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volume 9, Chapitre 1 « Quatre Guerres : Féerie » volume 9, Chapitre 1

Autant que dure la guerre, l’homme ne relève plus la tête.

Face contre terre, face contre mère, le camarade git dans la boue ; ses jambes ont disparu, emportées par un obus de mortier. A demi-enfoncé dans la terre gorgée d’eau, son torse laisse éclater quelques dérisoires bulles de sang. Dans ses yeux, plus rien ne vit, la lumière qui s’y réfléchit est devenue laiteuse. Dans une main se terre un médaillon, minuscule ; portrait miniature d’un être aimé et à présent à jamais perdu. À droite, le galonné ne donnera plus jamais d’ordre, une fleur d’or décore sa poche à hauteur de son cœur. Sa langue boursoufflée pend hors de sa bouche édentée ; il l’avait trop pendue, le voici récompensé comme de juste. Plus loin, le radio paraît pris de terreur ; il a l’écume aux lèvres et les mains jointes ; il prie, semble-t-il. Qui ? Pourquoi ? Il n’y a plus rien dans ce cloaque. Sauf lui, qui le contemple d’un air dément. Au-dessus des têtes, la mitraille vole au rythme du staccato des armes. Tac, tac, tac ! Français ? Anglais ? Boches ? À présent, le radio pleure ; il rit ; il tremble de tous ses membres ; ses sanglots étouffés sont rendus inaudibles par le fracas des bombes qui explosent lorsqu’elles touchent le sol.

Les explosions l’ont rendu fou, il se dévêt ; nu, il se précipite vers une échelle de fortune ; il ne le retiendra pas. Au-dessus, la brume vorace l’avale ; il ne fera pas plus de quelques pas ; il titube. Dans le brouillard, ses yeux luisent tandis que de sa bouche une langue bleue et boursoufflée jaillit. Autour, tout n’est plus que silence, les armes se sont tues, les vivants aussi. Le corps ploie sous son propre poids. Poupée de chair, il s’est raidi un instant, avant de choir ; un peu de sang sur le visage. Là ! Juste en dessous du nez, traînés écarlates sur une peau devenue ivoire. Guignol de fête foraine, il s’affaisse dans un bruit mou, la figure tournée vers une chose qu’il n’appréhende pas. Où sont les autres ?

Il n’y a plus que des ombres ; dans le ciel, le soleil est sûrement haut. Dans la cavité, le poste crachote ; les ordres pleuvent en même temps que se déchaînent des sarabandes de parasites. Inaudible, le commandement vomit un flot de paroles insanes et dépourvues de sens. Mais que faire, s’il n’y plus personne pour les entendre, encore moins pour les exécuter ; une balle perce le silence. Lente, elle se traîne. Dans son sillage, elle emporte un peu de la brume, dérisoires filaments vaporeux ; un peu de fumée s’élève de la grotte. Le poste tressaute un instant ; il hésite, grésille, puis explose dans un bruit mat. Les entrailles à nu, il donne à voir un enchevêtrement de fils au milieu de débris de verre et de métal. Au bout de sa main, le canon est encore chaud et c’est un soulagement ; il a si froid. Un sourire se dessine sur les lèvres gercées tandis que vole la machine infernale. Les yeux levés, il devine le ciel voilé. C’est la nuit, il n’y a plus que lui ; les bruits se sont tus ; ils ont disparu.

Du regard, il balaie encore une fois la tranchée fangeuse ; les corps ont disparu, eux aussi. Du commandant ne demeure que le sabre, dont la garde scintille dans l’obscurité et de son camarade, ne reste que le médaillon maculé de boue. Sur le rebord, il ne devine plus que la forme en creux ; le mat a disparu. Il est seul, seul parmi les ombres qui dansent autour. Combien de temps s’est écoulé ? Il l’ignore et s’en moque. Du bout des lèvres, il embrasse la terre, il embrasse le ciel encore vierge.

La guerre n’est plus, l’homme a relevé la tête.


Texte publié par Diogene, 23 décembre 2018 à 10h45
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