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tome 1, Chapitre 19 « Ce dont rêvent les Voleurs (pt7) » tome 1, Chapitre 19

Le feu avait pris et s'était répandu dans le foin qui y traînait. Comme les maîtres étaient absents ce soir là, les serviteurs et les voisins durent tout faire pour canaliser les flammes. Le travail dura bien une heure et aucune autre maison aux alentours ne fut réellement touchée. La neige avait bien fait son travail et le bois ne prenait plus aussi facilement. Il n'y eut ni blessé grave, ni maisons écroulées et ce, grâce à une femme, qui, disait-on, avait alerté les familles du quartier. Cette dernière fut largement remerciée par tous.

Elle fut interrogée cependant. Pourquoi se promenait-elle seule si tard dans la ville ? Sa réponse fut tout à fait convenable et rudement bien préparée. Elle servait d'intermédiaire pour régler à l'amiable une querelle entre un marchand et un fermier de sa connaissance. Goeddin le confirma aussitôt, ravi de venir en aide à son amante occasionnelle. Entre temps, leur victime était de retour et avait donné l'alerte en constatant la disparition de l’anneau. Nobishandiya fut fouillée, comme tout le monde, sans succès. Le bijou n'était pas sur elle. Après avoir attendu que les rues se vide, elle se dirigea vers l'un des puits vers l'est de la ville.

L'avantage des poulies, c'est qu'ils divisent la force nécessaire pour soulever un poids. Tout un chacun a l'habitude de voir une telle chose au dessus des gros puits, cela fait partie du paysage courant. Qui prendrait garde, en pleine nuit, à la présence de deux poulies au lieu d'une seule ? Ainsi revint la silhouette enveloppée dans son manteau, se débarrassant d'un coup sec du large couvercle de bois, détachant le cordage avant de courir au travers de la place, la corde en main. Taran jaillit hors de sa cachette, grelotant, le bas de ses jambes était mouillé.

« Tu en as mis du temps ! Lui reprocha-t-il.

— Et depuis quand es-tu aussi frileux ? »

Ils récupérèrent rapidement leur poulie de fabrication artisanale, rattachèrent la corde et repartirent d'un bon pas vers leur refuge des bas quartiers. Ce ne fut qu'une fois à l'abri derrière leur porte close, qu'ils purent se féliciter pour cette affaire rondement menée.

« Ce n'est pas mal du tout ! » commenta le resquilleur en tenant l'anneau devant son nez. « Bien sûr, reste à connaître sa valeur véritable. En tout cas ça ressemble bien à de l’or, je peux te le garantir. »

C'était un très beau bijou décoré d'une spirale en son centre et de rainures sur le côté.

« Je dois avouer, reprit-elle, que nous nous améliorons de jour en jour. Par contre, la cache me semble trop périlleuse, il faudra trouver autre chose la proch...

— Silence. »

Taran venait de lever une main en lui faisant signe d'écouter, le nez en l'air avec des allures de chien de chasse. Et durant une brève seconde elle crut entendre... Ces pas dans la rue et ce silence. Un silence peu naturel. Ils se regardèrent dans le blanc des yeux, leurs estomacs noués. Ils n’avaient pas été suivis, c’était certain, toutefois une main calleuse lui fit signe de se diriger vers l’étage. Des voix, un fracas, un grand bruit de bois qui craque sous la pression.

Nobi vit un morceau de porte voler vers sa tête. Elle plongea puis sentit qu'on l'attrapait avant d’être jetée sèchement vers les marches d'escalier.

« File ! »

La fenêtre. Plusieurs hommes pénétrèrent en courant au milieu du rez-de-chaussée, elle le voyait du coin de l'œil, ahurie, et Taran leur faisait barrage. Elle se précipita vers le haut sans se retourner, refermant la barrière derrière elle. Déjà elle entendait résonner les pas d'un poursuivant. À l'étage elle tenta d'aller vers la petite table mais fut retenue par la douleur. On l'attrapa par les cheveux avant de la tirer vers l'arrière. Elle manqua de perdre l'équilibre, la gêne et la surprise l'empêchaient de réfléchir. Nobi se retourna et profitant de son élan, sauta dans les bras de son agresseur qui termina le dos plaqué au mur. La main gauche de la négociante tint fermement son poignet armé pendant que l’autre, férocement agrippée à son menton, alla frapper sa tête contre la paroi avec toute la violence dont elle était capable. Il s'écroula immédiatement. Sans se poser plus de questions, elle poussa la table dans les escaliers, forçant deux autres hommes à sauter sur le côté. Un coup d'œil vers le bas et elle distingua son idiot de complice qui était en train de se faire déborder. Il échappa à un premier homme qui tenta de l'attraper par derrière, uniquement pour se retrouver à esquiver quelques coups d'épées. Une jarre alors fusa au travers de la maisonnette, elle appela et laissa tomber la lame fine qu'avait tenu son premier poursuivant. Le voleur l'attrapa sans mal.

« Sors-toi de là à la fin !

— De rien ! »

Avant que d'autres ne puissent l'attraper, elle poussa le volet d'un coup d'épaule et grimpa laborieusement sur le toit.

« Regardez ! Juste là ! » Clama une voix.

Sur sa gauche, trois hommes étaient postés sur la maison d'en face, prêts à bondir au moindre signe. Elle recula de quelques pas, avec l'idée s'enfuir dans la direction opposée, mais un claquement de chausse la stoppa net dans son mouvement. Un soldat venait d’atterrir à un mètre d'elle, son épée brandie, le visage dur, déterminé. Il allait trancher vers son cou. Un choc de tambours se fit entendre dans sa tête. Ce n’était pas bon signe. Elle fit un pas, esquiva le coup, posa solidement sa paume sur la main qui serrait le manche de l'épée, continua sa rotation, mit un genoux à terre... Et l'homme surpris par l'aspiration ne put que basculer vers l'avant et retomber sur son dos. Nobi, le cœur battant, aurait voulu s'enfuir mais les trois autres étaient déjà presque sur elle. Déterminée, elle sortit sa dague et au moment où sa victime se relevait, se mit derrière lui et passa la pointe acérée sous sa gorge.

« N'avancez plus ! Sinon vous baignerez dans son sang ! »

Le contour de sa vision se teintait de rose. Elle priait de toutes ses forces pour pouvoir garder le contrôle, se focalisait sur le rythme calme et maitrisé de sa respiration, pour ne pas paniquer. Elle tenait le bras encore armé en extension derrière elle, de sorte que la pression de son étreinte menaçait sérieusement la vie de son captif. Le coude de ce dernier menaçait de lâcher et elle sentait sa gorge se compresser sous son avant bras. Les renforts, à deux pas devant eux, s'étaient figés. Celui sur sa gauche était le chef du groupe, elle en était certaine. Il était le seul sur le toit à porter une côte de maille, mais rien pour protéger son crâne. Ses vêtements étaient sales, il avait couru dans la boue. Ses lèvres pointaient vers le bas sur la partie droite de son faciès marqué, abîmé. Il devait avoir bien quarante ans. Des cheveux blonds coupés plutôt courts tiraient sur le gris. Ses yeux verts pâles, surmontés d'épais sourcils sévères, semblaient n'avoir pour vocation que d'être la pointe de lance de sa volonté ; et le reste de son corps, une arme dont il se servirait pour écraser autrui. Son adversaire c’était lui. Il fallait qu’elle le contre. Un seul coin de ses lèvres pâles se retroussait subrepticement. Elle raffermit sa prise. De petites goutes chaudes tombaient sur sa main. Du sang. Ils se fixaient tous deux comme s’ils allaient s’attaquer à coup de dents. Loin de le ralentir, cela l'amusait et juste en se focalisant sur ses pupilles, elle perçut son intention. Il allait transpercer son propre sous-fifre et l'embrocher avec.

Dépitée, elle recula et simultanément, d'un mouvement sec, cassa le bras de son otage. Celui-ci lâcha un cri d’angoisse qui suivit l'affreux craquement de son articulation. Nobishandiya se remit à courir et sauta sur l'habitation suivante. Elle entendait encore le carnage qui devait se tramer presque sous ses pieds. Il fallait absolument quelle redescende dans la rue, peut-être pourrait-elle ainsi les semer ? Soudain, avant qu'elle ne puisse atteindre le rebord du toit, un énorme poids s'écrasa sur elle et la plaqua sur les bardeaux. D'abord, elle tenta de s'en extraire à coups de coudes. Voyant très vite que ça ne marchait pas, elle balança sa tête vers l'arrière et sentit qu'elle avait heurté la lèvre inférieure du malotru. Elle n'eut pas le temps de reprendre l'avantage cependant, le haut de son visage percuta violemment les plaques. Une main solide avait écrasé son front contre les morceaux de bois, la tenant fermement sur l'arrière de la tête, pressant de tout son poids comme une bête. Elle subit le coup une fois, deux fois, trois fois.

La chair de son front se changeait en bouillie. Elle ne voyait plus rien. Tout était un flou éblouissant sauf le contour de son champ de vision qui tournait au rouge sang. Nobi trouva encore la force de ramper. Une voix s'élevait, comme un ronronnement répétitif à ses oreilles, et qui faisait battre l'intérieur de son crâne. Une poigne sévère la souleva, aussi facilement qu’une brindille, son bras droit se retrouva aplati derrière son dos. Elle se débattait donnait des coups de pied au hasard jusqu'à ce qu'une frappe finale ne lui vole ses dernières miettes de conscience.

Dans la maison, Taran avait entendu sa comparse ouvrir le volet pour s’échapper par le haut.

« Cette saleté s'en va par le toit ! » Avait crié l'un d'eux.

Ses rangées de dents étaient si serrées qu'elles grincèrent à lui en donner la chair de poule. Il paraît de tous côtés. Ils étaient cinq, deux à l'étage et trois devant lui. Brusquement, il fit mine de tomber et balaya les jambes du plus proche avant de frapper son crâne avec le plat de la lame, animé par toute la puissance de sa rage.

« Venez me chercher bande de molasses ! »

Et sans la moindre hésitation, il se rua sur le suivant, pendant que les deux autres se précipitaient vers le rez-de-chaussée. Avec son pommeau, il donna un coup dans les côtes d'un deuxième, en esquivant sa charge, puis feinta un troisième et lui envoya son poing dans le nez, avant de parer avec justesse une estoque portée vers son entrejambe.

« C’est mesquin ça. »

Il baissa la tête, entendit une lame bruire juste au dessus, se dégagea, frappa, avant de trouver le moyen de courir jusqu'à la porte. Là, sa route fut coupée par un soldat presque deux fois plus large que lui qui semblait débarquer de nulle part. Taran manqua de se faire embrocher. Même au milieu de ce chaos, il savait qu'il était perdu. L'espace était trop restreint et c'était bien à cause de cela qu'il allait se battre comme un lion.

Il fit mine d'ouvrir sa garde, la grosse brute s'avança et à ce moment précis, avec la rapidité de l'éclair, il tailla au niveau de son auriculaire. Immédiatement l'épée tomba au sol, en même temps, un beuglement s'éleva. La silhouette élancée pivota, reçut un choc sur la joue mais continua sa danse au rythme des chants suraigus de l'acier. Il crocheta une épée, sonna son propriétaire d'un coup de coude avant de frapper, à l'aide de son pommeau, le plexus d'un autre. Il fut touché à l'épaule dans le même temps. Ses poumons commençaient à brûler. Il avait de plus en plus de mal à garder une respiration constante. C’était finit. On le désarma.

Le voleur resta planté là, quatre lames brillantes pointées vers lui, prêts à en finir. Qu'attendaient-ils donc tous ? Il les insulta mais rien ne fit, il cria et chargea à l'aveugle, sans se soucier de son trépas, le cœur battant, emporté par un étrange élan sans nom. Il ne reçu qu'un manche dans la tête. Il continua. Pour lui, la bataille ne serait finie que lorsqu'il serait mort. Il se jeta sur celui qui lui sembla être le plus faible, une main sur le plat de l'arme, il se saisit de sa gorge. À cet instant précis, un corps fut projeté à l'intérieur de la maisonnette. Un corps inerte aux cheveux noirs, qui gisait mollement sur le seuil. Taran s'arrêta net, gelé. À sa suite entra un homme dense, aux bras épais, large d'épaules et qui avait la face mise de travers. Le front caché par quelques mèches de cheveux, il marchait avec la moitié d'un ricanement placardé sur ses traits. Son arme en main, il la brandit au dessus de la nuque brune.

« Nobi ! »

Il voulu se frayer un chemin au milieu des soldats mais ceux-ci le retinrent de toutes leurs forces. Sa chemise menaçait de céder, lui qui avait survécu aux grandes étendues stériles, aux montagnes meurtrières et aux forêts sauvages, n'était à présent pas capable de sauver la seule personne qui l’avait poussé à vivre. Et cela l'enrageait. Le désespérait. Un coup sur son genou et il s'effondra à moitié à terre, immobilisé par les quatre autres. Il hurla. Ne se laissant pas abattre, le prisonnier se jeta à nouveau vers l'avant, dans l'espoir vain d'atteindre l'homme en côte de maille. Il aurait voulu le brûler de toutes ses malédictions.

« Laisse-la espèce de couard ! La pourriture te bouffera si tu la touches ! »

Ce dernier riait, d'une moquerie mesquine, toute la partie droite de ses traits était figée et molle.

« Ah, c'est donc vrai, » articula-t-il péniblement, « vous êtes mariés on m’a dit. Un sac à merde, marié à une putain. »

Taran cracha vers son visage de la salive et du sang. Puis il succomba à une dernière frappe contre sa nuque.


Texte publié par Yon, 30 janvier 2017 à 15h23
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