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volume 3, Chapitre 1 « Quatre Ecritures : Noire » volume 3, Chapitre 1

J’ai le choix. Plume d’argent, mine de plomb ou poil de chameau, à chacun son image, à chacun son usage, devant un encrier noir.

– Qu’est-ce tu fous ? me lance une voix rustaude.

Regard dédaigneux et silencieux à la créature qui m’invective ainsi. Comme elle n’insiste pas, je me replonge dans mon attentive étude. Sous mes doigts, je sens la sécheresse de ce qui me servira de support scriptural. C’est une vieille feuille de magazine, dont j’ai enlevé le glacis en le frottant doucement contre les murs en béton. Le plus délicat est qu’il ne faut pas appuyer trop fort, sinon la feuille finit par se déchirer.

Ma main tremble et mes doigts hésitent, que vais-je choisir ? Mon bras se tend pour se saisir, mais un glapissement venu d’à côté me tire de ma torpeur.

– Bon sang ! T’es con ? J’tai posé une question ! Qu’est-ce tu glandes ?

Mes mains redescendent. Soupir d’agacement, à moins que ce ne soit de frustration. Je n’ai plus cœur à choisir et c’est avec lenteur que je me retourne.

Elle me fixe de ses yeux de cocker ; en existent-ils encore, cernés, cerclés, lui rendrait plus justice, de noir, laissant paraître des yeux à l’iris noyé par la jaunisse. À côté d’elle, près de sa jambe, traîne une bouteille en verre, vide… Je secoue la tête. De dépit, de déni ? Je ne saurai dire. Tant de choses me sont lointaines.

– Que veux-tu ? lui répliqué-je, abrupt.

– Enfin ! s’exclame-t-elle, en étirant ses maigres membres, en disproportion du reste de son corps bouffi.

Se renversant en arrière, creusant un peu plus le matelas crasseux jeté à même le sol, elle baille à s’en décrocher la mâchoire, ou ce qu’il lui en reste ; souvenir d’un coup de poing mal placé, dévoilant des dents creuses et noires. Affalée, elle braille, façon vache.

– Putain ! Depuis quand je n’ai pas bu de lait ? songé-je.

– Oh ! Tu m’écoutes, quand j’te cause ? hurle-t-elle, en détaillant mon regard absent.

– Ouais, lui rétorqué-je d’une voix traînante, où se dissimule une pointe acérée d’un mépris poli. T’veux qu’j'sorte t’approvisionner, c’est ça ?

Se redressant, en roulant le long du matelas, la tortue se retourne et me fixe de ses yeux jaunes. Quelle créature est-elle avec ses membres grêles et son corps de pachyderme ? Mes pensées s’évanouissent. Je ne les coucherai pas ce soir, jamais peut-être.

– Ouais, coasse-t-elle. Mais pas seulement.

Ses yeux roulent dans leurs orbites noires.

– Pourquoi, pas seulement ?

– …

Elle ne dit rien, se contente de sourire en dévoilant des dents absentes.

– Tu ne devines pas ? susurre-t-elle, gourmande.

Un peu de bave s’échappe de sa lèvre inférieure. Qu’a-t-elle en tête ?

– Hé, hé, hé…

Son rire, exquis, s’épanche hors d’elle. Elle ressemble à une outre trop pleine.

– C’est pas grave, ricane-t-elle. Va m’chercher de remplir c’te gourde. J’te dira quand tu s’ras revenu.

Je hausse les épaules. Je jette un dernier regard à la feuille blanche et à mes instruments couchés dessus. Toutes mes idées, toutes mes pensées, se sont envolées. Je sors. Je traîne mon corps dehors.

– Et d’la bonne ! lance-t-elle, alors que je franchis le seuil de la porte.


Texte publié par Diogene, 12 juin 2016 à 15h51
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