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Au-dehors se déroulait un spectacle grandiose : de tous côtés, des engins aussi lisses que du verre filaient dans un silence absolu, en projetant de longs rayons aux couleurs variées – rouge, jeune, bleu, vert... Tout ce qu'ils touchaient explosait en vastes fleurs de feu, qui s'épanouissaient avec majesté dans l'immense tapis noir piqué d'étoiles. Il pouvait presque entendre une mélodie lente et contemplative accompagner cette vision hypnotique.

Une part de lui-même lui soufflait que ce n'était pas le moment de faire de la poésie, qu'il devait se ressaisir et faire ce qu'il avait à faire... Mais encore fallait-il savoir quoi. Cette interrogation basique lui fit prendre consciente d'un fait - et non des moindres : il était parfaitement incapable de décliner son nom, son grade et son matricule, ce qui était pour le moins préoccupant. Il était tout aussi incapable de cerner ses attributions exactes, de dire ce qu'il avait mangé à son dernier repas, de donner le prénom de sa mère.

Une chose était sûre : il appartenait à l'espèce humaine – même s'il n'aurait su préciser s'il était une femme, un homme ou un inter. Il se trouvait probablement allongé dans un caisson protecteur, branché par connexion neuronale à un module qui l'interfaçait avec le vaisseau pour y accomplir d'obscures fonctions, ce qui ne lui laissait pas le loisir de contempler ses caractéristiques physiques. Le module visuel lui permettait de voir tout l'environnement extérieur, par relais interposé, en trois dimensions. Mais bizarrement, il avait du mal à cerner sa position exacte sur ce qui semblait être un champ de bataille. Comme s'il pouvait le saisir de plusieurs endroits à la fois.

Étrangement, cette amnésie, tout comme cette perception insolite, ne le surprenait pas. Il savait vaguement qu'il aurait dû s'en inquiéter, mais il n'y prêtait pas vraiment attention. Une voix intérieure lui soufflait qu'il avait une tâche à accomplir, plus importante que tout le reste. Et il était motivé à s'y tenir. Mais quelle était-elle, déjà ?

À défaut d'autre chose, il observa ce qui se passait autour de lui : il pouvait discerner trois types de vaisseaux particuliers. Les plus allongés ressemblaient à des ogives de verre poli... Il les admira avec un respect né d'une certaine crainte. Les autres, plus classique avec leur coque de métal profilé, le laissait plus indifférent... était-ce un mal ou un bien ?

Les appareils en marge du combat, dont l'apparence paraissait étrangement organique avec ses excroissances bulbeuses, lui étaient étrangement plus familiers : ils avaient été envoyés par les Zaxriss, des extra-terrestres à l'allure d'arthropodes dont les territoires s"étendaient à la frange du conflit fratricide. Ils ne participaient pas à la bataille, se contentant de maintenir une position d'observateur. Une seule erreur et ils se retourneraient contre les humains... 

Leur façon de pensée semblait si étrangère et imprévisible qu'il était difficile de concevoir ce qui pourrait les faire basculer dans une position d'ennemis. Un conflit qui s'éternisait ? La victoire écrasante d'une des deux parties ? L'élargissement inattendu du champ de bataille ? Personne ne possédait la réponse, à part, peut-être, un groupe d'éclaireurs qui avait pu longuement communiquer avec eux aux premiers temps de l'expansion, vingt ans plus tôt.

D'où tenait-il tout ce savoir ? Avait-il été l'un d'eux ? Des fragments d'images l'assaillirent soudain, un peu trop décousus pour lui donner une certitude. Il entrevoyait d'immenses cités-ruches envahies d'une lueur jaune et de long palabres avec les « échangeurs » empathes Zaxriss... Un début de compréhension, basé sur la nécessité de ne jamais rien sacrifier en vain. Les Zaxriss utilisaient les ressources de leurs ennemis vaincus, leurs villes, leurs engins... leurs corps. 

Ils n'accepteraient pas que les humains, d'un bord comme de l'autre, anéantissent leurs ennemis jusqu'au dernier, atomisés en poussière d'étoile. Ils estimeraient qu'une espèce qui gâchait ainsi les matériaux était un fléau et une menace pour l'univers tel qu'ils le concevaient et englueraient aussitôt le camp vainqueur dans leurs étranges filets carbonés qui leur tenaient lieu d'arme et se révélaient redoutablement efficace. Toute riposte provoquerait une guerre entre les deux peuples... Il ne voulait même pas songer aux conséquences.

Il fallait donc stopper ce combat, d'une façon ou d'une autre...

En contemplant les carlingues vitrifiées d'un des deux camps, il accrocha un souvenir furtif : les rayons plasma rebondissaient neuf fois sur dix sur le matériau réfléchissant... Cependant, leur effectif paraissait moins important. En les observant, il comprit que les pilotes s'efforçaient visiblement de ne jamais exposer le ventre de leurs engins, sans doute parce que là se trouvait leur talon d'Achille. Il ignorait d'où lui venait un tel savoir, mais il ne pouvait laisser échapper ce seul espoir de survie... Même si cela signifiait qu'il trahissait son propre camp. Avait-il encore le choix ?

C'était la solution... endommager ces vaisseaux d'un unique tir au but, assez puissant pour neutraliser les machineries sans toutefois entraîner l'explosion des moteurs. Ce qui exigeait des réglages très fins et une extrême précision. Tout résidait dans le calibrage... Seul un canonnier particulièrement expérimenté pourrait réussir cet exploit. Mais il se savait capable d'accomplir ce défi les yeux fermés, mais aussi de donner à ses compagnons d'armes les bonnes directives, du moment qu'ils lui faisaient confiance. Ce n'était pas si compliqué...

Surtout avec l'expérience d'un pilote hors pair. Celui qui pourrait effectuer la manœuvre idéale pour que l'objectif se trouve juste dans la ligne de feu. Même le pilotage par connexion neuronale exigeait un « doigté » très particulier... Le doigté qu'il maîtrisait très exactement. Il jubilait déjà à l'idée de ce mouvement délicat qui engagerait tout son talent.

Il aurait dû trouver étrange de cumuler un telle somme de compétences. Et pourtant, il l'acceptait totalement, sans vraiment le comprendre. Il explora mentalement un environnement dont il s'était brièvement coupé : il avait bien accès aux fonctions de son vaisseaux. A toutes les fonctions.

Le ballet silencieux et flamboyant se poursuivait comme au ralenti. Pendant qu'il demeurait perdu dans ses réflexions, le temps s'était comme arrêté. Il reprendrait son emprise, brutalement, dès qu'il faudrait agir. Mais il ne pouvait se lancer seul. Si les ennemis qu'il s'était choisis voyaient clair dans sa tactique, ils appliqueraient aussitôt la contre-mesure. Sauf si chaque appareil du camp adverse accomplissait au même moment la bonne manœuvre et le bon tir, précisément au même moment. Tout d'abord en se désengageant pour se mettre dans la configuration adéquate, puis en suivant exactement la même démarche que lui. Ce qui semblait virtuellement impossible...

Et pourtant...

Tandis qu'il se noyait dans la symphonie du combat qui reprenait son rythme, il s'aperçut qu'il ne se trouvait pas à un endroit précis... Mais d'une certaine manière, partout à la fois. Il contrôlait non pas un seul vaisseau, mais des dizaines. Il était éclaireur attentif, mécanicien observateur, canonnier habile, pilote virtuose... Il était une escadrille à lui seul. Il aurait dû en avoir le tournis, mais la situation lui semblait étrangement... naturelle.

Dans un lent mouvement emprunt d'une absolue sérénité, chacun des appareils à la coque d'acier s'éloigna du feu, pour se réengager dans la configuration qui lui permettait de se glisser sous le ventre des engins vitrifiés. Les canons crachèrent, avec la précision et la force de frappe exacte pour neutraliser les engins sans les démanteler.

Les quelques « adversaires » qui avaient réagi assez vite pour garder leur mobilité comprirent, en voyant leurs camarades flotter, désemparés, dans la mer noire de l'espace, qu'il était inutile d'insister. Ils prirent la fuite vers le vaisseau mère qui les attendaient au couvert d'une lune glacée.

Les Zaxriss, après une pause d'observation, se retirèrent à leur tour, livrant à l'escadrille victorieuse l'absolue maîtrise du terrain.

« Phase de fusion terminée ».

À ce moment précis, l'esprit unique créé par la fusion de l'ensemble des consciences des soldats du Gouvernement unifié disparut ; chacun retrouva son individualité. Après un bref instant de désorientation, ils laissèrent échapper un cri commun de victoire.

Ils s'étaient montrés, pour la plupart, sceptiques sur l'emploi ce système, qui avait pourtant, en ce jour, prouvé son utilité de manière éclatante. La désorientation initiale aurait pu tourner au drame, mais leur loyauté avait subsisté au plus profond d'eux-même. Ils avaient évité une guerre avec les Zaxriss et mit fin à l'expansion des Staraniens. Un groupe de séparatistes humains dont la philosophie était d'exploiter chaque parcelle de la galaxie à leur profit, sans le moindre état d'âme...

Et même si, pendant quelque temps, demeurait en eux un peu de l'éclaireur, un peu de l'officier, un peu du pilote, un peu du canonnier, un peu de tout le monde à la fois, sans qu'ils sachent précisément lequel de leur compagnon avait émergé au moment où l'on avait le plus besoin de son expérience, ce n'était pas si grave.

Ils en sortaient tous plus vaste qu'eux-mêmes... 


Texte publié par Beatrix, 10 septembre 2016 à 09h53
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