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Standard (jusqu'à 1.000 mots)

Objet « boule-à-neige »

Emotion « folie »

Couleur « marron »

 

La journée présentait quelque chose d’irréel. Cinder avait l’impression qu’il vivait un mauvais rêve dont il s’éveillerait tôt ou tard, pour retrouver le sourire de sa mère. Les images, les sons, les odeurs… Tout lui parvenait comme de très loin.

Quand la carriole de Viktor s’arrêta devant la basilique de Magdalena, il se trouva de nouveau en terrain familier : Annet l’emmenait souvent à l’office le dimanche, lorsque son travail acharné lui en laissait le temps.

La population du Matriarcat pratiquait une forme de christianisme basée sur l’évangile de Marie-Madeleine, considéré comme apocryphe par les autres blanches de la religion. Seules les femmes pouvaient célébrer le rite, qui se déroulait dans des édifices ornés de couleurs vives, dont le style empruntait à l'architecture orientale.   Une averse de flocons tombait silencieusement. La vision lui évoquait une de ces boules à neige qui étaient vendues aux visiteurs occasionnels.

La prêtresse les attendait sur les marches, revêtue d’une longue aube bariolée. C’était une femme entre deux âges, avec de grands yeux marron emplis de chaleur.

« Vous êtes la famille de maîtresse Annet Kloze? » demanda-t-elle au groupe qui s'approchait d'elle.

Gonflé de son importance, Viktor s’avançait déjà, quand une mince forme féminine vint s’immiscer entre lui et la célébrante :

« Je suis la sœur d’Annet Kloze, Inga. Et voici son fils, Cindervale », ajouta-t-elle en saisissant le garçon par le bras pour le placer devant elle.

Cinder se dévissa le cou pour regarder la femme. Il ne voyait d’elle qu’un profil, qui lui rappela de façon troublante celui de sa mère. Viktor s'élança vers eux, ivre de rage :

« Mais qu’est-ce que cette folie ? Depuis quand mon épouse a-t-elle une sœur ? Elle me l’aurait dit ! »

Son visage mince s’était crispé de colère ; une veine tressautait sur son front.

« Que quelqu’un écarte cette usurpatrice !

- Ce n’est pas une usurpatrice, protesta le garçon. Ma mère m’a parlé d’elle, nous devions même partir la voir avant qu’elle… qu’elle... »

Sa voix s’étrangla dans sa gorge. Il sentit ses yeux se remplir de larmes et ne fit rien pour les retenir. La main chaude posée sur son épaule se resserra affectueusement.

« Tenez, poursuivit Inga d’une voix ferme, voici mon autorisation spéciale de séjour à Svenne, pour cause d’obsèques. Vous pouvez ainsi vérifier ma bonne foi.

- Ce n’est pas nécessaire, répondit avec douceur la prêtresse, mais si vous y tenez... »

Cinder compris que la femme voulait surtout faire taire les réclamations de Viktor. Avec un brin de nervosité, il la regarda ouvrir le pli et vérifier le contenu. Enfin, en souriant, elle rendit le document à sa propriétaire.

« Tout me semble en ordre. Votre neveu et vous, en tant que plus proches parents de notre sœur Annet, assisterez la cérémonie. »

Cinder éprouva un immense soulagement. La cérémonie dura deux bonnes heures, pendant lesquelles les récitatifs et les chants accompagnèrent les adieux à cette femme merveilleuse qu’avait été Annet Kloze. Le garçon n’avait aucune idée des gestes et rites à effectuer, mais la célébrante le guida avec gentillesse et lui fournit, ainsi qu’à Inga, le texte des bénédictions à lire. Viktor fulminait de se voir relégué au rôle de simple spectateur, mais Cinder n’avait aucune envie de se préoccuper d’un homme qui avait épousé sa mère par pur intérêt. La basilique était pleine à craquer, car tous les artisans avaient voulu faire leurs derniers adieux à cette collègue renommée, probablement la plus douée des créatrices d’automate de la principauté. Des dizaines de personnes défilèrent devant son cercueil de cuivre ouvragé.

Conformément à la coutume, Inga et Cinder passèrent en dernier ; la jeune femme déposa sur la surface brillante une délicate rose de bronze, et le garçon une fleur de Cindervale, à laquelle il devait son prénom. À présent qu’il pouvait mieux regarder Inga – et que ses yeux s’étaient un peu asséchés -, il retrouvait en elle les traits du masque caché dans le bureau d’Annet. Les pommettes hautes, le nez un peu retroussé… mais le visage de sa tante paraissait plus âgé, plus grave.

Enfin, la cérémonie toucha à sa fin. Le cercueil fut descendu dans la vaste crypte creusée dans les profondeurs de la colline où siégeait la basilique. Cinder ne parvenait toujours pas à croire en cette terrible réalité. Il dut lutter pour ne pas s’effondrer. Dès que tout fut terminé, il se rua vers l’extérieur et respira à pleins poumons l’air glacé. La neige s’était accumulée autour de l'édifice, encore blanche et vierge. Il tomba à genoux dans la poudre scintillante, qui trempa les jambes de son costume gris. Derrière lui, il entendit Viktor se disputer avec Inga :

« Osez dire que vous n’êtes pas venu là pour racler ce que vous pouviez !

- Racler quoi ? répondit calmement sa tante. Comme je ne vis plus à Svenne, je ne peux hériter d’aucun des biens de ma sœur, et quand bien même, je n’irais certainement pas spolier mon neveu ! »

Un silence outré lui répondit. Cinder savait que Viktor n’avait pas les scrupules de sa tante, mais il ne pouvait pas y faire grand-chose : il était mineur, trop jeune pour se battre… et il était un garçon, ce qui constituait un désavantage évident. Qui le prendrait au sérieux, si Viktor dépassait les bornes ? Il prévoyait déjà les réactions des autorités du Matriarcat : « Encore une affaire d’hommes, il faut toujours qu’ils se bagarrent... »

« Cinder ? »

Inga se tenait devant lui, les mains tendues :

« Que dirais-tu d’aller faire un tour avec moi ? Je vais devoir repartir très vite... Il doit me rester trois heures avant de regagner le zeppelin… Je souhaite les passer avec toi ! »

Sous ce regard yeux gris-bleu brillant d’intelligence et d’affection, il se sentit moins seul. Il lui tendit les mains à son tour, en souriant malgré lui.