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tome 2, Chapitre 26 « Le Pacte » tome 2, Chapitre 26

Un silence de mort planait sur l’arène. La main de la princesse n’avait pas tremblé, n’avait pas dévié. Du seigneur Azazel, il ne demeurait qu’un mince filet de fumée bleutée et soufrée. Au-dessus, le juge-arbitre arborait une mine déconfite qui se métamorphosa en un sourire sardonique, puis il éclata de rire.

– Ma foi ! Jeune fille, vous êtes exceptionnel ! Il y avait fort longtemps que nous n’eussions pas été autant distrait. À présent, nous allons passer à la seconde épreuve. Vois-tu, le seigneur Azazel est un fin gourmet et tu vas lui confectionner un repas. Cependant, nous t’accorderons quelques heures ; le temps, pour nous, de préparer la salle de réception.

Puis, il tourna son cou grêle en direction de la jument dont les yeux lançaient des éclairs.

– N’ayez crainte, maîtresse. Nous ne lui destinons ni un cachot ni une oubliette, mais la suite réservée aux invités de marque.

Mélamine tourna sa tête en direction de la princesse. Inquiète, elle fut rassurée par la détermination qu’elle lisait sur ses traits, malgré l’angoisse qui lui enserrait le cœur, car elle ignorait si elle serait capable de résister au pouvoir de Trinkeseelen.

– Fort bien, asséna la jument d’un ton sec. Mais je l’accompagnerai et veillerai à ce que personne ne s’introduit dans sa chambre.

– Comme il vous plaira, maîtresse ? rétorqua le démon onctueux, malgré la fureur qui se lisait au fond de ses yeux.

– Tenez votre langue juge-arbitre, ou il pourrait vous en cuire. Je connais nos règles, mais sachez que je n’oublie rien.

Le démon n’ajouta mot et claqua des doigts. Aussitôt, deux porte-faix surgirent dans l’arène ; ils ployaient sous le poids d’une colossale litière dans laquelle la princesse prit place, suivis de près par Mélamine. Quelques minutes plus tard, ils évoluaient dans un labyrinthe de pierres noires et sales, d’où suintait une eau trouble et fétide. Décidée à n’accorder aucune victoire à ses geôliers, la princesse demeurait muette. Assise en tailleur, elle avait posé Trinkeseelen sur ses genoux ; les démons ne devaient surtout pas découvrir que l’épée avait relâché son emprise sur elle.

– Trinkeseelen. Pourquoi n’as-tu point dévoré mon âme, comme ton maître te l’avait ordonné ?

– Je ne puis encore te le révéler. Accorde-moi ta confiance et je t’expliquerai tout une fois les épreuves surmontées.

– Fort bien. Mais les démons n’accepteront jamais que je quitte leur royaume en ta possession.

L’épée avait ri ; c’était comme le tintement mélodieux d’une minuscule cloche cristalline.

– N’ai aucune inquiétude. Ce sont des benêts et ils sont soumis à certaines règles. Suis très exactement ce que je vais t’expliquer et tu pourras ensuite me garder.

La princesse avait alors esquissé une moue inquiète.

– Je ne comprends pas. Pourquoi m’apportes-tu ton aide ?

Mais l’épée la coupa :

– Fais silence, princesse, et passes ta main autour de ma garde, nous arrivons.

En effet, une secousse brutale faillit renverser la jeune fille encore assise puis, d’un geste brusque, l’un des porte-faix tira le rideau et découvrit une pièce à la richesse sans pareil. Noble et silencieuse, la princesse se releva et s’avança dans la pièce.

– Je ne puis te suivre, hélas. Cependant, je veillerai sur toi. Je t’en fais la promesse, souffla la jument, comme la jeune fille lui enserra l’encolure, l’épée toujours à la main.

La princesse l’embrassa sur le museau, puis pénétra dans l’antre des démons, dont les portes se refermèrent sitôt le seuil franchi. À l’intérieur, un immense lit à baldaquin l’attendait, ainsi qu’une table en bois verni et un petit bureau.

– Penses-tu que ces démons peuvent nous voir et nous écouter ? chuchota-t-elle comme elle désignait le grand miroir à bordures dorées.

– Cela se pourrait, souffla Trinkeseelen. Cependant, nous pouvons arranger cela, il suffit de jeter un drap dessus et ils n’y verront plus rien. Quant à nous écouter, il suffit de nous glisser dans cette couche moelleuse, les épaisses couvertures étoufferont nos paroles.

Tout sourire, la princesse courut vers le lit et en arracha l’immense carré de soie, qu’elle disposa ensuite, avec le plus grand soin, sur la vérité. Elle n’eut plus alors qu’à se précipiter sous les lourdes couvertures, où elle pourrait converser à l’abri des oreilles indiscrètes.

– Princesse. J’ignore tous des prochaines épreuves qui t’attendent. Toutefois, pour des raisons que je ne puis encore te dévoiler, je suis résolu à t’aider et à t’accompagner dans ton odyssée. Pour cela, tu me devras une confiance aveugle et m’obéir en toutes circonstances. L’acceptes-tu ?

La jeune fille hésitait. Quel soutien serait en mesure de lui apporter une épée aussi maléfique ? Cependant, elle savait que la lame avait déjà désobéi une première fois ; Trinkeseelen s’était refusée à dévorer son âme. Pour une raison qu’elle ignorait, elle promit.

– Très bien, Trinkeseelen. Je t’obéirai, en échange révèle-moi mon nom. J’ai entendu ton hésitation, ce tantôt.

Entre ses mains, l’épée frissonna.

– Princesse, nous sommes dans un domaine de ténèbres et même si Mélamine en est la maîtresse, il est des influences néfastes sur lesquelles elle ne possède aucune prise.

Dans l’esprit de la jeune fille se forma l’image d’un homme noir au regard féroce.

– Garde loin de toi cet homme et enfouis son souvenir au plus profond de toi. Tu serais en danger, si jamais tu le suscitais ! s’écria l’épée alarmée.

La princesse soupira, en même temps qu’elle sentait sa volonté s’enhardir.

– En ce cas, révèle-moi de quelle manière je devrai m’y prendre afin que les démons ne t’arrachent pas à mon sein.

Un léger bourdonnement s’éleva alors de la lame, tandis que la jeune fille tombait en catalepsie. À son réveil, elle savait quoi faire et ce fut fière qu’elle se présenta devant la double porte, comme l’on frappait. Derrière l’attendait la litière portée par les deux colosses de la veille, ainsi que Mélamine. La mine lugubre et la crinière ébouriffée, elle semblait ne jamais s’être endormie. Avec douceur, la princesse s’en approcha et brossa pendant quelques minutes les poils emmêlés. Ainsi coiffée, elle aurait fière allure, en même temps qu’elle s’amusait de voir les démons enragés ; la patience n’était pas au nombre de leurs qualités.

– Merci, princesse, hennit-elle lorsqu’elle eut terminé.

Ayant pris place dans la litière, les deux portefaix s’ébranlèrent et reprirent leur marche dans le sinistre labyrinthe. Si les odeurs fétides dominaient toujours, il lui semblait qu’elles s’estompaient au profit de fumet tout à fait prometteur.

– Où nous emmenez-vous ? s’enquit-elle soudain comme un parfum de viande caramélisée venait lui chatouiller le nez.

Hélas, elle se heurta au mutisme des deux démons, qui se contentèrent d’un grognement de circonstance.

– Tant pis, marmonna la princesse qui ferma les yeux.

Mais elle ne les eut pas plus tôt clos qu’une secousse annonça leur arrivée, tandis que les tentures livraient une vue sur une réserve emplie de victuailles. Au fond l’attendait le juge-arbitre, ainsi que le seigneur Azazel.

– Sois la bienvenue dans les entrepôts du seigneur Azazel, grinça le juge-arbitre, comme elle arrivait, précédée de peu par leur maîtresse. Malheureusement, nos préposés sont de véritables maladroits et ils leur arrivent de tout mélanger.

– Or, le seigneur Azazel désire pour son prochain repas une soupe dont voici les ingrédients, ajouta-t-il en agitant un parchemin devant lui, dont la princesse s’empara sans mot dire. Malheureusement, comme je te le disais les maladroits sont légion par ici, aussi tu commenceras par trier les fèves.

– Nous reviendrons quand tu auras fini, nous te laissons jusqu’à demain à la même heure, ricana le seigneur démon, le bras tendu vers une montagne de pois dont elle apercevait à peine le sommet.

Une fois les démons partis, ainsi que Mélamine, la princesse fondit en larmes, car jamais elle ne pourrait mener à bien une tâche aussi colossale. Les fèves étaient toutes différentes et le tas si immense.

– Princesse, murmura Trinkeseelen. Je t’ai promis mon aide et je vais tenir parole. Tranche-toi le premier tiers de la langue, puis tu me le donneras. Ensuite, tu dormiras et tout s’accomplira.

– Me trancher la langue ! se récria la princesse, horrifiée et terrifiée par la demande l’épée.

– Ne m’as-tu point promis de m’obéir en tout et de m’accorder ta confiance en toutes circonstances ?

Les yeux baignés de larmes, la jeune fille contemplait l’immense tas de fèves. Qu’elle n’arrivât pas au bout de sa tâche et les démons la dévoreraient.

– Si… si… hoqueta-t-elle.

Elle prit alors une profonde inspiration et se mordit aussi fort qu’elle le put sa langue. Un bout rosé se détacha de sa bouche, dans laquelle elle fourra son mouchoir de soie, puis elle s’en saisit et le posa sur la garde.

– Merci, princesse. Maintenant, va-t’en te reposer. Il y a une couche dans ce coin. Quand tu te réveilleras, j’aurai accompli ma tâche.

Le mouchoir toujours entre les dents, la jeune fille se dirigea vers le vieux matelas de paille et s’y coucha. Elle eut à peine fermé les yeux qu’elle s’endormit aussitôt.


Texte publié par Diogene, 3 mai 2018 à 08h44
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