Il est minuit et le train est parti. Dans les wagons, tous les passagers sont endormis. L’homme sans visage et le marchand de sable le dévisagent. Assis à leur gauche, le contrôleur contemple l’avenir ; ce chemin fait d’étoiles sur lequel ils sont lancés, cette route qui traverse la Voie lactée. Lui, le conducteur, s’est retourné. Lui seul peut leur accorder ce pardon que jamais ils ne réclameront. Alors, avec cette nonchalance qui les fascine tant, il délaisse les commandes, puis se lève.

Tous connaissent le rituel, immuable et sans surprise. Seul le nom change et lorsqu’il revient, c’est pour mieux partager un moment d’émotions. Sous l’œil bienveillant des astres scintillants, ils s’assoient tous les quatre autour d’une table. Lui, l’homme sans visage, qu’une voyageuse égarée et apeurée a mutilé quand, posant le pied sur la marche du train, elle a aperçu la face sombre et hideuse de l’homme au sable. À sa droite, le contrôleur et sa casquette qui, toujours, dissimule son regard. Encore une fois, cette nuit, il a failli à son devoir ; il est rongé par le désespoir. À sa gauche, le marchand de sable et ses yeux cave. Lui non plus n’a rien oublié de ce funeste soir, où son sable est passé du blanc au noir. Un sourire meurtri sur ses lèvres, il se lève et en jette une poignée dans les airs. Les grains demeurent suspendus et il en sera ainsi tant qu’il n’en aura pas décidé autrement. D’un signe de tête, il invite le dernier des hommes. Celui-ci se redresse et dévoile des yeux de verre, emplis de poussières argentifères. Pendant un bref instant, cet enfant paraît.

Hélas, rien ne fera revenir cette âme et tous le savent. Néanmoins, par ce partage, il lui cède un peu d’espoir, car un jour ou l’autre toutes les âmes prennent le train de nuit, le train de minuit.