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tome 1, Chapitre 28 « Dissidence (pt9) » tome 1, Chapitre 28

Note: Certains se rappelleront peut-être que j'avais posté la première version de cette scène sur le parchemin de l'Allée. N'hésitez pas à laisser des avis maintenant que tout cela est plus construit. Bonne lecture! ^^^

La silhouette aux longs cheveux déposa le pot en terre à sa place dans les ténèbres, avant de se diriger à son tour vers la sortie en soupirant. Du bout des doigts elle fit pivoter la porte et vit le pariât à quatre pattes dans la boue, face à une flaque de couleur ocre. Le sommet de son dos se secouait à chaque spasme. Ses cheveux se baladaient de part et d'autre de son visage. Elle se mit alors à son niveau et les remonta vers l'arrière de sa tête pour éviter qu'il ne vomisse dessus. L'odeur lui levait le cœur et elle essayait désespérément de fixer le ciel pour ne pas vider à son tour son estomac au milieu de la rue. Taran fut soudainement pris par un mouvement plus brusque. Il toussa violemment. La pauvre risqua un regard et vit qu'il était en train d'expulser la bouillie immonde par les naseaux. Des miettes blanches et rouges se collaient à son nez. Il s'étouffait et tentait de reprendre de l'air par à coups. Elle retint sa tête pour ne pas qu'il ne s'écroule et remarqua ainsi le flot ininterrompu de larmes qui se déversait dans la terre et se mêlait au contenu de ses entrailles.

Même lorsque ce liquide se tarit, il continua à s'agiter. Son corps voulait encore se vider sans y parvenir. Taran souffrait. C'était inscrit sur son visage. Son tourment ne s'arrêta que lorsque, complètement épuisé, il s'écroula sur son flanc, au bord de l'inconscience. Sa face était barbouillée, ses yeux clos. Debout, Nobi l'observa, immobile. Elle n'osait souffler mot. Comment pouvaient-ils trouver un semblant de paix dans une telle inconscience ? Pire, de toutes les âmes de ce pays, pourquoi était-il le seul à avoir compris ? Elle ne pouvait pas le laisser dehors, elle ne voulait pas le laisser rentrer dans cet état. La mort dans l'âme, elle décida que peut-être, elle devrait faire une entorse à son rythme de vie le lendemain matin, au vu du labeur qui l'attendait. Elle commença par nettoyer son visage, puis alla étendre son manteau avant de le réveiller à grands coups de claques pour qu'il retourne à l'intérieur.

« Je t'avertis, c'est la dernière fois. La prochaine, je t’attache moi-même dans un bateau en partance pour Idoria.

— Entendu. »

Elle lava ses cheveux à grande eau avant de l'aider à s'installer sur la couchette du bas. Puis elle remit une bûche dans le foyer, et rajouta quelques écorces pour couvrir l'odeur avant de revenir à son chevet. Elle n'osait pas fermer l'œil tant qu'il ne s'était pas endormi. Assise, elle sentit le monde s'éteindre.

Après une minute, elle détourna le regard pour voir Taran, un autre Taran, étrange, invisible, qui se tenait dans le coin le plus noir de la pièce, avachi sur le sol, ses mains sur ses genoux. Elle voyait la forme des branches d'arbre jouer avec la lumière de la lune sur son manteau. Il était là sans être là. Absent, translucide et distant. L'intérêt de Nobi fut alors piqué au vif. L'ombre bleue était revenue. Plus distincte cette fois, elle s'avançait vers lui d'un pas lent. Enfin, elle put distinguer un visage. Il était jeune, les yeux brillants, sa chevelure sombre frôlait à peine ses épaules. Il se planta devant lui et le regarda de toute sa hauteur, avant de lâcher un soupir. Le voleur leva rapidement les yeux et souffla:

« Saran…

—Tu m'as l'air en bien piteux état."

Embarrassé, il fit mine de nettoyer son manteau.

« Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? »

Le nouveau venu baissait la tête, armé d’une expression parfaitement impénétrable. Il parlait tellement bas que ses mots étaient presque inaudibles ; si ce n’était cette articulation et cette présence propre aux grands orateurs. Il toucha terre, s'installa aux côtés de Taran, qui osait à peine l’observer.

« Dis-moi, demanda l’ombre, qu'essaies-tu donc de faire ?

— Rien, répondit l'autre avec une franchise déconcertante. Il n'y a rien à faire. Je n'ai rien à faire.

— Est-ce pour cela que tu es parti ? Pour ne rien faire ?

— Parti ? Tu m'as chassé!

— Tu aurais pu protester, t'insurger! Tu aurais pu disputer la décision mais tu ne l'as pas fait. Au lieu de ça tu as pris quelques vêtements et tu t'en es allé, comme si tu partais à la pêche et non vers une mort atroce et certaine. Pourquoi ?

— Je n’avais pas le choix. »

L'ombre passa une large main sur sa figure.

« Tu me donnes mal au crâne.

— Je suis désolé.

— Arrêtes ça tout de suite Taran. Pourquoi dois-tu t’entêter à rendre les choses si difficiles ? Je ne suis vraiment pas doué pour les réconciliations et toi non plus. Porter une couronne n’aide pas vraiment à ce sujet, que ce soit bien clair. Il faut toujours paraître sûr et imperturbable. La dernière fois que j’ai eu à faire mes excuses, c’était auprès de mon père et je n’en avais même pas compris la raison… Alors imagine ce que c’est de t’en devoir à toi. »

Taran releva ses deux sourcils aussitôt.

« Ce n’était pas au banquet d’Ilin ?

— Si.

— Tu ne te rappelles plus ce que tu y as fait ?

— Je n’ai jamais su ! Je me suis retrouvé à genoux devant mon père et tout le monde riait. »

Ils restèrent une seconde à se toiser, béats. L'inconnu fronça ses sourcils noirs en voyant Taran réprimer un sourire.

« Je vois. Très bien, vide ton sac, que s’est-il passé ?

— La veille, pendant le banquet, tu as mis un coup de tête à ton père. Ou devrais-je dire, un coup de tête à ton Roi, qui en retour, a écrasé ta jeune figure sur le bois de la table. »

Le calme hermétique du Souverain s’effrita.

« C’était donc ça, l’énorme bosse sur ma joue droite. Je pensais que j’étais tombé dans les marches…

— On t’a ramené sur ton lit avec Jésper. Elle est belle la descendance de Darevar. Et ensuite c’est moi que l’on qualifie d’ivrogne. Si tu ne t’en souvenais même pas…

— Ah non, ça c'est la sénilité qui s’amorce. Je te ferai d’ailleurs savoir que j’ai arrêté de boire le jour où ils ont mis mon noble arrière train sur le trône. Vu ton état tu devrais peut-être en faire de même. »

Après l’avoir scruté de haut en bas, le grand visage brun se releva, l'air déterminé. Il fit quelques pas dans la pièce avant de se retourner vers Taran.

« Rentrons, il se fait tard.

— Pardon ?

— Tu m'as entendu. »

L'exilé le regardait avec son air perdu caractéristique, ses sourcils relevés et ses yeux de jeune chiot.

« Tu me laisserais revenir ? Après toutes les saletés…

— J'ai bien peur que oui, » répondit l'ombre, avec une once d'amertume dans son sourire. « Toi et ton frère, vous êtes la seule famille qu'il me reste. Cela ne m’enchante guère, mais je ne peux pas l’ignorer. Relève-toi ou nous allons geler sur place. »

Il lui tendit une main ferme. La silhouette élancée du voleur hésita, sa bouche entrouverte, comme s'il savait déjà que ce n'était qu'un rêve. Il prit son bras et fut remis sur ses pieds en un seul geste, mais dans la seconde qui suivit, le sourire diaphane du Souverain disparut. Là où Taran le tenait, une tâche s'était mise à grandir, étrange, blanche, comme de la pourriture. Elle se répandait et un gémissement de douleur brisa le calme de la pièce. L’ombre supplia son ami de le lâcher, malgré cela, les doigts qui le retenaient prisonnier se crispèrent, fermement agrippés, contre la volonté de leur propriétaire. Le proscrit ne parvenait pas à libérer son emprise. Son rêve se brisa. Leurs mains tremblèrent jusqu’à que l'avant-bras fantomatique de Saranvar se désagrège dans un hurlement à faire trembler les murs. Ce qui resta de l'apparition se tordit devant les pieds d'un Taran impuissant, avant de se consumer entièrement et de s’évaporer en une volute de poussière.

Il resta là, une expression de panique intense plaquée sur son visage. Immobile.

Nobi souffla sur les braises.


Texte publié par Yon, 7 juin 2017 à 15h07
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