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tome 1, Chapitre 21 « Dissidence (pt2) » tome 1, Chapitre 21

« Peut-être que c'est normal que tu ne te souviennes pas, grommela-t-il. Peut-être que c'est ton complice qui a tout fait. Si tu nous dis comment, alors certainement tu pourras sortir d'ici indemne. »

C'était donc ça son jeu. Il s'attendait à ce qu'elle vende Taran. Une partie d'elle lui murmurait qu'il fallait qu'elle sorte d'ici à tout prix, que ce n'était pas un si mauvais marché. Pourtant sa fierté hurlait. C'était indigne qu'on puisse la croire assez lâche pour cracher ainsi sur un de ses collaborateurs... Malheureusement... Elle pouvait le faire. Elle allait le faire, n'est-ce pas ?

« Je n'ai pas de complice, je n'ai que des amis. »

Cette provocation avait été de trop. L'homme perdit visiblement patience. Son sourcil droit seul se fronça. Elle sentit la grande main calleuse passer contre le haut de sa nuque.

« Non ! Pas les cheve… »

Avant d’avoir fini sa phrase, Nobi se retrouva sous l’eau. Rapidement, sa poitrine commença à brûler, ses doigts douloureusement crispés sur le bord de la cuve. C'était comme si elle avait inhalé des braises, une sensation qu'elle ne connaissait que trop bien. L'agitation de son corps ne pouvait être contrôlée. Au milieu des remous, elle crut entendre le rythme régulier des vagues, sentir les algues sous ses pieds. Puis une tristesse immense remonta jusque dans sa gorge. Non, elle ne devait pas paniquer, il ne la voulait pas morte ! Autour d’elle, l’eau devenait aussi visqueuse que le sang. Ses membres remuaient, se débattaient. Et soudain, elle crut sentir la main de Taran contre sa cuisse, une réminiscence qu’elle n’avait plus eue depuis longtemps. Le dégoût. Vînt ensuite le liquide sur ses bras, la rigidité cadavérique, l’odeur des viandes répandues. Le visage des morts. Elle voulait crier. Contre les contractions de son diaphragme elle tenta de garder l'air inhalé le plus longtemps possible, mais céda malgré ses efforts démesurés devant les réflexes innés de sa propre chair. Elle sentit la fraîcheur de l'eau descendre dans ses poumons contre sa volonté. Sa conscience partait, se dissolvait dans la bassine.

Le vieil homme la fixait d’un œil lucide, le calme sévère ancré sur sa peau. Elle s’entendit dire :

« Kalimbu, Sherba. Don dukaasi ne yieraga.

— Ma Kaasibenke. »

Elle détourna le regard pour voir une immense plage de sable blanc devant un océan turquoise. L'air de la mer, ce dieu bienfaiteur, était venu lui caresser le visage une dernière fois. Il était temps.

Mourir par l’eau. Elle mourrait noyée.

Telle était la volonté des Matriarches.

Elle cracha tout ce liquide qu'elle avait avalé avant de s'écraser par terre. La prisonnière toussait et toussait et riait. De façon déraisonnée. Ses muscles abdominaux étaient contractés au point de l'empêcher de respirer. La souffrance était si ancrée, pourtant elle ne pouvait qu'en rire, car elle était encore en vie. Malgré leurs efforts, elle était toujours là, comme une grosse plaie. Ils n’avaient pas tué le poison. Les nerfs à vif, Nobi releva la tête, toujours en ricanant. Le soldat était debout juste à côté d'elle, il l'observait d'un air curieux, sans doute même avec une once de pitié. Il devait la croire folle. Elle se tourna pour s'allonger sur le dos.

« Vous perdez votre temps, » susurra-t-elle.

Il n'était pas certain qu’il l’ait entendue. Sa voix était plus proche du soupir que du murmure. Elle pleurait mais cela ne devait pas se voir. Ses larmes se fondaient dans les gouttelettes qui ruisselaient sur sa peau. Il faisait froid. Son corps avait abandonné l'idée de se réchauffer. Une voix rauque reprit laborieusement la conversation :

« Un de mes hommes vous a vus la nuit où cet anneau d'or a été volé. Une patrouille travaillant pour des marchands a été décimée ce soir là et ce même homme vous a vus vous enfuir vers les docks, plein sud. Je veux savoir ce que vous avez fait cette nuit là et je ne vous laisserai pas une once de répit jusqu’à ce que vous me parliez. Tu crois que je vais te laisser en vie ? Peut-être. Seulement dans trois jours, tu seras tellement fatiguée de ce traitement que tu accepteras de me livrer même tes amants. »

Sa paupière gauche était immobile. Il la fixait comme si cette action seule pouvait lui tirer les vers du nez.

« Pourquoi parlerais-je ?

— Parce qu’ici je suis la loi. Je peux vous faire innocenter ou condamner, c'est à toi de voir. »

Elle retint un nouveau ricanement.

« C'est donc d'informations dont vous avez besoin. Sinon, nous serions déjà en place publique. Laissez-moi réfléchir. Il y a quelque chose de plus précieux, quelque chose de plus important que nos vols qui s'est déroulé à ce moment là. Et vous n'avez pas de témoin. »

Lentement, il posa sa chausse de cuir sur la gorge de sa prisonnière. Il faisait à peine pression mais s'il le voulait, il pouvait détruire sa trachée.

« Fais attention à ce que tu dis, ta vie n'a que très peu de valeur tant que tu es sous ma garde. »

Elle ne put que sourire en frottant son nez. Oui, la vie avait une drôle de façon de tisser le destin. La négociation était son jeu favori.

« Nous étions sortis simplement pour une petite ballade. C'est Taran qui savait où nous allions ce soir là. Il neigeait. Cet idiot adore admirer la neige qui tombe. Ramenez-le ici et nous vous répondrons du mieux que nous pourrons. »

Inexpressif, il sonda à nouveau son regard avant d'appeler malgré son articulation difficile :

« Allez me chercher l'autre gredin. Et mettez-moi deux gardes devant la porte. »

Ils envoyèrent le voleur valser dans la pièce avec autant de délicatesse qu'ils l'avaient fait avec la Dame. Il tomba à côté d'elle, poings liés, le visage couvert de tâches d'un mauve très sombre. Ses yeux gris acier encore à moitié ouverts, il regarda autour de lui avec la mollesse d'un chat que l'on aurait réveillé de sa sieste.

« Ne me dis pas que tu es encore tombé dans les escaliers ? »

La voix de sa commère était une douce musique après des heures de bruits affreux. La moquerie le piqua tout de même :

« Est-ce bien le moment ? »

Un revers de main, heurta la femme en plein visage. Le sang de Taran ne fit qu’un tour et seul le regard amusé de sa camarade l’empêcha de se jeter sur leur tortionnaire.

« Tu parleras quand cela sera utile. »

Quelle voix lugubre.

« La nuit de l'escarmouche avec les sentinelles, y en avait-il d'autres qui se cachaient sur les docks à ce moment là ?

— La nuit de la quoi ? Demanda le voleur d’un ton faussement naïf. Désolé, j’ai la mémoire un petit peu courte… »

Leur geôlier roula ses yeux dans ses orbites.

« Si vous me faites perdre encore une minute, je vous fais trancher la langue à tous les deux. »

Il n'était pas bien plus avancé. En désespoir de cause, le larron se pencha légèrement vers sa comparse, trempée jusqu'à la taille. Elle comprit la question implicite :

« Ce n'est pas grave. Redonne-moi le parcours de notre petite balade. Tu sais, la nuit où nous admirions la neige.

— Ah, dit-il en essayant de reprendre pied dans la conversation. Tu es sûre de toi ? »

Un regard jeté à la grande silhouette qui les surplombait lui fit accélérer l’allure.

« Bien. Si ma mémoire est bonne, nous avons emprunté la ruelle derrière les potagers, juste après la maison des dragons et nous somme redescendus par là. Nous avons ensuite contourné le quartier des teinturiers, ainsi que celui des entrepôts, pour nous retrouver sur les docks à quelque pas des voileries. Une fois là nous sommes partis plein ouest, à deux rues parallèles de la mer et nous avons trouvé un charmant petit coin pour nous reposer. Voilà. »

Nobi semblait faire des efforts indescriptibles pour se remémorer quelque chose, si l'on devait en croire sa manière de plisser les yeux. Probablement un détail. Il avait appris à ne pas sous estimer ses manœuvres.

« Il y avait bien deux hommes encore dehors, bien plus proches de la mer, mais ils ne se cachaient pas, annonça-t-elle.

« Sur les docks ? Peux-tu les décrire ? »

Elle fit mine de réfléchir un instant.

« L'un d'eux était très rond il me semble. La panse d’un homme qui ne manque de rien. Le deuxième était grand et mince, avec des cheveux beaucoup plus longs. Ils n'étaient pas attachés et il portait un manteau tout ce qu'il y avait de plus banal. Le premier en revanche devait au moins être marchand.

— Qu'est-ce qui te fais dire ça ? Demanda Taran.

— Qui à Arakfol peut se payer une tunique de coton décorée pour l'hiver sinon les marchands ?

— Attendez, repris la figure intraitable qui se tenait au dessus d'eux, il faisait nuit noire ! Tu veux me faire croire que tu as pu percevoir ce genre de détails juste en passant ?

— Libre à vous de ne pas me croire. C'est vous qui avez besoin d’informations, pas moi. »

L'homme grimaça, autant que cela lui fut possible. Il paraissait extrêmement contrarié.

« Que peux-tu me dire de plus sur ta deuxième crapule ?

— Pas grand chose, j'en ai peur. Il ne m'a pas semblé très remarquable sur le moment. En revanche, je saurais le reconnaître. Si mettons, vous admettiez votre grossière erreur et vous nous rendiez notre liberté. »

Il émit un bruit entre le soupir et le ricanement, avant se mettre à faire les cent pas dans la petite pièce si mal éclairée. Quant à Taran, son regard passait de l'un à l'autre avec perplexité.

« Tu ne joues pas avec ta liberté, crapule, tu joues avec ta vie. Si je demande à mes hommes de te balancer du haut d’une falaise sur les rochers, aucun d’entre eux ne me contredira. »

Il ne fallait pas un fort degré d’intelligence pour comprendre qu’il disait vrai. Il possédait l’assurance d’un homme qui ne rendait de comptes à personne. Nobi ne broncha pas, un sourire calculateur placardé sur ses lèvres.

« Soit, aboya leur geôlier. Je vais te proposer un marché. Je vais vous emmener dans une pièce, ce soir. Si vous pouvez y reconnaître notre homme, je vous laisserai partir, si vous en êtes incapables, ce sera les rochers. Qu'en dites-vous ? »

Elle releva le menton, insolente.

« Oh, je ferai mieux que ça. »

« C'est effrayant. Vraiment. Grommelait la Dame.

— Bien sûr que non, ça ne l'est pas ! Répondit-il, outré.

— Arrête ne m'approche pas !

— Ce n'est pas de ma faute, soupira le voleur, ils ont dit que la mienne était trop sale et on me l'a enlevé. Les porcs !

— Tu veux dire qu'il y avait des puces dedans, oui ! Ce qui expliquerait bien des choses ! Voilà pourquoi j'ai dû enfumer la baraque la semaine dernière.

— Non c'est faux ! Il n'y a jamais eu de puces dans ma barbe ! Elle était juste un peu grasse.

— Feux et flammes, ce qu’il ne faut pas entendre. Quoi qu'il en soit, je te serais gré de t'en refaire pousser une, le plus tôt sera le mieux.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

— Tu fais trop jeune ! Trop sympathique ! Tu ressembles à gamin de bonne famille qui n'a jamais fait de mal à une mouche. C'est effrayant. »

Nobi et Taran se regardaient de haut en bas avec une sorte de nervosité sur leurs faciès. Personne ne leur avait dit à quoi s'attendre. Ils étaient apprêtés de vêtements de rechange, leur seule préparation avait été un seau d’eau froide renversé sur leurs têtes. L’inconvenant se passait la main sur ses joues, embarrassé. Rasé de près, il avait l’impression d’être presque nu. Il n’avait plus arboré un visage imberbe depuis sa jeunesse, et il avait devant les yeux une Nobishandiya habillée de la tenue classique des servantes de qualité. Le tableau était assez surprenant. Sous le tablier bleu indigo que l'on voyait un peu partout, plus sombre que ce qu'elle portait habituellement, elle arborait une tunique claire à la coupe impeccable. Impossible pour un inconnu de deviner la filouterie qui se cachait derrière cette silhouette audacieuse. Pour la première fois depuis des lustres, elle avait eu de l'aide pour coiffer sa longue chevelure épaisse, qui était maintenant ordonnée en une magnifique longue tresse et attachée par un bout de laine noire. Lui-même avait été affublé de l'accoutrement des soldats de cette grosse brute qui répondait au nom de Sejer. En tout cas, c'était ainsi que d'autres le nommait, quand on excluait le « chef » que braillaient ses hommes à chaque ordre. Dans quoi s'étaient-il encore fourré ?

« Tu es sûre de toi ?

— Pas vraiment, non. Tu connais le proverbe, “qui ne tente rien n'a rien” ? Et bien là je tente quelque chose.

— Tu vas surtout nous faire tuer, murmura-t-il en souriant faussement.

— Oh si peu, répliqua-t-elle. Vois cela comme une nouvelle aventure ! »

Ils se tenaient debout, prostrés entre deux gardes, dans une pièce l'écart, juste en face de la grande cuisine. Ils étaient dans la demeure du Seigneur, cela au moins était certain. Que venaient-ils faire là ? Mystère. Dans le corridor, tout un tas de serviteurs s’affairaient, faisaient des allers et retours pressés entre les fourneaux et un ailleurs inconnu.

« Où comptes-t-ils nous emmener à ton avis ? »

Taran se gratta le menton et fut surpris de n'y trouver qu'une peau lisse.

« Au banquet, très probablement. Le soir est tombé. Avec ces costumes, où nous emmèneraient-ils ?

— Oui, rétorqua-t-elle, mais tu ne trouves pas ça curieux ? »

Il hocha les épaules. Après tout, c'était elle qui avait négocié ce petit arrangement. Que pouvait-il savoir ?


Texte publié par Yon, 27 février 2017 à 09h27
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