâchoire et l’empêcher de parler. Lorsqu’il réalisa que son geste avait été un peu trop brusque, il lui avait déjà flanqué une demi gifle sans le vouloir. Il fallait juste qu’il se taise. Les pas se rapprochèrent, clopinant sur le carrelage et passèrent rapidement devant leur porte. Leur rythme était étrange et sinistre, artificiel presque. Les bruits continuèrent dans la cuisine. De la vaisselle se cassa, des chaises furent bousculées sans ménagement. La présence revint ensuite vers eux et s’arrêta bientôt juste de l’autre côté du mince battant en bois vernis. Ils l’entendirent s’arrêter. Alex sentit sa prise sur l’autre visage s’endurcir. Il ne se rendit pas compte tout de suite que l’adolescent lui avait attrapé le T-shirt et le serrait surement beaucoup trop fort. Avoir un vêtement déchiré était devenu le cadet de ses soucis.

La chose qui guettait lâcha un faible son qu’un animal aurait pu émettre, puis la porte vibra. Il leur fallut toute leur volonté pour rester immobile. Malgré leur sursaut initial, ils avaient gardé le silence. Les pas reprirent et s’éloignèrent. Les deux jeunes restèrent de longues minutes dans la même position, sans bouger, en respirant à peine.


Texte publié par Yon, 7 novembre 2016 à 09h01
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