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tome 3, Chapitre 10 « Blafarde était sa peau, Écarlate était son regard » tome 3, Chapitre 10

L’ange se dressait devant lui, nimbé d’une brume cristalline ; autour de son cou, une chaîne frémissait. Pâle était son visage, et de grenat était son regard.

— Vous devez partir, avait-il murmuré.

Ses lèvres étaient scellées. Pourtant, il l’avait entendu aussi distinctement que s’il avait articulé. Dans son corps infusait un poison de douleur auquel il se refusait de prêter attention. Une main, douce, aimable, rencontra son visage puis se retira, trop vite. Une singulière sensation de brûlure demeurait sur sa joue. Entre ses mains, il détenait le flacon d’Al-Iksir, agité de brusques soubresauts.

— N’existe-t-il point d’autres voies ?

L’ange secoua la tête ; des larmes gonflaient ses yeux et roulaient le long de ses joues. D’ivoire était son visage et de rouge était son regard.

La question n’appelait aucune réponse. Le regard baissé, il contemplait le réseau de fines veines bleutées qui affleuraient sous la peau.

— … la voie du sang…

La voix de l’ange venait de se briser.

— Vous ne serez pas seul, professeur, avait glissé la silhouette tapie dans le fond de la grotte.

— Professeur ? avait-il répété sans comprendre. Qu’est-ce que c’est, « Professeur » ?

— Une chose oubliée, avait soupiré l’ange, la voix étouffée par les sanglots.

L’ange pleurait et les larmes roulaient doucement sur son visage, comme autant de perles de cristal. Il voulut caresser la figure nimbée de douleur. Hélas, son bras le trahit et demeura inerte. Il avait serré un poing, lui aussi en pure perte.

— Partez Jareth ! Empruntez la voix du Rêve ! l’avait supplié l’ange, sa main au creux de la sienne.

Blanc était son visage, et sanglant était son regard

— La voie du sang… avait-il rétorqué, le regard fixé sur son bras dénudé.

Une main sur le front, Jareth releva la vieille paire de lunettes ; la lanière de cuir lui mordait avec cruauté les chairs, mais il n’y prêtait aucune attention. La plage était plongée dans un épais brouillard, si dense qu’il étouffait le fracas des vagues sur les galets noirs. Bientôt, elle serait là et elle l’emmènerait le voir. Encore une fois, il s’enfoncerait dans les terres de l’ouest jusqu’à ce qu’il appelait, faute de mieux, la faille ; cicatrice invisible qui ramenait à l’horizon quiconque s’y engageait, à moins d’en avoir percé le secret. Lorsqu’ l’avait découvert, il s’était tu, incapable d’en nommer la réalité. Chaque fois qu’il en avait esquissé la pensée, celle-ci se figeait et s’enfuyait jusqu’à lui devenir étrangère, comme si elle avait glissé dans les replis d’une dimension imaginaire. Alors, il redevenait un point sur une carte, un lieu parmi d’autres.

Un point parmi d’autres…

Il y en avait tant à l’horizon ; sans doute autant que de grains de sable qu’en comptait la plage qui s’étendait à perte de vue. Brillants, ils scintillaient et éclaboussaient la voûte céleste de leur éclat singulier. Pourvu qu’il tendît l’oreille et il entendrait leur doux crépitement. Jareth soupira et ramassa la vieille branche qu’il avait découverte quelque temps auparavant. Pèlerin du monde, il avançait sans but ; seul lui importait le visage de l’ange dont l’image était le dernier souvenir d’une vie qu’il avait oubliée. D’autres parfois surgissaient : une jeune fille au parfum de lys, une femme au regard hagard, un enfant au noir pelage ; un homme façonné de noir. Oui ! Il voyait tout cela ! Hélas, il n’éprouvait que le néant. Qu’il en saisit le fil et il l’arrachait à une toile vide ; ne demeurait que la figure angélique. Il ignorait pourquoi. De même qu’il ne s’expliquait pas pourquoi son cœur sursautait chaque fois qu’il l’apercevait, non plus qu’il ne nommait le sentiment qui l’habitait ; l’ange veillait sur son secret.

— Prenez-le, s’il vous plaît, avait chuchoté l’ange tandis qu’il ouvrait la chaîne passée autour de son cou.

— Ainsi, vous ne m’oublierez pas, avait-il ajouté d’une voix encore plus basse.

En cet instant, dans les yeux de l’ange, il avait vu la figure d’un homme en noir et il avait su quel serait son devoir et le prix à payer pour franchir l’envers du miroir. Il avait compris et il avait accepté.

À présent il contemplait les images, étrangère à lui-même, seul demeurait le visage de l’ange et le singulier sentiment qu’il nourrissait à son égard. Dans le sable, il en traça les contours. Hélas, le vent, cruel, les effaça aussitôt. Le long de ses joues, des choses mouillées roulèrent. Du bout de l’index, il en attrapa une et la déposa sur ses lèvres ; elles avaient un goût de sel et de ténèbres, comme la mer qui s’étendait à ses pieds. Il ignorait qu’en faire, non plus qu’il ne savait ce qu’elles signifiaient. Comme tant d’autres choses, il avait aussi perdu les mots.

Le sable était couvert de ridules ; le vent l’avait trahi et avait volé son souvenir. Il se releva, appuyé sur son bâton, et reprit sa marche. À l’horizon, il apercevait les crêtes déchiquetées d’une montagne hallucinée ; les contours semblaient se dissoudre dans l’horizon, cependant que se détachait la figure d’un homme au regard fou dont l’un des yeux avait la couleur de l’argent. Son visage, sculpté dans le sirocco, se déplaçait au gré des vents dominants, avant de s’éclipser le temps d’un mouvement. Ses lèvres remuaient, mais aucun son ne sortait, sinon d’horribles sifflements de serpent. Qui était-il ? À cela, il ne possédait aucune réponse. Indifférent à la métamorphose, il poursuivit sa route au travers du paysage aride. Soudain, il aperçut une étrange colonne semblant descendre tout droit de la voûte moirée ; derrière lui, les hurlements s’étaient tus. Intrigué, il se détourna de sa route. Mais ni de cendre, ni de neige, n’était fait le tourbillon, mais seulement de plumes, blanches et évanescentes. Dans le ciel, la trouée ne révélait rien d’elle-même, sinon la noirceur qui imprégnait ce monde façonné d’ombres et de ténèbres. Du bout des doigts, il voulut en attraper. Hélas, elles se dérobaient chaque fois qu’il tentait de les apprivoiser, comme si quelque marionnettiste invisible les arrachait à leur destinée, et sa main se refermait sur le vide. Le malaise l’envahit, il n’avait marché que quelques heures, cependant qu’il se sentait désemparé, impuissant. L’ange avait échoué et de lui ne demeurait plus ces plumes, symbole d’une âme en proie à un éternel tourment.

— L’ange avait échoué et il était mort. De ses os blanchis était né un tourbillon numineux dont le sommet avait ouvert une porte sur l’hiver, une porte sur l’enfer. Réincarné, commença pour lui une longue errance. Il ne partait pas en quête de repentance, mais il était la recherche de son essence, dispersée par-delà les vents. Semblable aux hommes, il ne paraissait rien de sa véritable apparence ; celle d’une créature céleste aux ailes brisées, lut-il sur la tablette d’obsidienne.

Agenouillé sur le sol chaotique, Jareth s’efforçait de déchiffrer la suite.

— Parfois, un miroir brisait l’harmonie et révélait l’âme d’un être en proie à la souffrance. Alors il détournait le visage et dans les cieux s’esquissaient les traits de la femme pour qui il se consumait ; blafarde était sa peau, écarlate était son regard.

Les mots s’arrêtaient là. Le reste resterait à jamais indéchiffrable ; la pierre avait été rongée par le sable et même les larmes, qui roulaient sur son visage, ne les révéleraient jamais.


Texte publié par Diogene, 24 février 2019 à 08h52
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