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tome 2, Chapitre 45 « L'Être et le Néant » tome 2, Chapitre 45

– Bonsoir, traqueur ! susurra une voix mielleuse et fielleuse.

– Bonsoir, seigneur Baldavi, lança, moqueur, l’homme agenouillé en face de lui ; ligoté, tout mouvement lui était désormais interdit.

Un sourire narquois dessiné sur ses lèvres, il se régalait du spectacle.

– J’ose espérer que mes hommes ne vous ont pas brutalisé. Seulement, voyez-vous, notre personne possède une méfiance instinctive, surtout lorsque l’on nous cache certains faits, ou des coïncidences.

De la bave perlait à la commissure de ses lèvres, comme il appuyait la fin de sa phrase.

– Ma foi, il faut croire que j’ai la tête solide, seigneur Baldavi, puisque je vous parle en ce moment même, rétorqua, tout sourire, son prisonnier.

Peu goûteux du trait sarcastique, l’obèse seigneur marqua un silence, sans toute fois se départir de son sourire. Curieux, il fixait d’un regard oblique l’homme agenouillé.

– Ses liens sont-ils bien nécessaires, seigneur ? J’ai peur de ne plus sentir l’extrémité de mes doigts. C’est fort désagréable.

Dans la pénombre, une ombre massive s’avança d’un pas en sa direction.

– N’en faites rien. Notre ami, ici présent, est taquin. Néanmoins, vous n’en demeurez pas moins dangereux et redoutable ; certains ne sont, hélas, plus là pour en témoigner. Aussi, vous nous pardonnerez, mais nous ne désirons pas vous détacher, encore desserrer ces liens qui vous blessent tant.

Les yeux étrécis, Baldavi contemplait son prisonnier avec une admiration certaine.

– Voyez-vous ! En ce moment même, je m’interroge.

– Vous m’en direz tant, monseigneur, rétorqua l’homme entravé d’un ton ironique.

– Riez ! Riez ! Je vous en prie. Je me demande seulement à qui va votre allégeance, traqueur ; vous semblez servir plus d’un maître.

En face de lui, le prisonnier ne départissait pas de sa bonne humeur

– Oh ! Seigneur Baldavi. Je n’oserai jamais tromper quelqu’un de votre envergure. Vous êtes bien trop adroit et votre réussite parle d’elle-même, susurra-t-il, faussement outré.

– Et flatteur, avec ça ! Vraiment, vous nous surprenez. Pardon, vous nous impressionnez ! Cependant, je crains que toute cette comédie ne nous mène nulle part, hélas, soupira, l’air navré, le seigneur marchand.

– Oh ! Enfin, pourquoi tenterai-je d’abuser de votre personne et de votre temps, puisque vous détenez la vérité ? s’esclaffa l’homme enchaîné, les sens aux aguets.

Dans les escaliers, alors qu’il montait à l’étage, quelqu’un l’avait bousculé, puis s’était mêlé à la foule massée au rez-de-chaussée. Arrivé en haut des marches, il avait résisté à la tentation de se retourner. Lloth ne s’était-elle pas changée en statue de sel ? Orphée n’avait-il point perdu Eurydice ?

Ses sentiments enfouis, il avait poursuivi sa marche dans l’obscur dédale. Dans le silence des lieux, il lui avait semblé percevoir le souffle ténu d’une respiration ; un homme, ou une femme qui auraient tenté de dissimuler sa présence. Cependant, l’être avait plus rapide et il avait senti soudain ses jambes se dérober sous lui tandis qu’un coup violent s’abattait sur sa tête. Toutefois, il n’avait pas été complètement assommé et il avait feint l’évanouissement, alors qu’un colosse le projetait sur son épaule. Les yeux clos, il entendait les lames du parquet grincer et une voix murmurer quelque chose, dont ne lui étaient parvenus que des fragments. Puis une main lui avait caressé le visage, douce et brutale à la fois. Quand, enfin, il avait ouvert les paupières, il avait découvert la figure hilare de son employeur, le seigneur marchand Lorenzo Baldavi.

– La vérité, nous suggestionnez-vous ? Ma foi, pourquoi pas ? Tout est possible. Néanmoins, peu m’importe où va votre allégeance ; peu me chaut en fait, puisque vous m’obéirez en tous points. Surtout, vous ne tenterez en aucune manière de vous enfuir avec l’Enfant, ronronna le marchand ventripotent.

Distrait, le prisonnier n’écoutait pas les propos de son employeur, car il avait reconnu, derrière le mur, le bruit des pas du comte Osario et de dame Nyx.

– Oh ? s’offusqua l’homme, ironique, malgré l’inquiétude qui grandissait en lui.

Dans le lointain, une porte s'était refermée avec fracas.

– Oh, mais oui ! Ne doutez pas un seul instant de notre détermination. Ce serait nous faire injure, susurra Baldavi en même temps qu’il claquait des doigts.

Au fond, un panneau coulissa et deux silhouettes se dessinèrent dans les ombres.

– Ah ! Enfin ! Nous nous demandions, combien de temps encore, vous alliez faire languir notre personne, comte Osario. Veuillez donc introduire notre charmante invitée. Je suis certain que notre prisonnier saura apprécier à sa juste valeur nos arguments, à présent.

Soudain, une femme fut jetée sans ménagement sur le sol et roula jusqu’à l’homme agenouillé. Le visage tuméfié, les habits en lambeaux, Nyx heurta avec brutalité le pied d’une chaise. En proie à une rage sourde, il ne se départit pas moins de son imperturbable sourire.

– Ce n’est qu’une courtisane. Je l’ai invitée à lever le coude en ma compagnie ; je l’aurai retrouvé sitôt notre affaire entendue, énonça-t-il d’une voix enjouée.

– Vraiment, susurra, narquois, le marchand. Comme vous mentez mal. Ah, votre maman ne vous a pas appris que le mensonge était quelque chose de sale.

– Ma foi, ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, mon seigneur.

Baldavi éclata de rire :

– Mais vous l’avez dit vous-même, je connais la vérité. Oui et cette jeune personne également. Quel dommage pour vous ! Quel dommage que vous ayez été trop tendre ! Le comte Osario nourrissait déjà bien des soupçons à votre égard et il ne fut pas étonné de vous voir mettre à mort ces deux chevaliers de Styrr. Surtout, quelle ne fut notre surprise lorsque nous découvrîmes cette charmante personne à vos côtés !

L’obèse s’humecta un instant les lèvres ; ses yeux brillaient d’un éclat mauvais. Mais l’homme ne l’écoutait pas, attentif qu’il était aux soubresauts de la chaîne passée autour du cou de Nyx.

– Ignoriez-vous que l’ordre de Styrr offrait une récompense considérable, plus encore que celle qui pèse sur la vôtre, à quiconque la leur livrerait ? poursuivit-il. En vérité, nous nous ferons une joie de vous livrer pieds et poings liés, sitôt notre petite affaire expédiée, n’est-ce pas seigneur Jareth.

Mais au lieu d’une froide colère, son visage s’illumina d’un sourire encore plus large.

– Qu’est-ce qui vous amuse ainsi, mon cher ? s’enquit Baldavi. Partagez donc avec nous votre hilarité !

– Enfin, seigneur Baldavi. Pourquoi vous aiderai-je, puisque vous nous livrerez sitôt que je vous aurai amené auprès de l’Enfant ?

– Mais riez donc, Jareth ! Pourtant, je crains que vous ne nous mentiez une nouvelle fois, car vous nous aiderez. Sachez-le ! susurra-t-il comme il exhibait une dague à la lame affûtée.

Puis d’un geste sec, il lacéra le poignet de Nyx qui gémit.

– Ne vous gênez surtout pas pour moi, seigneur Baldavi, ronronna Jareth. À présent, je savoure l’avenir, car vous mourrez bientôt, seigneur Baldavi. Vous avez vendu votre âme au diable et il est bien plus proche que vous ne pourriez le penser.

En face de lui, Baldavi lui jeta un regard noir.

– Sans doute, Jareth. Cependant, vous mourrez bien avant moi, ricana-t-il tandis qu’il sortait une minuscule fiole des plis de sa veste. Et bientôt vous danserez ; je suis même étonné que vous n’en souffriez point déjà. Vous êtes décidément plein de surprises. Enfin, est-il vraiment nécessaire que je vous explique une nouvelle fois ce que j’attends de vous ?

– Hélas monseigneur, je crains de ne pas avoir saisi tous les tenants ni tous les aboutissants de ce malheureux malentendu. J’espère que vous me pardonnez mon ignorance, rétorqua Jareth.

Au même instant, le poing d’un mercenaire vola en direction de sa figure.

– Allons messieurs ! les gourmanda le comte Osario. Ne nous l’abîmez point. ! Que ferons-nous s’il est incapable de tenir debout ? N’est-ce pas, seigneur Baldavi ?

Penché sur lui, Jareth remarqua soudain la couleur changeante de ses prunelles, oscillant entre le ciel orage et l’azur céleste : à côté de lui, le corps de Nyx demeurait inerte, de même que la chaîne. Il ignorait s’il devait en concevoir un profond soulagement ou non, car il avait toujours à l’esprit le terrible avertissement de dame Nostria.

– Alors Jareth ! l’interrogea le seigneur marchand. Coopérerez-vous avec notre personne ? Votre amie semble apprécier bien moins que vous notre petite gâterie.

– Oh ! Alors la réputation de votre homme de main est bien surfaite, s’esclaffa-t-il.

Un poing le cueillit à hauteur du menton.

– Comte Osario, gronda Baldavi.

– Vous aurait-il vexé ? ajouta-t-il d’un ton sucré.

– Cela se pourrait bien, rétorqua-t-il sarcastique, tandis qu’il soulevait la figure de son adversaire.

– Encore une fois, seigneur Baldavi, pourquoi accepterai-je votre proposition, ricana Jareth, la tête toujours entre les mains du comte ; un peu de sang coulait de sa lèvre fendue.

– Mais parce qu’il y va de votre vie, Jareth. Qui ne nous dit, que vous ne seriez point capable de vous évader des prisons de l’ordre. Nous savons combien vous êtes habiles. Tout de même, je suis surpris.

Des yeux du comte coulaient des larmes qui roulaient le long de ses joues.

– Pardon, avait-il chuchoté d’une voix presque inaudible.


Texte publié par Diogene, 10 août 2018 à 22h22
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