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Je crois que ça a commencé il y a quelques semaines. Ou peut-être plus longtemps, comment savoir ? Après que mon voisin de palier a déménagé, les bruits sont apparus. Rien de très inquiétant, cela ressemblait à des grattements ou des frottements à l’intérieur de mes murs. Certains sont très épais et j’ai simplement supposé que cela pouvait être la tuyauterie ou peut-être des souris qui se seraient introduites dans le bâtiment. C’était très discret comme son. Cela ne m’empêchait pas de dormir, ni de vivre ma vie, mais j’ai tout de même appelé le dératiseur pour qu’il vienne vérifier l’état des appartements. Celui-ci n’a trouvé aucune trace du passage de rongeurs, ni trous ni résidus, pas même une petite crotte dans un coin. Pas de traces d’autres nuisibles non plus. Il est parti et mon inquiétude s’est envolée.

Les bruits ont persisté cependant. Ils évoluaient. Parfois ils sonnaient comme si de toutes petites dents rongeaient mes murs de l’intérieur. Parfois cela ressemblait plus à du sable qui s’écoulerait entre les briques. Je me suis dit que je devais les enregistrer pour les faire entendre à l’expert, mais ils semblaient trop faibles pour être vraiment perçus par le micro de ma caméra. J’ai donc laissé tomber l’idée. Mais après une semaine et demie, je me suis rendu compte qu’il y avait une sorte d’horaire. Les bruits n’apparaissaient que tôt le matin entre six et huit. Il disparaissaient ensuite durant le plus gros de la journée, avant de reprendre un tout petit peu autour de quatre heure de l’après midi pendant quelques minutes. Le silence revenait jusqu’à six heures et c’était à ce moment là que les sons étaient les plus présents, jusqu’à huit heures du soir. Je ne m’en suis pas aperçu de suite parce que je travaille tous les jours de la semaine sauf le dimanche. Je suis absent de chez moi la plupart du temps.

Comme le dératiseur n’avait rien vu, je me suis demandé quoi faire pour découvrir l’origine de ce dérangement inhabituel. Tout ça commençait à m’irriter, je crois. Je ne sais plus très bien quand, mais j’ai décidé de faire le tour des habitants de l’immeuble pour voir si d’autres que moi entendaient ces étranges frottements. Le couple de l’étage d’en dessous m’a dit qu’ils entendaient le bruit de la tuyauterie à cause de la pression de l’eau chaude. Cela me rassura à nouveau. Les horaires des sons dans mes murs pouvaient concorder avec la présence des autres habitants de l’immeuble et donc expliquer que la plomberie fasse plus de bruit que la normale. Par exemple, le matin quand tout le monde se levait pour partir au boulot, ou en fin d’après midi quand ces mêmes personnes commençaient à rentrer. Mon esprit s’apaisa un moment.

Quelques jours plus tard, je me réveillais péniblement, avec de gros vertiges. Des taches lumineuses de couleur orange apparaissaient et disparaissaient devant mes yeux. J’avais une légère nausée et je ne tenais pas debout. J’ai failli appeler mon patron pour lui dire que je ne viendrais pas. Heureusement le malaise s’effaça après une demi-heure. J’ai tout de même été très prudent ce jour là, surtout en conduisant.

Ce réveil difficile se répéta encore deux fois dans la semaine. Puis, plus rien. Je me disais que je travaillais trop, que j’étais épuisé. J’avais enchaîné les heures supplémentaires depuis des mois comme si cela n’allait pas affecter ma vie. Il fallait que je ralentisse, que je prenne du repos. Oui, c’était ce que je m’étais dit ces jours là. Seulement, lorsque les malaises ont disparu, d’étranges rougeurs ont commencé à apparaître. Sur mon ventre, sur le haut de mes jambes, un peu derrière les genoux, à l’intérieur de mes bras… Je n’avais jamais fait de réaction allergique de ma vie.

J’ai demandé ma matinée pour pouvoir passer chez mon médecin. Il m’a dit que c’était des piqûres d’insectes. Il m’a prescrit de la pommade, on a parlé des répulsifs, il m’a dit de vérifier mon matelas et la salubrité de mon lieu de vie. L’expert est passé. On a désinfecté l’appartement. J’ai posé des pièges à insectes. Tout ça n’a rien donné, je me levais encore avec mes tâches rouges et je ne comprenais pas pourquoi. Mon appartement était propre. D’où pouvaient venir ces piqûres ?

Naïvement, j’ai cru que de savoir me soulagerait. J’ai cru que cela arrangerait tous ces petits problèmes qui commençaient à me stresser le matin. J’ai tout de même continué comme si de rien n’était, jusqu’à cette nuit de la troisième semaine. Mon sommeil a été perturbé par quelque chose, je ne sais pas quoi. J’ai commencé à entendre ce bruit, comme du sable qui s’écoule, sauf que cette fois il n’était pas à l’intérieur de mon mur, il était dans ma chambre.

J’ai ouvert d’un coup les yeux et dans l’obscurité à peine dérangée par la lumière du dehors, j’ai vu une masse. Le corps d’un mille patte, posé sur mon plafond blanc, mais énorme, si gras et si long que je n’en voyais pas le bout, ses affreux appendices gigotaient par moments, s’accrochaient au dessus de moi.

J’ai voulu bouger, crier, mais mon corps était lourd comme du plomb. J’étais paralysé. J’ai tourné la tête et ce monstre impossiblement long était réparti tout autour de la pièce, comme une guirlande de cauchemar, sans aucune fin. Ca grimpait, collé sur mes murs, rampait sur le carrelage, passait tout contre mes étagères et enfin, j’ai vu que mes couvertures étaient sur le sol. C’est là que je me suis aperçu que je ne sentais plus rien. J’étais engourdi, anesthésié. J’ai vu les pattes plus longues que les autres, comme des membres d’araignée, agrippées sur mon lit, de part et d’autre de moi, un peu plus haut, une tête. Elle était petite, armée de mille yeux et ce que je ne peux décrire que comme un sourire. J’ai voulu crier, en vain. Ses dents crochues s’agitaient comme si elle avait d’autres pattes dans la bouche. Elle me regardait, immobile.

En baissant le regard, je me rendis compte avec dégoût que des tubes sortant du corps de la bête étaient plantés dans ma peau, dans ma chair. C’est comme ça que j’ai compris. Cette horreur est un parasite, qui vient probablement se nourrir de mon sang avant de regagner sa cachette dans la journée. C’est cette chose que j’entends depuis des semaines et qui devait me guetter de loin, attendant le moment propice.

Mais ce n’est pas le pire.

Je me suis réveillé le lendemain matin. Je n’avais aucun souvenir de ce que j’avais vu dans la nuit. Aucun. Je me suis levé, j’ai passé ma pommade comme un idiot et je suis retourné à la tristesse de mon petit quotidien morose, sans me douter de ce qui m’attendait chez moi, dans mes murs, une fois la nuit venue. Je ne peux pas me souvenir de la bête. Il n’y a que lorsque je me réveille en sursaut la nuit, paralysé, que je me rappelle de toutes ces fois où je me suis retrouvé face à cette même scène affreuse. Cela dure depuis tant de temps que je me demande comment je n’en suis pas encore mort. J’aimerais pouvoir me laisser un message, quelque chose, un rien pour me dire à moi même de ficher le camp de cet endroit. De partir. De quitter cet immeuble avant qu’il ne soit trop tard. Ou alors, peut-être trouver la force d’ouvrir cette fenêtre et de me jeter dans le vide.

Impossible. La bête me tient sous ses griffes. Elle me regarde. Je me demande si elle ne se moque pas de moi. De mon impuissance à quitter ce piège. Pourquoi je ne me souviens jamais de rien ? Cette nuit, je vois bien que les tubes ont arrêté de pomper mon sang. Elle fait l’inverse. Elle est en train d’injecter quelque chose sous ma peau, dans mes veines. Qu’est-ce qu’elle est en train de faire de moi ? Je ne veux pas le savoir. Je voudrais tellement que quelqu’un vienne me tirer de là. N’importe qui. N’importe quoi. Je voudrais m’enfuir mais je sais que je ne le ferai pas.


Texte publié par Yon, 12 mars 2016 à 17h53
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