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Tosa Yumoto avançait dans un paysage fleuri, faisant sauter six pièces d'argent dans sa main. Un sourire suffisant ornait ses jolies lèvres alors que ses lunettes glissaient sur son nez empâté. Dans cette plaine somptueuse, presque idyllique, il sentait les bonnes odeurs de fleurs, entendait les oiseaux pépier. Même le vent, filtré par les roches était doux, agréable. Une promenade comme on en faisant rarement…

Ses pas le menèrent naturellement vers un fleuve dont le glouglou flottait jusqu'aux oreilles attentives.

Plus il s'en rapprochait, plus il pouvait apercevoir un grand arbre se dessiner, uniquement composé de petites fleurs rose pastel.

Il fit sauter une nouvelle fois ses pièces comme il passait sous une branche mais ne les sentit pas dans sa paume. Il leva le nez, juste à temps pour voir une créature bondir devant lui. Elle faisait deux mètres de haut et se penchait sur lui, le reniflant. Sa peau grise collée à chacun de ses os était bien la seule chose qui la différenciait d'un squelette. Ça et ses yeux rouges braqués sur lui. Sa longue chevelure blanche était tel un linceul, couvrant sa poitrine tombante, ses genoux cagneux.

– Six pièces de monnaie.

– Parfait… souffla une voix caverneuse.

Yumoto recula d'un pas, glissant le regard vers la gauche. De derrière le tronc noir, sortait un vieillard qui ne faisait pas un mètre. Petit, chétif, sa peau était rouge et épaisse, comme un homard qu'on aurait passé à l'eau bouillante.

La femelle tendit sa main crochue et la ferma sur l'homme. Elle lui arracha ses atours alors que le voyageur cherchait à se débattre. Des efforts bien vains. Malgré ses bras cadavériques, elle avait une telle force ! Il était comme un enfant qui ne pouvait que se laisser faire…

Ses habits étaient à peine ôtés que la femme les jeta à son petit compagnon. Il renifla et suspendit les vêtements à une branche basse. Il s'essuya le nez avec sa manche alors que Yumoto grelottait devant la vieille. Le vent était soudainement frais, comme s'il répercutait sa frayeur sourde.

Le nain se frotta encore le nez en observant la branche pliée. Il opina d'un mouvement bref vers la mégère qui attrapa Yumoto par les cheveux. Elle le traîna au-dessus de l'eau, là où grouillaient des serpents sifflants et ondulants.

Lui, bien portant, la peau joliment hâlée, le regard fier, vit un reflet qui n'avait rien de cela. Petit, chétif, blême et orné de nombreuses marques bleues ou violines. La vieillarde se passa la main sous le menton.

– Mari abusif, hein ?

Yumoto déglutit difficilement. Il pouvait bien essayer de se soustraire à ces doigts de glace, il n'en avait pas la force. Que pouvait-il faire d'autre qu'opiner lentement, avouant enfin tout ce qu'il avait fait à sa pauvre femme ?

– Toute ta vie, tu as battu ton épouse.

– Pas… Pas toute ma vie, se défendit-il, mollement.

– Pas toute sa vie, ricana l'homme.

La femelle le poussa sur une grosse pierre. Un bruit de craquement s'éleva dans la plaine, porté par le vent. Yumoto hurla son mal.

Le couple ne s'en soucia guère et vint sur lui. Ils frappèrent, frappèrent et frappèrent.

La victime se couvrit de bleu, son squelette se brisa. Ça ne dura pas deux minutes entières mais il jura y passer toute l'éternité. Cette douleur. Ce feu qui montait en lui, léchant chacun de ses os, de ses muscles, le laissant avec l'impression que plus jamais il n'aurait l'opportunité d'être soulagé.

La vieille l'attrapa par les cheveux et l'obligea à se redresser sur ses jambes fracturées. Il tenait à peine debout, mais on le poussa vers la rivière…

– Pas les s…

– Mari violent, mais pieux travailleur, commenta le mâle d'un air moqueur.

– On aimait plus son prochain que sa prochaine ? susurra sa compagne.

– Ah… Malheureusement…

– Malheureusement… reprit-elle.

Elle bouscula Yumoto qui se vit tomber vers les flots. Lorsqu'il crut qu'il allait sombrer au milieu des serpents, il s'écrasa violemment contre un gué de pierre légèrement immergé. Il lança un regard vers le pont de platines surmonté de garde-fou de diamant aux dorures d'or, rehaussé de saphir, rubis et améthyste. Jamais il n'aurait pu monter le marchepied de marbre qui s'érigeait plus loin au-dessus de l'eau clapotante mais comme il aurait souhaité l'emprunter…

Au moins, il n'était pas précipité dans le flot de serpents qui sifflaient pourtant dans sa direction. Désireux de plus. Désireux de chairs.

Tosa Yumoto rampa alors, cherchant le salut de l'autre côté du gué. Le fleuve des trois chemins…

– Les pauvres petits…

La mégère attrapa un vieux rôti dont elle arracha des morceaux qu'elle jeta aux reptiles.

– La prochaine fois, Datsue-ba… La prochaine fois, ils auront de la bonne chair. Le Monde se corrompt. Rares sont ceux qui traversent le gué.

– Et puis, Keneō, roucoula-t-elle, les accidents sont si vite arrivés.

Ses yeux roulèrent sur ce petit chemin immergé où un serpent s'engageait…


Texte publié par Angelscythe, 18 février 2016 à 17h53
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