Cette situation ne les mènerait nulle part. Taran en revint à inspecter son gardien. L’arme qu’on lui avait donnée était peut-être fausse, mais il savait encore se débarrasser d’un homme qui détournait son attention. Le problème était plutôt que Sejer n’était pas disposé à lui laisser la moindre chance. Il veillait à présent à toujours garder le voleur dans son champ de vision, et cela ne lui rendrait pas la tâche facile. Leur seule possibilité serait sans doute de tenter une escarmouche à la sortie du banquet. Si seulement il pouvait se saisir de l’un de ces petits couteaux de table... C’était trop risqué. Nobi en revanche était habile pour ce genre de coups, sans compter qu’elle avait sans doute l’opportunité parfaite ! Elle devait sans doute y avoir songé.
Il se sortit de ses pensées lorsque le visage clos et meurtris à sa gauche s’enfla d’une sorte d’amertume. Le prisonnier tourna la tête rapidement et aperçu la silhouette brune si familière se tenir rigide derrière l’une des longues tables surélevées, et qui englobaient ainsi les festoyeurs plus humbles. Il sentit ses propres ongles s’enfoncer dans la chair de son bras. Avait-elle trouvé ? Sejer en tout cas lui fit signe de le suivre. Il s’exécuta sans poser de question, voyant bien que le soldat ne le laissait pas ralentir suffisamment pour passer derrière lui. Nobi les rejoignit à quelques pas de la table et murmura à ses acolytes:
« L’homme juste là, avec le beau manteau noir et qui tient son verre en parlant. »
Très vite, Taran sut de qui elle parlait. Ce devait être effectivement un marchant, robuste, rond, le cheveu plutôt sombres et les pommettes hautes. Il était en grande conversation avec un confrère sur leurs contacts respectifs dans les mers Lazuliennes. L’autre fronça un sourcil, mécontent.
« Tu es sûre de toi ?
— Certaine.
— Si tu essaies de m’humilier devant le Maitre...
— Absolument pas. Moi aussi je risque gros, ne vous en déplaise. Dites-moi, êtes-vous par ici familiers avec ce que vous appelez les amulettes Vistrènes ? »
Sejer fit une pause en la dévisageant.
« Très bien, lui dit-il, continue.
— Nous sommes d’accord pour dire que ce ne sont pas des amulettes, n’est-ce pas ? Alors cherchez une tête de lion, tenant dans ses crocs le signe du soleil. »
Ce sujet n’était pas l’un des plus familiers pour le détenu. Il était largement plus habitué aux fonds de poches des Vistrènes qu’à leurs coutumes ; et de ce qu’il en savait, certains d’entre eux signaient des lettres d’importance en usant d’un médaillon de pierre. Ces “amulettes” étaient donc plutôt des sceaux, ou d’un équivalent. Seulement, le marchand en face d’eux n’avait pas du tout l’air d’un homme de l’ouest. Sejer n’était apparemment pas assez intrigué pour demander un éclaircissement sur la question, au contraire, Taran était persuadé qu’il s’était dit quelque chose qu’il n’avait pas tout à fait saisit. Leur geôlier fit signe à deux des siens. Ils vinrent se poster derrière le petit groupe. Les prisonniers étaient à présent coincés entre les gardes et Soulvej, qui assistait à la scène avec une certaine appréhension. Sans le moindre flottement, Sejer se dirigea ensuite vers l’individu que lui avait désigné la négociante.
Celui-ci ne le vit même pas arriver. Le molosse se plaça entre lui et son interlocuteur, saluant tous deux avec une politesse rigide. Son apparence le préserva des regards trop inquisiteurs. Il se pencha pour aller murmure quelque chose à l’oreille de notre marchand qui aussitôt s’offusqua. La conversation se fit insistante, puis menaçante. Impossible de savoir ce qui se disait de là où le petit groupe se tenait. La scène continua, de plus en plus animée et bientôt le Seigneur, au milieu de sa table, dut s’interrompre pour interroger le soldat. Les voix se turent.
« Que se passe-t-il là-bas ?
— Une affaire grave, Eiter Liensz.
— Bémajste Gilron ? Expliquez-vous !
— Une affaire de trahison il me semble, » répliqua Sejer, d’un ton parfaitement neutre.
Aussitôt, un murmure de surprise et d’excitation s’empara de l’assemblée et la foule entière frissonna, de peur ou de plaisir. Taran jeta un œil du coté de sa comparse qui était bien plus crispée que ce qu’il aurait pu imaginer. Son assurance envolée, ne restait qu’une sorte de roc immobile, désespéré de se fondre dans le décor. Impossible de reculer à présent et au vu de l’assemblée présente, si une seule erreur avait été commise, ils n’en ressortiraient pas vivant. Le voleur en vint à regretter que l’affaire ne se soi pas déroulé en privé, au moins ils auraient peut-être encore eu une chance d’esquiver leur condamnation. Ou peut-être était-ce une façon de mettre Nobi au pied du mur, pour être certain qu’elle ne mentirait pas.
« C’est une accusation des plus sérieuses. » repris le Seigneur, ses yeux se fermant à moitié comme s’il cherchait à voir au travers de la façade immobile de son homme de main.
«Des plus sérieuses et des plus déshonorantes, » répondit Sejer.
Dans la seconde, le marchand désigné se retrouva debout, les sourcils plus que froncés et le visage gonflé et rouge. Il semblait vouloir prendre l’assemblée à témoin:
« C’est une invraisemblable insulte à ma personne! Invraisemblable et infondée! Je ne resterais pas une minute de plus ici à subir de tels propos ou mes parjures en répondront!
— Eiter, repris le soldat sans sourciller, mes accusations sont, hélas, tout à fait recevables. J’ai des témoins même, prêts à défendre leurs dires. »
Tous les regards affamés de la salle, se ruèrent en direction du duo qui assistait sagement à la scène. Leur malaise fut alors instantané. C’était donc cela. Sejer ne les avait pas juste habillés pour qu’ils passent inaperçus, mais également pour les rendre honorable au regard de leur hôte et pour persuader le traitre que ce sa parole seule ne serait pas suffisante. S’attendait-il à ce que le marchand cède de lui-même ? Une servante libre et un honorable guerrier, ce n’était pas la même chose que le témoignage d’une négociante de bas étage et d’un larron puant.
« Continuez Gilron, commanda le Seigneur.
— Il y a quelques temps, cet homme a été vu remettant des documents privés à un envoyé du continent, des documents qu’il n’aurait jamais dut posséder. L’agent étranger a été arrêté il y a de cela quelques jours et je viens aujourd’hui chercher son complice. »
Taran entendit la Dame murmurer:
« Tout cela est devenu étrangement dramatique. »
Il ne put s’empêcher de sourire.
« Il n’en reste pas moins, beugla le marchand, que ma parole a bien plus de valeur que la leur. Je suis un homme honorable qui, à mainte reprise a rendu de grands services au Seigneur Brinarn ainsi qu’à sa famille. Pourquoi trahirais-je ainsi quand rien ne me manque ? Ni argent, ni reconnaissance ?
— C’est une très bonne question, interrompit doucement Sejer, et j’avoue ne pas connaitre la réponse. Pour le moment. »
Un sourire quelque peu triomphal apparut sur les traits de l’accusé.
« Cependant, interrompit l’autre avec calme, j’ai d’autres moyens de le prouver. »
Leur gardien se tourna avec solennité en direction de la grande table. Rien dans son n’exprimait le doute ou l’incertitude. Il était droit.
« Avec tous le respect que je dois à cette assemblé, Eiter Liensz, je voudrais fouiller cet homme. »
Les murmures de la foule reprirent de plus belle. En y regardant bien, le Seigneur Brinarn avait un air qui en disait long. Il semblait gêné, voire perplexe. Il y avait peut-être même un manque de confiance flagrant entre les deux hommes. Certainement que “Bémajste Gilron” était trop imprévisible à son goût. Cela expliquerait ce long échange de regards.
« Soit, finit-il par répondre, mais si vous commettez une erreur, vous devrait en répondre face à la famille d’Ujrer. »
Sejer acquiesça sans le moindre remord. Il fit signe à l’une de ses sentinelles qui vint, non sans nervosité, passer les poches et les vêtements du marchand au peigne fin. Ce dernier subit cet affront avec autant de dignité possible. La recherche sembla infructueuse. Il ne portait rien sur lui qui ne sorte de l’ordinaire. Leur gardien n’avait pas cillé pour autant. Ou peut-être prenait-il son temps ? Peut-être était-ce simplement une démonstration de puissance ? Toute l’assemblée avait les yeux rivés sur leurs actes. “Regardez”, semblait-il vouloir dire, “regardez ce que je peux vous faire subir.”
Quand le préambule fut terminé, Sejer s’avança, presque nez-à-nez avec le marchand, avant d’articuler de son ton le plus calme et autoritaire:
« Votre fibule. Enlevez-la. »
Il toucha d’un doigt autoritaire l’épingle circulaire qui maintenait le haut de sa tunique. Le malaise s’approfondit encore un peu. Le Seigneur avait l’air soucieux, sans pour autant intervenir dans le déroulement de la scène. Le grand hall retenait tout entier son souffle ; et le marchand palissait de secondes en secondes. Lentement, avec plus de précautions que nécessaire, l’accusé porta la main à son col pour défaire l’attache. Malgré la distance, l’œil avisé du voleur perçu quelque chose bouger sous la double couche de vêtements. La tunique n’était pas la seule chose que le bijou de métal retenait. Immédiatement, Sejer se saisit de l’épaule en face de lui avant de plonger sa main sous la chemise et d’y retirer un objet qui céda en un “clac” bien audible. La moitié des convives se leva pour avoir un meilleure point de vu sur la situation. De là où il se tenait, Taran devinait un pendentif entre les doigts de leur gardien.
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