Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 2, Chapitre 1 « Le retour » tome 2, Chapitre 1

Sommaire d'Une semaine avant l'éternité :

Une semaine, c'est le temps qui leur avait été dévolu entre le retour de Shaw à New York et l'arrivée de Root à la morgue. Une semaine, c'était assez de temps pour vivre intensément et assez temps pour s'embraser pour l'éternité. OS. 5x09-5x10. note : le récit est une extension de "Errance" et s'insère un peu avant la fin du Chapitre 2 (mais il n'est pas nécessaire de l'avoir lu).

-----------------------------------------------------------------

Avertissement :

Pour ceux qui n'ont pas lu Errance, Shaw après la mort de Root, s'est installée dans l'appartement de celle-ci. La Machine l'a contactée, ce qu'elle s'est bien gardée de dire à qui que soit, et lui parle avec la voix qu'elle s'est choisie, celle de Root. Shaw a donc parfois du mal à faire la distinction entre la Machine et son ancienne interface, d'où parfois des réactions inattendues et des pensées un peu confuses.

----------------------------------------------------------------

L'histoire commence la nuit précédant le retour de Shaw dans l'équipe, quand Reese vient la chercher dans un parc de jeux pour lui demander son aide alors qu'elle est juchée sur un tourniquet tournant inlassablement.

----------------------------------------------------------------

Je remercie chaleureusement TaTchou pour sa relecture, ses pertinentes remarques et ses gentils encouragements.

----------------------------------------------------------------

CHAPITRE I.

----------------------------------------------------------------

Elle se réveilla en sursaut, en sueur et mal à l'aise. Elle mit quelques secondes à retrouver ses esprits, à savoir où elle se trouvait. Elle serrait frénétiquement dans ses poings l'oreiller à côté d'elle. Elle avait la sensation d'être tombée dans le vide, dans un précipice noir et sans fin. Elle bascula sur le dos et se força à respirer plus lentement. Son cœur battait la chamade. Elle ne savait pas de quoi elle avait rêvé, mais ça n'avait pas dû être agréable.

Petit à petit, elle se calma. Elle repoussa un peu les draps, elle avait trop chaud. En fin de compte elle se leva. Elle alla d'abord boire au robinet dans la cuisine. L'eau lui donna la nausée, elle se sentait vraiment mal, la sueur lui coulait dans le cou. Elle partit dans la salle de bain, se déshabilla, prit un élastique et s'attacha les cheveux. Elle les avait décidément trop longs, il faudrait qu'elle remédie à cela, ils lui tiraient sur le crâne et lui tenait chaud. Elle se glissa dans la cabine de douche, ouvrit l'eau froide et resta de longues minutes sous le jet d'eau glacée. Elle avait laissé la pomme de douche accrochée et tendit son visage dessous, puis elle se retourna, attrapa ses cheveux et les maintint d'une main au-dessus de sa tête pour ne pas les mouiller. Elle tourna à fond le robinet pour avoir le plus de pression possible. L'eau lui fouettait les épaules et elle se détendit peu à peu. Quand elle se sentit un peu mieux elle arrêta l'eau et sortit. Elle s'essuya sommairement comme elle le faisait toujours et regagna le salon, laissant derrière elle des traces de pas humides. Elle se dirigea vers la cuisine, ouvrit un placard. C'était celui réservé aux alcools. Il y avait juste quelques bouteilles, une de Martini, une de Gin, avec les deux bouteilles de vodka dans le congélateur c'était clairement des boissons destinée à Root, bien qu'elle ne l'ait jamais vue beaucoup boire. Mais il y avait aussi deux bouteilles de Whisky, une ordinaire destinée à entrer dans la compositions de recettes de cuisine, Root s'en était servi un jour pour préparer un plat de crevettes flambées, et une autre d'excellente qualité, un Glenfarclas 21 ans d'âge. C'était celle-là qu'elle cherchait. Elle ouvrit un autre placard et prit un verre, puis alla s'installer dans le canapé. Elle était nue, à moitié trempée encore, elle pensa qu'elle pouvait peut-être quand même, enfiler ne serait-ce qu'un caleçon ou un short, mais elle haussa les épaules et s'installa confortablement.

« Sais-tu quelle heure il est ? »

Surprise, elle fit un bond, faillit lâcher la bouteille et serra tant le verre qu'elle fut à deux doigts de le briser entre ses doigts. Putain, elle avait oublié sa fichue oreillette. Elle ne l'avait pas enlevée avant de s'endormir. Elle avait eu raison quand elle lui avait certifié que l'oreillette était confortable, quand elle la portait elle ne la sentait même pas.

« Hein, quoi ?

- Sameen, il faut que tu arrêtes là. Il est quatre heures du matin et la seule chose que tu trouves à faire c'est d'aller te bourrer la gueule !

- Je ne me bourre pas la gueule !

- Pas encore, mais ça ne va pas tarder. Tu bois trop.

- N'importe quoi, et puis de quoi je me mêle ?

- Sais-tu combien d'alcool tu as ingurgité ces derniers jours ?

- M'en fous, pas beaucoup.

- Trois bouteilles de Whisky, quatorze...

- Mais ferme-la…

- Quatorze bouteilles de bières dont six de cinquante centilitres ce qui nous fait un total de...

- Arrête c'est bon ! Qu'est-ce que tu veux ?

- Que tu arrêtes de te gorger d'alcool à chaque fois que tu te sens mal… Sam si tu continues tu vas être bonne pour les alcooliques anonymes.

- Ouais c'est ça.

- Je plaisante. Je sais bien que tu n'iras jamais assister à de telles réunions. D'ailleurs si l'idée t'en prenait, je déclencherais immédiatement une alerte à la bombe pour que les lieux soient vidés de tout leurs occupants à ton arrivée, histoire d'éviter que la réunion ne se finisse avec un tas d'alcooliques repentis au sol avec plein de contusions, d'yeux au beurre noir, d'arcades sourcilières en sang... et ce, dans le meilleur des cas.

- Ouais, tu me connais bien, observa Shaw en souriant franchement. Ces réunions de débiles, rien de mieux pour me mettre les nerfs en pelote.

- Bon alors, maintenant tu vas remettre cette bouteille et ce verre là où tu les a pris et retourner gentiment te coucher. »

Shaw regarda sa bouteille, elle se sentait frustrée et ridicule. Elle avait l'impression d'avoir huit ans et de s'être faite surprendre à commettre une bêtise, du genre de celles pour lesquelles on a vraiment pas envie de se faire attraper.

« Sam !

- Okay, Okay...

- Parfois tu te conduis comme une enfant. »

Ce n'est pas vrai, elle était vraiment insupportable. Elle se leva en soupirant d'exaspération, mais fit bien sagement ce qu'elle lui avait demandé.

« Tu peux boire un verre d'eau par contre.

- Oh ça va ! »

Mais elle s'exécuta quand même.

Elle retourna dans la chambre. La place qu'elle avait occupée était encore trempée, elle s'allongea de l'autre côté et ramena les draps sur elle. Et là, elle se mit à réfléchir. Ce qu'elle avait voulu éviter plus tôt avant que l'Autre ne vienne lui donner une leçon de morale. Comment pouvait-elle l'avoir écoutée, lui avoir obéi surtout ? Simplement parce qu'elle avait raison, elle devait bien le reconnaître, elle avait un peu abusé ces derniers jours, en même temps il y avait de quoi, mais bon oui, d'accord elle avait perdu toute notion de limite à ne pas dépasser. Elle repensa au fait qu'hier, à la station, elle ne s'était pas réveillée à l'arrivée de Fusco et qu'elle dormait complètement abrutie par la fatigue, un peu, et l'alcool, beaucoup, et elle ne put que donner raison… à son oreillette.

Il faisait noir, l'appartement était plongé dans le silence. Il devait être insonorisé, on n'entendait jamais aucun bruit extérieur quand les portes et les fenêtres étaient fermées, c'était agréable et reposant. Shaw était étendue sur le dos, elle sentait toujours l'odeur, ténue, mais bien présente. Et là, dans le silence, dans le noir elle se mit à penser, à repenser à la semaine qui avait suivi sa rencontre un peu brutale dans le parc, qui avait précédé… Précédé quoi ? Non, non, pas ça c'est vrai, la sirène. Précédé rien, juste qui avait suivi.

-----------------------------------------------------------

Cela avait commencé quand elle avait repéré un autre tireur qu'elle en embuscade dans le parc. Elle avait compris qu'ils avaient la même cible. C'est pourquoi elle ne l'avait pas descendu après avoir tué l'agent de Samaritain, juste été le mettre hors service pour pouvoir savoir qui il était, ce qu'il faisait là et pour qui il travaillait. Elle l'avait mis au sol et le maintenait par une clef, son arme sous le menton. Elle avait été surprise par le poids de son adversaire, pourtant il était grand, mais elle n'avait pas prévu qu'il soit si léger et la chute fut rude pour lui. C'est quand enfin elle distingua son visage qu'elle réalisa qui elle avait sous elle.

« Root ?

- Shaw ! »

Root avait repoussé son arme, l'avait relevée et de fil en aiguille, elle s'était retrouvée enlacée fermement entre ses bras, tandis que Root semblait prête à pleurer et délirait à moitié. Cette scène était juste impensable. Non seulement parce qu'elle n'aurait jamais imaginé se retrouver, réellement, dans une telle position ici à ce moment-là... Pourtant si, elle l'avait déjà été avant, de nombreuses fois à vrai dire, mais à chaque fois de toute façon elle se retrouvait toujours prise au dépourvue et les sens complètement à l'envers, enfin bref… Mais aussi parce que c'était la dernière personne qu'elle voulait croiser sur son chemin, la seule qu'elle tentait désespérément d'éviter depuis deux semaines qu'elle était ici à New-York. Shaw la repoussa. Root lui demanda ce qu'elle faisait. Elle lui répondit qu'elle descendait les agents de Samaritain un par un et cela sembla lui faire plaisir. Puis Shaw avait décidé qu'il était temps de partir avant que les choses ne dégénèrent et qu'elle ne perde le contrôle de la situation. C'était sans compter sur Root, qui la rattrapa, qui voulait savoir, tout savoir. Elle avait tout balancé, c'était débile pourquoi là ? Maintenant ? Mais en quelques mots, elle avait balancé les simulations, les trahisons, sa trahison. Elle se trouvait faible, lâche, elle voulait qu'elle la haïsse et qu'elle parte. Non, qu'elle reste. Non, qu'elle parte. Merde ! Si, qu'elle parte avant qu'une fois encore, cela se termine comme à chaque fois. Mais Root ne voulait pas la lâcher, littéralement. Elle n'arrêtait pas de lui caresser le visage avec ses mains, elle déversait sur elle des torrents de sentiments, d'émotions qui menaçaient d'emporter ce qui lui restait comme volonté pour encore contrôler de la situation.

Root comprit vite qu'elle ne savait pas si la scène était réelle ou virtuelle et évidemment, comme à chaque fois, elle tenta de la persuader qu'elle était réelle. Elle insistait, comme à chaque fois, lui faisant aveuglement confiance. Comment pouvait-elle lui faire confiance ? Root était vraiment folle, mais elle se sentait faiblir, il fallait vite qu'elle reprenne les choses en mains. Elle recula et pointa son arme sur elle. Elle ne savait plus si Root avait raison ou si Samaritain manipulait une fois de plus son esprit. Elle n'était pas prête à prendre le moindre risque. De toute façon réelle ou pas, c'était pareil, elle était perdue et n'avait pas confiance en elle-même, le mieux était de mettre fin à tout ça de la manière habituelle. Elle ne savait plus trop pourquoi elle lui raconta comment s'étaient à chaque fois finies les simulations, comment elle n'avait jamais pu la tuer, comment elle ne voulait surtout pas prendre le risque qu'un jour le scénario puisse changer, puis elle retourna l'arme contre elle à la hauteur de sa tempe pour se faire sauter la cervelle. Et là tout dérapa.

Root sortit son arme et se la mit sous la gorge. Qu'est-ce qu'elle foutait ? C'était quoi ce nouveau scénario ?

« Tu ne peux pas vivre avec moi, je ne peux pas vivre sans toi. Donc si tu meurs, je meurs aussi. »

Tout partait en vrille là.

« Baisse ton arme. »

Root lui fit un délire sur elle ne sut trop quoi à propos de la mort, de ce qu'il pouvait bien y avoir après, qu'elles verraient bien et très prochainement. Elle avait l'air prête à se faire sauter la cervelle elle aussi. C'était quoi ce bordel ?

« Putain Root ! »

Elle baissa son arme, complètement perdue. Root rangea la sienne dans son dos, s'approcha de Shaw et tendit la main.

« Donne-moi ton arme Sameen. »

Shaw la fixa, les yeux dans le vague.

« Shaw, donne-moi ton arme »

Elle la lui tendit, Root la prit et lui fit rejoindre la sienne dans son dos.

« Tu dois en avoir une autre, donne-la-moi et ton couteau aussi, je sais que tu en portes toujours un sur toi. »

C'était n'importe quoi, elle ne contrôlait plus rien, mais elle lui remit ce qu'elle lui avait demandé. Root les fit disparaître aussitôt, puis elle s'approcha.

« Viens.

- Je ne veux pas aller à la planque.

- On ne va pas aller là-bas.

- Où alors ?

- Tu le sauras si tu viens avec moi. Tu viens ? »

Shaw hocha la tête, Root lui passa un bras autour des épaules et la serra doucement contre elle, puis l'entraîna hors du parc.

Elle était venue en voiture, une belle Bentley gris perle.

« Ça ne te dérange pas si je conduis ? »

Shaw la regarda sans comprendre, Root sourit, lui ouvrit la porte, attendit qu'elle se soit assise sur le siège-passager, ferma la portière, fit le tour de la voiture, s'installa derrière le volant et démarra. La circulation était dense, mais Root, excellente conductrice, se faufila habilement parmi les voitures, emprunta des routes secondaires qui semblaient être des raccourcis. Elle surveillait Shaw du coin de l'œil. Celle-ci semblait complètement éteinte. Shaw en était encore à tergiverser. Une main se posa sur sa cuisse, elle la regarda. La main exerça une légère pression.

« Ça ira Shaw, reste avec moi, tu es en sécurité maintenant. »

La main l'abandonna pour se reposer sur le volant. Shaw regretta la sensation, le sentiment de confort qu'elle lui avait un instant procuré. Elles roulèrent un petit moment avant de s'arrêter quelque part dans un coin de Brooklyn. Shaw ne connaissait pas très bien ce quartier, mais l'endroit lui sembla calme et plutôt huppé. Root gara la voiture, sortit et vint ouvrir la portière de Shaw avant que celle-ci n'ait eu le temps de descendre.

Elle lui prit la main et la guida pour traverser la rue. Une fois sur le trottoir d'en face, elle ne la lâcha pas et continua à marcher. Shaw trouvait ça bizarre de marcher avec quelqu'un main dans la main. Elle n'avait jamais tenu la main de personne d'ailleurs, du moins pas depuis qu'elle avait dépassé l'âge de huit ans, et encore. Son père la lui donnait rarement et sa mère jamais. Petite, elle lui attrapait juste un doigt pour traverser la rue et une fois celle-ci traversée, le lâchait et continuait simplement à marcher à ses côtés.

Ensuite... Il y avait bien eu quelques crétins qui avaient essayé, des garçons qui croyaient, elle ne savait pour quelle raison idiote, qu'elle pouvait être leur petite amie et des filles encore plus idiotes qui avaient pensé, une ou deux à vrai dire au grand maximum, que c'était comme ça qu'on se comportait entre copines. Elle n'avait jamais eu de copines, ni de petits amis.

Ah oui, il y avait même eu une ou deux femmes qui lui avait fait le coup de « Viens là, ma chérie » parce qu'elle portait un uniforme ou qu'elles avaient vu son tatouage et que ça les avait excitées. Pff, un bon coup de poing dans la gueule et elles avaient tout de suite trouvé ça bien moins excitant. Il y avait vraiment des tarés partout.

Mais là… C'était une sensation étrange, elle devait le reconnaître, pourtant elle n'avait aucune envie de dégager sa main. Elle sentait les doigts chauds de Root enserrer doucement les siens. Elle n'avait d'abord pas répondu au contact, mais très vite alors que de noires pensées recommençaient à monter doucement, elle referma ses doigts sur ceux de Root et se sentit mieux. Elle évita de penser à autre chose et se contenta de la sensation comme si tenir sa main dans la sienne l'empêcherait d'être emportée au loin, vers des rivages remplis de morts, de mirages et de cauchemars.

Root s'arrêta devant un immeuble, passa la sécurité et s'avança dans un joli hall jusqu'aux ascenseurs. Elle appuya sur le bouton d'appel. Elle sentit Shaw se crisper dans sa main. Elle la regarda, l'ascenseur arriva et les portes s'ouvrirent. Les traits de Shaw se brouillèrent, Root vit ses pupilles se dilater et une grimace de terreur mêlée de rage se former sur son visage. Elle ressemblait déjà à une déterrée, mais l'expression née à l'arrivée de l'ascenseur lui déforma la figure et Root eu l'affreuse impression d'avoir perdu Shaw, qu'elle avait disparue pour être remplacée par une bête traquée, sauvage et dangereuse. Elle tira brusquement Shaw en arrière, lui fit tourner le dos à l'ascenseur et la traîna vers la cage d'escalier qui se trouvait un peu plus loin.

« Désolée Shaw, viens par là. »

Elle commença à monter, Shaw derrière elle, sa main lui faisait mal. Shaw avait crispé ses doigts autour tout à l'heure et n'avait pas relâché sa prise. Elle lui broyait les doigts, elle s'était retenue de crier sous la douleur devant l'ascenseur, mais si elle continuait à la serrer comme ça, elle était sûre de rester avec la main endolorie pendant plusieurs jours. Elle se retourna.

« Ça va ?

- Oui.

- Shaw. Tu me fais mal. »

Shaw regarda leurs mains enlacées.

« Pardon. »

Elle voulut lâcher Root, mais celle-ci la retint et lui sourit.

« Merci, souffla-t-elle avec un petit sourire »

Elle reprit sa montée, Shaw toujours derrière.

Elle alla jusqu'au dernier étage, s'avança dans le couloir sous les appliques diffusant une lumière tamisée. C'était luxueux. Elle s'arrêta devant une porte, sortit une clef de son blouson et l'introduisit dans la serrure. Une fois la porte ouverte, elle tira Shaw à l'intérieur et alluma la lumière.

« Où est-ce que tu m'a emmenée ?

- Chez moi.

- Quoi ? Mais tu es folle ! Comment peux-tu faire un truc pareil ? Espèce de tarée. Je ne resterais pas une minute de plus. Root, merde c'est trop tard maintenant, je sais où...

- Sameen arrête, tu ne risques rien.

- Mais ce n'est pas moi, putain, Root c'est toi ! Root tu...

- Bon écoute, tu arrêtes vraiment là.

- Non je me casse. »

Pendant leur échange, Root avait ouvert le tiroir d'un chevet situé à côté de la porte et avant que Shaw ne réalise ce qu'elle faisait, en avait sorti un taser et lui avait appliqué sur le côté du cou.

« Désolée mon cœur. »

Shaw s'écroula en pensant que cette nuit était pourrie et que tout s'enchaînait de plus en plus mal. Et ça ne s'arrangea pas par la suite. Elle entendit Root partir précipitamment, ouvrir une porte, des tiroirs, jurer, puis revenir vers elle.

« Sameen, je ne voulais pas en venir à ces extrémités, mais tu ne me laisses vraiment pas le choix. »

Elle s'accroupit à côté d'elle, releva une de ses manches, lui fit un garrot au dessus du coude. Elle n'allait pas oser ? Elle fulmina, essayant de se dégager, mais c'était stupide, elle ne pouvait pas bouger. Root tapota son bras avec deux doigts, on voyait qu'elle avait de la pratique cette perverse, et lui enfonça une aiguille sous la peau. Presque immédiatement Shaw glissa dans l'inconscience, furieuse de s'être laissée surprendre.

Elle reprit conscience allongée sur un canapé. Root vint s'asseoir à côté d'elle dès qu'elle la vit ouvrir les yeux.

« Si tu bouges encore Sameen, la prévint-elle. Si tu as le malheur de vouloir encore tenter de sortir d'ici sans en avoir ma permission ou sans que je t'accompagne, je te tase et je te drogue jusqu'à ce que tu comprennes que tu es ici chez toi et que tu es en sécurité, que je le suis aussi et que je ne veux pas tu t'en ailles. Tu as compris ? »

Shaw ne bougea pas et évita de la regarder.

« Sameen ! Tu me regardes et tu me réponds. Tout de suite. Tu as compris oui ou non ? »

Shaw de mauvaise grâce, tourna son regard vers elle. Root tenait son taser, elle avait l'air furieuse, autant que la fois où elle s'était énervée lorsque Shaw avait joué la bravache quand sa couverture était tombée et que Martine avait failli la descendre aux grands magasins. Tiens, en y pensant, elle irait bien lui régler son compte à elle aussi. Elle avait essayé de la retrouver depuis son retour à New-York mais n'avait pas réussi à la localiser. En attendant Root la regardait d'un air vraiment mauvais.

« Sameen ! Dernière fois. Tu as compris oui ou non ?

- Oui.

- Qu'est-ce que tu as compris ?

- Que tu as une furieuse envie de me faire du mal.

- Arrête de faire l'idiote et réponds-moi.

- D'accord Root. Je reste ici et je ne sors qu'avec ton autorisation ou que si je suis avec toi. C'était bien la peine de m'évader si c'est pour me retrouver... »

Root lui posa durement la main sur la bouche.

« Tais-toi. »

Elle se releva et fixa Shaw les bras croisés toujours en colère.

« Je peux te faire confiance ?

- T'es chiante, lança Shaw butée.

- Shaw...

- Oui. Je ne bougerai pas. Promis enfin sauf si...

- Personne ne viendra jamais ici, je peux te l'assurer.

- Comment peux-tu en être certaine ? »

Root se tapota l'arrière de l'oreille droite l'air entendu. Ah, la Machine, évidemment. Root et son Dieu. Shaw préférait ne pas discuter des certitudes de Root, elle en avait soupé des IA dernièrement, elle n'avait aucune envie d'aborder le sujet, surtout pas avec quelqu'un d'aussi fanatique que Root.

Elle s'assit et se sentit tout de suite très mal. Déjà comment avait-elle pu promettre à Root de rester ici.

« Root...

- S'il te plaît Sameen… Écoute, que dirais-tu d'aller prendre une douche et de te changer ? J'ai récupéré tes affaires dans la planque et je les ai rangées dans mon dressing. Viens je vais te montrer, je crois qu'il ne manque rien. »

Shaw la suivit et quand Root après avoir ouvert la porte, alluma la lumière dans le dressing, elle resta un instant interdite. L'endroit était génial, le mur de gauche et du fond étaient garnis d'étagères, de tiroirs et de placards en bois vernis. Dans les étagères, il y avait toute une collection de vêtements apparemment rangés par type et par couleurs, ce devait être pareil dans les armoires et les tiroirs, Root lui montra un coin du dressing au fond.

« J'ai rangé tout ce que j'ai pu trouver là-bas, les sous-vêtements sont dans les trois tiroirs là, il y a un blouson et un caban dans le grand placard, les chaussures sont en bas. Il n'y avait que des tennis et une paire de vieilles boots, désolée. Sinon tes affaires de sport sont rangées à droite dans le placard. J'ai aussi récupéré le nécessaire de toilette que tu avais laissée. Au- dessus de ta tête. »

Tout en donnant ses explications, elle avait ouvert les grands placards aménagés sur le mur de droite. Shaw y découvrit accrochés au mur des râteliers pour armes de poing et pour fusils. Root sortit de son pantalon son arme et la plaça dans un râtelier à côté de deux autres sensiblement du même modèle, puis elle sortit les armes que lui avait remises Shaw et les rangea soigneusement. Elle ouvrit un tiroir pour y déposer le cran d'arrêt et Shaw eut un petit pincement au cœur en voyant Root fermer le tiroir et disparaître son couteau, elle ouvrit un autre tiroir et y déposa le taser qu'elle avait mis dans sa poche après que Shaw lui ait promis de ne plus chercher à s'enfuir. Elle referma le placard, hésita et sortit. Shaw l'entendit ouvrir une porte un peu plus loin et elle laissa ses affaires pour se rapprocher du placard, elle se sentait nue sans armes, en danger, mais avant qu'elle ne puisse faire le moindre geste, Root était revenue et la repoussait gentiment.

« Tuh tuh… sois sage Sameen. Désolée, mais ces joujoux ne sont pas pour toi pour le moment. »

Elle lui fit une grimace et verrouilla le placard avec une clef qu'elle avait dû récupérer dans sa chambre.

« Tu sais que je peux crocheter n'importe quelle serrure en dix secondes ?

- Dix secondes amplement suffisantes pour que j'aie le temps de te régler ton compte ma belle. Allez, dépêche-toi d'aller prendre ta douche, je vais nous faire à manger.

- Pas faim.

- Parce que tu n'as jamais testé mes talents de cuisinière, dit-elle la gratifiant d'un grand sourire. »

Elle était débile de lui sourire comme ça et de lui parler de ses putains de talents de cuisinière dont elle se fichait comme de sa dernière chaussette, alors qu'il y avait une chance sur deux pour que dans les minutes qui allaient suivre, elle tente de la descendre ou peut-être pire. Elle la regardait comme si elle avait vu une brebis dansant de joie devant le loup qui allait la dévorer. Root ouvrit la bouche pour parler.

« J'y vais, j'y vais »

Elle se dépêcha de prendre ce dont elle avait besoin, fronça les sourcils en récupérant des sous-vêtements bien pliés et bien rangés. Penser que c'était Root qui les avait manipulés lui donnait l'étrange sensation qu'elle se mouvait dans un monde irréel et qu'elle jouait à une espèce de jeu ridicule au cours duquel on s'amusait à incarner une famille avec le papa, la maman et toute la ribambelles de girafes, d'ours en peluche ou de lapins qui étaient censés être les enfants du couple idéal. Elle sortit du dressing tête baissée et fonça sous le regard interrogateur de Root qu'elle s'empressa d'ignorer pour se retrouver dans le salon. Elle s'arrêta incertaine.

« Sur ta droite Sameen, la deuxième porte depuis l'entrée. Si tu as besoin de quelque chose appelle-moi, je serai dans la cuisine. »

Shaw ne répondit rien et disparut dans la salle de bain.

Root resta un instant songeuse.

« Tu m'entends ? »

Elle pencha le tête en écoutant la réponse.

« As-tu pu voir ce qu'il s'est passé pendant sa détention ?… Non ?… Jamais ?… Il faut que tu m'aides, je ne crois pas que je m'en tirerai toute seule, j'ai peur qu'elle fasse une bêtise. Je me le pardonnerais jamais... Non, non, s'il te plaît, pas de statistique, je n'ai pas envie de penser à Shaw comme si elle était une statistique dans ton monde numérique. Écoute j'aimerais au moins que tu la surveilles… Je sais qu'elle détesterait ça, mais je ne veux pas risquer de la perdre encore une fois, s'il te plaît. Je ne le supporterais pas… Tu as besoin de quelque chose ? Tu vois tout l'appartement ?... Vraiment tout ? Aucun angle mort ?... C'est toi qui as fait installer tout ça ?... Depuis le début ?... Bon super, mais n'en parle à personne ! C'est notre petit secret d'accord ?… Merci. »

Elle rejoignit la cuisine et regarda ce qu'elle avait dans son réfrigérateur puis au congélateur. Il n'y avait pas grand chose ça faisait longtemps qu'elle ne se faisait plus de cuisine élaborée. Pourtant, elle aimait bien cuisiner, elle avait d'ailleurs plusieurs fois assumé des identités de cuisinier, de pâtissier ou même de saucier et elle s'en était toujours sortie avec les honneurs même dans de grands restaurants, même en France une fois, dans l'un de leurs restaurants classés trois étoiles. Quand elle avait démissionné, le chef l'avait suppliée de rester, mais elle avait autre chose à faire et elle était partie, faisant fi des sirènes de la gloire gastronomique française. Elle était aussi bonne en sommellerie et avait parfait ses connaissances en travaillant plusieurs semaines comme sommelier-adjoint auprès du chef sommelier d'un grand hôtel londonien. C'étaient de bons souvenirs. Mais en attendant, il fallait qu'elle trouve une idée de plat à servir à Sameen, ça lui remettrait peut-être les idées un peu en place.

Elle n'aurait jamais imaginé la retrouver comme ça dans un parc et encore moins se retrouver plaquée brutalement par terre, son arme sous la gorge. C'est ce qu'elle aimait chez Sameen, cette propension à la surprendre ! En fait, elle était inquiète, Shaw était marquée, physiquement et pire psychologiquement. Elle avait décelé une fêlure chez elle et beaucoup de vulnérabilité, cela l'inquiétait, c'était contre-nature chez Sameen. Si elle ne se reprenait pas, cela risquait de mal tourner.

« Hein quoi ?… Ah oui, le dîner, oui oui. Merci. »

La Machine l'avait rappelée à l'ordre, Shaw n'allait pas rester indéfiniment sous la douche et c'était mieux qu'elle ait quelque chose à lui proposer quand elle resurgirait dans le salon. Elle ne savait pas trop ce qu'elle ferait d'elle, avec elle. Tous ces derniers mois, elle avait fantasmé sur Sameen, mais l'avoir maintenant chez elle la déstabilisait complètement. Elle sortit des pâtes, tout le monde aime les pâtes, Shaw devait aimer ça aussi, ainsi que de quoi confectionner une sauce élaborée. Une napolitaine, décida-t-elle. Elle vérifia qu'elle avait bien tout les ingrédients nécessaires et s'installa devant le plan de travail.

Shaw avait décidé de prendre une douche, il y avait une baignoire, mais elle n'avait pas envie de s'abandonner dans un bain. Une douche lui ferait plus de bien. Elle se déshabilla et entra dans la cabine, ouvrit les robinets et laissa l'eau couler sur son corps tendu. Elle n'avait pas trouvé de produit de douche dans ses affaires de toilettes et s'était résolue à utiliser celui de Root. Mais quand elle regarda ce qu'elle avait, elle découvrit le sien parmi divers flacons posés sur une étagère à portée de main, du moins un flacon de la marque qu'elle achetait en général. Elle aimait l'odeur discrète du vétiver. Sinon, elle utilisait du savon d'Alep, mais ce n'était pas pratique à transporter. Si elle devait emmener des affaires de toilette lors d'un déplacement elle prenait toujours un produit de douche parfumé discrètement au vétiver. À priori, Root aimait l'Ylang-Ylang. Elle se demanda vaguement ce que pouvait faire son produit de douche dans la salle de bain de Root, mais ne s'attarda pas trop à trouver une réponse et récupéra le flacon.

La douche la détendit, l'odeur du vétiver lui fit du bien comme si elle se retrouvait plongée de nouveau dans un univers familier. Elle emprunta du shampooing et se lava les cheveux. Elle finit par une douche froide, histoire de se remettre les idées un peu en place. Quand elle ouvrit la cabine, elle réalisa qu'elle n'avait pas pensé à demander une serviette, mais elle en trouva deux pliées, propres, posées bien en évidence sur le lavabo. Root avait dû venir quand elle était sous la douche. Elle se figea, c'était bizarre, elle ne l'avait pas entendue rentrer. Comment était-ce possible ? Elle commença à trembler. Elle sursauta quand elle entendit toquer à la porte.

« Shaw tu as tout ce que tu veux ? Excuse-moi je suis rentrée tout à l'heure, j'avais oublié de te donner des serviettes, tu veux autre chose ?

- Euh non, merci. »

Elle souffla rassurée. La douche lui avait fait du bien, mais elle se sentait vidée. Elle remercia Root du fond du cœur en enfilant ses vêtements. Elle palpa leur étoffe, inspira l'odeur du débardeur en l'enfilant. C'était comme si elle réintégrait sa personne, sa personne réelle.

Elle sortit de la salle de bain et fut assaillie en entrant dans le salon par l'odeur de ce que Root cuisinait. Elle inspira à pleines narines, ça sentait très bon, le genre d'odeur qu'elle n'avait pas sentie depuis longtemps. Elle rejoignit Root à la cuisine. Elle passait ses doigts dans ses cheveux pour les aérer, ils étaient mouillés et elle tentait de leur donner une forme pendant qu'ils séchaient.

« Tu veux un sèche-cheveux ?

- Non merci, je ne me sèche jamais les cheveux avec ça, ça les abîme

- Ne me dis pas que tu es coquette Shaw, c'est un trait de ton caractère que je ne connaissais pas.

- Non, ce n'est pas...

- Je plaisantais. Viens t'asseoir ici, lui dit-elle en lui désignant un tabouret du menton, j'ai presque fini. Tu veux un verre en attendant ? Bière ou Whisky ?

- Whisky. »

Root ouvrit un placard où se trouvaient rangées un assortiment d'alcools, sortit une bouteille et la posa devant Shaw apparemment très fière d'elle-même. C'était une bouteille de Glenfarclas 21 ans d'âge. Shaw haussa les sourcils, elle n'aurait jamais pensé trouver une bouteille de cette qualité chez Root, elle pensait d'ailleurs qu'elle ne buvait pas de Whisky.

« Je l'ai acheté il y a longtemps, à ton attention. Je sais que tu peux ingurgiter n'importe quoi, mais je sais aussi que tu ne craches pas de temps en temps sur une véritable bonne bouteille. Je vais t'accompagner, mais je ne suis pas fan de Whisky aussi bon soit-il. »

Elle ouvrit le congélateur et attrapa une bouteille de vodka ambrée, de la Zubrowka, un truc de fille pensa Shaw. Et pourquoi Shaw ne fut-elle pas surprise quand Root sortit des verres dont l'usage était destinés exclusivement à la consommation de chaque breuvage ? Un vrai verre à Whisky pour Shaw et un verre à vodka pour elle.

« Sers-toi. Tu le bois sec n'est-ce pas ?

- Oui. »

Elle se servirent chacune de leur côté. Puis Root leva son verre et attendit. Shaw incertaine leva le sien à sa suite. Root vint taper son verre contre le sien, un tintement clair résonna.

« À ton retour Sameen...À nous. »

Elle rougit légèrement et baissa les yeux alors qu'un petit sourire se dessinait sur ses lèvres. Shaw la regarda méfiante. Qu'est-ce que c'était que ce délire ? Root lui jeta un bref coup d'œil concerné, se leva, alla à la cuisinière sur laquelle deux casseroles avaient été mises sur le feu.

« Ça va sonner, je t'ai fait des pâtes, désolée je n'avais rien d'autre j'irai faire des courses demain matin, tu me diras ce que tu veux manger, ou tu viendras avec moi si tu préfères, ce sera plus simple. »

Elle mit rapidement le couvert, passa les pâtes, les versa dans un plat, puis ajouta la sauce par-dessus. Elle mélangea le tout soigneusement, posa un paquet de parmesan sur la table et apporta son plat sur la table.

« Voilà, à table ! plaisanta-t-elle avec un sourire timide. »

Shaw hallucinait littéralement, le jeu stupide du papa et de la maman continuait, cette simulation prenait un tour de plus en plus débile, il ne manquait plus que l'arrivée joyeuse de deux bambins blonds braillant des inepties pour que le tableau dégoulinant de bons sentiments soit parfait.

« Shaw, ça va ?»

Root la regardait et semblait inquiète.

« Euh, oui oui. »

Root n'insista pas. Elle les servit et elles mangèrent en silence chacune perdue dans ses pensées. Quand Shaw eut fini son assiette, Root lui demanda si elle voulait autre chose, elle secoua la tête.

« Tu n'as pas fini ton Whisky, va t'installer sur le canapé, je fais la vaisselle et je te rejoins. »

Bien sûr ! Après on va regarder la télé et tu vas te mettre à tricoter et pourquoi pas, moi à fumer en buvant mon verre ! Non, mais c'était nul !

Par contre le Whisky était vraiment excellent. Shaw regarda la bouteille, Root surprit son regard, elle lui prit le verre des mains et la resservit généreusement, puis lui rendit le verre un sourire en coin. Shaw lui tourna le dos, c'était trop bizarre. Elle se laissa tomber dans le canapé et ne pensa plus qu'au contenu de son verre ce qui lui semblait l'occupation la plus prudente pour l'instant.

Elle entendit Root faire la vaisselle et ranger la cuisine. Peu après, elle vint s'asseoir à côté d'elle dans le canapé.

Shaw avait l'air complètement fermé, profondément absorbée dans la contemplation du contenu de son verre. Root avait été si heureuse de la revoir. La prendre dans ses bras tout à l'heure dans le parc, avait été l'un des moments les plus intenses de toute sa vie, comme quand elle avait exécuté son premier contrat et tué un homme à bout portant, qu'elle avait vu avec délice son expression surprise, hé oui même les jolies filles pouvait être mortellement dangereuses, avant qu'il ne s'écroule à ses pieds comme un vieux chiffon, ou comme quand la Machine lui avait parlé pour la première fois. Et maintenant qu'elle l'avait chez elle, à côté d'elle, saine, enfin à peu près, et sauve après des mois de désespoir elle ne savait même pas quoi faire. Elle n'avait qu'une envie c'était de la prendre dans ses bras, qu'elle lui parle, qu'elle se confie, puis de l'embrasser, de l'emmener dans sa chambre, dans son lit, de la déshabiller et de faire l'amour avec elle toute la nuit. Mais quand elle regardait Shaw, elle ravalait tous ses rêves et les réintégrait au rang des fantasmes qu'elle n'assouvirait jamais. Shaw paraissait s'être entièrement repliée sur elle-même, indifférente à tout ce qui l'entourait, Root avait l'impression d'être assise à côté d'un monolithe noir irradiant d'ondes hostiles. Elle voyait mal comment mettre une telle chose dans son lit, elle ne voyait même pas comment elle pourrait ne serait-ce qu'établir un contact à peu près normal avec elle. C'était déprimant. Elle sentait ses larmes monter.

Quand elle releva la tête, elle vit que Shaw la regardait avec suspicion.

« Il y a des enfants dans la chambre ?

- Quoi ? »

Qu'est-ce que c'était que cette question ? Qu'est-ce qu'elle racontait, où avait-elle été chercher cette histoire d'enfants ? Elle en était à envisager les scénarios les plus absurdes quand la Machine décida d'intervenir. Elle lui transmit les possibles raisons ayant provoquées l'étrange question et lui suggéra de choisir rapidement parmi différentes attitudes possibles celle qu'elle trouverait la plus adaptée à la situation.

Shaw, comme une enfant sage et méfiante, attendait patiemment sa réponse et Root comprit qu'il était urgent de prendre une décision.

« Shaw, suis-moi. »

Elle lui attrapa la main et la tira du canapé, Shaw ne lui opposa aucune résistance et la suivit. Root lui fit faire le tour de l'appartement. Elle ouvrit tous les placards, tous les tiroirs, souleva même les affaires qui y étaient rangées, dans toutes les pièces. Elle avait une bibliothèque dans le salon elle poussa tous les livres contre le murs pour que Shaw vît que rien n'était dissimulé derrière. En fait elle se livra en sa compagnie à une véritable fouille de son propre appartement, elle dévissa même les grilles des conduits d'aération des sanitaires et de la cuisine. Elle ne donna aucune explication. Shaw resta muette et sembla être absente durant toute la durée de l'opération, mais Root savait qu'elle observait le moindre de ses mouvements avec la plus grande attention. Enfin, elle la ramena au salon.

« Assieds-toi. »

Shaw s'exécuta, Root partit à la cuisine et prépara un café, ce n'était peut-être pas une bonne idée, mais quelque chose d'un peu corsé lui ferait du bien. Elle avait une machine à expresso, elle fit couler deux doubles expresso, revint au salon et tendit une tasse à Shaw

« Tu le bois noir et sans sucre non ?

- Euh oui, merci, répondit Shaw en prenant la tasse. »

Root s'assit et but le café, il était excellent et elle fut contente de voir que Shaw pensait de même quand elle la vit faire une petite moue appréciative.

« Sameen, je suis crevée, il faut que je dorme… elle hésita avant de continuer. Où veux-tu dormir ? »

Shaw la regarda bizarrement semblant ne pas comprendre la pertinence de la question, ni même la question en elle-même à vrai dire.

« Shaw, tu es stupide, pensa Root découragée, la question est : veux-tu dormir avec moi ? J'ai peur que tu disparaisses, tu m'as manqué et je veux dormir en te tenant toute la nuit serrée contre moi ou même faire autre chose si tu veux, mais au moins ça ! »

Bon, ça ne semblait visiblement pas vraiment le bon moment pour lui faire ce genre de proposition, mais si elle pouvait au moins réagir, ce serait mieux que le silence d'autiste dans lequel elle était plongée.

« Euh, je ne sais pas, par terre ? »

Vu la réaction de Root, elle n'avait pas dû donner la bonne réponse. Mais pourquoi lui poser une question aussi étrange. Il fallait qu'elle trouve autre chose.

« Là, ici sur le canapé, tenta-t-elle de nouveau, c'est bien.

- Tu sais que j'ai une deuxième chambre, je peux te faire le lit, tu ne vas pas dormir dans le canapé ?

- Je ne veux pas être enfermée et je ne veux pas dormir dans un lit. »

Elle commença à se tordre les mains.

« Okay Shaw, tu prends le canapé. Passe la première dans la salle de bain, je vais te chercher de quoi te couvrir. Tu trouveras ce qu'il te faut dans le dressing pour te changer pour la nuit, j'ai regroupé ce que je pensais être tes affaires pour la nuit ensemble »

Shaw acquiesça et partit dans le dressing, Root soupira. Elle avait cru frôler la catastrophe.

« Tu la surveilles cette nuit et surtout tu me réveilles si quelque chose cloche, d'accord ?… Merci, murmura-t-elle rassérénée. »

Shaw se lava les dents, la figure et les mains, puis enfila un short et un débardeur noirs. Elle plia ses affaires et sortit avec de la salle de bain. Root lui avait apporté un drap, une couverture et un oreiller.

« Je dors sans oreiller.

- Mets-le par terre. »

Root buvait un verre d'eau juchée sur un tabouret de la cuisine. Elle regarda Shaw, une lueur triste dans les yeux.

Shaw détourna le regard.

« Bon, j'y vais »

Root partit dans sa chambre et en ressortit trente secondes plus tard pour s'enfermer dans la salle de bain.

Shaw se demandait ce qu'elle faisait ici, ce qu'elle devait faire aussi. Elle avait eu l'impression que Root attendait quelque chose d'elle, elle avait aussi vu son regard se brouiller, plonger dans ses yeux, tenter de faire passer un message, mais elle n'avait pas su le décoder ni même le voir. Elle se retrouvait au milieu d'un jeu dont elle ne comprenait pas les règles. Si c'était une simulation elle ne voyait pas où celle-ci pouvait la mener, si c'était réel alors c'était pire, elle était complètement perdue. Root en sortant de la salle de bain la retrouva toujours plantée au milieu du salon, dans la même position que celle où elle l'avait laissée quelques minutes plus tôt. Elle ne trouva rien à lui dire, elle s'approcha seulement

« Bonne nuit Sameen, lui murmura-t-elle »

Et elle l'embrassa doucement sur la joue. Quand elle allait s'éloigner, Shaw la retint pas le poignet. Elle se retourna l'air interrogateur.

« Tu veux quelque chose Sam ?

- Je… Non. »

Elle la lâcha brusquement et baissa les yeux. Root la regarda un instant puis gagna sa chambre complètement désemparée. Ce n'était pas comme ça qu'elle imaginait leurs retrouvailles.

Shaw était encore plus confuse que Root. Le baiser l'avait troublée et elle s'était dit que c'était le moment d'enfin agir, mais une fois qu'elle eût saisi Root elle avait eu un blocage et s'était trouvée dans l'incapacité de faire quoi que soit. Elle ne savait même pas ce qu'elle aurait bien pu faire.

Elle regarda la porte de la chambre se refermer sur Root et se dit qu'elle avait raté un truc. Mais quoi, elle ne savait pas. C'était trop compliqué cette fois. Tant qu'il fallait buter du monde c'était simple, mais alors là... Elle n'avait même plus une arme sur elle et elle se sentait stupide et impuissante. Elle se demandait ce qui avait pu lui prendre de suivre Root, de se laisser emmener chez elle, de prononcer des promesses débiles et de se conduire encore plus débilement, comme si elle était la pire des attardées mentales jamais mises au monde. Elle arrangea son couchage, alla éteindre les lumières et s'installa pour dormir. L'appartement était incroyable calme, on entendait juste le ronronnement de quelques appareils ménagers et le tic-tac d'un réveil ou d'une pendule. Cette soirée l'avait épuisée, elle se sentait nerveusement complètement vidée. Elle s'endormit pour sombrer très vite dans un sommeil peuplé de cauchemars.

Root fut réveillée par une sonnerie insistante, elle résista un moment jusqu'à ce qu'un son strident résonna douloureusement dans son oreille droite suivi d'un prénom.

« Shaw ! »

Elle se jeta hors de son lit et se précipita dans le salon. Shaw était plongée en plein cauchemar. Il devait être particulièrement terrifiant, car elle transpirait abondement, serrait frénétiquement ses draps et gémissait éperdument, la bouche tordue par un rictus de peur. Son corps entier s'arqua et elle hurla. Root la prit par les épaules et la secoua doucement

« Shaw ! Shaw, réveille-toi ! »

Mais son corps se tendit plus encore, elle se mit à haleter, Root lui mit les mains sur la poitrine pour la maintenir couchée, elle sentait son cœur battre à tout rompre. Sa respiration s'accéléra encore, elle était trempée, Root commençait à paniquer, elle faisait une crise, si elle ne s'arrêtait pas elle allait tomber en syncope ou faire des convulsions. Elle entendit la Machine lui donner un conseil. Elle eut un bref mouvement de recul, Shaw commençait à s'étouffer, elle la frappa. Puis elle recommença, plus fort. Elle la gifla de plus en plus en plus fort, elle y mit toute la frustration et tout le désespoir accumulés depuis des mois. Elle continua, enragée. Quand tout à coup sa main fut brutalement arrêtée et elle se retrouva nez à nez avec Shaw son regard noir de fureur à vingt centimètres de son visage, une main lui maintenant le poignet, l'autre fermée autour de sa gorge

« Qu'est-ce que tu fais, siffla-t-elle rageusement entre ses dents, je vais te crever !

- Shaw, arrête ! coassa Root la respiration coupée, tu faisais un cauchemar, tu ne voulais pas te réveiller, je… je ne savais pas quoi faire. »

Shaw la maintenait d'une poigne de fer. Un lueur meurtrière passa dans ses yeux. Elle s'éteignit soudain pour laisser place à une profonde détresse.

Mais qu'est ce qu'elle faisait ? Voilà, ça recommençait, elle avait sentit la rage monter, l'envie de tuer, elle avait failli succomber, elle avait été à deux doigts de l'étrangler ou de lui briser la nuque elle ne savait pas. Elle avait raison il fallait qu'elle parte. Mais Root prévint son mouvement de fuite.

« Sameen, tu as promis, tu m'as assurée que je pouvais te faire confiance.

- Root, j'ai failli te tuer !

- Tu ne l'as pas fait, le reste n'a pas d'importance.

- Mais...

- Chut, tais-toi. Et cette fois, tu viens dormir avec moi, tu ne restes pas seule que ce soit sur le canapé, dans l'autre chambre ou par terre ? Tu viens avec moi. Aller, bouge-toi.

Shaw se leva, Root la prit par les épaules et la poussa jusque dans sa chambre. Elle la conduisit près du lit, la retourna et exerça une petite pression sur ses épaules pour qu'elle s'asseye.

« Attends-moi, tu es trempée, je vais te chercher d'autres affaires.

- Non, ne pars pas, reste. »

Root examina attentivement Shaw, celle-ci se tenait la tête baissée, les bras ballants, les épaules voûtées, ses vêtements dégoulinant de transpiration, elle était pitoyable. Root se sentit impuissante et préféra ne pas la contrarier.

« D'accord. »

Elle se glissa dans ses couvertures.

Shaw resta immobile sur le bord du lit, elle baignait dans sa sueur, elle se sentait vraiment mal et de l'eau glacée glissait en rigole le long de son corps sous ses vêtements. Soudain, elle se leva, elle se déshabilla, frotta sa nuque, son buste, son dos et son visage avec son débardeur, le jeta plus loin et rejoignit Root sous les draps.

Root resta complètement interdite, s'il y avait bien une chose à laquelle elle ne s'attendait pas, c'était de voir Shaw se déshabiller devant elle et se glisser, nue et de son plein gré, dans son lit. Elle arrêta complètement de respirer quand Shaw vint se blottir contre elle et caler sa tête contre son épaule tandis que ses poings se refermaient sur son tee-shirt. Elle était tétanisée pour le coup. Puis, elle se tourna vers Shaw, dégagea le bras qui se trouvait entre elles et le passa sous sa tête. Shaw leva la tête et s'installa dans le creux de son épaule. Root l'enlaça dans ses bras, la serrant doucement contre elle.

« Sameen, de quoi as-tu rêvé ?

- Je ne sais pas, je ne m'en souviens pas, je ne m'en souviens jamais, sauf que j'ai…que je suis...

- Que quoi Sam ?

- Que je meurs de peur et que je suis dévorée par une rage meurtrière. »

Ses poings se crispèrent sur le tee-shirt de Root. Celle-ci la serra un peu plus contre elle et lui caressa doucement l'épaule.

« C'est okay Sam, je suis avec toi, dors n'aies pas peur, je reste avec toi.

- Je n'ai pas peur. Je sais que tu es là. Je n'ai jamais peur quand tu es là... sauf de te tuer.

- Tu ne le feras pas.

- Non ?

- Non.

- D'accord alors.

Shaw se détendit et s'endormit pratiquement immédiatement.

Root nageait dans son odeur. Elle avait l'impression d'être plongée dans son corps. C'était une sensation… enivrante.

Elle ne savait plus où elle en était. Si la Machine lui avait prédit qu'elle avait un pour cent de chance de se retrouver dans son lit avec Shaw endormie paisiblement, nue et blottie dans ses bras, elle l'aurait traitée de vieux tas de ferraille.

En fin de compte ces retrouvailles n'étaient peut-être pas aussi dramatiques que ça, déroutantes oui, mais dramatiques certainement pas.


Texte publié par Mélicerte, 11 novembre 2016 à 12h04
© tous droits réservés.
«
»
tome 2, Chapitre 1 « Le retour » tome 2, Chapitre 1
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2614 histoires publiées
1165 membres inscrits
Notre membre le plus récent est ShiroiRyu
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés