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tome 2, Chapitre 8 « Un sénateur corrompu. » tome 2, Chapitre 8

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Chapitre VIII

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Le jour baissait quand Root se réveilla. Elle s'étira et grimaça. Son corps à plusieurs endroits la faisait encore souffrir. Particulièrement les morsures aux épaules et à l'intérieur des cuisses. Elle examina celles-ci et ce n'était vraiment pas beau à voir. Les hématomes s'étendaient bien au-delà des morsures et avaient viré au noir profond. Shaw avait insisté pour la tartiner de crème quand elle était sortie de sa douche après leur baignade dans le lac. Elle était tellement fatiguée qu'elle n'avait pas cherché à discuter. Elle était retournée dans la salle de bain, s'était re-déshabillée et avait laissé Shaw s'occuper d'elle. Celle-ci la voyant dodeliner de la tête pendant les soins l'avait envoyée se coucher sans ménagement, lui assurant qu'elle se sentirait mieux après. Root avait tenté de protester, elle voulait rester avec elle, c'était un peu infantile et Shaw le comprit comme ça. Elle menaça alors, de la monter manu militari dans la chambre et de l'attacher sur le lit si elle n'allait pas d'elle-même se reposer. Root essaya de plaisanter et parla de fantasmes à assumer, mais quand elle remarqua l'expression qu'avait prise Shaw, elle battit prestement en retraite et alla s'enfoncer sous les draps sans demander son reste.

Elle se leva en bâillant, malgré tout sa sieste lui avait fait du bien. Le réveil affichait 19h23, elle avait dormi plus de trois heures. Elle descendit et alla directement à la salle de bain. Shaw avait sorti leurs affaires de toilettes et elle fut heureuse de trouver sa brosse à dents, à côté de celle de Shaw ne put-elle s'empêcher de le remarquer, posée dans un verre. Root se sentait la bouche pâteuse et elle détestait ça. Elle se brossa les dents en détaillant ce que Shaw avait installé sur les différentes tablettes disponibles dans la pièce. Elle attrapa un des produits de douche posé près de la baignoire, celui parfumé au vétiver. Elle coinça sa brosse à dents entre ses dents, ouvrit le flacon, le porta à ses narines et inspira profondément en fermant les yeux. Elle le referma et le reposa se disant qu'elle était vraiment folle et qu'elle se comportait comme une ado. Elle sourit, fit un bond pour ne pas se tâcher quand elle laissa échapper du dentifrice mêlé de salive et finit de se laver les dents. En ressortant, elle appela Shaw, mais n'obtint pas de réponse. Shaw avait cuisiné durant son absence. En soulevant le couvercle d'une cocotte posée sur la cuisinière, Root découvrit une espèce de ragoût composé d'un peu de viande et de beaucoup de légumes. Le plat était encore chaud et sentait très bon. Shaw avait dû sortir. Les sacs étaient encore dans le salon, Root ouvrit le sien et sortit des sous-vêtements, un jean et un tee-shirt noir à manche longue. Elle s'habilla dans le salon, enfila son blouson de moto et sortit. Il faisait déjà sombre. La MV était toujours garée devant la maison, Shaw n'y avait apparemment pas touché. Peut-être était-elle allée courir ? Root descendit sur la plage et c'est là qu'elle l'aperçut. Elle était assise les jambes entre ses bras, le menton posé sur ses genoux. Elle regardait le lac. Root s'approcha et s'assit en tailleur derrière elle, sur sa droite, laissant une distance de cinq mètres entre elles. Root connaissait Shaw, elle savait que celle-ci l'avait entendue arriver. Elle ne lui adressa pas la parole, elle voulait juste être près d'elle, pas trop loin pour elle, ni trop près pour Shaw.

Elles restèrent longtemps ainsi, Shaw sans bouger, Root changeant de temps en temps de position. Elle admirait la capacité de Shaw à rester complètement immobile, c'était d'ailleurs assez inquiétant et plusieurs fois, elle eut la tentation de lui demander si elle allait bien. Mais elle se retint et peu à peu, elle laissa son esprit dériver tranquillement, les yeux fixés sur le lac, suivant le dernier envol des oiseaux avant la nuit. Elle n'entendit pas Shaw se lever et sursauta quand elle la découvrit devant elle. Shaw s'assit dos à elle, Root avait une jambe pliée sous elle et une autre relevée, ses bras étaient enroulés autour et sa tête reposait sur l'une de ses épaules. Shaw se recula et prit appui sur le genou relevé derrière elle. Root bougea et dégagea la jambe qui était sous elle. Shaw s'installa entre ses jambes. C'était si inattendu qu'après lui avoir donné accès à son espace personnel, Root resta les bras ballants, ne sachant trop comment réagir, ni ce que Shaw attendait d'elle. Shaw petit à petit, vint se couler contre le corps de Root. Quand tout son poids reposa sur Root, celle-ci, doucement, précautionneusement, referma ses bras autour d'elle et posa son menton sur son épaule. Shaw passa ses bras par-dessus les jambes de Root recherchant la position la plus confortable. Elle sentait le corps de Root irradier dans son dos, son souffle doux sur sa joue. Elle voyait les eaux du lac briller devant elle, la nuit venue résonnait de cris d'oiseaux, du vrombissement d'insectes, du clapotis reposant du ressac. La nuit sentait bon. Et elle se sentait bien. Enfin… pas vraiment, peut-être le moment était-il trop calme, trop serein, trop… parfait. Elle se vida l'esprit des pensées parasites qui l'envahissaient et se concentra juste sur le moment.

Après avoir envoyé Root dormir elle avait préparé un plat en prévision du dîner, arrangé deux trois choses, puis elle avait ressenti le besoin urgent de s'isoler, de se retrouver seule avec elle-même. C'est pour cela qu'elle était descendue sur la plage qu'elle savait trouver déserte. Longtemps après, elle avait entendu Root arriver, s'installer à distance raisonnable, attentive à ne pas la déranger. Elle avait apprécié sa présence silencieuse. Puis tout à coup, l'envie impérieuse d'être près d'elle, l'avait assaillie. De se sentir enveloppée par son corps, par son « affection ». Shaw n'arrivait pas à employer un autre mot. « Affection » impliquait déjà beaucoup trop d'émotions et elle n'était pas prête à passer à l'étape supérieure. Elle reconnaissait que c'était complètement stupide parce que rien que sa présence dans les bras de Root impliquait bien plus d'émotions et de sentiments que le prudent mot « affection ». En plus, Root s'était déjà fendue d'une déclaration, avait été à deux doigts de lui en balancer une deuxième avant que Shaw terrorisée l'ait suppliée de ne pas le faire.

« Root me rend débile, pensa-t-elle sombrement. »

Elle frotta machinalement sa joue contre celle de Root.

« Pas débile, rectifia-t-elle. Complètement débile. »

« Sameen, murmura Root un peu troublée par l'attitude de Shaw. Tu… »

Elle ne savait même pas quoi dire, Shaw ne releva pas son appel, alors elle se tut. La nuit était déjà avancée quand Shaw reprit la parole.

« Root ? Tu ne veux pas aller manger ? »

Root s'était tellement sentie tellement bien, assise en silence, Shaw entre ses bras qu'elle s'était peu à peu laissée envahir par la torpeur.

« Tu dors ? lui demanda Shaw.

- Non.

- T'es sûre ?

- Je te parle Sam, comment veux-tu que je dorme si je te parle ?

- Parce que je t'ai réveillée, abrutie. Ce n'est pas une bonne idée que tu t'endormes ici. Tu vas prendre froid.

- Si c'est le docteur Sameen Shaw qui le dit.

- Pff ! souffla Shaw excédée.

- Allez Sameen, ne te mets pas à râler, le moment ne s'y prête pas et je n'ai pas envie d'être victime de ta mauvaise humeur. Par ailleurs, ta suggestion est la bienvenue. J'ai vu que tu avais encore décidé de m'épater avec tes talents de cuisinière, et j'ai hâte d'aller goûter ce que tu as préparé.

- J'ai juste pensé que…

- Ne joue pas à la modeste Sam, ça ne te va pas du tout. Pour quelqu'un persuadé d'être toujours la meilleure quoi qu'elle entreprenne, jouer à la jeune vierge timide frise même le ridicule.

- T'es vraiment chiante quand tu t'y mets, tu ne veux pas me lâcher parfois ?

- Moi, te lâcher Sameen ? Jamais.

- Et juste pour aller manger ? plaisanta Shaw brusquement revenue à de meilleurs sentiments.

- Pour ça d'accord. Allez, bouge et aide-moi à me relever. »

Shaw se remit sur ses pieds et tendit la main à Root. Elles rentrèrent doucement à la villa, elles marchèrent l'une à côté de l'autre sans se toucher. Shaw remit le feu sous la cocotte et surveilla attentivement la fin de la cuisson. Root mit le couvert, elle proposa de préparer une salade à Shaw qui lui répondit de faire comme elle l'entendait et qu'elle en mangerait si Root en préparait une. Elles dînèrent en silence. Root félicita juste Shaw pour son ragoût. Shaw possédait un don pour épicer ses plats. Après avoir fait la vaisselle et tout rangé en sa compagnie, Root laissa Shaw et s'éclipsa dans la salle de bain. Elle ressortit torse nu, les tubes de pommade à la main et les tendit à Shaw avec un sourire. Shaw s'occupa d'elle en silence. Après s'être rhabillée, Root se leva pour inspecter la bibliothèque de Mark Hendricks. Elle choisit un livre de Van Vogt, La Faune de l'espace, et monta lire dans la chambre. Elle s'endormit sur les dernières pages relatant l'histoire de Zorl, le prédateur de la planète dévastée par un cataclysme mystérieux. Il lui fit par certains côtés penser à Shaw. Les membres de l'expédition dans le livre, voulaient l'exterminer, lui et toute son espèce, mais elle, avait pitié de lui. Il n'était pas ce qu'ils pensaient, il... mais elle dormait profondément avant d'avoir pu développer sa théorie sur les similitudes existant entre le monstre et Shaw.

Un bruit la sortit de son sommeil une heure plus tard. Shaw se tenait assise sur le bord du lit. Elle lui tournait le dos. Son esprit s'éveillant des brumes du sommeil, identifia le bruit qu'elle avait entendu : celui d'un pistolet qu'on charge.

« Sam ? »

Root s'approcha d'elle et l'attrapa par l'épaule. Shaw tenait une arme entre ses mains.

« Qu'est-ce que tu fais avec ça ?

- Je n'aime pas dormir sans avoir une arme à portée de main.

- D'accord, mais tu dors sans oreiller, donne-la moi, je la mets sous le mien.

- Ce n'est pas prudent Root de dormir sans arme.

- Si tu es là, je n'en ai pas besoin.

- N'empêche, c'est stupide. Tu manques de prudence parfois.

- Tu feras avec Sameen. En attendant, donne-moi ton arme et couche-toi.

- Tu la gardes près de toi ? lui demanda Shaw en lui remettant l'arme.

- Bien sûr.

- Okay, dégage la place alors. Je ne veux pas dormir avec toi.

- Tu veux que je parte dans l'autre chambre ?

- Non, mais...

- Tu ne veux pas que je te touche, c'est ça ?

- Oui. »

Root s'éloigna et gagna l'autre côté du lit. Elle plaça l'arme sous son oreiller, elle reconnut l'une de ses siennes, Shaw l'avait prise dans son sac, la sienne était restée dans la Nissan. Elle se tourna vers Shaw. Elle lui tournait le dos et respirait calmement. Root resta éveillée jusqu'à ce qu'elle soit sûre que Shaw soit endormie, puis elle se tourna et ferma les yeux.

La Machine réveilla Root le lendemain matin. Elle avait laissé son téléphone en bas et La Machine la prévint que Jason avait déjà cherché à la joindre trois fois. Il était dix heures trente-quatre, elle laissa Shaw endormie sur le ventre. Celle-ci s'était pratiquement isolée toute la nuit. Root l'avait juste sentie à un moment venir se coller à elle en sueur et le souffle précipité. Elle avait serré ses poings sur sa veste de pyjama et était restée immobile jusqu'à ce que sa respiration soit redevenue régulière, puis elle s'était retournée et avait regagné sa place sur l'autre bord du lit. Root l'avait laissée faire, elle n'avait rien dit, rien tenté, même si elle en avait eu envie, laissant Shaw gérer ses terreurs toute seule. C'était le meilleur moyen de l'aider pensa-t-elle à ce moment là. Ce matin, ses traits étaient toujours crispés, mais la Machine assura à Root qu'elle veillerait sur Shaw et qu'elle ferait mieux de rappeler Jason. Que c'était urgent. Après avoir discuté avec Jason, elle prépara un petit déjeuner, appela Mark Hendricks, sortit un ordinateur et travailla dessus une demi-heure avant de remonter réveiller Shaw. Elle dormait toujours et sauta à la gorge de Root quand celle-ci la secoua en l'appelant.

« Je sais que je t'énerve parfois Sam, plaisanta-t-elle le souffle à moitié coupé. Mais ce n'est pas la peine d'user de méthodes si radicales. Si tu me dis gentiment d'arrêter de t'embêter, je te jure, que je prendrais en considération ta demande.

- Root ? Euh désolée, s'excusa Shaw confuse en la relâchant.

- Pas de quoi Sam. Lève-toi, j'ai eu Jason et il a besoin de nous. J'ai préparé le petit dej, je te ferai un petit topo en bas. Ah ! Et j'ai appelé Mark. Il ramène la Nissan vers midi.

- Tu veux absolument la récupérer.

- Oui. D'abord tu as laissé des affaires dedans, dont ton arme, ce qui entre nous n'était pas très malin de ta part. Ensuite, il y a le camion, ils savent à l'hôtel qu'il est à nous. Je pense qu'il est plus prudent de rapporter le camion et la voiture à son propriétaire. De toute façon il faut récupérer la Bentley. J'aime beaucoup cette voiture et je ne la laisserai pas à un type qui a aussi mauvais goût que celui à qui nous avons emprunté la Nissan. »

En déjeunant Root expliqua à Shaw que l'homme qu'elles avaient tiré avec l'aide de John, des griffes du groupuscule d'extrémistes anti-gouvernementaux avait lentement repris conscience. Jason le droguait toujours, mais avait baissé la fréquence des injections d'héroïne. En trois jours, il avait retrouvé sa voix et un minimum de lucidité. Mais depuis hier, il avait accumulé crises de paranoïa sur crises d'hystérie. Jason avait fini par comprendre que l'homme, qui se nommait Adithya Mandvi, était un informaticien programmeur et que ceux qui l'avaient enlevé voulaient qu'il recrée un virus informatique qu'il avait analysé pour le compte du gouvernement. L'informaticien avait refusé, mais Jason n'avait pas su pourquoi, l'homme paniquait dès qu'on lui posait une question à propos du virus. Il pleurait toute la journée traitant Jason d'assassin d'enfant. De ses propos souvent incohérents Jason avait fini par comprendre que le groupuscule l'avait menacé de s'en prendre à sa famille s'il ne coopérait pas. Il était marié et avait deux filles de six et neuf ans. Jason pensait que sa famille était en danger, il ne savait pas quoi faire, ni pourquoi Root lui avait confié cet homme, c'est pourquoi il avait pris la décision de l'appeler. Root l'avait remercié, assuré qu'elle allait voir de quoi il en retournait, et qu'elle s'occuperait de mettre en sécurité la famille de l'informaticien si c'était nécessaire. Après avoir raccroché elle avait demandé à la Machine de localiser la femme et les filles de Adithya Mandvi. Elles ne se trouvaient pas chez elles et les filles ne s'étaient pas présentées en classe depuis dix jours.

« Et c'est important cette histoire d'Indiens ?

- Prioritaire selon La Machine.

- Ça veut dire quoi ? Ce sont des numéros ou c'est plus...

- C'est une mission Machine Sam.

- Du genre de celles que tu fais juste pour elle ? Pour assurer sa sauvegarde ?

- Oui. Ça te pose un problème ?

- Ta Machine est en guerre contre Samaritain, non ? Je ferais n'importe quoi pour griller ce connard, j'irais même jusqu'à épouser ta machine.

- Tu ferais ça ? Toi ? demanda Root aux anges.

- Non. Mais t'as compris ce que je voulais dire.

- Tu marches alors ?

- De toute façon, si je refuse, toi tu le feras quand même, alors évidemment que je marche.

- Sam, tu serais capable de préparer un déjeuner qu'on puisse manger sur la route ? Je serai obligée de m'arrêter pour prendre de l'essence, on en profitera juste pour se dégourdir les jambes, mais je ne veux pas m'arrêter pour prendre un repas. On arrivera dans la nuit à Hewitt, et on pourra dîner chez moi.

- Tu sais où est la famille de Mandvi ?

- La Machine cherche.

- Okay, je vais nous préparer ce qu'il faut pour la route... Root ?

- Oui ?

- Ça ira la route ? Tu sais, je peux te relayer pour rentrer. J'ai passé le permis poids lourd à l'USMC.

- D'accord, ce sera moins fatiguant si on conduit toutes les deux.»

Les adieux de Mark Hendricks à Shaw furent plein de retenue et très touchants. Shaw ne laissa pas filtrer beaucoup d'émotions, mais Root eut encore une fois la preuve que Hendricks l'aimait profondément. Il avait aussi profité de son absence quand elle était partie charger les sacs dans la Nissan pour remercier Root et lui demander une fois encore de prendre soin de Shaw.

« Je n'aurais pas su comment vous vous êtes connus.

- Sameen vous le racontera peut-être. Elle vous aime bien, peut-être plus que ça même, dit-il en la regardant d'un air songeur. Faites attention à vous aussi. Je ne voudrais pas que… vous lui manquiez. »

Cet homme était étonnant. Il étreignit Shaw une dernière fois et rit quand elle grogna sa gêne, puis il tendit une main à Root.

« Vous avez mon numéro, conservez-le. Si vous avez un jour besoin d'un ami, d'une maison accueillante où de souffler un peu, avec ou sans Sameen, vous serez toujours la bienvenue. »

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Le trajet de retour fut calme. Root avait décidé de garder la MV, et l'avait montée dans le camion avec la Nissan. Elles se relayèrent sur la route et arrivèrent à Hewitt à la nuit tombée. Elles garèrent le camion dans le garage. Root pensa que son propriétaire aurait une jolie surprise en l'ouvrant à son retour. Elles rentrèrent à New-York, Shaw au volant de la Bentley, Root sur la MV. Elles s'arrêtèrent juste en route, chez un traiteur chinois pour acheter de quoi dîner. Shaw gara la voiture dans la rue, Root lui donna les clefs de chez elle et partit parquer la MV dans un box qu'elle possédait dans le parking souterrain de son immeuble. Quand elle entra dans l'appartement, Shaw l'invita à manger et lui demanda quel serait leur prochain mouvement. Elle avait clairement envie de bouger maintenant qu'elle était de retour à New-York. Root emporta sa boîte de nouilles dans son bureau et alluma ses ordinateurs. La Machine avait retrouvé la trace de la famille de l'informaticien. Des gros bras avaient embarqué les filles à la sortie de l'école après avoir récupéré leur mère sur le chemin de celle-ci. La Machine avait dû éplucher les vidéos à sa disposition car l'enlèvement s'était déroulé sans cris, ni violence. La femme était naturellement montée dans le 4x4 des ravisseurs et c'était elle qui avait récupéré ses filles à la sortie de l'école.

« C'est bizarre, déclara Shaw, tu peux savoir à qui appartient le 4x4 ?

- Euh attends, la fit patienter Root. À… C'est un véhicule gouvernemental.

- Mais, je croyais que Adithya Mandvi, avait été enlevé par un groupuscule d'extrémistes anti-gouvernementaux ?

- Une couverture ? Qu'en penses-tu ?

- C'est louche.

- Samaritain ?

- Mouais, possible.

- Non Sam, c'est sûr. Regarde. »

Shaw se pencha et vit des chiffres, des tableaux et des tas de trucs qui ne la renseignaient absolument sur rien.

« Ce sont des mouvements d'argent, des recoupements concernant les contacts des membres du groupuscule. Tu vois là et là ?

- Euh, oui, hésita Shaw qui se trouvait stupide et ne voyait rien du tout.

- Ça se sont des agents identifiés de Samaritain, celui-ci et celui-là ont même travaillé avec Lambert et celui-là a fait ses classes militaires avec cette folle de Martine et ils sont toujours restés en contact par la suite. On les retrouve dans des histoires de meurtres et de personnes disparues.

- Root ? Tu sais où est Martine ? demanda soudain Shaw.

- Oui.

- Je veux lui régler son compte, déclara Shaw hargneusement.

- Tu arrives trop tard Sameen, je m'en suis déjà chargée.

- Comment ça ?

- Je n'avais pas apprécié qu'elle te tire dessus, lui expliqua Root le visage fermé. Je l'ai eue par surprise. J'aurais bien aimé m'amuser un peu avec elle, mais l'occasion ne s'est pas présentée. Je lui ai brisé le cou. Ça m'a fait extrêmement plaisir. »

Root était en colère, Shaw lui posa la main sur l'épaule.

« C'est okay Root, je vais bien.

- Je ne trouve pas trop, répliqua Root sèchement.

- …

- Excuse-moi.

- Laisse tomber. Qu'est-ce qu'on fait alors ?

- Une petite opération d'extraction ? Ça te dit ? Juste toi, moi et la Machine.

- Ouaip, ça me rappellera le bon vieux temps.

Les otages étaient retenus dans une villa ultra sécurisée appartenant à… Root écarquilla les yeux en découvrant le nom et surtout la fonction de son propriétaire, James Robert JR Zellner, éminent membre du Congrès.

« Ça ne va être facile, remarqua Root.

- Comment un membre du Congrès peut-il garder des otages chez lui ?

- Est-il seulement au courant ?

- Pff ! Si c'est un chien de Samaritain certainement, affirma Shaw durement.

- Oh, je vois que tu n'as pas envie de donner dans le genre « On entre, on sort avec les otages sans que personne ne nous remarque, sans un coup de feu, sans victime »

- Non, je vois plutôt le truc : « On défonce tout le monde, on récupère les otages intacts et on ne laisse aucun témoin derrière nous ».

- Évidemment, mais c'est un peu… radical.

- J'aime bien les trucs radicaux.

- Tant qu'on reste en vie.

- Tu en doutes ?

- Je crois surtout que tu as envie de te défouler.

- Du moment que c'est efficace.

- Viens t'asseoir à côté de moi alors. »

Shaw apporta une chaise, la posa contre celle de Root et s'assit. Elles préparèrent leur opération avec soin. Le nombre et l'identité des otages posaient un problème majeur. Deux enfants et une femme, cela ne s'annonçait pas très facile à gérer. Elles se mirent d'accord pour que Root s'occupe de leur extraction, tandis que Shaw ferait le ménage et protégerait leurs arrières. La Machine piraterait les systèmes de sécurité et serait leur ange-gardien.

Root imprima de nouveaux papiers d'identité, puis éteignit son matériel. Elle se sentait euphorique d'avoir préparé cette opération avec Shaw collée à son épaule et réalisé, encore une fois, que Shaw était une équipière de rêve, efficace, intelligente, attentive. Elle se sentait en symbiose parfaite avec elle, n'ayant parfois même pas besoin de parler, ou d'échanger des points de vues. Elles se comprenaient intuitivement. Elle se tourna vers Shaw, elle était plongée dans ses pensées en train de repasser leur opération point par point dans sa tête pour être sûre de n'avoir rien oublié. Root lui attrapa le menton, lui tourna la tête vers elle et l'embrassa. Shaw surprise ne répondit pas au baiser. Root se leva et l'enfourcha pour s'asseoir sur elle.

« Root qu'est-ce… »

Root lui passa les mains derrière la tête et se fraya un chemin entre ses lèvres avec la langue. Shaw gémit, lui colla les mains dans le dos, la serra contre elle, puis lui retira impatiemment son tee-shirt. Elle prit ensuite appui sur ses pieds, donna une impulsion et fit basculer sa chaise en arrière. Root cria.

« Sam, t'es tarée !

- Comme si ça te faisait peur. »

Root avait amorti la chute avec les bras, Shaw s'était cramponnée à elle pour ne pas s'écraser contre le dossier de la chaise. Elles roulèrent sur le sol, accrochées l'une à l'autre.

Bien des gémissements et des cris plus tard, Root réussit à traîner Shaw avec elle sous la douche. Shaw avait rechigné quand elle avait compris l'intention de Root.

« Je ne veux pas prendre de douche Root.

- Tut tut, Sameen, tu as conduit toute la journée et tu es en sueur, ça te fera du bien.

- C'est pas ce que je voulais dire.

- Je sais très bien ce que tu voulais dire. »

Shaw était encore sous le coup de leurs ébats et elle se laissa pousser sans trop résister sous la douche, Root la coinça dans un coin face contre le mur et vint se coller à son dos tout en ouvrant l'eau.

« Root, protesta Shaw.

- Quoi ? Tu veux que j'arrête, lui murmura Root à l'oreille tandis que ses mains glissaient sur le corps de Shaw.

- Oui, tout de s... »

Une caresse intrusive lui coupa la parole, elle appuya ses mains contre le carrelage et toute idée de résistance évanouie, s'abandonna aux mains de Root.

« Avoue que c'est sympa de prendre une douche avec moi.

- Tais-toi, articula Shaw entre deux respirations précipitées.

- Si c'est pour mieux t'entendre... »

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Le lendemain, Root s'absenta pour aller récupérer dans un pressing, une tenue d'employée de maison. Elle avait été engagée le matin même par la gouvernante de James Robert JR Zellner. Ses références professionnelles avaient impressionné celle-ci et Root était attendue à 10h pour prendre son service.

« Sameen, tu sais conduire une moto ?

- Qu'est ce que tu crois ? lui répondit Shaw exhibant fièrement un permis.

- Je ne t'ai jamais vue sur une moto sinon collée à mon dos... plus ou moins sagement d'ailleurs, lui rétorqua Root vexée. Je vais finir par croire que tu préfères t'amuser avec La Machine plutôt qu'avec moi.

- Ça ne risque pas.

- Pourquoi pas ?

- Elle... manque de compétences dans certains domaines et il y a des trucs qu'elle ne peut pas faire, répondit Shaw affichant une petite moue provocante.

- Ah oui ? Comme quoi par exemple ? demanda Root un peu surprise que Shaw se laisse aller à des sous-entendus licencieux.

- Elle ne prend pas de douche.

- Oh, ça t'a plu alors ? lui demanda Root d'un ton lascif.

- Pff ! recula Shaw battant précipitamment en retraite. Je peux prendre ta MV alors ?

- Oui, mais tu en prends soin, répondit Root amusée par l'embarras qu'avait soudain manifesté Shaw.

- Tu l'as volée.

- Peut-être, mais c'est d'abord un cadeau de La Machine et je l'adore.

- Je t'en trouverai une autre si je la casse.

- Tu me ferais un cadeau Sameen ?

- Bon Root, on y va ou pas ? demanda Shaw éludant la question précédente.

- Si tu prends la MV, tu vas pouvoir me conduire dans le Queens, je dois récupérer une petite Ford pour me rendre à mon travail. Tu as préparé tout ce dont tu avais besoin ?

- Oui, depuis longtemps. Je t'ai pris un sac à dos. N'empêche il faudra penser au 338, je ne suis pas tranquille avec le Ludis, le chargement est trop lent.

- Qu'est-ce que tu as pris d'autre ?

- Un Glock 21 et l'un de tes Herstals.

- Tu es descendue à la voiture ce matin ?

- Oui, quand tu es partie chercher ton déguisement.

- C'est un uniforme, l'instruisit Root.

- C'est pareil. Et j''ai remonté tout ce qu'il y avait dans le coffre, on ne sait jamais. »

Elles se séparèrent dans le Queens. La propriété de James Robert JR Zellner se trouvait entre Stirling et Basking Ridge. C'était à un peu plus d'une heure de route. Shaw prendrait position aux abords de la villa tandis que Root prendrait son service d'employée de maison, effectuerait une reconnaissance des lieux et prendrait contact avec les otages. Elle contacterait Shaw quand elle serait prête pour l'extraction.

Root avait eu raison, ce ne serait pas facile. La villa était immense et bourrée de personnel, de gardes et bientôt d'invités. La gouvernante accueillit Root avec soulagement. Elle lui expliqua que la maîtresse de maison recevait pour un déjeuner sur l'herbe à partir de 12h30, qu'une centaine de convives étaient attendus et que le personnel était débordé. Elle lui donna la responsabilité du dressage des tables autour de la piscine, puis elle rassembla tout le personnel, présenta Root et redistribua à chacun des tâches bien précises à effectuer. Le personnel destiné à seconder Root fut sommé de lui obéir au doigt et à l'œil. Root avait déjà occupé des places autrement plus compliquées et mania son équipe avec célérité. Elle excellait dans l'organisation de tels événements et exerçait avec gentillesse et fermeté son autorité. Les tables furent harmonieusement dressées en un temps record. La gouvernante béate d'admiration la chargea alors de la réception des dernières livraisons. Root lui proposa de s'occuper plutôt du personnel venu en extra, cuisiniers, serveurs et barmans. La gouvernante accepta. Root put ainsi circuler plus librement dans la maison. Elle remarqua que le service d'ordre était très important et les hommes et femmes qui en faisaient partie bien équipés. Par contre, elle ne put trouver aucune trace des otages. Peut-être étaient-ils retenus dans une dépendance. Elle pensa que Shaw pourrait peut-être faire une reconnaissance discrète et la contacta.

« Sam, où es-tu ?

- Planquée. Mais j'ai une bonne vue sur l'arrière de la maison d'où je suis. Root c'est quoi ce bazar ? Pourquoi y a-t-il autant de monde ?

- Il y a une réception.

- Ah génial ! Pourquoi La Machine ne t'a rien dit ? On aurait reporté l'opération.

- Elle a dit que c'était urgent, et que l'extraction devait avoir lieu aujourd'hui.

- Root, je me vois mal me pointer avec mon Herstal au milieu de tes pots de peintures en robe de cocktail et de tes politiciens véreux en costard.

- Attendons ce soir.

- Ouais génial ! J'adore rester en planque pendant des heures.

- Plains-toi, je ploie sous le travail, pendant que tu te reposes dans ton arbre.

- Qu'est-ce qui te fait croire que je suis dans un arbre ?

- C'est l'endroit parfait pour un prédateur à l'affût.

- Tu me vois comme un prédateur ?

- Oui, du moins tant que je ne fais pas de toi ma proie Sameen.

- Ah ah, très drôle Root. Vraiment. Tu vas t'en prendre une quand je remettrai la main sur toi.

- Tu vas me frapper ?

- Non.

- Alors, qu'est-ce que tu vas faire ? lui demanda Root faussement curieuse.

- Communication terminée, contacte-moi quand tu auras quelque chose de sérieux à me dire.

- Attends Sam, je voudrais que tu ailles faire une reconnaissance du côté des dépendances de la propriété. Je n'ai pas repéré les otages. S'ils sont retenus ailleurs que dans la maison, tu les trouveras certainement, et ça simplifiera les choses. Appelle-moi si tu les trouves.

- Reçu, j'y vais. »

Root était vraiment débile pensa Shaw…et chiante… et marrante aussi, c'était vrai, mais chiante quand même. Shaw se laissa glisser de son arbre. Elle n'avait pas sorti le Herstal de son sac et portait le Ludis en bandoulière. Elle décrocha la lunette de visée, la glissa dans son sac et dissimula le fusil sous des feuilles. Il était trop encombrant pour une reconnaissance. Elle viendrait le récupérer plus tard. Elle garda le sac sur le dos, sortit son téléphone et consulta le plan de la propriété. Il y avait deux maisons d'hôtes, un pavillon de gardien à l'entrée de la propriété, un bâtiment baptisé pompeusement chais, et des écuries qui servaient de garage.

Il y avait peu de chances pour que des otages soient enfermés dans la maison du gardien, mais elle irait vérifier par acquis de conscience. Elle se décida pour commencer par là. Elle fit un grand détour par la forêt, repassa par-dessus le mur qui barrait l'accès à la propriété et planqua son sac de l'autre côté avec son blouson de moto. Elle portait une tenue noire confortable et ses chaussures de sport, heureusement un modèle discret de couleur noir. Ce n'était pas très élégant, mais elle se dit qu'elle pourrait toujours se faire passer pour la garde du corps d'un invité auprès du gardien. Elle ressauta par-dessus le mur, sortit tranquillement du bois et se dirigea nonchalamment vers la maison du gardien.

Il se tenait devant la porte de sa maison observant l'air mécontent des gros bras en costard-cravatte noir filtrer les entrées. Elle s'approcha :

« Ils vous piquent votre boulot ?

- Qu'est-ce que vous voulez, lui demanda-t-il revêche.

- Je suis venue voir comment était organisé le service de sécurité. Je n'aime pas laisser au hasard la vie de mon patron.

- Vous êtes garde du corps, s'étonna le gardien ?

- Oui.

- Il n'y pas beaucoup de femmes sur ce créneau.

- Cinq ans chez les Marines en unité combattante, ça ouvre quelques portes.

- Oui évidemment.

- C'est qui eux ?

- Des feds.

- Houa ! s'écria Shaw faussement impressionnée.

- Mais ce sont des nuls, je ne sais pas ce qu'ils foutent là. Monsieur Zellner bénéficie de son propre service de sécurité depuis des années, il n'y a jamais eu de problème, et je peux vous assurer que personne, jamais, n'a jamais passé les murs de cette propriété sans y avoir été invité.

- Ils sont arrivés ce matin ?

- Non, ça fait un peu plus de dix jours qu'ils sont là.

- Ah ! Pourquoi ?

- Ils sont arrivés avec une femme et deux petites filles, depuis ils n'ont pas bougé.

- Des témoins sous protection peut-être.

- Je ne vois pas pourquoi. Bon, vous voulez quelque chose d'autre à part poser des questions ? demanda le gardien devenant méfiant.

- Vous n'avez rien à boire ?

- Vous voulez de l'eau ?

- Pas vraiment. Et vous avez raison ils ont des têtes de cons, lâcha-t-elle d'un ton méprisant en regardant les agents fédéraux.

- De gros cons ouais ! s'esclaffa le gardien heureux d'avoir trouvé quelqu'un avec qui partager son aversion pour les intrus. Suivez-moi je vais vous servir un petit remontant. »

Le gardien la conduisit chez lui, sortit une bouteille de Bourbon et invita Shaw à trinquer à la santé des Marines et des vrais mecs. Il était un peu con, mais pas méchant. Ils déblatérèrent sur l'inefficacité des agents gouvernementaux et se plaignirent des salaires ridicules dont devaient se satisfaire ceux qui travaillaient dans le privé. Shaw, après un quart d'heure de parlotte idiote et quatre verres de Bourbon avalés cul sec, sortit son Glock et l'exhiba fièrement devant les yeux envieux du gardien. Elle lui détailla toutes ses caractéristiques, le démonta et le remonta les yeux fermés en un temps record et reçut les applaudissements admiratifs du gardien déjà à moitié ivre.

Elle s'en était fait un ami pour la vie et il lui raconta en détail tout ce qu'il savait sur la femme et les deux petites filles amenées par les feds. Shaw eut confirmation que qu'il s'agissait bien la famille disparue de Adithya Mandvi quand le gardien les traita de métèques. À ce moment, elle lui aurait bien écrasé un poing sur la gueule. Elle avait gardé quelques mauvais souvenirs de son enfance et elle aimait bien parfois fermer un peu brutalement les grandes gueules qui se fendaient de propos xénophobes. Mais elle avait besoin de renseignements et le gardien lui en fournissait plus qu'elle ne lui en demandait. Elle acquit la certitude que les otages étaient logés dans la maison principale. Le gardien avait vu plusieurs fois les filles jouer au bord de la piscine et la mère se promener devant la maison.

Ce qu'elle ne comprenait pas, c'est qu'elles ne menaient pas du tout une vie d'otage. Le gardien lui affirma cependant, qu'elles n'étaient jamais sorties de la propriété et qu'il avait reçu la consigne de les en empêcher au cas improbable, lui avait certifié son patron, où elles en formuleraient le désir. Elles étaient consignées, assignées à résidence, mais ni prisonnières, ni torturées, elles avaient plutôt l'air de prendre du bon temps. Zellner avait dû les baratiner, lui ou quelqu'un d'autre. La mère ne suivrait jamais une folle venue lui affirmer qu'elle venait les sauver et que son mari les attendait dans une planque, complètement défoncé à l'héroïne et victime d'une IA maléfique. Shaw devait prévenir Root. De toute façon il était temps qu'elle abandonne son gardien à son propre sort, il était complètement bourré maintenant et commençait à lui témoigner une affection débordante. Son haleine empestait le bourbon et Shaw sentit son estomac se retourner. Elle prit congé de lui le plus sympathiquement qu'elle put, mais il ne voulut pas la laisser partir sans avoir fini au goulot le reste de la bouteille. Pour être sûr qu'elle boive, il l'obligea à la vider jusqu'à la dernière goutte. Il s'écroula sur une chaise et l'invita à revenir quand elle voulait, lui déclara qu'elle était canon et qu'ils pourraient aller faire des cartons ensemble dans les bois la prochaine fois. Shaw s'enfuit. Le bourbon lui avait retourné l'estomac, elle avait du mal à marcher droit et sentait les arbres tourner autour d'elle.

« Merde, je suis bourrée. »

Elle n'avait pas bu autant d'alcool depuis longtemps et elle avait l'estomac vide. Elle retrouva plus ou moins à l'instinct son sac. Elle avait eu du mal à escalader le mur et s'était cassée la figure en arrivant au sommet. Elle avait atterri durement au pied du mur et s'était blessée à la pommette gauche. Elle se sentait mal et finit par s'enfoncer les doigts au fond de la bouche pour se faire vomir. L'alcool et la bile lui brûlèrent la gorge. Elle s'assit dos à un arbre et ferma les yeux. Elle avait un goût dégueulasse dans la bouche. Elle eut un nouveau haut le cœur et vomit tripes et boyaux entre ses jambes. Elle se releva avec difficulté et regarda autour d'elle. Elle arracha quelques herbes et les mâcha. C'était amer, mais mieux que l'horrible goût de dégueulis qui lui restait sur la langue. Elle ouvrit son sac et en sortit une bouteille d'eau qu'elle avait pris soin d'emporter. Elle se rinça la bouche puis se mit à genoux, les mains sur les cuisses, les fesses sur les talons, le dos droit, ferma les yeux et se força à respirer calmement : cinq secondes d'inspiration, trois d'apnée, huit d'expiration. Elle sentait le monde tourner derrière ses yeux fermés, mais elle se concentra et continua ses exercices respiratoires jusqu'à ce qu'elle se sente un peu mieux. Elle reprit alors ses affaires et partit récupérer le Ludis. Elle abandonna l'idée de remonter dans son arbre, pas très sûre d'en être capable et s'allongea par terre. Camouflée parmi les feuilles, les herbes, les buissons et les arbres elle était quasiment invisible. Elle contacta Root et lui raconta ce qu'elle avait appris. Root l'écouta attentivement et lui raconta qu'elle avait repéré une des filles, la plus âgée. Elle l'avait surprise en train de grappiller des petits fours sur les tables. Et c'était vrai, elle n'avait montré aucun signe de peur ou d'angoisse, au contraire elle avait l'air de s'amuser comme une petite folle et connaissait tout le personnel de service qui visiblement l'adorait.

« Comment tu vas faire Root ? C'est plus une mission de sauvetage. Le truc c'est que, vu comme c'est parti on va devoir les embarquer contre leur gré. »

Shaw avait la voix encore pâteuse et butait sur certains mots.

« Sam, ça va ?

- Ou… Oui pourquoi ?

- Tu as une drôle de voix.

- Je me suis bourrée la gueule et j'ai été malade, mais… euh, ça va mieux.

- Tu t'es quoi ?

- Euh…

- Mais comment t'es-tu débrouillée pour te saoûler ?

- C'est le gardien, et euh… j'ai perdu l'habitude de boire, je n'ai pas fait attention, et… je suis désolée Root.

- Comment te sens-tu ?

- Ça va.

- Shaw !

- J'ai mal au cœur, mais c'est bon, je suis opérationnelle.

- Tu es sûre ?

- Oui.

- Okay.

- Root, comment fait-on ?

- Je m'occupe de préparer le terrain, tu sais que je peux me montrer très persuasive. On passe à l'action ce soir. En attendant tu fais profil bas, je gagne le badge de la meilleure employée du jour et… Sam, donne-moi ta position.

- Tu l'as sur ton téléphone.

- Par ton téléphone ?

- Non.

- Tu t'es pucée ?! s'exclama Root.

- Oui, ce matin. Je déteste ça, mais je veux que tu saches où je suis.

- Okay, je t'ai. Dès que je peux, je passe te voir.

- Hein ? Mais…

- Ne t'inquiète pas je serai discrète et tu seras très contente de me voir. À tout de suite mon cœur. »

Root passa une heure plus tard et lui déposa sans lui parler, ni même lui jeter un regard, un sac. Il contenait de la nourriture, une bouteille d'eau, deux canettes de coca, une plaquette de comprimés à base de dompéridone et une autre de paracétamol. Shaw recula dans le bois. Elle avala deux cachets anti-nauséeux, bu une canette et mangea tout ce que Root lui avait apporté. Shaw constata avec reconnaissance que Root lui avait gentiment composé un menu adapté à ses goûts et à son état. Elle finit par deux cachets de paracétamol et se sentit beaucoup mieux. Elle rejoignit son poste d'observation.

« Sam, tu as mangé ?

- Oui.

- Ça va mieux ?

- Oui.

- Écoute, les invités n'ont même pas commencé à partir, il ne se passera rien avant au moins deux heures. Dors. Je te réveillerai.

- Tu veux que je fasse la sieste ? T'es vraiment tarée !

- Non je suis prudente. Je n'ai pas envie d'avoir une partenaire souffrant de la gueule de bois et à moitié dans les vaps pour assurer mes arrières.

- Je t'ai dit que ça irait.

- Tu dors Shaw ou je me débrouille toute seule. Et ne tente pas de me doubler, je vérifierai.

- Comment ?

- Fais-moi confiance. Je le saurai si tu ne dors pas. Communication terminée. »

Shaw soupira. Elle savait très bien comment Root contrôlerait si elle dormait ou pas. Elle s'était pucée avec du matériel lui appartenant et n'avait pas vérifié en détail toutes les fonctions attachées à la puce. Root bénéficiait toujours de gadgets haut de gamme, parfois même pas encore disponibles sur le marché, qu'elle se procurait avec l'aide sa petite copine électronique. Sa puce devait être un super espion capable de lui donner en temps réel l'état de toutes ses fonctions vitales sinon de ses pensées. Shaw se maudit d'avoir donné ce pouvoir sur elle à Root. Ouais, bon pas trop quand même, ça la rassurait en même temps, c'est pour cela qu'elle l'avait fait. Elle laissa sa tête tomber entre ses bras, ralentit sa respiration, ferma les yeux et s'endormit.

« Sameen !

- Root ?

- Ça fait cinq minutes que j'essaye de te réveiller, je ne pensais pas que tu pouvais avoir le sommeil si profond. Tu devrais ralentir sur la consommation d'alcool.

- Tu ne vas pas me faire la morale ?

- Parfois tu le mérites et ça ne te ferait pas de mal, si tu veux mon avis.

- Je ne veux pas de ton avis.

- Sam, continua Root en changeant de sujet. Tu avais raison, je crois qu'on va être obligées d'employer la manière forte, la mère ne nous suivra jamais de son plein gré. J'ai parlé avec elle. Elle m'a dit que son mari était parti en mission pour le Congrès. Que c'était une mission délicate et que des puissances étrangères hostiles n'hésiteraient pas à le faire chanter ou à faire pression sur lui par tous les moyens. Une commission de sécurité a donc décidé de mettre sa famille à l'abri et Zellner s'était gentiment proposé pour l'accueillir avec ses filles le temps que son mari ait accompli sa mission.

- Comment as-tu pu lui soutirer autant d'informations ?

- Sans me bourrer la gueule avec elle, tu veux dire ?

- Arrête Root, c'est pas drôle.

- J'ai sympathisé avec une des gamines, puis avec la deuxième pendant la réception. Quand la mère est arrivée, je lui ai fait des compliments sur ses filles. Elle m'a tout de suite trouvée charmante ! Quand tous les invités ont enfin vidé les lieux, les laissant dans un état lamentable d'ailleurs, et que tout a été rangé, nettoyé, je me suis dévouée pour servir des rafraîchissements sur la terrasse de la piscine. La maîtresse de maison s'y trouvait avec deux amies, la famille Mandvi et la gouvernante qui n'a pas tari d'éloge à mon sujet. Devant tant de compliments Madame Zellner m'a invitée à me joindre à elles. J'ai préféré aller jouer avec les petites. Du coup quand la mère est venue me rejoindre, nous étions hors de portée de voix des autres et j'ai pu discuter avec elle. C'est une vraie bavarde, il a suffi que je lui demande si elle faisait partie de la famille pour qu'elle me raconte toute sa vie.

- Et ton plan ?

- Que ferais-tu, toi ?

- J'embarquerais une des filles et m'en servirais pour que le reste de la famille suive.

- Je t'attends alors, les filles sont dans leur chambre, je serai avec elles, je leur ai promis de leur apporter des friandises mises de côté à leur intention.

- Okay, j'arrive. »

Shaw monta d'abord le Herstal et passa le Ludis en travers de son dos. Elle avait dormi longtemps et la nuit s'annonçait déjà. Elle se faufila vers la maison, l'abordant par l'ouest. La façade ne présentait pas de porte-fenêtre et le jardin offrait des massifs hauts, parmi lesquels il était facile de se déplacer discrètement. Le seul endroit à découvert se trouvait le long de la maison et ne dépassait pas cinq mètres de large. Le gardien avait eu raison en jugeant les feds complètement nuls. Ils n'avaient pas organisé de patrouille. Shaw en avait juste repéré quelques-uns postés près des portes d'entrées et des portes-fenêtres donnant accès à la maison. Deux étaient en faction sur la terrasse devant et trois autres du côté de la piscine. Deux avaient dû rester à l'entrée de la propriété, quand au reste ils devaient être vautrés quelque part en train de regarder un programme de télévision débile, en se remplissant le bide de bière. Des gros nazes incompétents. Elle avait remarqué en examinant la façade qu'une fenêtre était restée ouverte à l'étage et jugé qu'il lui serait facile d'y accéder. Elle se hissa souplement le long du mur sur lequel elle trouva de nombreuses prises et s'introduisit sans bruit dans la maison. Elle se trouvait dans un bureau. Elle le traversa, il y avait des dizaines de photos posées sur tous les meubles, accrochées aux murs, toutes à la gloire de Zellner. Toute la vanité de sa vie s'affichait à la vue des visiteurs, à la sienne aussi probablement. Il devait menacer d'éclater de fierté à chaque fois qu'il rentrait dans son bureau et se gonfler de contentement comme un dindon.

Une photo sauta soudain au visage de Shaw. Elle se rapprocha du meuble où elle était posée. Et prit le cadre dans ses mains. La photo représentait deux hommes qui souriaient à l'objectif en se tenant par les épaules.

« Ma chère Sameen ! entendit-elle souffler à son oreille.»

Shaw serra le cadre entre ses mains et se mit à trembler, des gouttes de sueur commencèrent à lui inonder le visage. Sa voix sirupeuse, son accent anglais détestable, son air paternaliste de pervers. Shaw hurla et lança violemment le cadre contre un mur. Puis elle se mit à rageusement à balayer tout se qui se trouvait à sa portée. La porte s'ouvrit à la volée, laissant apparaître deux agents.

« Mais qu'est-ce qu'elle... »

Il ne finit jamais sa phrase Shaw lui ferma la bouche d'une balle tirée avec le Glock, l'autre agent jura, sortit son arme, mais Shaw était déjà sur lui et les doigts tendus en avant, lui écrasa la trachée-artère, l'agent s'écroula dans un gargouillement. Elle glissa son Glock dans la ceinture et arma le Herstal. Le coup de feu avait alerté deux gardes postés devant la maison. Shaw sortait du bureau et les entendit monter. Elle retourna dans le bureau, tira le corps tombé devant la porte ouverte pour la libérer et se plaça derrière. Les deux agents s'arrêtèrent en découvrant les corps de leurs collègues et l'un deux lança une alerte intrusion. L'autre s'avança. Au premier pas qu'il fit pour entrer, Shaw lui referma la porte à la figure, la rouvrit, rattrapa l'agent sonné, le retourna et le tenant par la gorge s'en fit un bouclier. Le premier garde ne sut où tirer et Shaw le descendit. Elle relâcha son bouclier, le poussa brutalement vers l'avant et lui tira une balle dans la tête.

« Sameen ! Qu'est-ce qui se passe ?

- Je vais tous les buter.

- Quoi ? Sam ! »

Mais Shaw n'entendit pas la suite, elle déboucha sur le palier du premier étage et put jouer au tir aux pigeons. Les agents débarquèrent à cinq dans l'escalier, se bousculant dans le plus grand désordre, elle n'eut qu'à tirer dans le tas.

« Tireur, tireur ! Hommes à terre ! hurlait un crétin dans le hall d'entrée. »

Shaw descendit une volée de marche et sauta par-dessus la rambarde, le crétin hurla encore en la voyant se recevoir souplement sur le sol, tira au petit bonheur et mourut d'une balle en plein cœur. Elle entendit courir, se tourna vers une porte l'arme en joue, la porte s'ouvrit et deux femmes se précipitèrent dans le hall. Elles portaient le même uniforme que Root avait quand elle l'avait vue la dernière fois. Les femmes s'arrêtèrent terrorisées à la vue du fusil d'assaut braqué sur elles.

« Dégagez ! leur hurla Shaw. »

Elle tira devant leurs pieds faisant éclater le parquet en une multitude d'échardes, les femmes recommencèrent à hurler et disparurent par la porte d'entrée. Shaw remonta tel un fauve au premier étage, puis au deuxième. Elle avait décidé de faire le ménage, de faire place nette, de tout nettoyer. Elle trouverait Zellner et son petit copain et quand il ne resterait plus qu'eux, là elle commencerait vraiment à s'amuser.

Root avait entendu le premier coup de feu. La chambre des filles de Adithya Mandvi était au rez-de-chaussée. Elle jouait avec elles quand une arme une première fois, avait claqué. Un Glock pensa-t-elle. Elle entendit alors le son caractéristique du Herstal. Elle rassura les filles qui s'inquiétaient du bruit et sortit de la chambre en appelant Shaw. Elle lui répondit, pour sortir une phrase assassine et coupa la communication. Des échanges de tirs eurent lieu tout de suite après.

« Sameen, qu'est-ce que tu fais ? murmura-t-elle angoissée. »

Des portes commencèrent à s'ouvrir, laissant apparaître des têtes inquiètes. Une femme de chambre déboula en hurlant dans le couloir :

« Il y des morts partout, on nous attaque ! »

Ce fut la panique. Tout le monde se mit à sortir, rentrer, crier, certains pleuraient, une femme s'était recroquevillée sur le sol. On entendait clairement les coups de feu se succéder, des hommes hurler des ordres et jurer dans divers endroits de la maison.

« Qu'est-ce qui se passe ? demanda Root en s'adressant à la Machine.

- Évacuation immédiate des cibles.

- Où est Shaw ?

- Évacuation de toute urgence préconisée.

- Dis-moi où est Sameen.

- Opération de nettoyage en cours.

- Elle a besoin d'aide ?

- Évacuation des otages prioritaire.

- D'accord, mais tiens-moi au courant. »

Soudain, la mère des deux enfants, la bouscula brutalement, hurlant après ses filles. Root la fit rentrer précipitamment dans la chambre. La femme se jeta sur ses filles en pleurant, les terrorisant complètement. Root la sépara de ses filles et l'engagea à se calmer tout de suite. Elle lui affirma que hurler comme une hystérique n'arrangerait rien du tout sinon se faire repérer par les tueurs et que si elle voulait sauver ses enfants elle avait intérêt à garder son sang-froid et... à lui faire confiance.

« Vous faire confiance ?

- Vous voulez rester ici ? Et si les tueurs étaient là pour vous et vos filles ? Vous m'avez raconté que des gens mal-intentionnés vous recherchaient et s'ils venaient de vous trouver ? J'ai été envoyée ici par votre mari, enfin par des gens pour qui il travaille, pour veiller sur vous.

- Mais qu'est-ce que vous racontez ?

- Je peux l'appeler si vous voulez et vous pourrez lui parler. Il faut que vous partiez d'ici, je vais vous conduire à lui.

- Vous savez où le joindre ?

- Évidemment, nous travaillons pour les mêmes personnes. »

Des tirs résonnèrent suivis de cris.

« Non, partons tout de suite je vous fais confiance, je ne veux pas rester une minute de plus ici, déclara précipitamment la mère.

- D'accord je passe devant et surtout vous faites bien ce que je vous dis. Les filles venez ici, leur demanda Root en s'accroupissant devant elles. Nous allons jouer aux cow-boys et aux indiens, je suis l'éclaireur et vous suivez mes instructions, si je vous dit « Hérisson » vous ne bougez plus, « Taupe » vous vous cachez, « En avant ! » vous courez. C'est compris ? »

Les fillettes hochèrent la tête. Et Root invita tout le monde à la suivre. Elle sortit prudemment de la chambre. Le couloir était maintenant vide et silencieux. De la panique qui avait précédé ne restaient que des portes ouvertes, des objets hétéroclites abandonnés par terre, dont une chaussure et un balai. Root décida de passer par la piscine. Il fallait qu'elle récupère une voiture, de préférence une autre que la Ford. Elles ne rencontrèrent que quelques membres du personnel de maison, bien trop occupés à fuir pour leur poser des questions. Elles partirent en direction des parkings. En y arrivant, Root aperçut des voitures blindées appartenant aux agents fédéraux. Elles étaient garées sur des emplacements réservés aux membres du personnel. Exactement ce qu'il lui fallait. Elle cacha ses trois protégées dans l'ombre d'un buisson, leur expliqua qu'elle allait chercher un véhicule et qu'elles devaient l'attendre en position « taupe-hérisson » jusqu'à ce qu'elle revienne. Deux chauffeurs étaient en faction l'œil aux aguets. Ils la braquèrent dès qu'ils l'aperçurent, mais elle arriva en courant maladroitement, gémissante et en pleurs. Les deux gardes eurent pitié d'elle et rengainèrent leurs armes. Root n'avait avec elle ni menottes en plastique, ni tranquillisant, elle devait s'assurer d'évacuer les trois otages sans se retrouver avec toute une troupe d'hommes à ses trousses, et surtout... elle voulait récupérer Shaw. Elle sortit son arme et tua les deux agents. Elle les fouilla et trouva sur eux deux trousseaux de clefs. Elle ouvrit une des deux voitures et chargea les deux cadavres dedans, puis elle verrouilla la voiture. Elle monta dans la deuxième et démarra. Elle s'arrêta là où elle avaient laissé les deux petites filles et leur mère, ouvrit la portière passager et cria « En avant ! ». Les deux fillettes s'engouffrèrent dans la voiture et passèrent aussi rapidement s'installer derrière. La mère vint prendre place aux côtés de Root. Elle roula à vitesse réduite jusqu'à la porte principale de la résidence. À la vue des grilles, elle demanda aux deux sœurs de se cacher entre les sièges et à la mère de se baisser.

Elle s'avança doucement. Les grilles étaient fermées. Le système d'ouverture devait se trouver dans la petite guérite qui se dressait un peu en avant de la grille. Elle était éclairée et deux gardes se tenaient devant en pleine lumière. L'un d'eux lui fit signe. Elle stoppa la voiture. L'homme frappa sur sa vitre. Elle la baissa. L'homme fut un peu surpris de la voir.

« Qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas. Éteignez le moteur et descendez. »

Root obtempéra, de toute façon il lui faudrait ouvrir la grille. Les gardes s'étonnèrent de voir une employée de maison au volant d'un de leur véhicule, mais ils réagirent trop tard, ils avaient à peine esquissé un mouvement que Root avait déjà tiré deux fois. La Machine ne serait vraiment pas contente. Elle tira les corps en dehors de la route, rentra dans la guérite et ouvrit la grille. Avant de remonter dans la voiture, elle tira sur toutes les sources d'éclairage se trouvant à proximité, plongeant le portail dans la pénombre de la nuit descendante. Elle regagna la voiture et remit le moteur en marche. Elle repartit et ses trois passagères ne relevèrent la tête que quand Root leur déclara qu'elles étaient hors de danger. Elle roula dix minutes, quitta la route et s'engagea dans le bois. Elle s'arrêta quand ses phares éclairèrent la MV que Shaw avait dissimulée sous une bâche.

« Pourquoi vous arrêtez-vous ici ? demanda inquiète la femme de Mandvi.

- J'ai oublié quelque chose de très important à la villa.

- Quoi ?! Vous allez nous laisser ici, au milieu des bois ?

- Vous ne risquez rien ici. N'allumez pas les lumières, restez dans la voiture, elle est blindée et n'ouvrez à personne d'autre que moi. Et surtout, si vous tenez à la vie de vos filles ne sortez pas. Je reviens le plus vite possible et je vous ramène à votre mari.

- Mais... tenta de protester la femme.

- Vous n'êtes pas impatiente de revoir votre papa, les filles ? demanda joyeusement Root en se retournant vers l'arrière.

- Oh si ! répondirent-elles dans un bel ensemble.

- Vous le verrez ce soir si vous restez bien sagement ici.

- C'est promis ! s'exclamèrent les petites.

- Soyez donc aussi raisonnable que vos filles et tout se passera bien, conseilla-t-elle à la mère. Je reviens aussi vite que je le peux. Souhaitez-moi bonne chance. »

Root descendit et alla ouvrir le coffre. Elle trouva deux SCAR, c'était des armes lourdes et elle hésita à s'en munir. En même temps si Shaw s'était mise en tête d'affronter jusqu'au dernier de tous les agents présents sur la propriété, elle allait avoir besoin de renforts bien armés. Elle attrapa un SCAR le passa en travers de son dos après avoir vérifié le chargeur et passa deux autres chargeurs à sa ceinture. Ce n'était pas très pratique, mais elle ferait avec. Elle laissa son arme personnelle dans le coffre. Son chargeur était presque vide et elle n'en avait pas d'autre. Elle récupérerait les armes des agents qu'elle avait tués près de la grille d'entrée. Elle retira la bâche de la moto, vérifia que Shaw avait bien laissé comme elle le lui avait conseillée, les clefs sous le garde-boue avant, les décolla, enfourcha la MV et fonça chercher Shaw.

Root n'était partie que depuis à peine un quart d'heure que Shaw venait d'abattre son seizième homme. Lui, elle l'avait surpris par derrière. Elle était rentrée peu avant, dans une pièce et trois gars l'avait canardée, elle avait roulé derrière un fauteuil, fait une feinte, faisant mine de sortir sur la gauche du fauteuil. Ils s'étaient tous mis à tirer en même temps, elle avait bondi par-dessus le fauteuil, descendu un premier gars qui s'était mis à découvert pour tirer, roulé jusqu'à un autre fauteuil derrière lequel se tenait un autre gars et ouvert le feu. Les balles avaient traversé le dossier du fauteuil et l'homme touché avait hurlé de douleur. Shaw avait sauté sur le dossier, le fauteuil s'était renversé et elle avait achevé le blessé. Le dernier avait basculé une table et se tenait en embuscade derrière. Elle était mal placée, la table était épaisse. Elle tira une salve pour l'obliger à se mettre à couvert et couvrir son trajet jusqu'à la porte. Elle attendit le Herstal en joue dans le couloir, espérant qu'il se montre, elle l'avait aligné et il n'avait aucune chance s'il tentait une sortie. Mais il resta planqué derrière son bureau. Il avait peur. Elle aurait pu le laisser là où il était. Il n'était plus opérationnel. Mais Shaw avait programmé un nettoyage total. Elle ne laisserait personne derrière elle. L'homme se tenait dos à une fenêtre. Elle passa dans la pièce contiguë, s'approcha prudemment des fenêtres. Dos au mur, elle agita devant les carreaux, un coussin qu'elle avait ramassé sur un canapé. La vitre vola en éclat. Elle réitéra plusieurs fois l'opération en changeant de fenêtre, jusqu'à ce qu'elle ait repéré la position du tireur. Ils étaient vraiment nuls, comment pouvaient-ils ainsi se laisser berner par un simple coussin ? Un professionnel ne panique jamais. Ils avaient paniqué. Elle allait signer pour eux leur arrêt de mort. Il faisait presque nuit, mais voir le coup partir suffisait. Quand elle sut où se trouvait le tireur, elle échangea son Herstal contre le Ludis. Elle se mit en position, ajusta sa lunette de visée, inspira longuement et tira.

Shaw se fendit d'un sourire. Elle avait été l'un des meilleurs tireurs d'élite chez les Marines. Ce petit talent, un véritable don en réalité, lui avait permis d'être envoyée très vite dans des unités combattantes, ce qui était rare pour une femme. Elle y avait gagné le respect des officiers, des sous-officiers et des troufions à qui elle avait sauvé plus d'une fois la vie. Elle devait avouer que ses seules talents de tireuse n'avaient pas tout fait, c'était aussi une bonne combattante, son calme imperturbable même dans des conditions extrêmes impressionnait et sa tendance à régler par les poings sur des rings ou en dehors de ceux-ci, derrière des baraquements dans des endroits discrets, les différents, même avec ses subordonnés, lui avait valu pas mal de considération. Personne en tout cas n'avait très longtemps émis de doutes sur la valeur de ses barrettes de lieutenant et personne parmi ceux qui la connaissait n'en avait jamais émis sur celles de capitaine quand elle les avait reçues. Elle chercha d'autres cibles potentielles. Elle en aligna deux. Puis les deux fusils croisés derrière son dos, elle passa par la fenêtre et avança jusqu'à la pièce où s'était retranché le trouillard. Il était accroché à son fusil, guettant le moindre bruit. Il l'entendit quand elle brisa la fenêtre avec le Glock, elle vit la terreur s'inscrire sur ses traits et y mit fin en lui faisant exploser la tête. Une balle siffla à ses oreilles et elle plongea à l'abri dans la pièce.

Elle sortit ensuite son téléphone et afficha le plan de la maison. Où pouvaient se planquer les deux salauds ? Elle savait qu'ils n'avaient pas été évacués parce que les gars chargés des extractions en cas de problème étaient tous morts, sauf peut-être deux ou trois coincés avec eux, mais ils ne prendraient pas le risque de les sortir sans renforts. Il devait rester une dizaine d'agents sur la propriété ou pas beaucoup plus. Durant sa planque, elle avait estimé leur nombre à une trentaine. Elle en avait descendu déjà plus de la moitié. Si des renforts extérieurs avaient été appelés, ils n'arriveraient pas avant une heure, elle avait le temps.

Les appartements de Zellner étaient un peu plus loin. Il devait se terrer là. Coincé comme un rat. Avec l'autre. Elle avait toujours fini par le descendre lui, dans les simulations antérieures, et dans celle-ci elle ferait de même, mais pas juste d'une balle, cette fois-ci. Elle lui offrirait une mort un peu plus sophistiquée et Zellner jouerait le rôle du spectateur.

Zellner se cachait bien là où elle l'avait prévu. La porte était barrée et elle entendit des agents parler derrière quand elle s'approcha de celle-ci en silence. Elle repartit en arrière chercher un fusil équipé d'un lance-grenade. L'agent à qui il avait appartenu n'avait pas osé s'en servir à l'intérieur de la maison et cela lui avait coûté la vie. Un véritable crétin. Elle revint aux appartements de Zellner l'appela en hurlant, compta trente secondes et tira une grenade. La porte explosa tuant l'agent qui se tenait à côté en embuscade. Elle profita de la fumée dégagée pour s'introduire dans l'appartement, abattit un agent qui toussait à quatre pattes derrière un canapé et entreprit de fouiller l'endroit pièce par pièce. Deux autres agents y laissèrent leur vie. Elle trouva Zellner assis derrière un imposant bureau. Il braqua un petit Berreta quand elle entra. Elle le lui fit sauter de la main d'une balle. Il cria en se prenant le poignet dans l'autre main. Shaw s'avança cherchant l'autre du regard. Un cri hystérique retentit, elle se retourna vivement évita un couteau en se plaçant à l'extérieur de son agresseur, lui attrapa le poignet, le retourna, l'envoya à terre, l'immobilisa par une clef de bras et récupéra le couteau en exerçant une pression sur le poignet. L'agresseur était une femme, celle de Zellner. Shaw lui brisa l'articulation de l'épaule. La femme se mit à sangloter face contre terre.

« Mais qu'est-ce que vous voulez ? gémit-elle.

- Tuer ton mari et son vicieux petit copain. »

Elle se retourna vers Zellner, contourna le bureau et l'attrapa par le revers de sa veste, le traîna au milieu de la pièce et le jeta à genoux.

« Où est-il ce salopard ?! cracha-t-elle haineuse.

- Mais de qui vous parlez ? Qui êtes-vous ? balbutia-t-il terrorisé.

- Je t'ai vu en photo avec lui en bas, je sais qu'il est là.

- Mais je... »

Shaw le frappa avec le Herstal. Il s'écroula la tête en sang. Elle le releva. Il ne comprenait pas qui était cette femme, ni ce qu'elle voulait, pourquoi elle avait transformé une si belle soirée en cauchemar. Il regarda sa femme et se dit qu'il mourrait ce soir, tué par une furie sanguinaire, sans même savoir pourquoi. Elle le refrappa, une fois, deux fois, dix fois répétant inlassablement « Où est-il ? ». Elle finit par lui mettre le canon de son fusil dans la bouche.

« Tu vas me dire où il est, connard ! Où je te fais exploser la gueule devant ta femme.

- Mais qui ? arriva-t-il à articuler, s'étouffant à moitié.

- Greer

- John Greer ?

- Oui, c'est ça.

- Je ne sais pas.

- Tu mens. Il est là, je le sais.

- Non, je vous assure.

- Tu le protèges, mais je le trouverai, je le trouve toujours. Quant à toi je vais t'exploser la gueule. Ça fera un agent de Samaritain en moins. »

Il ne comprenait rien. John Greer, celui qui avait initié le projet Samaritain ? Greer lui avait versé beaucoup d'argent pour peser sur la décision du Congrès et faire adopter l'usage de Samaritain par le gouvernement. Il se demandait combien d'autres avaient reçu des pots de vins de sa part pour accepter que le pays soit placé sous la surveillance d'une entreprise privée. Il prit conscience à ce moment précis qu'il avait vendu son pays à une compagnie dont il ne savait rien et qui usait de corruption pour arriver à ses fins. Cette folle avait raison. Il méritait la mort comme traître à sa patrie.

Shaw lui enfonça le canon de son arme au fond de la gorge « Crève ! ». Les oreilles de James Robert JR Zellner, avant de se fermer pour l'éternité entendirent deux choses : le coup partir et un cri déchirant.

« Sameen ! Nooon ! »

C'est un joli prénom, Sameen, pensa-t-il en mourant.


Texte publié par Mélicerte, 27 janvier 2017 à 10h43
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tome 2, Chapitre 8 « Un sénateur corrompu. » tome 2, Chapitre 8
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