Pourquoi vous inscrire ?
«
»
volume 3, Chapitre 4 « Quatre Ecritures : Gauche » volume 3, Chapitre 4

J’ai le choix, plume d’oie, mine de charbon ou ver à soie. Tout ça, pour quoi ? Pour le tremper dans un encrier, dont les reflets argentés se perdent dans les travées ?

– Que fais-tu ? s’écrie une voix.

Je ne sais si je dois en être agacé ou soulagé. Il y a si longtemps que je ne l’avais pas entendue. Heureusement pour moi, personne ne l’avait remarquée. Au fond, sans doute, était-ce mieux ainsi, car alors on m’aurait remis dehors, alors que je fais tout pour rester dedans. Je ne l’ai jamais vue, seulement entendue. Parfois, je trouve cela dommage, d’autres fois, non. Allez donc savoir avec un esprit si fantasque, qu’il est rare que je sache ce que je veux.

– Dis ! Pourquoi tu ne me dis pas ce que tu fais ? Ce n’est pas gentil, hein !

Je pose un doigt sur mes lèvres, tandis que, du plat de ma main libre, j’explore ce que j’ai couché à la surface du bureau. La feuille est épaisse. Sous mes doigts courent des ravines plus ou moins profondes, qui n’attendent qu’une chose. À moins que moins que ce ne soit-elle là, qui me souffle ces choses ? Je la crois boudeuse, si je déchiffre correctement ses murmures inaudibles.

– Pourquoi me poses-tu la question ? L’ignores-tu ?

Je la sens surprise, prise au dépourvu. Elle ne s’attendait sûrement pas à un coup aussi bas, de ma part.

Pris de délire, je me jette sur ce qui me sert de couchage, renonçant pour le moment à mes prétentions sur cette plage de carton, qui me nargue depuis ce matin, ou demain. Je ne sais plus trop. Je passe mes bras autour de ma figure, pour ne plus à contempler ce plafond de verre, où s’agglutinent par grappes entières des visages, par trop, semblables. Et si eux aussi n’étaient que le fruit de mon imagination. Cela expliquerait pourquoi je ne les vois que de temps à autre. Mais alors, pourquoi ne fais-je que l’entendre, elle ? Jamais, je ne la vois. Quelle tristesse ! Je la sens qui s’agite à la lisière de mon esprit.

– Pourquoi n’as-tu pas voulu me répondre ?

Je soupire. Est-il si difficile que cela de saisir combien il est insupportable de faire ami ami avec un sans visage, quand bien même il serait une femme ?

Étrange, je ne lui connais pas ces vibrations. Aurai-je fait mouche ? Peut-être, sans doute, mes réflexions sont entre deux, au milieu, et j’ai soif. Mes jambes en équerre, je me propulse sur le ventre, de manière à faciliter la reptation de mes mains sur le sol. Les pauvres, elles errent pareilles à des âmes en peine, à la recherche d’une chose qui n’existera jamais que dans ma tête. Mais pas elle. Elle, elle existe. J’en suis sûr. Est-ce pour cela que j’hésite tant ? Je tords mon corps en tous sens, tandis que je sens, un peu plus forte, sa présence. Parle donc et dis-moi ce que tu attends de moi.

– Que veux-tu ? marmonné-je, la tête enroulée dans l’oreiller mou.

Le noir. Je m’écroule de tout mon long, un sourire peint sur le visage. Bien sûr. J’extirpe ma figure du tissu. Au plafond, il n’y a rien, sinon une ampoule crasseuse qui pendouille.

Du crayon, je dessine les contours, de la plume, j’esquisse les traits, du pinceau, j’en peins les nuances.

– Que fais-tu ? me susurre-t-elle.

– Tu ne devines pas ? lui soufflé-je, en plongeant ma main vers le flacon empli de vif-argent.

Je sens sa présence m’envelopper, comme si elle prenait subitement substance. Je sens bientôt son souffle courir dans ma nuque, sa peau, tendre et douce comme de la soie, contre la mienne. Mais je veux plus, et elle aussi.

– Peut-être, me glisse-t-elle. Mais seulement ça ?

– Pas seulement, lui réponds-je en franchissant la porte.

– Comment, disparu ?!

– Oui, comme ça. On est entré dans sa cellule et il n’était plus là. On n’a retrouvé que ça.

– C’est bon. Donnez-moi ça et disparaissez ! Ouste !

L’infirmier tend une épaisse feuille de papier. Une porte argentée est dessinée. Par l’entrebâillement, il aperçoit une main, qui lui adresse un magnifique doigt d’honneur. L’instant d’après, elle a disparu.

– Bah ! soupire-t-il, avant de jeter négligemment le dessin dans un coin.


Texte publié par Diogene, 16 juin 2016 à 12h57
© tous droits réservés.
«
»
volume 3, Chapitre 4 « Quatre Ecritures : Gauche » volume 3, Chapitre 4
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2628 histoires publiées
1176 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Defghard
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés