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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

Quand la porte se rouvrit, la momie avait disparu. Il était prostré en une boule, sous son manteau de velours, et il frissonnait. Evana tenait son tabouret dans les mains, prête à se défendre s'il ne lui laissait pas le choix. Heureusement, il ne montrait aucune velléité de s'avancer.

— Je ne te voulais pas de mal, murmura-t-il. Je t'avais dit de ne pas me toucher. Je ne peux rien contre toi si tu ne me touches pas.

Elle avait cru entendre des sanglots durant son moment de panique. Mais elle avait aussi remarqué autre chose :

— Pourquoi fait-il toujours nuit ? Cela fait des heures et des heures que je suis réveillée et le soleil n'est toujours pas là.

— Alors tu as enfin compris. As-tu essayé d'aller dehors ?

Lentement, elle se déplaça en crabe, son attention ne quittant pas le manteau, et arriva devant sa porte d'entrée. Elle l'ouvrit et jeta un œil dehors. C'était le néant. Du noir et rien d'autre, à perte de vue.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que tu as fait ?

— Ne laisse pas la porte ouverte. Nous ne savons pas ce qui pourrait entrer.

Elle remit le verrou, de plus en plus nerveuse.

— Que se passe-t-il enfin !

— C'est un déplacement singulier, qui a eu lieu au moment même où je suis arrivé ici. On dirait que j'ai un peu trop tiré sur la corde en remontant.

— Je veux rentrer chez moi ! Le véritable chez-moi !

— Du calme. J'ai vu des milliers de mondes et tous les plans de l'existence. Ma présence a percé dans l'infini de ce qui est. Je suis simplement trop lourd pour toi. Au moment où je serai parti tout rentrera dans l'ordre. Je sais bien que je ne suis plus le bienvenu.

— Dans ce cas, va-t’en !

— Je ne le peux pas. Mes pouvoirs sont anéantis. J'ai besoin de ton aide Evana Violvet, pour rentrer chez moi et sauver mon ami.

Ainsi, elle se retrouvait dans une impasse. Tout lui disait de ne pas lui faire confiance. Le problème étant qu'elle se retrouvait coincée, prisonnière à l'intérieur de sa propre maison, le lieu qu'elle avait considéré comme le plus sûr du monde quelques jours auparavant.

— Que comptes-tu faire de moi ? Dis la vérité !

— Rien. Tu n'as rien que je veuille. Tu n'as aucune connaissance sur la façon dont ton corps de pantine a été construit. Tu n'as aucune connaissance sur l'imbrication des Univers. Pourquoi te dévorerais-je ?

— Tu pourrais prendre mon corps !

— Oui. Et je me retrouverais du même coup coincé ici. Loin de mon monde. Loin de mon ami. Ma trahison serait totale. Non, ce n'est pas ce que je veux. Je suis peut-être un monstre mais je n'ai jamais rompu une promesse.

Une partie d'elle-même voulait se persuader qu'Armstrong n'était pas vraiment le monstre qu'il disait être. S'en était-il persuadé, comme elle autrefois ? Non, sa conscience lui disait que ce ne serait pas tout à fait exact. Il avait fait souffrir autrui et elle ne savait plus quoi penser. Elle voulait l'aider mais savait aussi qu'il lui mordrait la main. Elle voulait partir, mais savait qu'il s'accrocherait à elle, jusqu'à la fin.

— Puisque je n'ai pas d'options, qu'attends-tu de moi ?

— Prête-moi un peu de ta volonté et je pourrai partir. Vois-tu, je sais où je dois aller, sauf que je n'ai plus rien pour m'y emporter. Il y a cette énergie en toi et c'est elle qui me renverra de là où je viens.

— Qu'ai-je à y gagner ? Pourquoi prendrais-je un tel risque ? Tu pourrais me faire du mal, ou ne pas me renvoyer dans mon propre monde.

— Tu n'as aucune crainte à avoir de ce côté-là, je le jure. Cependant, j'imagine bien que ma parole ne doit pas signifier grand-chose pour toi. La curiosité ne serait-elle pas un meilleur argument ? N'as-tu pas envie d'aller là où jamais tes jambes ne pourront te transporter ? Voir l'éternité dont tout le monde parle, sans que l'imagination des hommes ne puisse jamais l'effleurer ? Je peux t'emmener au travers du cosmos. Tu n'auras plus jamais une telle chance.

— Promets alors que tu vas réparer tes fautes. Que tu vas aider ton ami, coûte que coûte.

— Ce ne sera pas une promesse dure à tenir, lança-t-il avec audace.

— Que dois-je faire maintenant ?

La pantine se tenait droite comme un piquet, déterminée à sortir entière de cette tétanisante mésaventure.

— Approche. Tout ce que tu auras à faire, ce sera de te sentir libre. Je me chargerai du reste. Mais tu vas tout d'abord me donner un nom.

— Un nom ? murmura-t-elle, surprise.

— Oui, Evana Violvet. Une fois chez moi, je ne serais plus jamais Armstrong. Je n'ai jamais été Armstrong, ce nom m'a été donné par erreur et même si c'est sous ce pseudonyme que je resterais connu parmi les miens, j'en désire un nouveau, uniquement à moi, qui restera notre secret et que personne dans mon univers ne connaîtra.

C'était une bien étrange requête. Pourquoi ne pas s'en choisir un lui-même ? Elle eut soudainement l'intuition qu'il y avait une raison secrète à cela, qu'elle ne pouvait pas discerner clairement et qui revêtait une forme d'importance. Elle se mit à réfléchir. Comment trouvait-on un nom déjà ? Son accent... elle le reconnaissait, c'était un accent anglais. Peut-être chercher dans cette direction ? Quelle dénomination pour un tel pantin cependant ? Ni vivant, ni mort. Jamais complété, jamais conçu pour vivre comme elle, voyageant ainsi au travers des mondes, par un procédé qu'elle ne pouvait commencer à comprendre. Y avait-il un recoin de l'Univers qui lui était inaccessible en temps normal ? Et si c'était le cas, alors comment pouvait-il se sentir si... Quoi ? Isolé ? Englouti ? Mort ?

Ou alors était-ce cela, la clef du problème ? Armstrong était extraordinaire, mais ses capacités venaient avec le prix de son existence. C'était ce qu'il avait maladroitement tenté de lui expliquer. Il ne pouvait avoir ces connaissances qu'en restant loin de la finitude de la vie des mortels. En tout cas, c'était ainsi qu'elle le voyait. Elle s'appliqua donc à passer en revue tous les mots qui pourraient lui convenir, persuadée par une inspiration soudaine que cette décision pourrait influencer son devenir, par une mécanique qu'elle ne comprenait pas.

— Tu as choisi.

— Oui, j'en ai un. Je ne sais pas s'il fera l'affaire.

— Donne-le-moi et nous pourrons partir.

Evana revint vers lui et s'agenouilla près de la petite forme, cachée par ce grand manteau bleu ciel. Le cœur battant d’appréhension, elle chuchota :

— Tu t'appelles... Infini.

Aussitôt, il sembla s'allumer d'une lueur verte, qu'elle voyait par transparence au travers du velours. En un instant, elle fut éblouie... Mais pas par la lumière. C'était... Invisible. Et pourtant elle le voyait. Juste, pas avec ses yeux. Elle eut un vertige, une sensation de chute à l'intérieur de son propre corps. Elle prit de la vitesse, de plus en plus. Lorsque le blanc se dissipa, elle se rendit compte qu'elle était entourée d'une nuée d'étoiles, plus claires encore que celles qu'elle voyait dans le ciel nocturne. Ce qui fut d'abord un effondrement, devint une aspiration. Le bas devint le haut. Elle volait, vers une direction inconnue, quelque part dans cette étendue aux mille couleurs sur fond noir. Elle réalisa enfin qu'une boule de lumière voyageait à côté d'elle, semblable à une étoile filante de couleur verte, un trou noir en son centre lui tenait lieu de noyau. Elle le reconnut.

Tous deux tourbillonnaient autour d'un axe invisible. Une force les liait l'un à l'autre et leur mouvement giratoire les propulsait dans le vide. Qu'avait-il dit déjà ? Se sentir libre ? Elle regarda autour d'elle et vit des planètes défiler au loin. Elle en reconnut quelques-unes... Où allaient-ils ainsi ?

— N'importe où.

Le reste de l'Univers était à portée de main. Ils frôlèrent la surface d'une géante aux nuages colériques avant de se diriger vers une étendue bleue plus éloignée. Evana voulait les voir de plus près, toucher du doigt les comètes... Aussitôt, il les redirigea vers une nouvelle étoile autour de laquelle filaient de petits corps célestes, tels des dauphins naviguant à l'avant d'un bateau. En tendant sa main, elle se rendit compte que son corps n'était plus vraiment un corps. Elle sentait le froid des chevelures de glace mais n'était pas gelée. Les rayonnements purs des soleils étaient extrêmement chauds, et pourtant ne la brûlaient pas. Elle ne voyait pas son bras. La pantine était invisible. Sentant ce haut-le-cœur causé par leur allure croissante, elle tourna son attention vers la direction de leur trajectoire, au cœur de l'étendue irisée dont la texture rappelait un épanchement d'huile dorée sur une marre d'eau.

Ils allaient vers de nouveaux points bleus à une vitesse vertigineuse, les soleils se regroupaient en nuages massifs et lumineux. La transparence pure de l'espace était fascinante. Malgré cette distance qui se creusait, Evana parvenait à ressentir chaque planète comme un chaud battement de cœur et elle pouvait presque y voir leurs vies propres. Il y en avait des millions, des milliards et tout cela valsait autour d'eux joyeusement. Le vide chantait d'une voix aiguë qui n'était pas du son. Elle aurait voulu passer sa vie à explorer chaque recoin de l'immensité, même si une vie seule ne serait jamais suffisante. Les couleurs, les lumières, les ténèbres, tout ça s'entrechoquait, se mélangeait, créant des effets qu'elle ne connaissait pas. Ils volaient libres dans une énergie sans fin, avec la sensation que tout le savoir du monde était juste là, à portée, sans livres ni portes verrouillées. Puis ils laissèrent le chatoiement coloré des galaxies derrière eux pour s'approcher d'une immensité sombre, comme une bouche gazeuse qui donnait sur un noir plus que noir. Ils s'en approchaient de plus en plus vite.

— Merci.

La boule verte se sépara d'elle et fusa avant de disparaître dans l'obscurité. La bouche se referma sur lui. Elle se retrouva seule, flottant dans le vide. Puis elle se mit à tomber, comme si son poids avait doublé, quadruplé. Evana était littéralement aplatie par une pression phénoménale qui la renvoyait vers les astres. Soudain, elle perçut d'autres pantines, toutes côte à côte autour d'elle. Une réflexion à l'infini. Toutes tombaient. Sa vision se troublait. Elle ne supportait plus d'être écrasée à ce point... Elle était si lourde...

* * *

Evana se réveilla en sursaut. Elle ne savait pas pourquoi. Son réveil ne fut accueilli que par le silence. Elle avait la certitude d'être seule. Qu'est-ce qui l'avait secouée ainsi ? Dehors, le soleil brillait de toutes ses forces. Il devait être presque midi ! Elle se leva.

Puis le doute. Elle se rappelait vaguement un rêve. D'un pas rapide, la pantine se précipita dans la pièce adjacente. Tout était normal. Sa tête était si confuse. Déjà les souvenirs de l'immensité se perdaient, hors de portée de son esprit, mais toujours un peu là. Elle voulait revoir avec précision, les planètes et les galaxies, hélas ce qui avait été d'une précision limpide dans son rêve n'était plus qu'un grand flou coloré.

Peu à peu, sa mémoire se dissolvait au fur et à mesure que ses pensées l'effleuraient. Durant cette brève période où le souvenir de l'étrange visite demeurait encore, elle se demanda pourquoi. Pourquoi un être qui pouvait passer l'éternité dans le savoir titanesque du cosmos, sur chaque planète qui eut un jour existé... revenait sans cesse vers l'amertume d'une si petite vie qui lui avait été prise et qui, au final, n'était rien face à la chanson de l'univers et à la multitude des existences possibles.

Elle ne pourrait jamais le lui demander.


Texte publié par Yon, 11 août 2016 à 09h42
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