« [...]
Alors que le pharaon Khéops ordonnait à ses architectes de bâtir la grande pyramide de Gizeh, Menset et moi-même nous rendions dans le vieux temple. Nous avions coutume de nous y rendre le deuxième jour de la saison d’Akhet. Le premier était consacré à la célébration de la nouvelle année qui débutait. Menset ne pouvait pas s’absenter, sa fonction de grand prêtre de la Déesse Maât l’en empêchant. Je le comprenais et l’acceptais, comme j’acceptais ma fonction de scribe auprès du pharaon Khéops et ses conséquences. J’avais vécu en ce premier jour de cette nouvelle année une de mes meilleures festivités. Tout le monde était heureux. Nous nous sentions plus que jamais protégés par les Dieux. Et nous le chantions avec joie et reconnaissance. Le Nil avec sa nouvelle crue nous promettaient des terres fertiles et des cultures abondantes. Hâpy se montrait généreux.
[...]
Lorsque nous arrivâmes dans le temple de Râ, Menset se montra agité, presque impatient. Depuis quelque temps, je trouvais que le comportement de mon ami n’était pas habituel. Je sentais quelque chose de nouveau chez lui. Et parfois, cela me mettait mal à l’aise. Mais je me rassurais vite en songeant que c’était une sensation due à mon imagination trop fertile. Car quand il me regardait ou me parlait, Menset restait fidèle à lui-même. C’était un compagnon sur lequel je pouvais toujours compter. Cependant, quand il se tourna vers moi, mon sang se glaça et toutes mes suspicions refirent surface. Tout m’enjoignait à rester sur mes gardes. Menset n’avait plus rien de mon loyal compagnon. Son regard avait changé. Mon instinct criait au danger. Lorsqu’il fondit sur moi en un éclair, je n’eus pas le temps de saisir ce qu’il se passait. Tout fut trop rapide. Mes souvenirs de cet évènement sont devenus des brides disparates, sans aucun sens. Deux choses restent néanmoins présentes dans mon esprit : une douleur soudaine et un froid engourdissant qui me plongea dans un profond sommeil...
[...]
Lorsque je me suis réveillé, tout me semblait trouble, déformé. Je me sentais étourdi, comme ivre. Cependant, il s’agissait d’une ivresse étrange. J’ignorais encore ce qu’il m’était arrivé et je n’étais pas capable de bouger à cet instant. Mon corps était lourd. Pourtant, je ne souffrais pas. Je ressentais simplement chaque parcelle de ce dernier de manière plus intense. En réalité, tout était plus fort : la lumière du soleil – don du grand Dieu Râ – qui passait par la fenêtre, les odeurs de papyrus vierges posés sur ma table de travail – dont le parfum du bois se mélangeant habilement aux feuilles venait chatouiller mon nez –, les respirations d’autres personnes, leurs voix… Étrangement, ces sensations me rassuraient alors qu’elles auraient dû m’effrayer. Car, dans tous ces ressentis, j’avais acquis une certitude : je savais que j’étais dans ma case et que mes collègues travaillaient à leurs ouvrages. Je n’étais pas seul et les bribes de souvenirs qui me hantaient ne devaient être que le fruit d’un cauchemar alimenté par une beuverie avec un vieil ami. Tout du moins, je tentais de m’en persuader. Mais plus je restais allongé sur ma paillasse, plus les souvenirs embrumés de mon esprit devenaient clairs. Chaque image, que j’espérais être un cauchemar, devenait plus nette, plus concrète. Et, subitement, comme le Dieu Râ traversait inéluctablement les cieux sur sa barque sacrée, les évènements me revinrent dans leur intégralité. Je revis tout ce que Menset m’avait fait... Et ce fut douloureux...
[...]
Aujourd’hui, je sais tout avec certitude. Menset m’a confié ce qu’il pensait être une extraordinaire découverte. Pour moi, cependant, il s’agissait de la plus grande malédiction que les Dieux nous avaient lancée. Il n’était pas question pour lui qu’il ne la partage pas avec moi. Il me promit du changement et une nouvelle ivresse. Je ne le crus qu’à moitié. Cette discussion remonte déjà à une lune, et je remarque avec effroi que je deviens ce qu’il m’avait prédit. Je suis en colère, pourtant, je ne peux le repousser. Menset est mon maître, mon amant, mon père, mon frère, mon sauveur... Il est celui qui m’a tendu la main quand je mourais de faim. Je ne peux me résoudre à le trahir. J’ai peur, mais, en même temps, je me sens si courageux... Je lui parlerai. Il le faut. Par respect pour lui et ce qu’il a fait pour ma vie...
[...]
Le noir m'engloutit, m’empêchant d’écrire proprement. Cependant, je me dois de transmettre ce témoignage du cauchemar que j’ai vécu. Ma vue m’a été prise en même temps que le reste. Alors que le temple de la Déesse Maât a son sol parsemé de morts – l'armée que Menset s'était créée avec le sang de Sekhmet pour devenir pharaon et que j’ai dû décimer –, je dois fuir. Rien ne sera plus comme avant. Pourtant... Pourtant, à présent, je sais où je dois aller et ce que je dois faire. Je vais le sauver et ainsi faire en sorte que jamais de telles atrocités comme celles que j’ai vues aujourd’hui ne se reproduisent...
[...] »
Extraits du journal de Getseth, scribe du pharaon Khéops, 2529 avant Jésus Christ.
Traduction et retranscription du Docteur Willys Nicholas.
Londres, Angleterre, le 13 février 1991.
Appartement de Nicholas Willys.
Sous la lumière vacillante de sa lampe de bureau, Nicholas retira ses lunettes. Il relut une dernière fois ce qu’il venait d’écrire. Sa traduction avait été longue. Mais il savait qu’il n’avait commis aucune erreur. Il avait vérifié assez de fois le texte pour s'en assurer. Satisfait, il ferma son carnet et rangea soigneusement le journal, veillant avec soin à ce qu’aucune feuille en papyrus ne s’abîme. Il était pleinement conscient de la fragilité de l'ouvrage. Il rangea ce dernier dans un tiroir du bureau qu’il ferma à double tour. L’homme observa un moment le meuble avant de se décider à quitter la pièce pour aller se coucher. Il avait cependant la tête pleine de questions. Il venait de traduire cinq feuillets de sa précieuse découverte. Pourtant, le récit qu’il découvrait ne lui apportait rien de plus que des faits étranges. Néanmoins, un sentiment inconnu, comme une intuition, lui murmurait que cette histoire n’était qu’un commencement. Certain de ce fait, il se coucha avec les derniers mots de ce mystérieux scribe en tête. Son sommeil se peupla alors d’obscurité et de désirs de vengeance, ponctués par une volonté de sauver un ami qui n’était pourtant pas le sien.
Londres, Angleterre, le 13 février 1991.
Rue « High Street ».
C'était une nuit sans lune et la rue était déserte. Pourtant, l’ombre qui se faufilait ne semblait pas s’en formaliser. Elle avançait avec une légèreté aussi gracieuse que silencieuse. Cependant, elle semblait invisible, presque irréelle. Et nul n’aurait pu la remarquer, si elle n’avait pas chanté. Une étrange litanie s’échappait de ses lèvres, troublant le calme des environs. Mélancolique, solitaire, froide et sans âme, elle semblait s’adresser à tout le monde et à personne à la fois. Elle était triste et si lancinante en même temps.
« Mélopée qui naît à l’ombre d’un soir,
Notes inspirées au détour d’un désespoir,
Chant envoûtant, enivrant mon cœur,
Illusion perdue, miroir de vos peurs.
Une ombre est derrière l’instrument,
Le piano pleure avec répulsion.
Une âme effrayée écoute et entend.
Elle découvre alors une perdition. »
La complainte s’arrêta brusquement et l’ombre accéléra pour subitement fondre sur sa proie. La mélodie avait trouvé son auditoire : un homme d’une trentaine d’années qui ne comprit pas ce qu’il lui arrivait. Il marchait, souriant et content de sa journée. Mais, à présent, il était contre ce mur froid, seul. Il observait d’un œil vitreux l’ombre s’éloigner en silence. Son sang coulait, s’échappant d’une blessure à son cou. La vie le quittait peu à peu. Seule une mélodie étrange résonnait dans son cœur. Il l’avait entendue quelques instants plus tôt, et il se souvenait qu’elle parlait de piano et de chants… Ses yeux se fermèrent et l’obscurité le gagna à tout jamais, ses dernières pensées étant pour cette chanson qui annonçait sa mort. Au petit matin, un cri s’élèverait, sonnant ainsi le glas du début de son voyage vers le cimetière.
Mais, de tout cela, l’ombre s’en moquait. Sa panse était remplie et elle avait pu se divertir un peu. Elle retourna chez elle sans un bruit, disparaissant dans la nuit comme elle était apparue. Elle s’endormirait au lever du soleil et ne penserait plus jamais à cet homme trop souriant qui avait eu le malheur de croiser son chemin.
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