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Défi n° 16

Option taille 1000 mots

Objet « givre »

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Émotion « haine »

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Couleur « gris »

Le petit garçon toucha des doigts le masque d'automate que sa mère venait de terminer et qui reposait sur son établi ; il lui semblait différent de ses autres « amis », de Lola ou de Loustic… Même s'il était travaillé dans le cuivre rosé, et qu'il n'avait pas encore reçu ses yeux d'émail, il ressemblait étrangement à une vraie personne. À y regarder de plus près, il lui rappelait curieusement celle qui l'avait sculptée. Et cependant, pas tout à fait : les pommettes étaient un peu plus hautes, le nez un peu plus retroussé… Pensivement, il promena le bout des doigts sur la surface brillante, en s'assurant qu'il n'y laissait pas de traces.

Un bruit de pas s'approcha de son dos ; il n'eut pas à se retourner pour le reconnaître.

« Qui est-ce ? demanda-t-il en fronçant légèrement les sourcils.

- Cela n'a pas besoin d'être quelqu’un de précis, soupira Annet.

Les mains calleuses et couturées de l’artisane apparurent de part et d’autre de Cinder pour prendre le masque.

« Je ne l'utiliserai pas », déclara-t-elle avec décision.

Cinder la suivit du regard, tandis qu'elle allait le ranger dans l'un des vastes tiroirs muraux où elle stockait les pièces qui ne lui serviraient pas, parce qu'elle avait changé ses projets ou qu'elles ne convenaient pas tout à fait.

« Désolée, Inga », murmura-t-elle en le glissant en place.

Son expression était aussi mélancolique que si elle enterrait quelqu’un.

Ce ne fut que bien plus tard, alors qu'elle était déjà mariée à Viktor Ash et qu'elle commençait à ressentir les premières atteintes de la maladie qu'elle lui avoua la vérité... et qu'il découvrit que le gouvernement du Matriarcat n'était pas dénué d'une certaine cruauté.

Annet avait ressorti le masque, le caressant doucement du bout des doigts :

« je n'ai pas pu m’empêcher de lui donner le visage de ma jeune sœur, Inga…

- Je ne savais pas que tu avais une soeur ! s’exclama le jeune garçon, surpris.

- Inga a fait une faute, murmura l'artisane. Elle est tombée amoureuse d'un étranger… Un homme issu d'une principauté voisine. En l'épousant, elle s'est exilée de Svenne.

- Mais pourquoi ? »

La jeune femme sourit tristement :

« Dans le matriarcat, ce sont les femmes qui dominent la société. Mais partout ailleurs, c'est le contraire. Aussi, si une femme de Svenne épouse un étranger, il doit venir vivre ici, renoncer à sa nationalité d'origine et se plier à nos lois et coutumes, mais si c'est le contraire et qu'elle le suit hors de notre territoire, elle perd sa nationalité et son statut. »

Lukas resta un moment pensif, avant de demander :

« Ça veut dire qu'elle ne pourra plus jamais revenir ici ?

- Hélas… c'est le cas.

- Alors pourquoi nous n'allons pas la voir ? Je suis sûre que ça te ferait plaisir ! »

Annet le regarda avec stupeur, avant d'éclater de rire :

« Tu as toujours une solution à tout, Cinder ! Mais ce n'est pas si simple… Je n'ai pas très bien pris son départ… Les paroles que je lui ai dites… étaient si dures, elle ne doit plus éprouver que de la haine à mon égard…

- Pourquoi tu ne lui écris pas ? Elle serait peut-être contente de savoir que tu ne lui en veux plus…

- Tu as sans doute raison, petit cœur tendre que tu es… Je vois tout en gris… au lieu de profiter du temps tant que j'en ai encore ! »

Même si elle ne le formulait pas, le garçon comprit intuitivement la crainte de sa mère de ne pas revoir sa sœur. Durant l'hiver, elle avait attrapé une forme de consomption qui la faisait tousser presque continuellement. Sa médecienne ne semblait très optimiste ; elle lui avait conseillé un changement d'air, en espérant que cela lui rendrait quelques forces et que par un improbable miracle, elle surmonterait l'infection. Le pays où résidait Inga, le duché de Veichte, était connu pour l'air pur de ses chaînes de montagnes. Le printemps débutait à peine quand Annet vint triomphalement trouver son fils, une lettre à la main :

« J'ai pu retrouver sa trace par l'un de mes vieux amis, qui voyage beaucoup hors des frontières de Svenne ! Par son intermédiaire, j'ai pu lui faire porter une lettre… et elle m'a répondu ! »

Cela faisait longtemps que Cinder ne l'avait pas vue aussi souriante ; et il avait la conviction que Victor et ses deux idiots de fils ne faisaient rien pour dissiper ses inquiétudes. Le froid sévissait encore et les routes étaient bordées de givre, mais la perspective de quitter la capitale et de découvrir le monde infusait le garçon d'une joie intense.

Il fallut à Annet des trésors de persuasion pour que Victor admette son départ. Quant à Cinder, il comptait fébrilement la poignée de jour qui les séparait du voyage. Sa mère avait déjà réservé les billets de train. Hélas, il n'eut jamais lieu : la maladie d'Annet s’aggrava subitement, l'obligeant à garder la chambre. Durant les deux mois qui suivirent, elle ne cessa de s'affaiblir, tandis que Victor Ash tournait autour d'elle comme un charognard, ajoutant au sentiment de terreur et de désespoir de Cinder. Lorsque sa mère finit par mourir, par un jour de mai, le garçon ne pensait plus à sa tante perdue…

Avant de pousser son dernier soupir, Annet lui remit une boîte pleine de ses effets personnels, qu'elle ne voulait pas voir tomber entre les mains de son époux. Cinder la dissimula soigneusement dans l'un des tiroirs de l'atelier dont il avait gardé la clef – celui où était conservé le masque aux traits délicats. Sa mère serait enterrée le lendemain, et il ne pouvait se résoudre à fouiller dans ses possessions les plus intimes, au risque de sentir son cœur se briser encore et encore.

Pour le moment, le plus important était, en dépit de son désespoir, de préserver sa dignité pour offrir ses derniers adieux à sa mère, avant d'affronter la vie précaire qui l'attendait désormais...