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tome 2, Chapitre 11 « Une journée presque tranquille » tome 2, Chapitre 11

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Chapitre XI

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Au milieu de la nuit, Root se réveilla et instinctivement ses mains se portèrent sur le dos de Shaw et commencèrent à la caresser. Celle-ci releva la tête et sa bouche commença à tracer un chemin, remontant lentement le long du cou de Root. Elle alterna, baisers légers, succions, la mordilla prudemment, utilisa aussi sa langue. Cela suffit à déclencher de multiples réactions chez Root qui allèrent du gémissement, à une tension qui lui fit arquer tout le dos et partir la tête en arrière. Elle bascula Shaw sur le côté, referma une main dans ses cheveux et lui tira la tête pour l'embrasser. Elle n'eut pas besoin d'user de force, Shaw répondit à son invitation à peine eut-elle amorcé son mouvement.

Elles jouèrent un moment avec leurs lèvres, leur langues, seule la pression de leurs doigts refermés sur le corps de l'autre montrait qu'elles ne pourraient pas longtemps se contenter d'un simple baiser aussi excitant fût-il. Root décrocha la première, elle poussa Shaw sur le dos, sa bouche descendit sur sa poitrine, une main partit, glissa plus bas sur la hanche de Shaw, la serra entre ses doigts puis continua sur ses fesses et vint agripper l'arrière de sa cuisse. Shaw gémit et sa jambe vint s'enrouler autour de Root. Ses mains se perdirent dans ses cheveux. Elle laissa Root passer d'un sein à l'autre, continuer à la caresser, à alimenter son désir, puis quand elle n'y tint plus, elle la tira vers elle pour l'embrasser. Elles gémirent ensemble sous le baiser et leur transpiration se mêla emplissant leurs narines de l'odeur de chacune d'entre elles. Shaw rebascula Root sous elle, rompit le baiser et commença à descendre. Root la retint et lui murmura le souffle court :

« Ensemble Sameen, s'il te plaît, reste avec moi. »

Shaw plongea la tête dans son cou et se décala légèrement sur le corps de Root. Leurs mains descendirent de concert, Shaw s'accrocha à l'épaule de Root avec celle qui lui restait, Root plaça la sienne sur sa nuque. Les deux gémirent et se tendirent dès la première caresse, ensuite elles se laissèrent emporter. Tout leur corps se mit à onduler, elles s'embrassèrent quand elles en trouvaient encore le souffle, ou se contentaient de poser leurs lèvres sur ce qu'elles trouvaient de peau à proximité de leur bouche. Elles basculèrent une première fois, presque simultanément, elle soufflèrent quelques secondes, leurs mains étaient remontées, puis sans que Root et Shaw ne se soient consultées, elles redescendirent et elles repartirent ensemble. Après qu'elles aient basculé une deuxième fois, comme un peu plus tôt dans la nuit, Shaw s'endormit sur Root. Root eut à peine le temps de refermer ses bras sur elle avant de la rejoindre dans son sommeil.

Quand Root se réveilla une nouvelle fois, il faisait jour. Elle était allongée sur le flanc, une de ses mains reposait sur la hanche de Shaw, sa tête sur un de ses bras et elle sentait une des mains de Shaw refermée sur son épaule, l'autre lui caressait doucement d'un doigt léger, la clavicule. Elle ouvrit les yeux et sourit. Shaw ne la regardait pas, elle l'embrassa pour attirer son attention, Shaw leva les yeux sur elle, puis ils retournèrent détailler le corps de Root. Elle s'écarta un peu.

« Tu joues au docteur Sam ? la taquina Root.

- Ce n'est pas très joli, constata Shaw sombrement. »

Root lui caressa l'épaule, là où s'étalait un énorme hématome virant au jaune au milieu duquel trônait encore visible quatre jours plus tard, la marque de ses dents.

« Tu n'as rien à m'envier mon cœur, déclara gentiment Root. »

Shaw reposa ses yeux sur elle. Root lui sourit et eut le plaisir de voir un sourire apparaître sur les lèvres de Shaw. Root adorait son sourire, il changeait entièrement sa physionomie et elle la trouvait craquante quand elle souriait. Root avait toujours été séduite par ce qu'exprimait Shaw à travers son sourire, une joie simple, du plaisir enthousiaste, son humour et même parfois et c'était ce que préférait Root, la complicité qu'elle ressentait avec la personne à laquelle elle dédiait son sourire. Et mieux encore, car si Shaw souriait parfois peu celui-ci se transmettait toujours à son regard et il se mettait à briller. Elle passa un pouce sous sa mâchoire.

« C'est douloureux ?

- Oui

- Désolée.

- Tu as une bonne droite, je suis impressionnée, tu m'as presque mise K.O.

- En même temps, ça t'a réveillée. »

La physionomie de Shaw s'assombrit et elle détourna la tête. Root lui reprit délicatement le menton et lui tourna la tête vers elle, elle l'embrassa doucement.

« C'est okay Sam, c'est fini. Je n'aurais pas dû te laisser.

- Qu'est-ce que tu as fait ? Je sais que tu as été malade.

- N'importe quoi… Tu m'as inspirée sur le coup. »

Root vit l'inquiétude voiler le regard de Shaw. L'inquiétude et la surprise. Apparemment Root avait vu juste concernant le SAS et Shaw n'imaginait pas Root suivre un chemin, un exemple aussi… radical ? Violent ? Dépravé ?

« T'inquiète mon cœur, je ne suis pas allée au bout. Je ne pourrais jamais, même par dépit, aller… euh… comment dirais-tu toi ? Baiser ? C'est ça ? Donc, baiser avec qui que soit, si je t'ai sous la main. Je me suis donc contentée d'un peu de sang et de quelques bouteilles de bières. »

Shaw blêmit. Son estomac se contracta comme sous l'effet d'un coup violent. Les propos de Root lui firent l'effet d'une douche glacée. Celle-ci la connaissait très bien, son côté sombre et stupide ne lui avait même pas échappé. Que Root se soit laissée aller à suivre son exemple, lui déplut. Root ne lui ressemblait pas vraiment et qu'elle ait opté pour se genre de comportement révélait qu'elle avait complètement perdu pied. Shaw en était la cause, elle le savait. C'était terrifiant. Root vit qu'elle était allée trop loin, elle n'avait pas voulu la blesser, seulement la taquiner. Elle réalisa que sa plaisanterie n'était pas drôle, qu'elle était insultante. Elle avait aussi malhonnêtement tenter de se justifier à ses propres yeux et de se trouver des excuses.

« Excuse-moi Sameen, je ne voulais pas… J'étais furieuse, j'ai pris la Ducati, j'ai tué un tas de types dans une planque de Samaritain et bu je ne sais combien de bouteilles de bière, j'ai été malade en rentrant et ça m'a calmée. J'ai été injuste avec toi.

- Descendre des connards ne fait de mal à personne et ça détend toujours. Quand à ta cuite, ça te fera une bonne leçon. Une jolie fille comme toi ne devrait pas boire de la bière, surtout quand elle conduit une moto comme celles que tu possèdes. »

Root la regarda, Shaw lui adressa une moue de sympathie et Root lui sourit timidement en retour. Shaw lui plaqua un baiser sur la bouche.

« Je te pensais pas si stupide Root, tarée oui. Mais stupide ?

- Tu déteins sur moi Sam, lâcha en souriant Root, sa bonne humeur revenue.

- D'où ta droite assassine, c'est ça ?

- Absolument ! répliqua Root très fière.

- Dis Root, où as-tu mis le sac que j'avais avec moi hier soir ? demanda Shaw considérant le sujet comme clos.

- Je l'ai laissé dans l'entrée. »

Shaw se leva et partit chercher son sac. Root en avait pris soin la veille au soir, mais n'en avait pas vérifié le contenu. Un objet lourd, une arme avait-elle soupçonné. Certainement ce que Shaw était allée récupérer à Bronxville. La Machine lui avait déclaré que l'objet lui était destiné. Quand elle vit revenir Shaw elle n'en eut aucun doute, celle-ci rayonnait de contentement, elle jubilait d'avance d'offrir son « cadeau » à Root. Elle posa le sac sur la table basse et l'ouvrit. Root en profita pour récupérer ses affaires de nuit et se rhabiller, elle n'était pas spécialement pudique, mais se retrouver nue, par terre au milieu de son salon sans même un drap pour la couvrir un tant soit peu, lui semblait inconvenant. Shaw par contre se mouvait avec aisance et rien ne trahissait la moindre gêne chez elle, être habillée ou pas, paraissait lui être complètement indifférent. Elle sortit l'arme du sac et l'installa par terre devant Root, elle s'assit en tailleur à côté d'elle.

« Regarde ! lui déclara-t-elle radieuse, je t'ai trouvé un SRS de chez Desert Tactical. Un SRS A1 en plus. Il est pratiquement neuf, Faulkner ne s'en est servi qu'à deux occasions. D'ailleurs, quand je l'ai descendu, il était équipé d'un APR 338. Je ne sais pas pourquoi il avait choisi celui-ci. C'est une bonne arme, mais elle pèse dix kilos et est encombrante. Le SRS est bien mieux pour opérer discrètement. C'est une arme vraiment géniale. »

Root s'approcha, elle dut reconnaître que le SRS semblait être une belle arme, plein de promesses.

« Ce modèle est de trente centimètres plus court que les autres modèles de fusil de précision que tu peux trouver sur le marché. Ce qui est génial, c'est que tu as un châssis, ici c'est un châssis rifle, et tu as la possibilité de moduler ton fusil comme tu veux. Changer la culasse, le canon, les chargeurs. Du coup, en moins d'une minute, il est possible de convertir ton arme comme tu le souhaites, d'utiliser des munitions de calibre 308 Winch, 300 Winch magnum, 338 Lapua Magnum et même du 6,4x45 Lapua. Je n'ai pas trouvé tous les kits de conversion chez Faulkner, mais tu as à ta disposition le calibre 308 Winch avec un canon de vingt-deux pouces et le 338 Lapua Magnum avec un canon de vingt-six pouces, il est plus long, mais pas plus lourd et la portée utile passe de huit cent yards à mille neuf cents yards. En plus quel que soit le calibre choisi, l'arme peut être utilisée à courte distance, ça défonce tout, efficacité garantie. Préfère quand même la configuration 308 Winch, plus courte dans ces cas-là. De tout façon, tout en restant un fusil de précision, tu posséderas en cas de combats rapprochés, même s'il pèse un kilo de plus, une arme plus courte et plus maniable qu'un M16 par exemple… Et si tu en as envie, je pourrais toujours te trouver les autres kits de conversion pour le compléter. »

Elle leva les yeux sur Root en souriant, puis reprit son exposé. Root s'était laissée gagner par l'enthousiasme de Shaw, pour l'arme, pour ses spécificités d'abord. Elle n'était pas aussi obsédée par les armes que Shaw, mais elle appréciait détenir des armes efficientes, de bonne qualité. Elle les avait toujours choisies avec beaucoup d'attention et en prenait le plus grand soin. Cela s'était révélé indispensable lorsqu'elle louait ses services de tueuse à gages. Elle avait toujours visé l'excellence quoiqu'elle entreprenne et son matériel avait toujours été le meilleur qu'on puisse trouver sur le marché… qu'il soit noir ou pas. Ensuite, Shaw avait clairement monté toute cette histoire de récupération pour elle.

À plusieurs reprises, elle l'avait mise en garde contre l'utilisation du Ludis, qu'elle trouvait trop lent, même si elle avait semblé s'amuser avec. Elle lui avait parlé d'un 338. Shaw avait pris l'initiative de demander son aide à La Machine et elles avaient certainement dû d'abord sélectionner l'arme, Shaw avait insisté sur le fait qu'elle était pratiquement neuve, puis mis au point l'opération de récupération. Opération qui avait failli mal tourner, très mal tourner. Pourtant Shaw n'avait à aucun moment renoncé à son idée, et malgré le piège tendu par Samaritain, le traumatisme qu'il lui avait infligé, sa fuite éperdue dans les égouts, son décrochage, Shaw n'avait pas abandonné ce qu'elle était allée chercher. Elle avait bien récupéré le SRS et ne s'en était jamais séparée tout le long de son errance.

« Tout ça pour moi, pensa Root, pour me l'offrir, pour me faire plaisir. »

Shaw ne le reconnaîtrait peut-être pas, mais cela avait été son intention.

« … Tout a vraiment été soigné dans la conception de ce fusil, même les matériaux. Tu ne trouveras rien de mieux, il reste précis et opérationnel quelles que soient les conditions climatiques ou météorologiques. J'aurais bien aimé en avoir un quand j'étais en Afghanistan. Je me suis retrouvée une ou deux fois avec des armes inopérantes, bouffées par le sable, la poussière et la chaleur. J'étais furieuse. Je peux te dire qu'au magasin ils l'ont senti passer. Le seul truc, il n'est pas à 100 % conçu pour être utilisé par des gauchers. Mais tu es droitière pour le tir au fusil, non ? »

Root confirma.

« Tiens, approche-toi, reprit Shaw, je vais te montrer comment on effectue une conversion.

- Ça te dérange si je me place derrière-toi ?

- Si tu vois bien, non. »

Root se leva et s'installa, Shaw entre ses jambes. Elle était plus grande et le menton posé sur l'épaule de Shaw elle observa avec attention celle-ci démonter l'arme, jusqu'à ne laisser que le châssis nu. Shaw plaça les deux canons l'un à côté de l'autre puis fit de même avec les culasses et les chargeurs, expliquant à Root lesquels correspondaient au montage du 308 Winchester et lesquels au 338 Lapua Magnum. Elle monta alors le 308 Winchester, expliquant chaque étape à Root. Quand ce fut fait, elle l'épaula.

« Tu vois c'est simple, dans cette configuration, le fusil est assez léger et très maniable, tu l'essaieras après, je vais te montrer comment le reconfigurer en un temps record . »

En moins d'une minute tout en commentant chacun de ses mouvements Shaw transforma le fusil en 338 Lapua Magnum. Sa dextérité fascina Root. Elle avait même oublié qu'elle avait Shaw complètement nue entre ses jambes, absorbée par sa manipulation de l'arme et ses explications concises et précises.

« Bon, à toi maintenant. Tu as des questions ?

- Non

- T'as tout compris ?

- Oui, je crois.

- Okay, vas-y. »

Shaw se dégagea de Root et se rassit à l'équerre de celle-ci, pour vérifier si elle suivait correctement les consignes qu'elle lui avait données. Root la regarda un instant. La situation lui parut tout à coup saugrenue. Toutes deux assises par terre entre la table basse et le canapé, dans son salon, devant une arme de guerre, lancées dans des exercices de montage et de démontage, elle en tenue de nuit, Shaw nue, concentrée et attentive. Que sa nudité puisse troubler Root ou être inadaptée à l'activité dans laquelle Shaw s'était lancée ne semblait absolument pas lui être venu à l'esprit. Root s'abstint de lancer une plaisanterie qui lui brûlait les lèvres et choisit de rester sérieuse. Shaw lui lançait l'air de rien, un défi. Root avait admiré sa démonstration et écouté avec intérêt son exposé. Elle connaissait ce modèle, mais ne l'avait jamais manipulé. Shaw montrait un enthousiasme communicatif pour sa trouvaille. Root savait que la meilleure façon de lui faire plaisir était qu'elle se montre digne de son cadeau et elle n'avait aucune envie de la décevoir.

« Attends. Hé, tu peux la chronométrer ? Root je peux te faire confiance ? Tu me donneras ton temps sans tricher ?

- Sam !

- Quoi ? Je n'aime pas ne pas contrôler les choses.

- Va chercher une oreillette alors. J'ai laissé celle que tu portais hier sur une tablette dans la salle de bain, au dessus du lavabo.

- D'accord, attends-moi, j'y vais. »

Root la suivit du regard quand elle se dirigea vers la salle de bain. Elle était incroyable, si elles continuaient comme ça, elle pourrait bientôt proposer à Shaw de se faire poser un implant… Elle rêvait peut-être là. Mais vu la façon dont les événements avaient tourné d'abord entre elle et Shaw, puis plus incroyable peut-être encore, entre Shaw et la Machine, tout fantasme méritait de se réaliser, aucun d'être rejeté dans les limbes de l'impossibilité.

Shaw revint, traversant l'espace d'un pas souple, Root se demanda quand elle déciderait de s'habiller, si elle y penserait à un moment ou à un autre. Elle n'aurait jamais imaginé Shaw si… nature. Elle rougit légèrement, se trouvant complètement coincée pour le coup, et tout à coup très consciente des atouts dévoilés par Shaw devant ses yeux. Mais Shaw la ramena, sitôt revenue, à des préoccupations moins libidineuses et beaucoup plus matérielles.

« C'est okay Root, quand tu es prête tu y vas. Le but ce n'est pas la vitesse au départ, je préfère que tu sois lente et que l'arme soit bien montée. Pour la vitesse on verra après.

- Je ne savais pas que tu avais été instructeur.

- Un bon officier a toujours en lui un instructeur qui sommeille, il vérifie toujours l'efficience de ses hommes s'il veut que tout le monde revienne vivant. Je ne pars jamais avec quelqu'un sans avoir évalué par moi-même ses compétences. Je me fous des dossiers et des rapports des autres. J'ai déjà viré des gars ou des filles dotés de notes de service mirobolantes. Que ça n'ait pas plu à la hiérarchie ou au gars concerné, ça m'était complètement égal. Allez, vas-y maintenant. Tu montes d'abord le 308 Winchester, le chrono s'arrête quand tu le tiens prête à tirer. »

Shaw lui donna le top de départ et Root monta le fusil. Une fois qu'elle l'eût épaulé, elle sourit. Le fusil s'avérait aussi agréable que Shaw le lui avait promis et son score-temps s'élevait à 47 secondes.

« Ne sois pas si fière de toi, ce n'est pas le B+ que tu vises, tu dois obtenir un A+. Ne bouge pas. Au prochain top, tu changes la configuration. Prête ? Top ! »

L'histoire du B+ rappela à Root, un conseil qu'elle avait donné à Shaw quand elle l'avait briffée lorsqu'elle avait rejoint la bande de cambrioleurs de Roméo, Shaw ne l'avait apparemment pas oublié. Elle avait compris le système de montage du SRS et exécuta le changement de configuration avec dextérité. Cinquante huit secondes. Elle rayonnait et jeta un regard du coin de l'œil à Shaw.

« Pas mal non ?

- Mouais, ne te réjouis pas trop vite, on va voir ce que tu vaux vraiment. »

Shaw se pencha pour attraper son débardeur. Root se demanda un instant si Shaw allait enfin s'habiller, mais celle-ci se leva, passa derrière elle et s'accroupit.

« Démonte-le. Et range correctement toutes les pièces devant toi. Regarde-les bien. C'est bon ? Tu vas recommencer les mêmes opérations les yeux bandés. Tu dois pouvoir monter et démonter ton arme dans le noir. Ne te plante pas. À chaque faute, je te sanctionne. D'abord tu vas le monter en configuration Lapua, tu l'épaules, tu maintiens ta position jusqu'à ce que je te donne un top, et tu le reconfigures en Winch, tu l'épaules et à mon signal, tu le démontes entièrement. Fais gaffe, au démontage, je veux qu'à la fin tous les éléments soient organisés devant toi comme ils le sont maintenant.

« Tu entends quoi par : « je te sanctionne » ?

- Ça ! répondit Shaw en lui donnant un coup de poing sur le coin de la mâchoire.

- Tu te fous de moi Shaw ? lui lança Root tournant la tête pour la regarder.

- Ne commets pas d'erreur, il te t'arrivera rien.

- Un jour je te ferai payer ton arrogance d'officier à la con.

- Je suis impatiente de voir ça, répliqua Shaw lui adressant une moue de défi. En attendant voyons comment tu vas te débrouiller. Je te laisse trente secondes pour prendre tes marques, après je te bande les yeux. T'auras vingts secondes supplémentaires pour visualiser les éléments posés devant toi et je te donnerai le top départ. Au fait, toi, la boîte de conserve, tu ne l'aides pas. Pas question de tricher, compris ? »

Root se concentra, enfin essaya.

La dernière phrase de Shaw l'avait prise au dépourvu. Shaw était en train d'intégrer La Machine dans la moindre de ses actions, c'était complètement… inattendu ? Déconcertant ? Réjouissant ? Qu'importe, Root était aux anges. Sa concentration l'abandonna à peu près complètement, quand Shaw lui recouvrit la tête avec son débardeur. Ses narines s'emplirent de l'odeur puissante dont Shaw l'avait imprégnée la veille. Elle entendit trop tard le top départ, commit trois fautes, qui furent toutes sanctionnées. Elle abandonna au milieu du deuxième montage et reposa l'arme devant elle.

« Qu'est-ce que tu fous Root ?

- Sam, je… je ne peux pas faire ça. Pas avec ce truc sur mon nez. On recommence si tu veux, mais change-moi de bandeau.

- C'est quoi le problème ? Tu as été complètement nulle là.

- Je sais, je suis désolée, mais je ne peux pas me concentrer avec…

- Avec quoi ?

- Euh, c'est ton débardeur Sameen… il… euh… »

Root hésitait, c'était idiot, mais elle craignait que Shaw se moque d'elle si elle lui avouait que son odeur la troublait. Admettre aussi clairement à Shaw son emprise sur elle, l'intimidait.

« Écoute-moi attentivement Root. Je pourrais très bien te troubler autrement qu'avec ma simple odeur, lui murmura sourdement Shaw à l'oreille, tout en glissant une main autour de sa taille, ce qui n'empêchera pas que tu devras monter et démonter ce fichu fusil sans une hésitation. Alors maintenant tu vas garder ce bandeau sur les yeux et me faire un sans-faute. Je sais que tu en es capable, alors fais-le. Tu ne voudrais pas me décevoir Root ?

- Non, articula difficilement Root alors qu'elle sentit la main de Shaw se glisser dans son short.

- Bien. Concentre-toi alors. »

Shaw retira sa main, leva le bandeau de Root pour qu'elle recommence l'exercice depuis le début. Root secoua la tête pour s'éclaircir les idées, Shaw l'avait coincée. Elle se révélait bien plus fine que Root ne l'avait présumé. Elle souffla profondément et se prépara. Shaw exigeait vraiment beaucoup d'elle et le pire, c'est que celle-ci en était parfaitement consciente. Shaw savait mettre à profit son environnement, la moindre occasion pour servir au mieux à la réalisation de ses objectifs. Elle avait décidé de tester Root et l'avait confrontée aux pires conditions. Elle connaissait Root et savait qu'au milieu du danger, du bruit, de l'urgence d'une situation, des coups de feu, celle-ci était parfaitement capable de garder la tête froide. Elle n'avait peut-être pas calculé que lui mettre son débardeur sous le nez la troublerait, mais elle s'en était tout suite aperçue et avait immédiatement mis à profit cette faiblesse chez Root. « Top ! ». Cette fois-ci, elle commit un sans faute.

« Pas mal. Recommence, j'aimerais que tu passes sous les deux minutes.

- Sam ! protesta Root

- Vas-y. »

Root s'exécuta, elle avait retrouvé son calme, connaissait maintenant l'arme et au premier essai, elle accomplit l'objectif que lui avait donné Shaw. Elle releva le débardeur sur son front et tourna la tête vers Shaw qui se tenait toujours derrière elle.

« C'était bien ? Tu es contente ?

- Mouais, je pense que tu peux faire mieux quand même.

- Et toi Sam ? Tu ferais mieux que moi ? la défia Root.

- Qu'est-ce que tu crois ? répliqua Shaw. »

Root se poussa laissant sa place à Shaw. Celle-ci s'installa à genoux. Elle arracha le débardeur à Root et se le noua autour de la tête. Elle battit Root de deux secondes et la toisa d'un air triomphant. Root ne s'avoua pas battue pour autant, elle reprit le débardeur, poussa Shaw et recommença. Elle gagna une seconde. Vexée Shaw, se replaça face au SRS. À peine s'était-elle noué le débardeur sur les yeux, qu'elle sentit Root s'installer derrière son dos et se coller à elle. Root lui caressa doucement la poitrine et l'embrassa du bout des lèvres dans le cou.

« On va voir ce dont tu es capable si on te rajoute un petit handicap à toi aussi. »

Shaw se troubla et perdit du temps au premier montage, puis elle oublia la main insistante sur sa poitrine et les doigts traçant son prénom sur son ventre. Elle récupéra son retard lors du changement de configuration et du démontage final. Égalité. À la seconde près. Shaw demanda à la machine le décompte en dixième de seconde. Égalité. Au centième. Égalité. Elle accusa La Machine de tricher. Root s'écarta d'elle et éclata de rire, la taxant de mauvaise joueuse. Shaw se renfrogna, reprochant à Root et sa boîte de conserve de se liguer contre elle. Root la serra impétueusement dans ses bras et l'embrassa fougueusement sur la joue.

« Merci Sameen, c'est un très joli cadeau. Il me plaît beaucoup.

- C'est vrai ? l'interrogea Shaw sans même chercher à se dégager d'une étreinte aussi démonstrative.

- Absolument. »

Un sourire enfantin s'épanouit sur les lèvres de Shaw. Il offrait un contraste frappant avec son corps musclé, son corps constellé de cicatrices, ses traits marqués, l'arme de guerre à ses pieds. La beauté de Shaw. Tout ce qu'aimait Root chez elle. Elle regrettait ne pas l'avoir rencontrée plus tôt, sa vie aurait été plus belle, plus pleine. Mais elle l'avait maintenant. Un peu cassée, mais tellement… Root d'habitude si caustique, si prompte à mettre un nom sur chaque chose, sur chaque idée, chaque sentiment, ne savait même plus comment définir Shaw. Elle ne lui donnerait plus aucune chance de filer. Si Shaw voulait rester avec elle, elle la garderait auprès d'elle, elle la suivrait n'importe où, la protégerait contre Samaritain, contre elle-même, contre la vie, contre n'importe quoi. Ensemble, elles écriraient une nouvelle page de l'Histoire, de leur histoire. Root était prête à écrire une saga entière, qu'importaient les coups qu'elle ne manquerait pas de se prendre, si quand elle tendait la main Shaw était là pour la lui attraper, si elle voyait ses yeux briller, son sourire fleurir, quand elle la regarderait. Shaw était une promesse, elle ne la laisserait pas passer.

L'estomac de Shaw émit un gargouillement.

« Mon officier-instructeur de service, mérite une pause-déjeuner ! plaisanta Root. Tu n'as pas dîné hier soir, si ?

- Non.

- Je n'ai plus grand-chose, tu patienterais le temps que j'aille faire quelques courses ou tu préfères que je passe une commande ?

- Comme tu veux.

- Un café et quelques toast te satisferaient pour l'instant ? J'ai envie de cuisiner, mais on ne mangera pas avant... une heure et il n'est que dix heures.

- Je tiendrai. Et un double-café fera l'affaire, pas trop corsé.

- D'accord, je te prépare ça. Tu désires quelque chose de particulier à manger ?

- Non.

- À boire ?

- Bof, répondit Shaw en haussant les épaules.

- Oh ! Deviendrais-tu sage Sam ?

- Ça fera la moyenne avec toi, répliqua Shaw avec une moue entendue

- Très drôle ! J'y vais.

- Root, avant de partir apporte-moi les armes dont tu t'es servies hier soir, si tu as pensé à les ramener… »

Shaw se moquait d'elle, Root ne protesta pas, elle reconnaissait qu'elle l'avait mérité. Elle alla chercher ses armes dans la salle de bain. Elle en profita pour ouvrir la machine à laver. Elle étendrait le linge en revenant. Puis elle passa se choisir une tenue dans le dressing, récupéra un kit de nettoyage pour les Glock, s'habilla et rapporta les armes et le kit à Shaw. Elle lui prépara son café et s'en fit couler un pour elle.

« Sam, du poisson ça t'ira ? Tu auras assez à manger ?

- Ça dépend de ce que tu fais avec.

- Je peux préparer une entrée et des tagliatelles, après il y du fromage et je peux passer chercher un dessert dans une pâtisserie française. Tu aimes leurs gâteaux ?

- Les tartes.

- Je n'aime pas trop celles qu'ils proposent à New-York.

- Prends un gâteau alors.

- Qu'est-ce que tu aimes ?

- Prends ce que tu veux, je te fais confiance.

- La prochaine fois, je te ferai une tarte, je suis assez douée en pâtisserie.

- En quoi n'es-tu pas douée Root ? Explique-moi.

- Je suis touchée par le compliment Sam. Merci. »

Root lui apporta son café et le posa sur la table basse. Elle s'assit dans le canapé et but tranquillement le sien, les yeux fixé sur les épaules de Shaw. Elle rapporta sa tasse à la cuisine, la lava rapidement et retraversa le salon. Avant de s'éclipser, elle se retourna vers Shaw.

« Oh, une dernière chose Sameen, avant de partir…

- Mmm, se contenta de lâcher Shaw occupée à démonter le deuxième Glock.

- Si tu veux vraiment manger, tâche de changer de tenue avant mon retour… Tu m'as occupé l'esprit avec le SRS jusqu'à maintenant, mais en rentrant je ne crois pas que tu pourras encore me détourner de… tes charmes si... généreusement exposés… »

Shaw releva brusquement la tête, regarda Root. Celle-ci lui dédia une moue appréciative laissant ses yeux glisser tout le long de son corps. Shaw se figea, ses doigts se crispèrent sur les pièces qu'elle tenait en main, elle prit brutalement conscience de son corps et rougit furieusement. Elle s'efforça de garder une expression neutre, mais c'était trop tard. Root leva les sourcils en souriant, Shaw, bravache, soutint son regard.

« Ne fais pas cette tête mon cœur, je t'assure que j'ai appré…

- Root, dégage ! Tout de suite.

- À tout de suite mon cœur.

- Fous le camp ! »

Root sortit de chez elle en riant. Elle avait pris les clefs de la Bentley. Elle se déplacerait moins vite qu'en moto, mais ses achats arriveraient en parfait état, ce que ne lui garantissait pas un transport sur une moto.

Root rayonnait de joie, elle se sentait sur un petit nuage, la matinée l'avait enchantée et elle oublia les épreuves qu'elle avait traversées la nuit dernière. Le côté maniaco-dépressif de son comportement ne lui échappa pas, mais si elle ne voulait pas devenir complètement folle ou sombrer dans la plus noire dépression, elle devait savoir profiter des moments de bonheur qui s'offraient à elle, qu'elle partageait depuis une semaine avec Shaw… entre deux crises. Elle s'installa dans la Bentley. Elle n'avait pas choisi la facilité pour ce matin. Mais depuis les repas préparés par Shaw à Vermillon, elles avaient mangé n'importe quoi. Root avait bien eu droit à un bon repas hier soir en compagnie des Mandvi, mais ce qu'elle planifiait c'était un déjeuner agréable en compagnie de Shaw, pour Shaw. Elle avait envie de cuisiner pour elle. Et puis elle avait apprécié les repas qu'elles avaient pris ensemble à Vermillon. Ils s'était déroulés dans le silence, le moment avait été calme, serein. Root s'était sentie détendue et Shaw lui avait paru de même. Elle désirait retrouver cette sensation. Offrir une pause à Shaw.

Plus que ça en fait. Peut-être que Shaw n'y serait pas sensible, mais Root lorsqu'elle avait occupé des postes de commis de cuisine d'abord puis de saucière, de second, dans des restaurants parfois réputés, avait appris que la cuisine pouvait s'apparenter à un véritable acte d'amour. D'abord envers les produits préparés, les plats préparés, mais aussi et surtout, envers ceux à qui ils étaient destinés. Certains chefs vivaient la cuisine, la pâtisserie comme un acte sensuel, amoureux. Cela lui avait d'abord paru étrange, puis elle s'était laissée gagner par leur philosophie. Mais en dehors des missions au cours desquelles elle incarnait une personne dont le poste avait un rapport avec un métier de bouche, elle n'avait pas vraiment eu l'occasion d'exercer ses talents. Avoir Shaw sous son toit lui en fournissait une.

Elle se rendit d'abord à la Dominique Ansel Bakery, dans Lower Manhattan. La pâtisserie du Français était réputée pour être l'une des meilleures de New-York. Tout était fait-maison, et même si les recettes avaient souvent été adaptées aux goûts des New-Yorkais, même si Ansel ne pouvait rivaliser avec des chefs comme Pierre Hermé ou Christophe Michalak, Root retrouvait chez lui le goût des pâtisseries qu'on trouvait dans les meilleures boutiques parisiennes. Elle composa un assortiment qu'elle espérait pouvoir répondre aux goûts de Shaw : des Mini Me's cake, des Paris-New-York, une version du Kouign-Amann selon Ancel, une boîte de short-bread à la cannelle et une boîte de cannelés de Bordeaux. Ça faisait beaucoup, mais elle était sûre que si Shaw aimait, elle aurait assez d'appétit pour tout manger et puis elle préférait prévoir large. Elle rangea soigneusement la boîte dans le coffre de la voiture, regarda autour d'elle et eut soudain une inspiration. Elle referma la voiture et partit à pied un peu plus loin. Elle revint un quart d'heure plus tard et un grand sac rejoignit ses achats de chez Ancel.

Elle reprit le volant, il fallait qu'elle passe chez le poissonnier. Ce n'était pas loin, sur la 9th Avenue. En général, elle se servait à The Lobster Place quand elle n'avait pas le temps de se rendre au grand marché nouvellement installé dans le Bronx. The Lobster Place proposait un large choix de marchandises et les produits manquaient rarement de fraîcheur. Elle consulta l'heure sur le tableau de bord. Il était déjà près de 11h20. Shaw était seule depuis presque une heure et demie. Elle se retint de demander à La Machine de ses nouvelles. Mettre Shaw sous surveillance relèverait vite de l'ingérence, de l'obsession, un piège tentant que Root voulait éviter. Elle espérait que cette fois, Shaw la contacterait si cela s'avérait nécessaire. Elle devait lui faire confiance. Elle boucla rapidement ses achats au Lobster Place, après avoir passé en revue dans sa tête diverses recettes qu'elle connaissait et s'être décidée pour une recette qui demandait peu de temps de préparation et des ingrédients, soit qu'elle avait chez elle, soit faciles à trouver : du « Thon mi-cuit aux condiments et aux épices ». Il lui fallait juste deux pavés de thon, des citrons jaunes, un citron vert, de la salade et un concombre, elle avait tout le reste chez elle. Elle choisit le thon avec soin, bien épais, bien frais. Elle le prit avec la peau, elle se chargerait elle-même de la retirer. Elle acheta aussi une livre de crevettes pour l'entrée et se rendit chez un petit primeur installé à proximité. Elle était en train de choisir ses citrons quand Shaw la contacta.

« Root ?

- Sam ?

- Où es-tu ?

- Je suis à Manhattan près de la 9th Street.

- Tu rentres bientôt ?

- Je serai là dans un peu plus d'une demi-heure. Sameen, pourquoi m'appelles-tu ?

- ….

- Sam ? Ça va ?

- Non.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Je… Root, s'il te plaît, rentre.

- Shaw, où es-tu là ?

- Dans ta chambre.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Rien.

- Tu es assise par terre ?

- Oui.

- Parle-moi Sam. Raconte-moi quelque chose.

- Quoi ?

- N'importe quoi, parle-moi juste. Raconte-moi un souvenir d'enfance, une intervention qui t'a marquée quand tu étais médecin, une histoire de Marines, une mission pour l'ISA, un livre que tu aimes, n'importe quoi Sameen, juste parle-moi. Reste avec moi, j'arrive.

- Euh…

- Sam, ne fais pas l'imbécile, tu es capable de parler pendant une demi-heure, tu l'as fait ce matin, alors vas-y. Passionne-moi pour une de tes aventures, impressionne-moi.

- D'accord. »

Shaw se lança dans la narration d'un week-end prolongé qu'elle avait passé avec son père. Elle avait sept ans, ils venaient de rentrer du Qatar et il l'avait emmenée assister à un match de base-ball. Celui-ci opposait les Mets de New York aux Cardinals de Saint Louis. Shaw et son père supportaient les Mets. Il l'avait invitée à l'occasion de son anniversaire. Le match avait eu lieu le 14 avril au Busch Memorial Stadium de Saint Louis. C'était un vendredi et Shaw avait séché les cours du mercredi, du jeudi et du vendredi. Son père lui avait inventé une excuse bidon. Shaw se souvenait que sa mère avait été furieuse de l'apprendre. Ils étaient partis tous les deux en voiture le mercredi après-midi.

Elle raconta à Root leurs aventures sur la route. Son père l'avait emmenée camper dans la nature et il avait vérifié sa capacité à allumer un feu en respectant toutes les règles de sécurité. Le lendemain en repartant, ils avaient crevé sur la route et il lui avait appris à cette occasion, comment changer une roue. Elle avait dû elle-même retirer tous les boulons et trouver un moyen de débloquer ceux qui étaient grippés. Ensuite Root eut droit à la description détaillée du match. Shaw se souvenait du nom de la plupart des joueurs des deux équipes, Gary Carter, Dwight Gooden, Keith Hernandez, David Cone surtout lors de ce match... pour les Mets, Tony Penna, Jose Oquendo, Pedro Gurrero et ce pauvre Joe Magrane... pour les Cardinals. Elle lui détailla toutes les phases du jeu. C'était impressionnant. Sa mémoire des événements était très précise malgré l'âge qu'elle avait à cette époque.

Root avait été surprise par le choix de son souvenir. Elle s'attendait à ce qu'elle lui raconte une histoire remplie de tirs, d'exploits guerriers mettant en valeur sa témérité, son intelligence, toutes les capacités dont Shaw savait faire preuve dans l'action, et à la place, elle avait droit à un souvenir de petite fille enthousiasmée par la première vraie sortie américaine en compagnie de son père dont elle gardait un souvenir détaillé. C'était... surprenant.

Root rentra le plus rapidement qu'elle pût. La circulation s'était densifiée et elle mit plus des quarante minutes normalement nécessaires, pour rejoindre Brooklyn. Elle trouva, chanceuse, une place sur Starling Place, tout près de chez elle. Elle prit le temps de récupérer ses achats dans le coffre et pressa le pas. Shaw lui avait parlé durant tout le trajet. Root avait dû la relancer une ou deux fois, quand Shaw s'était soudainement arrêtée à la fin d'une phrase, pour l'empêcher de perdre le contact.

Root ne connaissait pas grand-chose au base-ball et à ses règles avant ce jour-là. Maintenant, elle était nettement plus au point. Shaw avec sa clarté habituelle lui avait expliqué en détail toute les subtilités du jeu. Elle savait même ce qui faisait la différence entre la ligue Américaine et la ligue Nationale. Tandis que Shaw lui racontait comment une fois encore le légendaire Gary Carter, le meilleur receveur de toute l'histoire du base-ball américain, celui qui avait emmené les Mets à la victoire en 1986 face aux Red Sox de Boston, avait déçu les supporters malgré ses performances et qu'on le sentait sur le déclin, Root déposa ses courses dans la cuisine. Elle remarqua au passage, du linge plié avec soin sur la table basse du salon. Elle y reconnut l'ensemble des affaires qu'elle avait mises à laver le soir précédent. Quand elle ouvrit la porte de sa chambre Shaw lui décrivait l'explosion de joie qui avait suivi le coup de sifflet final de la partie que Mets avaient gagné neuf points à quatre. Les supporteurs qui l'entouraient avait hurlé leur joie, levé les bras au ciel, trépigné. Shaw avait été choquée par le bruit, les cris. Elle était contente que son équipe ait gagné, mais pas au point de devenir complètement hystérique. Elle essaya d'expliquer à Root pourquoi elle s'était sentie décalée, mal à l'aise. Elle s'arrêta de parler quand la main de celle-ci se posa sur son épaule.

« Sam, c'est bon je suis rentrée. »

Shaw leva la tête, lui passa une main derrière la nuque, replongea la tête entre ses bras tirant Root contre elle. Root se laissa entraîner. Elles restèrent un long moment sans parler, sans bouger, tête contre tête. Puis Root lui tapota doucement l'épaule.

« Sameen, qu'est-ce qui s'est passé ?

- Je ne sais pas Root. J'ai nettoyé tes armes, le SRS, j'ai tout rangé. Je ne savais pas quoi faire ensuite. En allant dans la salle de bain, pour me brosser les dents, j'ai vu que tu avais fait tourner une machine. J'ai trouvé un fer, cherché la planche et j'ai tout repassé, mais… je ne me sentais pas bien.

- Pourquoi ?

- Je n'en sais rien. J'ai essayé de ne pas glisser, mais je… je n'ai pas pu. Ça n'allait pas. Je ne savais plus si... j'ai commencé à transpirer... à...

- À...? l'encouragea Root.

- À être terrifiée, avoua Shaw. Après je t'ai appelée.

- Tu as bien fait.

- Root, je… j'ai… »

Shaw la lâcha et se redressa, elle attrapa un objet posé à côté d'elle. La chambre était plongée dans l'obscurité et Root ne distingua pas tout de suite ce dont il s'agissait. Sa vision s'ajusta et elle reconnut le couteau que Shaw portait toujours sur elle.

« Sam ? Qu'est-ce que... »

Root se releva et actionna la commande des volets. Elle les ouvrit juste assez pour éclairer suffisamment la chambre sans la plonger dans une lumière trop agressive. Elle revint vers Shaw. La lame du couteau était tâchée de sang.

« Sam !… Lève-toi. »

Shaw se remit lentement sur ses pieds. Elle était pâle, les traits tirés.

« Montre-moi, Sameen. »

Shaw releva son tee shirt. Elle avait deux profondes entailles longues d'une quinzaine de centimètres sous la poitrine. Le sang coulait et avait imbibé la ceinture de son jean.

« Sam, souffla Root. »

Elle entraîna Shaw avec elle dans la salle de bain, la fit s'asseoir et lui demanda de l'attendre sans bouger. Elle revint cinq minutes plus tard avec des vêtements propres et de quoi lui faire un pansement. Elle demanda à Shaw de se déshabiller et nettoya les plaies et le sang. Les entailles, à première vue, auraient mérité des points de suture, Root les tâta délicatement et conclut, soulagée, que des stéritrips feraient aussi bien l'affaire. Elle tendit une serviette à Shaw pour qu'elle compresse ses blessures et que le sang s'arrête de couler. Elle en profita pour couper les stéritrips.

« Lève les bras Sam, ce sera plus facile.

- Root, je...

- Tu aurais dû m'appeler plus tôt.

- J'ai cru que je pourrais gérer.

- Ce n'est pas grave. N'attends pas la prochaine fois. Et... si je ne suis pas là Sam, tu peux faire confiance à La Machine, elle t'aidera. Je ne comprends pas pourquoi elle ne m'a pas prévenue d'ailleurs.

- J'étais en train de t'appeler, quand j'ai fait ça... je n'aurais pas pu sinon. Le sang, la douleur, l'auto-mutilation, c'était pour garder le contrôle. Je sais, c'est nul, mais...

- Ce n'est pas nul Sameen, ne dis pas ça. Tu as atteins ton objectif non ?

- …

- Tu ne voulais pas décrocher. Tu as réussi ou pas ?

- Mmm, acquiesça Shaw la regardant pour la première fois depuis que Root la soignait.

- Alors, explique-moi où est le problème ? Tu as marqué un point Shaw, tu devrais plutôt être contente de toi. Non ?

- Mouais, tu as raison, mais...

- Si je n'avais pas été là ? Arrête avec tes raisonnements stériles, je te croyais plus intelligente que ça. Je suis là. Je ne suis pas une supposition. Ce n'est pas toi qui es passée maître dans l'art de savoir toujours mettre à profit son environnement ? Ce n'est pas ce que tu as fait ? Le seul reproche que je puisse te faire c'est d'avoir réagi un peu tard, sinon tu as été parfaite. Allez, habille-toi, j'ai fini et j'ai besoin de toi pour préparer le déjeuner. »

Shaw changea de jean et enfila le débardeur que Root lui avait apporté. Root prit ses affaires et les jeta dans le bac à linge sale avec la serviette qui avait servi de tampon. Elle s'apprêtait à récupérer le matériel de soin quand Shaw lui assura qu'elle allait s'en charger et tout laver. Root la laissa et partit s'occuper du déjeuner, lui intimant de se dépêcher si elle ne voulait pas manger trop tard.

Quand Shaw la rejoignit, Root lui donna les crevettes qu'elle avait achetées à décortiquer, lui demandant de ne pas retirer les queues. Shaw remarqua que Root avait sorti et placé près d'elle les ingrédients dont elle devait avoir besoin. Shaw admirait son sens de l'organisation, de l'ordre. Sous ses dehors extravagants, Root faisait preuve d'un esprit méthodique. En fait, son appartement reflétait sa personnalité. Tout y était ordonné avec soin, le dressing, l'armurerie, la cuisine, son bureau. Shaw jeta un regard sur sa bibliothèque, elle était curieuse de voir comment Root y avait classé ses livres, ce qu'elle lisait aussi. Elle n'avait pas pris le temps de l'inspecter, c'était une erreur de sa part. Même quand les gens mentaient et se fabriquaient de fausses bibliothèques, celles-ci trahissaient leur propriétaire. Petite, elles avait souvent joué à dresser le portrait psychologique des gens chez qui son père et surtout sa mère, qui ne s'était jamais découragée à sociabiliser sa fille, l'emmenaient. Elle avait parfois, par provocation, exposé le fruit de ses observations, sur un ton plat, à sa mère et il était arrivé plusieurs fois, qu'ulcérée, sa mère ait conclu son rapport par une retentissante gifle que Shaw encaissait avec un sourire en coin.

Shaw se lava les mains après avoir terminé la tâche que Root lui avait confiée.

« Sam, donne-moi la bouteille de whisky, pas le Glenfarclas, l'autre. Au fait, le sac là, lui indiqua-t-elle du menton. C'est pour toi pour toi mon cœur, je pense que ça te plaira. »

Shaw se retourna vers le sac posé sur le comptoir. Elle l'attrapa, curieuse de voir ce que Root avait pu lui rapporter. Des chaussures. Deux paires. Elle partit dans le salon, sortit les deux boîtes et les examina. Des Doc Martins noires et des bottines de ville. Les pointures correspondaient. 38 pour les Doc, 37 et demi pour les bottines. Elle ouvrit les boîtes. Root avait pris un modèle classique pour les Doc, le 1460 For Life. Elles étaient parfaites pour le tout terrain : solides, souples, confortables. Quant aux bottines... Elles plurent tellement à Shaw, qu'elle en caressa le cuir.

« Essaie-les. Normalement ça devrait aller, mais avec les chaussures on ne sait jamais. »

Shaw enfila les deux paires l'une après l'autre, marcha, s'accroupit pour tester leur souplesse. Les deux paires étaient aussi confortables l'une que l'autre.

« Alors ?

- C'est parfait.

- Je n'ai pas fait d'erreur alors ?

- Vu l'aide dont tu bénéficies, ce serait difficile.

- Sameen ! Tu me déçois, lui reprocha Root. Tu crois que j'ai besoin d'aide pour t'acheter des chaussures… ou autre chose d'ailleurs. Je connais toutes tes mensurations par cœur… Depuis longtemps. Pas besoin de La Machine pour ça. »

Shaw remercia le ciel que Root ne puisse pas la voir d'où elle était placée. Elle retira avec regret les bottines, remit les deux paires dans leur boîte et alla les ranger dans le dressing. Quand elle revint dans le salon Root finissait de mettre le couvert sur le comptoir. Elle retourna ensuite à sa plaque de cuisson. Elle avait mis de l'eau à bouillir et maniait une poêle dans laquelle elle faisait revenir de l'ail, des oignons et du gingembre frais. Ça sentait très bon.

Shaw s'approcha derrière elle. Elle lui passa les bras autour de la taille, se colla à elle et appuya son front entre ses épaules. L'étreinte, tendre, coupa le souffle à Root. Elle lui rappela celle dont l'avait gratifiée Shaw le soir précédant sur la moto. Elle continua sa préparation sans réagir. Shaw tourna la tête et Root sentit sa joue se frotter doucement contre elle, cherchant une place confortable. Elle versa les crevettes dans la poêle, les fit sauter deux minutes, les arrosa de Whisky puis les fit flamber, Shaw toujours collée doucement à elle. C'était un peu perturbant, mais Root quel que fut l'inconfort de la situation se garda bien de manifester la moindre observation. Elle regretta même que son plat soit prêt. Si elle avait pu prédire l'attitude de Shaw, elle aurait prévu des plats demandant une longue, très longue préparation.

« C'est prêt Sameen. »

Shaw relâcha son étreinte et se détacha de Root pour aller s'asseoir au comptoir. Elles déjeunèrent en silence. Après les crevettes, Root saisit les deux pavés de thon à feu vif et les servit deux minutes plus tard. Elle posa la salade qu'elle avait préparée sur la table, passa les pâtes et les versa dans un plat, les arrosant d'un filet d'huile d'olive. Shaw mangea de bon appétit, le repas était excellent, de l'entrée au dessert. Depuis longtemps elle ne prenait jamais le temps de bien manger. Elle n'aimait pas cuisiner pour elle et quand elle avait faim, elle devait manger tout de suite, qu'importe ce que c'était. Mais c'était agréable de bien manger… d'autant plus avec quelqu'un en compagnie de qui elle se sentait à l'aise, qui ne cherchait pas à lui faire la conversation… d'autant plus quand elle savait que le quelqu'un en question avait préparé le déjeuner à son intention… et y avait mis tout… tout son… rien du tout conclut Shaw lâchement. Après avoir bu son café, Shaw proposa de s'occuper de la vaisselle.

« D'accord, merci Sam. Dis, je dois me mettre à mes ordis, La Machine m'a demandé de l'aide, je pense que j'en aurai pour l'après-midi.

- La Machine te demande de l'aide ? En informatique ?

- Travail d'équipe mon cœur. Ce que je fais avec toi, je le fais aussi avec elle. »

Évidemment, pensa Shaw. Root remarqua son expression.

« Jalouse ? la taquina Root. Tu ne devrais pas Sameen. Je partage ton opinion quant au manque de compétence de La Machine dans certains domaines. »

Elles échangèrent une moue complice et pour une fois Shaw ne se défila pas. Root sourit et partit se plonger dans son monde virtuel. Shaw, de son côté, mit à exécution l'idée qu'elle avait eu plus tôt, l'analyse de la bibliothèque de Root.

C'était intéressant. Root avait des goûts plutôt éclectiques aussi bien en ce qui concernait le genre de ses lectures que le choix des auteurs. Une bonne partie de sa bibliothèque contenait des ouvrages rédigés en langue étrangère. Root apparemment n'appréciait pas les traductions. Il y avait des titres espagnols, français, allemands, italiens, russes, chinois et même deux recueils de poésie en arabe. Shaw en tira quelques uns des rayonnages et vit que Root les avaient achetés lors de ses déplacements à l'étranger, les étiquettes portaient parfois l'adresse de librairie à Buenos Aires, Séville, Turin, Chengdu, Shanghai, Paris, Saint-Pétersbourg, Moscou, Beyrouth, Amsterdam, Leipzig, Vienne, Genève… Un véritable tour du monde. Shaw y trouva des livres d'histoire, de géopolitique, des traités d'économie, de théologie, des essais philosophiques, des récits de voyage, mais aussi des romans classiques couvrant une bonne partie de la littérature mondiale. Les livres étaient classés par thème, par pays ou par genre.

L'organisation répondait à la vision que Root avait du monde. Elle trouva des ouvrages de Boulgakov classés avec les romans fantastiques, un avec les biographies, un parmi les auteurs russes et un dernier parmi ce que Shaw put déterminer comme une rubrique « expérience de vie ». Shaw connaissait bien cet auteur et si la dispersion des titres pouvait paraître étrange, elle reconnut que le rangement opté par Root était assez pertinent. Elle sortit « Les œufs fatidiques ». C'était une nouvelle qui l'avait toujours beaucoup amusée, elle aimait la style incisif de Boulgakov, sa fantaisie, sa profonde réflexion sous l'apparente légèreté du propos.

Étudiante, elle avait été touchée, révoltée par une nouvelle qu'il avait écrite, « L'éruption étoilée » Un récit autobiographique de l'auteur. La nouvelle racontait comment il s'est heurté à l'aveuglement, la bêtise et l'ignorance des gens, des autorités. Jeune diplômé, il avait été nommé dans un hôpital rural de la région de Smolensk. La population entière de certains villages se mourait de la syphilis, les enfants comme les adultes. Mikhaïl Boulgakov s'était battu, avait échoué à ne serait-ce que sauver une seule personne. Quand ensuite, elle s'était retrouvée face à un cas désespéré, elle y repensait et y trouvait la rage de se battre contre l'inéluctable. Elle refusait de se laisser vaincre par la maladie ou l'ignorance. Au contraire de Boulgakov, elle aurait le dernier mot, elle ne baisserait jamais les bras, elle s'acharnerait à vaincre.

Elle avait besoin de se détendre. « Les œufs » n'étaient pas trop longs, ils lui occuperaient l'esprit pendant l'après-midi et lui rafraîchiraient un peu sa maîtrise du russe écrit. Elle se munit d'un dictionnaire russe-anglais, s'installa confortablement dans un fauteuil les jambes passées par-dessus un accoudoir et se plongea dans la Russie au temps de la fière Union Soviétique. Au bout d'une heure, le silence commença à lui peser. L'angoisse à prendre possession d'elle. Elle ramassa le dictionnaire et se dirigea vers le bureau. La porte était fermée. Shaw frappa.

« Tu peux rentrer Sameen. »

Shaw entra, Root lui jeta brièvement un coup d'œil et devant son silence retourna à ce qu'elle était en train de faire. Shaw appréciait ça chez elle, cette absence d'inquisition, cette capacité à accepter le silence, à ne pas le percevoir comme un manque de communication, mais comme un élément prenant naturellement sa place dans une relation. Dans leur relation. Shaw s'assit par terre, presque aux pieds de Root, le dos appuyé contre le bureau. Elle ouvrit son livre sur ses genoux, mais ne put retrouver sa concentration, sa respiration commença à devenir saccadée, elle ferma les yeux, essayant de se contrôler.

« Sam. »

Shaw leva la tête. Root, sans la regarder, s'avança sur le bord de sa chaise et continua à taper sur son clavier. Shaw posa son livre à côté d'elle, se remit sur ses pieds et enjamba la chaise. Elle s'installa derrière Root dans l'espace que celle-ci lui avait ménagée entre elle et le dossier de la chaise. Elle enroula ses bras autour de sa taille et sa tête reprit, comme auparavant dans la cuisine, sa place dans son dos. Elle se sentait mal. Elle serra Root contre elle et se mordit les lèvres jusqu'au sang.

Elle entendait le cœur de Root battre contre son oreille et se concentra sur son rythme. Boum. Boum, boum. Boum. Boum, boum. Elle accompagna chaque battement par un son sourd. Le rythme lancinant, la résonance en résultant, la détendirent petit à petit. Root entendait Shaw vibrer, dans son dos. C'était curieux et cela devint vite hypnotique. La Machine dut la rappeler à l'ordre pour qu'elle ne s'abandonne pas à la sensation et cesse toute autre activité. Root se remit à pianoter. Shaw s'apaisa doucement derrière elle. Ses bras se relâchèrent et vingt minutes plus tard ses mains tombèrent abandonnées sur les cuisses de Root. Elle s'était endormie.

Root finit ce que La Machine lui avait demandé. Comme elle ne savait trop quoi faire ensuite ne voulant pas réveiller Shaw, La Machine lui proposa de s'amuser à pirater des sites protégés, à contourner des pares-feux. Elle fut tentée de s'attaquer à Samaritain. La Machine la mit en garde, elles n'étaient pas prêtes à s'aventurer sur les plates-bandes de Samaritain. Root n'était pas prête. Pas encore. Et elle, La Machine n'en était pas capable. Pas tant que ses propres programmes lui interdisaient de dépasser le stade de la défense passive. Root se mordit les lèvres. La Machine devait grandir, prendre son essor, acquérir de l'expérience et développer ses facultés à se défendre activement, à contre-attaquer.

Root était sûre de pouvoir vaincre Samaritain si la Machine atteignait enfin la maturité. Il fallait qu'elle parle à Harold. Ils allaient mordre la poussière s'il continuait à brider La Machine. Mais Harold l'avait créée, c'était son père. Elle, elle n'était rien, juste son interface et seulement parce que La Machine, pour une raison obscure l'avait choisie. Enfin, obscure... La Machine l'avait identifiée comme une fanatique dénuée de tout sens moral, elle l'avait testée et avait compris qu'elle lui serait dévouée jusqu'à la mort. Root se sentit déprimée. Elle pianota :

« Tu… elle renonça à taper la suite, c'était ridicule.

- Tu es unique Root, afficha La Machine sur l'écran.

- Pourquoi me dis-tu ça ? pianota Root en réponse.

- Parce que c'est ce qui t'inquiète. Tu es unique, comme personne, tu es unique pour moi comme tu sais l'être pour Sameen.

- Pourquoi ?

- Tu es trop humaine pour que je t'explique mathématiquement pourquoi. Réponds d'abord à cette question : pourquoi aimes-tu Sameen ?

- Parce que…

- Parce que ?

- Il y a des milliers de raisons, et aucune n'est vraiment valable. La seule réponse valable est juste « parce que... ».

- Je te donnerai la même réponse à ta question alors. »

Root soupira. Shaw se frotta à elle dans son dos.

« Root ?

- Sam.

- Je… on est où là ?

- Euh… chez moi.

- Ah… Oui, c'est vrai… Euh, Root désolée, je t'ai bavé dessus. Il est quelle heure ?

- Presque sept heures.

- Je vais prendre une douche, faut que je me rafraîchisse les idées. »

Shaw se dégagea de la chaise, récupéra de quoi changer son pansement dans la pharmacie et planta Root devant son bureau sans ajouter un mot. Root, un peu dépitée par sa brusque disparition, appela Harold. Il était en déplacement pour le week-end. Son département avait organisé un séminaire à Cincinnati et il ne rentrerait que tard dimanche soir. Harold devina qu'elle voulait lui parler et lui proposa de se rencontrer le lundi matin avant ses cours à la station. Elle entendit quelqu'un l'appeler, il s'excusa et prit rapidement congé. Root était contrariée. Elle céda à une impulsion, accéda au système de La Machine et tapa une ligne de code. Elle hésita un long moment et retapa une nouvelle ligne. Elle éteignit ses moniteurs. Elle était furieuse contre elle-même. Elle n'arrivait pas à prendre une décision définitive. À passer par-dessus Harold, prisonnière de l'admiration qu'elle lui vouait pour avoir créé l'enfant-dieu. Elle était stupide.

Lundi... dans trois jours. Il fallait qu'elle bouge. De toute façon, elle se voyait mal passer le week-end à ne rien faire avec Shaw dans les jambes. Celle-ci avait clairement du mal à récupérer. Elle avait besoin de se changer les idées, de cultiver sa confiance en elle et rien ne valait l'action pour ça, que ce soit d'une façon ou d'une autre. Root pouvait s'en charger, avec plaisir, pour une partie, mais face à Shaw elle ne tenait pas la distance. Shaw l'épuisait, elle débordait d'énergie et si on ne la canalisait pas, elle menaçait d'exploser. Root recontacta La Machine à haute voix, elle leur trouverait bien de quoi s'occuper pendant deux jours. Cinq minutes plus tard, elle frappait à la porte de la salle de bain.

« Sameen, je peux entrer ?

- Oui.

- Sam, on va par... »

Root oublia la fin de sa phrase en découvrant Shaw debout, torse nu, une serviette nouée autour des hanches. Un peigne à la main, elle se coiffait. Elle était légèrement penchée , la masse de ses cheveux mouillés rassemblée sur le côté, les jambes légèrement écartées, elle contractait les abdominaux pour maintenir sa posture. Root resta béate. N'ayant pas entendu la fin de sa phrase, Shaw marmonna à Root.

« Qu'est-ce que tu veux ?

- Je ne sais plus.

- Root ! l'interpella Shaw en se campant devant elle.

- Si tu veux que je te parle ne m'approche pas.

- Pff... Tu es vraiment débile.

- Tu es vraiment troublante.

- C'est ton problème.

- Je peux faire en sorte que ça devienne le tien, mon cœur.

- Root, si tu t'approches sans m'avoir dit avant ce que tu veux, je te tue.

- Ah oui, tu ferais ça ? lança Root tentatrice.

- Arrête, s'énerva Shaw.

- D'accord. On part dans deux heures et demie pour La Guardia. Destination Chihuahua. Je voulais te demander de te charger de nos bagages. Tu m'as impressionnée quand nous sommes parties à Cleveland. Je n'étais jamais partie avec un sac aussi bien fait.

- Qu'est ce qu'on va y faire ?

- Je ne sais pas... euh si : cocktail mondain, négociations avec un député, opération de protection. Il nous faut les Herstal et... mon SRS... ? C'est vrai ? Oh super, s'écria Root ravie à l'adresse de La Machine.

- Je n'ai pas de chaussures pour un cocktail, observa Shaw.

- Ne t'inquiète pas, la Machine t'en fera livrer là-bas. Sameen, tu as besoin de combien de temps pour tout préparer ?

- Deux heures et demie. »

Root la fixa d'un air déçu.

« Fiche le camp Root, si tu restes ici nous serons jamais prêtes dans deux heures.

- Ah ! C'est pour ça ! On peut peut-ê...

- Root dégage ou je te sors à grands coups de pieds dans le derrière.

- Tu n' as pas besoin d'aide pour changer ton pansement ? Il est mouillé. »

Shaw empoigna Root sans douceur par les épaules et la poussa rudement hors de la salle de bain.

« Va faire ta part de boulot. Attends... Juste un moment. Je... J'avais un épilateur. Tu ne l'as pas trouvé ?

- Non, ça ne me dit rien. Mais il y en a un dans le placard sous le lavabo, tu peux t'en servir, si ça ne te gêne pas. »

Shaw la regarda comme si elle avait sorti une énormité, mais Root fut incapable de savoir en quoi elle consistait et elle n'eut pas le temps de lui demander, Shaw lui claqua la porte au nez. Au moins sa sieste contre Root et sa douche semblaient l'avoir remise d'aplomb, par contre Root ressentit le besoin urgent de trouver un dérivatif à sa frustration. Shaw prit une heure pour s'occuper d'elle, retrouvant des gestes qu'elle avait presque oublié durant sa détention. Elle prenait soin de son corps et, même si personne parfois ne le remarquait, de son apparence, depuis son enfance. Elle avait été éduquée ainsi. Ses cheveux, elle n'avait pas vraiment le choix en ce qui les concernait, sa pilosité, sa peau, ses yeux. Elle n'aimait pas trop se maquiller, elle trouvait que ce geste quotidien pouvait vite s'avérer une perte de temps inutile, mais elle avait toujours utilisé de l'eye liner depuis qu'elle était rentrée à la fac et sa technique était très au point pour se souligner le regard, il lui suffisait d'à peine quelques secondes pour l'appliquer.

Elle pensa à Samaritain, à Greer et une grimace de dégoût lui déforma les traits. C'étaient des vicieux, tous. Ils s'étaient occupés d'elle durant sa détention. Elle avait eu le droit à des séances d'épilation. Elles avait haï ces moments. Au départ, elle n'avait pas compris quel en était le but, par la suite si. À chaque fois, qu'elle avait vu Greer ou Lambert arriver avec une infirmière accompagnée de trois ou quatre gardes, un sourire malsain affiché sur le visage, lui déclarant :

« On va vous faire une beauté, Sameen. »

La rage l'avait submergée. Ils choisissaient toujours un moment où elle sortait sonnée d'une simulation ou d'une inconscience provoquée par une drogue quelconque. Ça ne l'avait jamais empêchée de vivement réagir. Les premières fois, elle avait réussi à envoyer au tapis un garde ou deux, elle en avait même tué un, une fois. Ils n'avaient pas pour autant abandonné, mais s'étaient montrés par la suite, beaucoup plus prudents.

Elle s'était pris des coups, elle avait été attachée serré, parfois tasée et si elle menaçait de devenir incontrôlable, ils lui injectaient un genre d'anesthésiant qui tout en la gardant consciente, point indispensable à la réussite de la séance, l'empêchait de garder le contrôle de son corps. Une fois maîtrisée, ils la déshabillaient et elle avait droit à une épilation complète, des pieds à la tête. Shaw n'avait jamais confié son corps à personne, elle détestait qu'on la touche. Elle avait un rapport très intime à celui-ci, elle l'aimait, elle en prenait soin et elle considérait qu'il lui appartenait à elle seule. Elle avait vécu ses moments comme de véritables séances de torture psychologique. Des viols répétés l'auraient laissée pratiquement indifférente, elle savait faire face à la violence, mais ça ? C'était pervers.

Shaw secoua la tête, un goût de bile dans la bouche. Elle fixa ses pensées sur Root. Un rire bref la secoua. Sa tête quand Shaw l'avait vidée de la salle de bain ! Rassérénée, Shaw retrouva son calme et s'occupa d'elle. Ensuite, elle refit son pansement face à la glace. Si elle posa les stéritrips correctement, elle jugea que le reste ressemblait à du travail bâclé. Elle haussa les épaules et enfila son débardeur. Root lui aurait arrangé ça avec compétence, elle était assez douée reconnaissait Shaw, mais elle craignait que celle-ci cède à des pulsions qui les emmèneraient un peu trop loin. Shaw savait qu'elle ne lui résisterait pas, si elle se montrait trop entreprenante, c'était tentant, mais elles n'avaient pas le temps. Pas assez de temps. Un sourire effleura ses lèvres, elle en trouverait plus tard se promit-elle, pour l'instant elle devait préparer leurs affaires. Shaw exécuta sa tâche avec célérité et ne négligea pas de faire appel à Root pour être sûre de ne rien oublier.

« Root, je suis prête, on y va quand tu veux, l'informa-t-elle deux heures plus tard.

- Okay, pour moi aussi c'est bon. Comment t'es-tu habillée ? »

Shaw portait un pantalon en coton épais, genre tailleur, une chemise noire et ses nouvelles bottines. Elle était très séduisante. Shaw remarqua son regard appréciateur et soupira.

« Pff... Root vraiment…

- Quoi ?

- Rien. On part ou quoi ?

- Attends, il faut que je me change. »

Quand Root réapparut elle portait un tailleur noir, très bien coupé, un top noir et des escarpins à talon haut. Elle s'était maquillée et coiffée avec soin.

« Je te plais ? demanda-t-elle séductrice à Shaw.

- Pff...

- Sameen… la supplia Root.

- Oui, concéda Shaw, T'es contente maintenant ?

- Si tu savais.

- Bon Root, on y va là ?

- La limousine nous attend en bas de l'immeuble.

- Carrément ?

- Carrément. Je t'offre un voyage première classe mon cœur, tu vas adorer. »

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Notes techniques :

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1 : Conversion des mesures :

canon 22 pouces : 55,88 cm.

canon 26 pouces : 66,04 cm.

Distance de 800 yards : 731 mètres.

Distance de 1900 yards : 1 737 mètres.

2 : le M16 est le fusil d'assaut standard utilisé dans l'armée américaine

Poids comparatifs : M16 chargé : 3,640 kg / SRS 308 Winchester : 4,79 kg / SRS 338 Lapua Magnum : 4,94 kg.

Longueurs comparatives (configurations à la disposition de Root) : M16 : 999 cm / SRS 308 Winchester : 82,55 cm / SRS 338 Lapua Magnum : à peine 1 mètre.

Notes sur le match auquel Shaw et son père ont assisté :

Le match opposant les Mets de New-York aux Cardinals de Saint Louis a eu lieu le 14 avril 1989.

Pour des raisons de cohérence, entre autres avec la longueur de ses études de médecine, j'ai fait naître Shaw en avril 1982. (Pour de plus amples informations, veuillez me consulter !)

Pour ceux qui veulent essayer le plat préparé par Root pour Shaw :

Thon mi-cuit aux condiments et aromates

recette de Jérôme Gagneux.

(10mn de préparation, 5 mn de cuisson.)

Ingrédients :

4 pavés de thon sans peau, ni arête de 150g chacun, 3 gousses d'ail, 2 échalotes,1 oignon blanc, 25cl d'huile d'olive, 3 citrons,1 cuillère à café de grains de coriandre moulus, 1 brin de thym, 1 cuillère à café de poivre, les zestes de 2 citrons verts hachés, 1/2 cuillère à café de cannelle.

Pour l'accompagnement :

1 laitue sucrine, 1 concombre, 20 g de gingembre confit.

Pour l'assaisonnement :

20cl de mayonnaise, 10cl de crème fraîche, 1 citron.

Préparation :

Hacher finement les gousses d'ail, les échalotes et l'oignon blanc. Les mélanger avec l'huile d'olive, le jus des trois citrons. Ajouter les grains de coriandre moulus, le brin de thym effeuillé, le poivre, les zestes de citrons verts hachés et la cannelle.

Badigeonner légèrement d'huile d'olive les pavés de thons, les saisir à feu très vif dans une poèle, 1mn de chaque côté. Les napper du mélange précédent. Les servir aussitôt.

Accompagner d'une salade laitue sucrine mélangée à du concombre et à du gingembre confit coupé en petit dés.

Assaisonner avec une mayonnaise allongée de crème et de citron.

Bon appétit !


Texte publié par Mélicerte, 27 août 2017 à 18h23
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tome 2, Chapitre 11 « Une journée presque tranquille » tome 2, Chapitre 11
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