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tome 1, Chapitre 25 « Dissidence (pt6) » tome 1, Chapitre 25

Note: Je l'avais bien dit que ce chapitre était très long, on n'est pas encore à la fin. Bientôt arrive la scène qui me fait transpirer à grosses goûtes. Ca devient sérieux. Merci à ceux qui continuent de suivre malgré la longueur de cette histoire. Je vous aime très fort.

Il aurait pu passer pour n’importe quel homme d’Arakfol avec cette posture légèrement voutée. Une fois à l’abris, il se redressa comme la montagne qu’il était et découvrit sa tête avant de s’adresser au hors-la-loi:

« Ne soyez donc pas si impoli, Herre Taran Dun Valas. Mon Seigneur est tout à fait heureux du travail que vous avez accompli. »

Le larron avait sentit son estomac s’alourdir en entendant ce nom. Dun Valas. Il n’avait nul besoin de se regarder dans un miroir pour comprendre qu’il devait être rouge comme la crête d’un coq. Ou blanc comme le sommet de l’Eldberg. Ou les deux. Le molosse se rapprochait de lui des yeux brillants.

« C’est bien là votre nom véritable, je crois. Taran, l’ancien chef de guerre du Șturmheim, condamné pour haute trahison et exilé dans les terres gelées du Silberheim. On vous prétend mort depuis des lustres, mais vous devez être au courant. »

Il ne manquait plus que ça.

Le bandit efflanqué et la grosse brute étaient assez proches pour se sauter mutuellement à la gorge et le parjure soutenait ce regard froid qui le moquait avec beaucoup d’inconfort. Dans son dos, Nobi se rapprocha pour venir se coller à son épaule.

« Impressionnant. Dites-moi Herre Je-sais-tout, Vous m’avez l’air extrêmement bien renseigné pour un guerrier, » lança-t-elle à Sejer d’une voix totalement insouciante, passant outre la tension qui planait entre les deux. « Voyons jusqu’à quel point vous vous croyez bon. Pouvez-vous en faire de même pour moi ? Pouvez-vous me dire d’où je viens ? »

Il vit l’œil gauche d’un vert pâle se plisser en se tournant vers elle.

« Je dois admettre mon ignorance.

— Quel dommage, » coupa-t-elle, son sourire victorieux clairement audible dans le ton de sa voix, « moi qui me faisait un plaisir d’avoir déniché un adversaire à ma taille.

— Oh, je ne désespère pas de découvrir ce que vous me cachez. » répondit Sejer.

Ce dernier les toisait avec un intérêt presque palpable. Si la veille toute son attitude n’avait été qu’agressivité, aujourd’hui il ne transpirait plus que la patience et l’amusement. Le duo n’avait plus l’avantage dans son petit jeu, cela était clair. Méfiant, Taran repris :

« Bien, et peut-on faire quelque chose pour Bémajste Gilron ? »

Jamais il n’aurait pu mettre plus de cynisme dans une phrase.

« Je ne suis venu que pour une petite visite de politesse, » répondit l’autre après un instant, « néanmoins, puisque vous me posez la question, j’ai peut-être une offre à vous faire. »

Le malfrat leva les yeux au ciel, presque contre sa volonté. Ils ne se débarrasseraient décidément jamais de lui.

« Vous êtes tous deux de très bons partenaires de commerce, je comprends bien mieux votre succès. »

D’une marche tranquille, l’intrus alla s’adosser à un mur, les dévisageant comme s’il tentait d’anticiper leur réaction.

« On me raconte bien des histoires sur vous deux. Vous avez, dit-on, de grands amis qui aiment à employer vos talents. Vous avez également quelques ennemis, ici ou là, qui pourraient un jour vous mettre des bâtons dans les roues. Ne vous méprenez pas, je n’ai aucune raison de vous remettre sous les verrous. Arakfol est un port d’une certaine importance, même si la ville est loin de sa gloire d’antan. Une dose modérée de recel et de trocs discrets ne peut qu’être bénéfique à la bonne santé des affaires, à tous les niveaux. Cependant, il y a des limites à ne pas dépasser. »

Le voleur avait peur de comprendre où il voulait en venir.

« L’ordre public est cette limite. Il faut parfois élaguer, arracher la mauvaise herbe pour pouvoir faire place aux jeunes pousses.

— En d’autres termes, compléta Nobi non sans colère, vous nous demandez de vendre certains de nos collaborateurs pour ainsi faire partie des “jeunes pousses” ?

— Qui vous choisirez de m’offrir ne regarde que vous. Amis ou ennemis, après tout quelle importance ? Ce que je souhaite, c’est de mettre la main sur ces serpents qui empoisonnent tout. Je ne veux pas voir les meurtriers qui vivent ici gagner plus d’autorité qu’il n’en ont déjà. Et pour ce faire, j’ai besoin de les prendre sur le fait. »

Taran sentait la Dame fulminer à côté de lui, bouillonnant comme un chaudron de soupe, sa colère rayonnait et brûlait sa peau même au travers des deux couches de laine. Il recula de quelques pas, sentant bien que s’il ne le faisait pas, Nobishandiya le pousserait elle-même hors de son chemin. Elle, qui arrivait à peine aux épaules de leur interlocuteur, se planta devant lui avec tout le poids de son ire. Cela ne sentait pas bon.

« Et nous sommes sensés trouver ces conditions acceptables ? Cracha-t-elle. Mon commerce demande que chacun de mes collaborateurs aient une confiance infaillible en mes services. Trahir cette confiance signifie la mort. En quoi ce marché est-il équitable ? Il n’est avantageux que pour vous et par conséquent je vous suggère de ficher le camp de chez moi. »

Taran commençait à transpirer. Cet homme gigantesque fit un pas de plus, l’air décidé, comblant le vide qui le séparait de sa camarade.

« Au contraire, dit-il en souriant, c’est une extraordinaire opportunité. Vous possédez une sorte... D’immunité. Vous pouvez en faire bénéficier certains tout en vous débarrassant de la concurrence. Cela me semble plus qu’avantageux si vous y réfléchissez bien. À vous de voir si vous êtes capables d’en tirer profit ou non, vous ne croyez pas ? »

L’entente n’était pas négociable. C’était ce qu’il voulait lui dire et le proscrit à côté d’eux continuait à avoir des sueurs froides. Leur liberté à Arakfol allait désormais se payer et suffisamment cher pour le rendre incertain. Le molosse ne les laisserait en vie que tant que leur utilité n’aura pas été usée jusqu’à la moelle. Passé un certain point, il se débarrassera d’eux sans problème. Après tout, personne ne les regretterait.

Sejer sourit partiellement à Nobi, restée dans son silence colérique, puis il s’inclina en leur souhaitant une bonne journée, avant de quitter les lieux, confiant sous son couvre-chef. Il devait se dire qu’il les tenait et que tout aller se dérouler selon son plan. Taran, en revanche ne comptait pas lui donner satisfaction. Il se tourna vers sa collaboratrice, qui se perdait dans ses réflexions, le regard rembrunis, le front soucieux. Il marcha vers elle:

« Voilà un retournement dont je me serai bien passé. Mais ne t’en fais pas. Nous ne sommes pas sans rien. Il nous reste une bonne réserve, non ? Et nous avons engrangé beaucoup d’expérience. Nous pouvons nous en sortir désormais, tu ne crois pas ?

— Tout est relatif. »

Il avait l’insistante impression qu’elle l’écoutait à peine.

« Il ne nous laissera jamais tranquille, » murmura l’homme d’une voix inquiète, « et tu le sais, mais il y a tout un tas d’endroits où il ne pourra nous retrouver.

— Tu voudrais qu’on parte ?

— Il y a d’autres ports Nobi. La frontière n’est qu’à quelques kilomètres et des endroits comme celui-ci, on en trouve tout le long de la côte sud, est-ce que tu t’en rends compte ? Ce fils de couard n’a aucune influence hors d’Arakfol. Nous pourrions simplement rétablir notre commerce ailleurs. »

Sa comparse secouait la tête en faisant les cents pas dans la pièce dévastée. Son agitation était inhabituelle. Les idées devaient se tordre et se contorsionner dans sa tête. Son visage se fermait à chaque seconde, il le voyait clairement. Finalement, elle s’arrêta.

« Je ne peux pas partir Taran. Peux-tu seulement te rendre compte du travail que cela a été de me faire accepter parmi les marchands ? De me faire des connaissances fiables, de roder tout ceci ? Si je m’en vais je perds du même coup mon seul gagne pain. Je ne suis plus rien sans mes contacts.

— Tu pourrais en trouver d’autres ailleurs...

— Je n’ai aucune garantie que ce sera le cas. Le commerce ce n’est pas la même chose que tes petits trafics. Il faut être respecté, présentable, tu ne te rends pas compte de la chance que j’ai eu en arrivant ici. Je ne veux pas perdre tous ces mois de travail acharné juste parce que tu as peur de cet insupportable chien de chasse. »

Il n’en croyait pas ses oreilles.

« Il faut être réaliste, on ne peux pas rester. Ce n’est pas comme si c’était la première fois que nous devions décamper, toi comme moi !

— Je suis réaliste ! Tu aimes à ce point dormir dans la rue ? Parce que c’est exactement ce qui nous attend.

— N’exagère pas non plus!

— Je n’exagère pas. Nous savons très bien cela, “toi et moi”. Bon sang ouvres les yeux, nous avons un toit au dessus de nos têtes, nous sommes protégés du froid, de la neige, nous avons de quoi manger, rien que tout cela c’est déjà un énorme privilège pour nos situations.

— Et nous pouvons avoir cela à nouveau, juste ailleurs.

— Vraiment ? Et quand cela ? L’opportunité ne se présentera peut-être pas. Nous avons aussi des chances de mourir tués dans la rue, sans aucun moyen de nous défendre. Ici nous avons des alliés, des alternatives.

— Tu es vraiment bornée!

— Taran ! La vérité c’est que tu peux partir quand cela te chante. Moi je ne peux pas. Etre une femme seule ici est déjà un problème, comprends-le. Je ne peux pas faire ce que tu fais sans prendre de trop gros risques, je suis désolée. Je ne m’en irais pas. »

L’homme sentit sa mâchoire se décoller. Il eut l’impression de s’être fait percé le cœur. Non pas parce qu’il ne pouvait pas entendre son argument, mais parce qu’il savait pertinemment qu’il ne pouvait pas demeurer en un endroit où sa véritable origine était connue. Dun Valas devait rester mort et cela, il ne savait pas comment l’expliquer à Nobi.

Était-ce là son choix ? Rester entre les griffes du molosse ou en revenir à sa solitude ? À ses yeux c’était une déchirure. La Dame ne pouvait être sérieuse. Elle ne pouvait pas simplement accepter les conditions que d’autres voulaient leur imposer. Elle n’aimait pas non plus la contrainte, cela se voyait, alors pourquoi acceptait-elle si rapidement de courber l’échine ?

« Tu veux qu’on se soumette ?

— Je veux qu’on tire avantage de la situation. Laissons-le croire qu’il nous a dans son camp et assurément...

— Il se débarrassera de nous à la première chance qu’il aura !

— Pas si à ses yeux nous devenons indispensables.

— Et comment comptes-tu faire ça ? As-tu vu de qui tu parles ? Pour ce genre d’hommes personne n’est indispensable ! Ce n’est pas quelqu’un que l’on peut corrompre, alors pour une fois dans ta vie, je t’en conjure, écoutes ce que je dis. »

Le regard qui rencontra le sien fut aussi dur que le granit du nord. Il manqua de s’arracher une mèche de cheveux à la seule force de sa frustration. Pourquoi ? Pourquoi ne voulait-elle pas comprendre qu’il la protègerait ? Il avait pensé que leur relation s’était améliorée en quelques mois, mais la Dame en face de lui demeurait inflexible. Il ne craignait pas la mort, hélas, il craignait le déshonneur. Sejer connaissait son nom, après s’être débarrassé de lui, il pouvait rapporter les circonstances de sa déchéance aux oreilles des seules personnes qu’il n’avait jamais aimées. Ou pire, utiliser cela à ses propres fins. Ça, il ne pouvait pas le permettre. Cette simple pensée lui rendait sa vie insupportable. Que se passerait-il si tous savaient ? Jésper en colère, rageant, crachant sur son nom. Saran, déçu, aigrit et amer, se rendant compte qu’il avait eu tort de lui faire un jour confiance, réalisant l’horreur de ce qu’il était. Leur douleur, leur tristesse. Tout cela il le voyait comme si cela se produisait devant lui. Mieux valait s’éteindre maintenant, oublié de tous. Qu’ils le croient mort avec dignité ! En réalité, si l’envie venait à Sejer de lui faire un tel chantage, il le tiendrait dans sa main, aussi fragile qu’un moineau. Qu’allait-il devenir alors ? Et s’il lui demandait d’exécuter Nobi ? De se retourner contre elle ? Sa respiration se faisait de plus en plus lourde. Non, il ne pouvait pas. Il finit par tourner les talons pour se diriger vers la porte.

« Où est-ce que tu vas ?

— Trouver un moyen de nous sortir de ce guêpier. »

Avec ceci, il s’élança dans les rues, bien décidé à se trouver un exutoire. Taran savait reconnaître l’odeur d’un incendie lorsqu’il en rencontrait un. S’attarder était de la folie pure, il en avait fait l’expérience maintes et maintes fois. Au fond, il espérait qu’une fois que la Dame se serait calmée, elle irait sans doute le retrouver et ils pourraient avoir à nouveau cette conversation à tête reposée. Peut-être même qu’elle pourrait changer d’avis et qu’ils s’en iraient à la première occasion.

Malheureusement pour lui, elle ne vînt pas.

Il allait partir seul.


Texte publié par Yon, 22 mai 2017 à 22h20
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