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tome 1, Chapitre 8 « Volent les Corbeaux (pt2) » tome 1, Chapitre 8

Note de l'auteur: Cette partie est légèrement plus courte que le précédent, mais c'est parce que le suivant sera beaucoup plus épais… Si je le fais plus long ça risque de casser la rythmique. Bonne lecture à tous.

« Regardez qui le vent ramène, » avait ricané le larron.

Elle avait décidé d'ignorer ses commentaires. Il reprit son sérieux :

« Si nous devons travailler ensemble cette saison, j'aimerais savoir comment t'appeler, même si c'est très plaisant de te nommer “Ma Dame”.

— Nobishandiya, grommela-t-elle.

— C'est vraiment très dur à retenir.

— Habitues-toi ou reste sur “Ma Dame”. Tu es celui qui a voulu savoir. »

Ils discutèrent des modalités de leur entente ponctuelle. Si une trêve devait être mise en place, il fallait qu'elle soit clairement définie. On décida d'établir la taverne d'Ivar comme centre de leurs rencontres et de se rabattre vers les maisons des pêcheurs si le besoin s'en faisait sentir. L'inconvenant dut également faire une ou deux promesses :

« Je veux que chaque décision soit prise d'un commun accord, annonça-t-elle, ne vas pas t'imaginer que tu peux simplement te lancer à corps perdu dans des entreprises et me traîner avec toi dans des aventures inconsidérées. Oh, et je ne veux pas voir sans cesse ton visage. Tu es prié de ne pas fourrer ton sale nez dans mes négoces.

— Je n'oserais jamais ! Même pas dans mes rêves les plus fous. »

Cette remarque fit naître chez Nobishandiya une irrépressible soif de sang.

« Qu'est-ce que tu as encore fait ?

— Quel beau temps !

— Crache !

— Je t'ai peut-être suivie la dernière fois. Mes excuses. Ce n'était pas par malveillance, simplement je devais m'assurer que tu respecterais notre arrangement. Je suis devenu méfiant avec l'âge.

— Je savais bien que quelque chose n'allait pas, murmura-t-elle. Quoi que tu aies vu, tu as intérêt à l'oublier.

— Du calme. Si j'avais assisté à quoi que ce soit d'embarrassant je n'aurais probablement pas été si prompt à l'avouer, tu ne crois pas ? Et je n'avais aucune envie de mettre mon “sale nez” dans des affaires, disons, personnelles. Sans rancune ? »

Sa soudaine sincérité lui parue d’une hypocrisie monstrueuse. Une pointe de cruauté releva la commissure de ses lèvres. La colère tirait sur son cœur comme un chien au bout d'une laisse. Elle plissa ses yeux noirs et répliqua sèchement :

« Je suppose que j'aurais été découverte tôt ou tard. Que veux-tu, nous ne pouvons pas tous agresser des gens au beau milieu de la nuit, n'est-ce pas ? »

Sa phrase ne niait pas sa rencontre avec un potentiel amant. Elle était également venue le piquer au vif sur ses propres fautes. Ce qu'elle ignorait c’était lequel de ces deux points avait provoqué sa réaction. Toujours était-il que Taran détourna la tête et durant un infime instant, une crispation affolée s'empara de son visage de marbre.

« Pour ce qui est du recel, » demanda-t-il tout à coup, « as-tu des options ? »

La conversation changea de route dans la seconde. Nobishandiya ne s'en formalisa pas plus. En tout cas, pas à ce moment là.

Le duo commença par s'exercer à des pratiques simples et qui avaient fait leurs preuves. Le chapardage avait ses limites, le “dépouillage” en revanche, avait un peu plus d'avenir. Ils avaient décidé d'opérer uniquement ces trois nuits où la lune était pleine, dans les alentours de quatre tavernes bien précises. Un repérage minutieux avait été effectué à l'avance, pour définir des carrefours raisonnablement fréquentés susceptibles de servir de “goulots”. Leur ambition étant de ne jamais se faire voir, de ne jamais éveiller aucun soupçon. Taran commençait en général par repérer une cible intéressante, de préférence imbibée comme une serpillière, à l'intérieur de l'une des tavernes. Au moment où l'individu s'apprêterait à sortir, son rôle serait de le devancer à l'extérieur. Un signe avait été convenu avec sa complice, déguisée en mendiant dans la rue. Si le “goulot” avait été bien choisi, leur victime y passerait, sinon, il faudrait choisir une nouvelle cible dans un autre lieu.

Par chance, leur premier essai cette fois là fut concluant. À l'instant où l'homme arriva au carrefour, Nobishandiya se débarrassa de son épaisse cape de laine et s'avança, bras nus face à la lumière de la lune, froide et nacrée, ayant enroulé un fin voile de coton autour de sa tête. Cette idée venait bien sûr de Taran. L'individu s'arrêta net, ému par le profil improbable et statuaire qui venait d'apparaître, coincé entre terreur et fascination. Comme le voleur avant lui, il crut à une apparition surnaturelle. Le spectre tourna la tête dans sa direction, et voyant que tout était vide, s'immobilisa. Une silhouette élancée prit l'homme à revers et le frappa à l'arrière du crâne. Le corps tomba en silence. Comme convenu, la Dame continua sa route sans ciller, le plus tranquillement du monde. L'autre avait à charge de fouiller la moindre parcelle de vêtement et de ne rien épargner, que ce soit sa bourse, la boucle de sa ceinture, une fibule ou cette petite dague incrustée de bois précieux. Il avait pour consigne de prendre jusqu'à ses vêtements s'ils lui semblaient de valeur. Ayant suffisamment d'expérience pour savoir économiser ses gestes, il fit cela en un temps record. Tous deux se retrouvèrent plus tard, dans l'arrière salle, pendant qu'Ivar s'occupait de la fermeture.

Les pièces furent réparties équitablement. Le reste dépendait de la nature de l'objet, car il fallait penser aux revendeurs. Un mauvais pas et ils risquaient d'attirer trop d'attention sur eux. Nobishandiya, qui connaissait des marchands peu scrupuleux, devait s'occuper des éventuelles étoffes ainsi que des objets peu conventionnels. Son complice avait proposé de se charger des métaux précieux, en les faisant refondre grâce au réseau que s'était constitué Delf. Ce dernier ne cracherait pas sur quelques fragments d'argent ou autre. Mais lorsqu'ils en arrivèrent à la dague, ce fut un peu plus compliqué. Certes, la négociante connaissait des personnes dont l'intérêt pouvait être piqué par une telle pièce, cependant elle était trop reconnaissable et si d'aucuns venaient à apprendre qu'elle avait été volée... Fallait-il la démonter alors ?

« Cette prise est bien trop problématique. Il faut nous en débarrasser, sans hésitation. »

Son visage sombre et déjà fermé se crispa un peu plus ; un escargot se rétractant dans sa coquille. Elle vit au sourcil relevé la surplombant que Taran avait compris qu'il ne fallait pas la contrarier.

« Laisse-moi la garder alors. Si je vois une opportunité, je l'écoulerai. Sinon, je la jetterai à la mer.

— Et s'ils te prennent avec ?

— Qu'importe. Ce n'est pas à toi qu'elle fera du mal. »

Elle se tendit encore un peu, se sentant comme la corde d'un arc, prête à lâcher. Devant son front, la peau de l'homme s'était un peu plus rapprochée de l’albâtre. Il avait compris son malaise.

« La formulation n'était pas très heureuse, je te le concède.

— De toute façon, renchérit-elle, je ne te fais pas assez confiance pour te laisser avec ça.

— Tsss. Je ne comptais pas m'en servir et encore moins contre toi. Je ne suis pas fou.

— Comme si ça n'était jamais arrivé !

— Ce n’était pas…

— Oui, tu n'étais peut-être pas fou, mais en tout cas tu étais ivre-mort. Est-ce là ton excuse, je me le demande ? »

Cette fois, son teint changea du tout au tout et il devînt gris, bien que son expression n'ait pas bougé d'une miette. Le rose de ses paupières s'en trouva vivifié. Ses lèvres fines se confondaient avec ses dents. Même ses pupilles semblaient vouloir mourir.

C'était donc ça. Comment n'y avait-elle pas songé ? C'était la culpabilité qui le travaillait depuis leur toute nouvelle rencontre. Cela changeait tout. Elle le tenait. Il avait voulu la faire chanter, mais à présent c'était elle qui le tenait par la corde la plus indestructible qui puisse enchaîner les hommes :

Leur conscience.

Elle était partie du principe que Taran prenait toujours tout avec légèreté parce qu'il ne s'était pas rendu compte de la gravité de ses actes. En réalité, c'était l'exact contraire. Il comprenait et ne voulait pas y faire face. Cette simple révélation suffit à éveiller en elle le plaisir vicieux d'une vengeance longuement mûrie. Elle ne pouvait pas le tuer, en revanche peut-être pouvait elle, elle aussi, se changer en aiguille pour venir torturer la plante de son pied, comme il l'avait fait avec elle. D'un aplomb impeccable, Ivar frappa à la paroi, leur signalant qu'il devait les mettre dehors. Sans plus un mot, ils s'exécutèrent. À la sortie, elle vit Taran s'incliner et la laisser humblement s'éclipser la première. Elle ne répondit que par un large sourire. Quelle déférence. Quelle hypocrisie. Il ne devait rêver que d'une chose, voir arriver l'instant où elle baisserait sa garde, pour pouvoir laver cette tâche sur son honneur. Or, Nobishandiya ferait tout pour que cela n'arrive pas.


Texte publié par Yon, 12 juillet 2016 à 09h56
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