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tome 3, Chapitre 7 « A la Rencontre du Songe » tome 3, Chapitre 7

Enfoncé dans un archaïque fauteuil en cuir élimé, l’enfant s’amusait de joute verbale de ses deux compagnons. Comédien dans l’âme, chacun se renvoyait expressions malvenues et mauvais mots ; manière comme une autre de conjurer la forclusion. Posé tout contre un vieux meuble en bois vermoulu, il dardait sur lui un œil noir et plein de vide. Bercé par les sifflements du vent qui hurlait au-dehors, il ne tarda pas à s’assoupir.

Dans le ciel, l’ange avait déployé ses ailes immenses, mais elles étaient aussi noires que de l’ébène et de son visage ruisselaient des larmes écarlates. Les mains vides, il volait au-dessus de la plaine déserte et répandait sur le sol nu ses malheurs. Au loin, une foule silencieuse l’attendait tandis qu’elle veillait le corps d’une morte. Soudain l’ange poussa un cri qui fendit les cieux et sous ses pieds les abysses s’ouvrirent. Déchu, il portait sur lui la marque, son âme l’avait rejetée et alors qu’il contemplait l’abîme, l’abîme le regardait. Au fond, étendu sur un catafalque de marbre blanc, une jeune fille gisait, une princesse au visage d’ange, mais dont le cœur était devenu de noir et de blanc. Au-dessus de sa figure flottaient trois silhouettes ; l’une tenait une pelote de laine que la seconde filait et que la troisième coupait.

— Son cœur noir t’aimera, mais son cœur blanc te haïra, murmura la première et ses yeux reflétaient les ténèbres.

— Prends d’une main ce que tu n’as pu arracher à ton cœur et aime-le, chuchota la seconde, les orbites habitées par le néant.

— Ainsi seulement tu la retrouveras, souffla la dernière, au regard empli de cauchemars.

Puis elles avaient disparu, l’abandonnant à son chagrin.

Agenouillé devant le tombeau, il n’osait plus contempler celle qu’il avait trahie malgré lui, de peur de souiller de son seul regard l’innocence de cette jeune fille au cœur corrompu. À quelques pas de là, Azazel et le juge-arbitre l’observaient avec compassion. Autrefois, joyeuses créatures, ils avaient accepté leur métamorphose afin d’éprouver le cœur et le courage de celle que la prophétie annonçait. À présent, prisonniers d’une chair étrangère, ils jurèrent de protéger la princesse jusqu’à ce que soit levée la malédiction qui les avait changés en démons. Alors l’ange releva la tête et poussa un long hululement tandis qu’il plongeait les doigts dans ses orbites et en arrachait les yeux. Aveuglé, il les déposa dans le coffre en bois, que lui tendait le seigneur démon, aux côtés des deux prunelles céruléennes qui y gisaient déjà. Des larmes roulaient le long de ses joues et chaque fois qu’elles touchaient terre des ronces en jaillissaient. Puis, se saisissant de la lame, il se trancha la langue avant d’exposer son cœur palpitant cependant qu’un démon, de sa hache, démembrait ses ailes qui eurent tôt fait de disparaître, englouties par les ombres mêmes qui avaient pris possession de son âme. Ange, il était devenu simple mortel et sous ses yeux s’élevait désormais une formidable forteresse, entourée d’une forêt de ronciers et défendue par une armée de démons. En son sein reposait celle qu’il chérissait. En son sein s’éveillait celle qui le haïssait. De son amour était née une reine faite de lumière et de ténèbres. La haine et la culpabilité le consumaient et, tandis qu’il s’éloignait, il entendit l’ultime sanglot de sa cour déchirée.

Dans le rêve, l’enfant regardait le désormais mortel partir juché sur un cheval dont la robe était pâle. Sans un mot, sans un bruit, il quitta les lieux funestes. De son verbe sacrifié, il avait bâti une forteresse, hideuse et inexpugnable. Puis il avait offert son cœur en holocauste et avait rendu son souffle à une morte apparente.

Dans le ciel, les anges s’étaient rassemblés et bientôt une pluie noire tomba ; au loin l’homme et sa monture n’étaient plus qu’un point infime dans l’horizon perdu.

— S’est-il endormi, murmurait une voix à demi étouffée.

— Je crois. Portons-le dans son lit. Je prendrai le premier tour de garde, Giovanni.

La terre trembla un instant, puis le paysage devint noir.

Giovanni Ficcini contemplait le visage paisible de l’enfant, malgré les circonstances ; la guerre était une chose bien lointaine. Derrière lui, Jareth entreprenait de revêtir un vieux manteau mangé par les mites, si tant est qu’elles existassent encore.

— Le sait-il seulement ? murmura l’enfant dont les paupières mi-closes laissaient entrevoir un regard perçant.

Son compagnon secoua la tête et lui fit signe de se rendormir. Chacun savait que le danger rôdait, même s’ils ignoraient tout de sa véritable nature. Parfois, c’était un animal, d’autre fois un homme, le plus souvent un élément ; manifestation brutale de l’invisible présence. Dans la pénombre, Jareth achevait enfin ses laborieux préparatifs. À son tour, il s’en irait affronter les humeurs d’un monde devenu hostile et encore une fois il se perdrait sur le sentier d’une quête sans fin. Il vérifiait ses provisions d’eau et de nourriture, de même que sa combinaison de fortune ainsi que ses maigres outils. Silencieux, leurs yeux se croisèrent. Ils n’échangeraient aucun son, aucune parole, le regard serait leur seul langage. Giovanni lui donna l’accolade puis l’accompagna jusqu’à la porte de leur sanctuaire. Du dehors, il n’entendait plus que les sifflements et les hululements des vents déchaînés ; la tempête s’en était allée, tout comme l’homme qui s’enfonçait dans l’obscurité. Dans son dos lui parvint le grincement du métal fatigué ; il se retourna et aperçut de l’autre côté la lueur naissante du soleil à son lever. Un air glacé fouetta son visage et, malgré ses couches épaisses, il frissonna. Un instant, il referma ses doigts sur le pendentif suspendu à son cou, qu’il avait passé par-dessus sa veste ; il était brûlant. Soudain, le ciel s’embrasa. Il releva la tête et découvrit la figure qui venait d’apparaître ; dans sa poitrine, son cœur s’enflamma encore une fois. Hélas, il avait oublié pourquoi.

Au creux de sa paume, la chaîne s’agitait, comme si quelque animal apeuré la secouait.

Au fond de ses yeux, il devinait un secret enfoui et inavouable, une chose qui, à jamais, devait demeurer cachée. Pourquoi le possédait-il ? Qui le lui avait offert ? Pourquoi ne se souvenait-il pas de cette femme à la beauté de glace ? Dans sa poitrine, son cœur révolté hurlait d’une douleur que seul son visage apaisait.

— N’oublie pas, Jareth !

Des larmes roulaient le long de ses joues. Il hésitait. Il voulut s’en saisir, mes ses doigts ne rencontrèrent que le vide.

Qui était-elle ?

Le vent fouettait à nouveau son visage. Dans la voûte céleste, déjà le soleil se cachait, masqué par une brume épaisse qui bientôt recouvrirait les lieux et d’où jaillirait un animal de cauchemar, la jument noire.


Texte publié par Diogene, 23 décembre 2018 à 20h16
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