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tome 1, Chapitre 5 « Elsebeth » tome 1, Chapitre 5

Cinder était terrifié à l'idée d'être découvert, mais personne ne semblait faire attention à lui. Ses traits disparaissaient derrière un masque de métal – un visage d'automate qui n'avait jamais été utilisé. Il portait un costume emprunté à l'un de ses protégés, le jeune page Gawain. Même ses cheveux se dissimulaient sous une perruque de boucles métalliques. Il s'efforçait d'adopter des gestes raides et saccadés, comme si tout son corps avait été fait de métal.

Au palais matriarcal, les derniers participants se pressaient près de l'entrée. Heureusement pour lui, Viktor et ses deux fils n'étaient nulle part en vue. Une main sur son épaule, Simeon le guida vers la gardesse en livrée qui vérifiait les cartons d'invitation.

« Ne tardez pas, leur lança-t-elle sèchement. La Présentation se termine dans une demi-heure. »

Simeon lui tendit le document, qu'elle vérifia attentivement :

« C'est bon pour vous et pour votre Gawain. Veuillez vous mettre en file ici ! »

Elle lui désigna une antichambre où patientaient encore une dizaine d'humains et d'automates : la plupart figuraient de jolis jeunes gens, mais il y avait aussi un petit singe en livrée de colonel, un joli chat violoniste et une fée aux splendides ailes filigranées. Cinder se sentait bien banal à côté de ces merveilles.

Au bout d'une éternité, Simeon fut enfin appelé à montrer sa création. Ils entrèrent dans une vaste salle ornée de tapisseries anciennes, où la lumière cascadait de lustres plus énormes encore que ceux de la maison de madame Valkis. Un tapis rouge bordé de frises à l’antique traçait un chemin vers un dais, sous lequel s'élevaient deux sièges : un doré, d'allure majestueuse, où trônait la matriarche, et un autre argenté, plus gracieux, où était assise sa fille. De part et d'autre de l'estrade, deux gardesses veillaient à la sécurité de leur souveraine.

La matriarche de Svenne était une belle et grande femme d'une quarantaine d'années, dont les boucles blondes s'empilaient en un chignon complexe. Elle portait une veste grenat, chamarrée d'or, par-dessus une jupe culotte et de hautes bottes. Mais le regard de Cinder se porta surtout vers la jeune fille : elle ne devait pas avoir plus de quatorze ou quinze ans. Ses boucles cendrées avaient été relevées par un ruban lilas, de la même couleur que son corsage à haut col. Son visage pâle, aux traits délicats, demeurait baissé vers ses mains, serrées l'une contre l'autre comme pour les empêcher de trembler.

Simeon s'avança vers la matriarche et s'inclina profondément :

« Votre Excellence, déclara-t-il, j'ai l'honneur de vous présenter mon automate Gawain. »

D'un pas mécanique, Cinder s’avança et plongea en une profonde révérence devant la jeune fille, qui se renfonça dans son siège en rougissant.

« Il n'a rien de particulier, déclara la Matriarche avec un geste désinvolte de la main. Que sait-il faire, à part trois ou quatre gestes répétitifs ?

— C'est bien là toute la magie qui l'anime, répondit Simeon avec un sourire respectueux. Il est capable d'une incroyable variété de séquences. »

Il se tourna vers Cinder, qui lui adressa un léger signe de tête avant de s'approcher de la jeune fille ; quand les gardesses voulurent s'interposer, il leva les bras comme pour se protéger et tomba sur un genou, le visage levé de façon suppliante vers les femmes armées. Un son cristallin retentit ; surprise d'entendre son propre rire, la fille de la matriarche plaqua une main sur sa bouche et abaissa vers le garçon deux grands yeux sombres, remplis d'un intérêt timide.

Les occupants de la salle tournèrent vers elle un regard surpris mais, déjà, elle avait repris son attitude prostrée. Seul l’éclat attentif de ses prunelles témoignait d'un intérêt réel. Cinder plaça une main sur son cœur et pencha la tête sur le côté. L'ombre d'un sourire joua comme un papillon farouche sur les lèvres un peu tremblantes de la jeune fille. Elle se tourna vers sa mère et lui chuchota quelque chose. La Matriarche demeura un instant pensive, avant de déclarer :

« Il semble que votre automate ne soit pas aussi banal que cela aux yeux de ma fille. Elle souhaite passer un peu de temps en sa compagnie. Pouvez-vous vous retirer ? »

Simeon s'inclina profondément :

« Comme le souhaite son excellence. »

Il se dirigea vers la sortie, escorté par l'une des gardesses. Cinder sentit son cœur sombrer dans sa poitrine ; sans l'ouvrier, il se sentait soudain très seul.

« Vous pouvez aller dans le jardin, déclara la matriarche. Mais je tiens à ce que deux gardesses vous accompagnent. Qui sait si cet automate ne peut pas devenir incontrôlable ou dangereux ? »

La jeune fille hocha la tête. Elle se leva dans un léger froufrou de jupons et tendit la main vers « Gawain », qui y plaça maladroitement la sienne.

Les gardesses ouvrirent la porte-fenêtre qui donnait sur le parc. La jeune fille entraîna Cinder dans l'air un peu piquant du soir, au milieu d'un labyrinthe de buissons encrés par le crépuscule. Une odeur de fleurs et d'herbes aromatiques montait des plates-bandes ; les oiseaux nocturnes saluèrent leur arrivée d'une série de trilles. Elle le mena vers un petit banc, dans une gloriette blanche prise d’assaut par une glycine et de longues tiges de chèvrefeuille. Cinder s'assit, le dos raide, les mains posées sur ses cuisses, tandis qu'elle s'installait à côté de lui.

« Gawain. Je peux t'appeler comme cela ? Je ne sais si tu es conçu pour reconnaître ton nom. Le mien est Elsebeth. »

Elle lança un coup d’œil dans sa direction, sans doute déçue par son absence apparente de réaction.

« Je sais que tu n'es pas réellement vivant, poursuivit Elsebeth d'une voix douce, mais plus assurée. Mais je me sens moins seule avec toi. »

Elle baissa la tête, effleurant le tissu plissé de sa longue jupe grise :

« Je sais ce que tu me dirais si tu pouvais parler... Comment puis-je être seule dans un palais rempli de personnes qui exhaussent le moindre de mes désirs ? En réalité, c'est terrible d'être la fille de la matriarche. La plupart des gens me jugent et ne me trouvent pas digne de lui succéder un jour. Alors, poursuivit-elle plus faiblement, j'ai décidé de ne plus exister pour eux. »

Elle plongea son regard dans celui de Cinder :

« Ton créateur t'a donné de jolis yeux, fit-elle en tendant ses doigts fins vers le visage de métal. Un peu ambrés. C'est dommage que... »

Il se recula légèrement ; elle laissa retomber sa main.

« Pardon, fit-elle d'un air confus. Je n'aurais peut-être pas dû... »

La tristesse qui commençait à fuir son visage y réapparut subitement. Cinder se leva et cueillit entre le pouce et l'index un brin de chèvrefeuille qu'il lui tendit en s'inclinant. Un sourire s'épanouit sur son visage.

« Oh, merci ! »

Elle en respira le doux parfum avant de la piquer derrière son oreille. Sa main se posa sur le gant épais qui dissimulait celle de chair et d'os de Cinder :

« Je sais que tu ne peux pas me comprendre, mais si tu savais le nombre de fois où j'ai rêvé d'une attention telle que celle-là, une attention qui n'est jamais venue... Si certains ont des égards pour moi, c'est uniquement pour acheter les faveurs de ma mère. »

Elle haussa les épaules les épaules avec résignation.

« Même cette présentation... Ceux qui sont venus ne cherchent que leur profit et leur carrière. Toi, tu n'attends rien de moi. Même si tu es un automate, tu es plus attentionné que tous les garçons que j'ai pu approcher... Je voudrais que tu sois un vrai garçon... »

Elle soupira et tapota gentiment son bras :

« J'ai envie de te parler... Sans doute beaucoup de moi, même si ce n'est pas trop intéressant, mais je sais que tu ne te lasseras pas... »

Durant l'heure qui suivit, elle se confia à celui qu'elle croyait être une machine, lui avouant sa solitude, ses peines, ses tourments... Son sentiment de s'étioler dans une cage dorée comme un oiseau prisonnier, qui ne trouvait plus le cœur à chanter. Cinder écoutait, fasciné, et un peu coupable aussi de tromper la jeune fille. Mais pour rien au monde, il n'aurait voulu être ailleurs.


Texte publié par Beatrix, 21 mars 2016 à 17h10
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