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tome 2, Chapitre 35 « Le Secret de Trinkeseelen » tome 2, Chapitre 35

L’ombre referma son livre ; la princesse s’était endormie. Sa poitrine se soulevait avec douceur, au rythme de son souffle. De ses yeux s’échappaient des larmes de cristal, comme il contemplait, baigné par les rayons éthérés de la lune, son visage apaisé. Hésitante, elle se pencha sur elle, puis l’embrassa sur la joue, avant de disparaître. D’elle, il ne demeurait rien, sinon une légère marque sombre sur la garde écarlate de Trinkeseelen.

Lorsque la princesse s’éveilla, le soleil dardait à peine à l’horizon et le ciel était encore teinté de mauve. Hélas, elle n’eut pas le temps de reprendre ses esprits que lui parvint la voix tonitruante du seigneur Azazel.

– Fort bien, jeune fille ! J’admire ton courage et ton abnégation, la félicita-t-il.

– Cependant, je me demande de quelle manière tu t’y prendras, ronronna-t-il soudain, un sourire mauvais peint sur les lèvres.

Derrière lui, le juge-arbitre fit signe à deux démons, qui se rangèrent de part et d’autre de la princesse encore ensommeillée. Elle n’esquissa pas la moindre protestation puis, après qu’elle eut glissé contre son flanc la redoutable rapière, au grand plaisir de l’assemblée réunie, elle se plaça face à ses bourreaux et les suivit sans mot dire. Cependant, elle remarque que le chemin emprunté n’était pas celui qu’elle avait pris auparavant ; il lui donnait l’impression de s’enfoncer de plus en plus en loin dans la terre, alors même qu’il ne suivait que des couloirs dépourvus de la moindre déclivité. Enfin, ils arrivèrent devant une pièce fermée par deux immenses battants, gardés par deux horribles gargouilles aux visages hideux. Parvenu à leur hauteur, de par la grâce de ses ailes, le seigneur Azazel leur jeta un ordre bref et les deux créatures ouvrirent sans effort apparent la porte.

– Voici, jeune fille ! s’esclaffa-t-il, les bras écartés. Tu vas, pour notre plaisir et notre désir, trier toutes ses épices. Qu’il n’en manque pas une ou alors il t’en cuira et nous nous régalerons de toi !

À la vue du tas coloré et démesuré, la princesse s’efforça de ne point montrer la terreur que lui inspirait la tâche qui l’attendait. Les poings serrés, elle se mordit la lèvre jusqu’au sang de peur de laisser s’échapper une larme de chagrin qui aurait alors signifié sa fin.

– À bientôt, jeune fille, ricana le démon comme il repartait, tandis que les lourdes portes se refermaient.

À peine eurent-ils quitté la salle que la princesse éclata en sanglots.

– Que ce soit des fèves ou des graines, la chose demeurait. Hélas, ce n’est que vile poussière qui, au moindre souffle, s’envole, se lamenta-t-elle.

Encore une fois, l’épée eut pitié d’elle et lui tint ce langage :

– Princesse, confiez-moi ce qu’il reste de votre langue et il en sera fait selon les désirs de ce maître démon.

– Hélas, Trinkeseelen, s’il en est ainsi alors je deviendrai muette ! Comment exprimerai-je mes peines et mes sentiments ?

– Il est bien d’autres moyens de déclamer sa joie ou son chagrin ; la voix n’est pas seul voyageur, murmura l’épée. Cependant, acceptes-tu de me faire encore une fois confiance et de me faire don de ta chair ?

La princesse jeta un ultime regard sur l’amas coloré puis, d’un geste vif, elle trancha le reste de sa langue et l’offrit à Trinkeseelen. Mais, à peine, sa main effleura-t-elle le plat de la lame, qu’elle s’évanouit de douleur dans les bras d’un jeune homme aux prunelles céruléennes. Sans un mot, il la coucha sur un tas de paille et la couvrit d’un fragment d’étoffe qu’il tira du néant. Ensuite, il ramassa le morceau de chair et l’enferma dans un coffret qui reposait sur le sol.

– Dors princesse, chuchota-t-il.

Ses lèvres tremblaient ; chaque épreuve le rapprochait un peu plus de l’abysse qui bientôt l’engloutiraient. Le cœur lourd, il contemplait les fragments de langue au fond du coffret. Hélas, il était une autre tâche qui l’attendait.

– Souris des sables, souris du Diable, moi l’enfant des miroirs fais appel à tes pouvoirs.

Aussitôt, un souriceau, pas plus grand que trois grains de sable, surgit de derrière les murs et sauta dans sa main.

– Je suis la fille seconde de la souris des sables, la souris du Diable. Que veux-tu de nous, enfant des miroirs ?

– Je souhaite que, toi, tes frères et ses sœurs trient cette montagne d’épices, ainsi que l’a ordonné le seigneur démon Azazel.

– Nous te l’accorderons, enfant des miroirs. Néanmoins, que nous octroieras-tu en échange ?

– Toi et les tiens aurez droit à un grain d’épices de chaque sorte.

– Fort bien, enfant des miroirs. Cependant, les démons sont fort malins et ils découvriront que nous les aurons trompés.

À ces mots, l’enfant sourit et rétorqua :

– Tu expliqueras à la princesse qu’elle n’aura rien à craindre d’eux et qu’ils prendront son silence pour du mépris. Ils seront furieux, mais lui laisseront la vie sauve.

– Entendu, enfant des miroirs, je rapporterai tes paroles comme si elles étaient miennes. Cependant, laisse-moi te mettre en garde. Aveugle tu es, car tu as échangé tes yeux contre celle de la princesse. Bientôt, il en sera de même pour ta langue et sans paroles tu deviendras. Que feras-tu par la suite ? Tu t’ignores pas ce qui t’arrivera si tu sacrifies le dernier de tes sens.

L’enfant hocha la tête, les yeux posés sur la jeune endormie.

– N’aie crainte. J’ai toute confiance en elle. Elle saura me retrouver quand l’heure sera venue.

La souris porta sur lui un regard inquiet.

– Je te le souhaite, enfant des miroirs.

L’animal faillit ajouter quelque chose, mais hocha la tête de tristesse. Puis il siffla ses frères et sœurs qui accoururent.

Plongée dans un profond sommeil, la princesse ne devinait rien du miracle qui s’accomplissait. Au-dessus d’elle, l’enfant veillait tandis qu’autour de la montagne, qui rapetissait de plus en plus vite, accouraient de toutes parts des nuées colorées. Enfin, alors que dardaient les premiers rayons du soleil levant, le travail était déjà achevé et toutes retirèrent, à l’exception d’une seule qui se précipita auprès de l’enfant.

– Voici, enfant des miroirs ! Nous avons accompli notre tâche. Tu peux te retirer ! Je ne manquerai pas de rapporter tes paroles à la princesse comme si elles étaient miennes.

– Je te remercie seconde de ta fratrie, murmura l’enfant, avant de s’évanouir et de s’en retourner à sa forme primitive.

À peine acheva-t-il de prononcer ces mots, que la souris disparut à son tour dans un trou du mur. Quelques instants plus tard, la princesse entrouvrait les yeux et découvrait les multiples tas de couleurs vives qui jonchaient le sol. Soudain, comme les fois précédentes, un souris parut. Elle était minuscule, de la taille de trois grains d’épices. Elle musarda quelques secondes, puis se précipita dans ses jupons. Hélas, la princesse ne pouvait plus parler, car elle n’avait plus de langue, et à la place elle ouvrit de grands yeux étonnés.

– Ah ! Tu ne peux point t’exprimer ! s’exclama l’animal.

La jeune fille acquiesça tout en mimant le silence.

– Accepterais-tu de me céder à moi, mes frères et sœurs, un peu de ces épices qui nous enivrent tant ?

Affolée, la princesse secoua la tête en signe de dénégation.

– Tu as peur que les démons ne s’aperçoivent que nous les avons volés, n’est-ce pas ? l’interrogea la souris.

De nouveau, elle acquiesça, en proie à une terreur sans nom.

– N’aie crainte ! s’écria le souriceau. Garde le silence ! Ils prendront ton attitude pour du mépris. Ils seront furieux, bien sûr. Mais ils ne mettront point leurs menaces à exécution.

Rassurée par ses paroles, elle hocha la tête et aussitôt jaillit des murs une nuée jaune qui se précipita vers les tas. Dès que l’une d’entre elles s’était emparée d’un grain, il s’éclipsait son forfait accompli. Quand elles eurent enfin achevé de piller le trésor accumulé, la première s’en revint vers la jeune fille.

– Princesse ! Mon cousin, celui qui habite le trou du levant t’a confié un carré de peau, mon autre cousin, celui qui vit dans le trou du zénith t’a offert une aiguille, moi, qui vis avec ma famille dans le trou du couchant, te remets ceci.

Elle tenait entre ses pattes une pelote de fil de l’épaisseur d’un crin. Elle était blanche et renvoyait des reflets couleur argent.

– Tu confectionneras avec une nouvelle langue. Demande à la maîtresse des contes un peu de poudre de rêve ; elle seule te la procurera. Puis, tu fabriqueras une bourse avec le cuir, l’aiguille et le fil que nous t’avons confiés et tu l’empliras des rêves de notre maîtresse à tous. Ensuite, tu la coudras dans ta bouche et ainsi tu recouvreras la parole.

À ces mots, la princesse fondit en larmes et remercia l’animal.

– Quelqu’un veille sur toi, jeune fille. Ne l’oublie pas, même dans les moments les plus tragiques, lui chuchota la souris, avant de s’enfuir.

Hélas, elle n’eut pas le temps de lui faire ses adieux que déjà résonnait, dans les murs, les pas lourds du seigneur démon et de sa suite.


Texte publié par Diogene, 16 juin 2018 à 20h59
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