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volume 8, Chapitre 3 « Quatre Choses : Larme » volume 8, Chapitre 3

– Que fais-tu ?

Mais il n’avait pas entendu. Les paroles avaient été bues par le fracas des vagues sur la grève déchiquetée. Le vent s’enroulait autour de la silhouette dressée dans l’horizon noir.

– Tu as dit quelque chose.

Surprise, la chose-larme se rétracta et prit une couleur olivâtre. Confondue avec les roches couvertes de goémon, elle observait de loin l’ombre qui s’agitait au-dessus des flots. Parfois, il en est de plus hautes qui le submergeait. Pourtant, il demeurait immobile, la tête penchée en arrière. Alors son corps se tordait et épousait la courbe liquide qui s’écrasait ensuite sur les rochers écrêtés. La chose-larme n’osait pas bouger, trop effrayée, trop terrorisée, par la venue de cet être qu’elle n’avait jamais encore vu. Soudain, elle avait sauté et s’était précipitée au sein des flots tumultueux. La chose-larme ne savait que faire, car elle n’ignorait pas quel destin attendait tous ceux qui plongeaient. Grisonnante, elle rampa quelques instants sur le sol chaotique et se pencha que la vallée liquide. Quelques grosses bulles crevèrent la surface verdâtre, puis elles devinrent de plus en plus fines, jusqu’à ce qu’il n’en y eut plus. La chose-larme demeura ainsi de longues minutes, puis se retira.

Derrière elle, les vagues s’écrasaient de plus en plus fort contre les contreforts, comme animées d’une volonté nouvelle de destruction et d’annihilation. La chose-larme soupira.

Pourquoi en était-il toujours ainsi ?

Les yeux gonflés et humides, la chose-larme s’éloigna, amère de voir périr, encore une fois, dans la vallée liquide l’un de ces trop nombreux chasseurs de chimères.

– Pourquoi t’es-tu précipité ?

Mais aucune réponse ne lui parvint, seul l’écho du fracas des vagues à la surface troublait le silence des lieux.

– Pour ça !

La chose-larme sursauta. Les yeux grands ouverts elle explora l’univers autour. Mais non, il n’y avait personne. La voix était si douce, si éthérée. Elle avait sans doute rêvé. Encore une fois, elle fouilla le ciel bleuté que rien ne semblait pouvoir troubler, pas même ces masses blanches, qui délivraient des larmes de sang lorsque venait le temps. Déçue, elle ferma les yeux, bercée par les rugissements de la mer et le roulis des galets.

– Pourquoi es-tu toujours triste ?

– Parce que c’est ainsi.

La chose-larme avait répondu sans réfléchir, parce que c’était toujours ainsi. Les choses étaient immuables ici. La curiosité l’emportait et la mort fauchait. Soudain, elle aperçut la silhouette ; elle brillait. Non ! Ses mains brillaient et le ciel. Le ciel avait disparu, enfoui dans un voile de non-couleur. La chose-larme, terrifiée, se figea. Plus rien n’était comme avant, seul le bruit des vagues était encore là, rassurant.

– Pourquoi as-tu peur ?

Dans le ciel – mais l’était-ce encore – elle apercevait cette forme qui autrefois dansait au milieu des vagues. Elle flottait au-dessus des flots déchaînés et tenait entre ses mains une pierre qui n’avait pas de couleur. Était-ce sa voix, à la fois enveloppante et rassurante, que la chose-larme avait entendue ? La chose-larme ondula et son teint vira.

– Je ne sais pas.

La silhouette étendit son bras vers la voûte qui n’était plus. Au bout de ses doigts, l’objet qu’elle tenait brillait de plus en plus. La chose-larme se souvenait. C’était une pierre, une pierre jadis cachée au fond de la mer. Elle l’y avait jeté pour ne plus jamais être terrifiée.

– Pourquoi fais-tu cela ?

La chose-larme tremblait tandis que la silhouette se rapprochait d’elle. C’était un enfant, pas très grand, aux yeux immenses. Derrière lui, la pierre pulsait de cette vie qu’elle avait failli lui ravir.

– Je ne sais pas.

Sa voix était un murmure lointain.

– Je sais seulement que tu ne rêves plus.

– C’est pour cela que tu es allé chercher la pierre-ombre ?

L’enfant ne répondit rien. Il se contentait de sourire, son regard posé sur la chose-larme réfugiée dans son trou. Il tourna la tête en direction de la voûte, puis pointa un doigt vers la pierre-ombre.

– Chaque rêve est l’écho lumineux d’une ombre. Ne l’oublie pas !

La chose-larme tourna ses yeux vers la tache sombre qu’était l’enfant et dont les échos se déployaient dans son monde. Il disparaîtrait bientôt et cette pierre-ombre serait son ultime cadeau.


Texte publié par Diogene, 19 novembre 2017 à 21h20
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