La pluie n'est que d'acide et de cendre. L'eau n'existe plus, même dans sa forme la moins pure. En cet endroit recouvert d'une fine couche grisâtre, dans son état le moins corrompu, la nature resplendit de l'ocre et du pourpre de la gangrène.

La main ferme de l’ange racla le sol afin de prélever un échantillon. Un léger picotement lui parcourut l’échine. Cet environnement extrême mettait à mal sa combinaison mécabioïde, mélange de métal et de matière organique. Les analyses préliminaires confirmaient que la corruption atteignait le stade final. Résigné, l'ange n'avait pas d'autre choix que d'agir.

Depuis longtemps, le Paradis s’était consumé, saturé par les péchés des hommes qu’il n’arrivait plus à purger.

L’ange saisit le bâton cristallin accroché à son dos, et le soupesa. Taillé dans l’écorce de l'arbre de Vie, de multiples entailles retraçaient des combats menés par les êtres de lumière.

L’ange se remémorait encore lorsque l'artefact purificateur était devenu sien lors du tournoi du Paradis, jour où les archanges choisissent les champions dont les talents servissent leur cause. Force, dextérité, substance et charisme, tous ses condisciples avaient présenté leurs atouts sous leur meilleur jour. Surpassé dans tous les domaines, aucun Céleste supérieur ne l’avait pris sous ses ailes.

Accepter son destin car tout est volonté divine et accepter que la volonté divine n’ait pas prévue de destin. Par ce simple Pater, l’ange restait hors du champ des possibles, prisonnier de sa condition inférieure.

C’est alors que l’archange Premier s’était approché, le seul qui n’avait pas à attendre les décisions du Divin. Après qu’il eut vaincu le Maléfique son jumeau rebelle à la cause lors du Jugement dernier, le Premier Céleste avait gagné sa place près du trône du Divin ainsi que le privilège du libre arbitre de décider de lui-même. Il déposa dans les mains de l’ange inférieur un bâton cristallin, son arme de prédilection.

L’artefact purificateur avait soufflé un souvenir du passé dans l’esprit de l’ange, lorsque l’archange Premier n’est qu’un parmi tant d’autres et que son frère n’avait pas encore sombré du côté du mal. A cet obscur souvenir d’un tournoi du Paradis, aucun Céleste supérieur n’avait détecté de potentiel dans les deux jumeaux. Par ce passé révélé et face à l’archange Premier qui resplendissait, l’ange avait compris qu’il devrait emprunter d’autres voies que celles tracées.

L’ange planta la pointe acérée de l’artefact cristallin aussi profond qu'elle le put à travers le sol corrompu. En un instant, la gangrène sous forme de moisissure pourpre recouvrit le bâton, laissant à peine entrevoir le coeur de dragon enchâssé à l'extrémité.

Une voix intérieure lui suggérait de ne pas poursuivre. Elle lui murmurait que celui qui affronte les démons devait agir comme l'un d'eux, employer les mêmes méthodes, la même façon de penser. Affronter la mort du corps est simple, autant que sa mort spirituelle. Mais il existait des formes plus pernicieuses. Broyer, altérer, déformer, lorsque certaines frontières de l'esprit étaient franchies au-delà d’un point de non-retour, alors l’être ne savait plus faire de différence entre soi-même et son ombre maléfique.

Un grondement dans les profondeurs de la terre se fit entendre.

Une vibration parcourut la texture mécabioïde de l’armure. Dotée d’une pensée propre, elle-même sentait que ce qui se cachait sous terre possédait un pouvoir supérieur à ses capacités. En attente de sortir de son hibernation, l’entité qu'ils allaient affronter était sûrement au-dessus de leurs pouvoirs.

Reculant de plusieurs mètres, l'ange pria l'essence divine.

Avant de faire son choix, l’ange avait longuement pesé les différentes possibilités et mis cette incertitude dans la balance. Dans son état léthargique, les forces du monstre étaient faibles comparées à leurs pleins potentiels une fois l’éveil passé. De plus il ne pouvait pas se permettre de laisser se réaliser le Pacte avec son Ombre; Cet alter ego qu'il avait soudoyé contre une part de son âme se sentirait alors en droit de revendiquer sa contrepartie de sang.

Une brève éclaircie s’ouvrit dans l’amoncellement de nuage noir, baignant l'artefact de lumière à l'épicentre d’un grondement sourd. Par vagues successives, le sol se souleva et retomba avant d'engloutir le bâton purificateur dans une masse grouillante d’insectes sortis de le terre corrompue, qui formèrent par couches successives une gigantesque montagne touchant le ciel.

Jambes, torse, bras se dessinèrent jusqu’à ce qu’émerge la tête informe d’un titan Gestallhauser, engeance déviante de ce monde perverti. Deux minuscules fentes orange tel des yeux se posèrent sur l’ange, menaçant celui qui venait de le sortir de son hibernation.

Tendu face au gigantisme du monstre dont il avait forcé l'éveil, l'ange décrocha l’épée effilée de son dos. Au premier geste belliqueux, il sauta sur la main démesurée qui tenta péniblement de l'attraper et remonta plusieurs mètres du poignet jusqu'au coude.

D’un bond il évita la seconde main trop lente qui tentait de l'écraser comme un moustique, atterrissant sur l'avant bras. Au plus proche du point faible, la gemme ornant le front du titan, l'ange sauta en avant sur le visage du monstre.

Sa lame géante s'enfonça sans résistance dans la chair pourrie permettant à l'ange de se maintenir à hauteur des yeux. Dégainant son pistolet, il vida son chargeur afin que la gemme se désolidarise.

Le contour décollé, un filet poisseux s'en échappa, premier rayon volé pour donner naissance au titan. Plongeant son bras dans le trou béant, l’ange retira le bâton purificateur auquel était attachée à l'extrémité une glande battant tel un coeur.