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tome 2, Chapitre 24 « Un Secret au coeur du Rêve » tome 2, Chapitre 24

Après avoir été transporté depuis leur refuge, Jareth avait ensuite déposé sur un lit dans une chambre adjacente à celle de Dame Nostria. Ces blessures, bien que graves, ne menaçaient pas sa vie, grâce aux soins prodigués par dame Nyx. Hélas, jamais il ne guérirait à temps pour aller au rendez-vous fixé par le seigneur Baldavi. À son chevet, deux silhouettes s’activaient en silence, sous l’œil sévère d’un maître apothicaire. Plongé dans un profond sommeil, il flottait à la lisière du rêve. Un enfant marchait à ses côtés, sur son visage se lisait les âges. Une brise légère ébouriffa ses cheveux. Ils étaient tout à la fois la sagesse et l’innocence. Ils évoluaient dans un paysage lunaire ; le sol était couvert de cratères dans lesquels poussait avec difficultés une herbe rase et grise. Le ciel, de plomb, interdisait au soleil de dispenser sa lumière bienfaitrice. Lorsqu’il l’interrogea à ce sujet, l’enfant se contenta de pointer un index vers l’horizon. Dans un réflexe, il voulut passer sa main dans ses cheveux, mais il se retint. L’enfant était presque aussi grand que lui. Même ainsi, à ses côtés dans le rêve, il demeurait une énigme. Que désirait-il lui montrer ? Il n’y avait rien à part la lande stérile. L’enfant haussa les épaules, puis posa un doigt sur ses lèvres. De cette manière, il devenait un spectateur et il lui revenait de remonter tout l’écheveau du mystère. Il l’invita à s’asseoir sur l’un des monticules qui affleuraient à quelque pas de là. L’enfant fut le premier, en tailleur, puis Jareth fit de même. Face à face, toujours silencieux, l’enfant le dévisageait d’un air absent. Était-ce cette part de lui qu’il dissimulait derrière son masque d’insouciance ? Où était-il un fragment perdu ? Les interrogations l’assaillaient de toutes parts et ne lui octroyaient aucun répit. L’enfant sourit et ramassa un objet luisant qui venait d’apparaître devant lui. Il l’essuya, puis le brandit bien haut. Ses yeux brillaient de mille feux comme ravis de sa découverte. Jareth ouvrit la bouche, mais l’enfant posa de nouveau un doigt sur ses lèvres ; un sourire dessiné dessus. Le fragment, dont l’éclat l’aveuglait, flottait toujours au-dessus de sa tête. Soudain, il s’en saisit et l’avala. Spectateur passif, Jareth contemplait une pièce dont le sens lui échappait, en même temps qu’elle s’effaçait. Ne demeurerait bientôt plus que le fragment éclatant.

Sous l’impulsion, il se releva et tendit la main vers l’objet brillant. Hélas, il n’eut pas accompli plus que de quelques pas qu’il s’écroulât ; ses doigts avaient rencontré le vide. Lorsqu’il redressa la tête, il découvrit le monticule nu, au-dessus duquel flottait une pierre semblable à un diamant mal taillé. Jareth retenait avec difficulté ses larmes. Que signifiait cette disparition ? Il se pencha sur le dôme et ramassa l’éclat, de la taille d’une petite bille de verre, pareille à celles qu’il possédait quand il allait à l’école primaire. Au premier alors, elle semblait aussi légère qu’une plume. Cependant, elle s’alourdissait à mesure qu’il le conservait au creux de sa paume, sans qu’il ne trouvât la moindre explication à cet étrange phénomène. À présent, c’était à peine s’il était capable de le soulever de terre. Inquiet, il scrutait la plaine à la recherche de l’être ou de la créature qui pourrait en être à l’origine, en même qu’il pressentait quels funestes événements se produiraient s’il en était séparé. Ainsi, malgré la pesanteur de plus en plus forte, il tint. Pendant ce temps, autour de lui jaillissaient de toutes parts des ombres aux yeux jaunes. Identiques entre elles, elles semblaient se multiplier à l’infini, comme des reflets dans un jeu de miroirs. Qu’il en brise un et s’en serait fini ; dans sa main, la pierre s’alourdit encore un peu plus. Nourri de l’énergie de son désespoir, il arracha son poing à la pesanteur et balança son bras en arrière. Au même instant, son corps bascula et heurta de plein fouet l’une des ombres grimaçantes. Elle le fixa un instant sans comprendre, puis se brisa en un millier d’éclats. Dans sa paume, la pierre ne pesait plus rien. Soulagé, il se redressa le souffle court, malgré la douleur qui irradiait tout son corps. Il aperçut soudain une obscure silhouette se détacher des ténèbres. Un seul de ses yeux était visible, l’autre était dissimulé par une mèche de cheveux. Sa bouche, souriante, dévoilait des canines acérées et luisantes, d’où s’échappa un rire lugubre dès qu’il découvrit Jareth à terre.

– Hé, hé, hé ! Je devine à ta figure que tu ignores tout de l’endroit où tu t’es éveillé, de même que cet éclat de miroir que tu sers si fort entre tes doigts.

L’ombre s’approchait de lui. Sa démarche féline s’accordait avec le reste de sa personne. Du bout de ses pieds, il effleurait le sol sans jamais le meurtrir. Il possédait une grâce naturelle qui contrastait avec les ténèbres qui l’habitaient. Il n’était plus qu’à quelques pas de lui à présent.

– Alors Jareth ?

Ce dernier tressaillit.

– Oh ! Aurai-je commis un impair ? se reprit l’homme drapé de la nuit noire. N’est-ce pas là ton véritable nom ? Ou t’étonnes-tu que je te connaisse quand tu ignores tout de moi ?

Jareth étrécit les yeux. Furieux, son corps brisé refusait de bouger ; anéanti par l’effort surhumain qu’il avait déployé pour dissiper l’illusion.

– Oh ! Allons ! N’aie crainte ! Je désire seulement te soulager, ronronna-t-il, tandis qu’il s’accroupissait auprès de lui.

Impuissant, il vit sa main fine et acérée prendre possession de la sienne. Son poignet pris dans l’étau, il refusait toujours d’ouvrir les doigts.

– Ne m’oblige pas. Je t’en prie. Comme tu t’en doutes, nous sommes dans un rêve. Il n’en demeure pas moins que nos actes ne sont pas sans conséquence, chuchota-t-il tandis qu’il accentuait la pression sur sa prise.

– Bien… te voici devenu raisonnable.

Les phalanges presque brisées, Jareth ouvre la main.

– Merveilleux ! s’exclama en se saisissant de la pierre ensanglantée.

Étendu sur le sol, Jareth roulait des yeux, furieux contre lui-même de n’avoir su protéger ce présent de l’enfant. Soudain, l’homme éclata de rire. :

– Voyons, Jareth ! Que pourrais-je bien en faire ? En ces lieux, je ne suis que songes et sortilèges. Je ne peux me l’approprier et le détruire n’aurait aucun sens ! Cependant, il est en mon pouvoir de le dissimuler. De cette manière, aucun d’entre nous ne le possédera et lorsque nous nous retrouverons le jeu n’en sera que meilleur.

Sur ces mots, l’étranger se tut. Dans son regard se lisait le plaisir qu’il éprouvait à torturer l’homme ainsi à terre. Jareth, le poignet meurtri, serrait des dents pour ne pas crier.

– Ah, ah, ah ! Avant que nous ne nous quittions, j’accepte de répondre à l’une de tes nombreuses questions, ricana l’homme, un index sur sa poitrine.

C’est à peine s’il l’effleurait, pourtant il avait l’impression qu’il venait de lui poser une enclume. Il respirait avec difficulté et chaque bouffée inspirée était une victoire qu’il remportait sur son bourreau.

– Si tu as assez de souffle pour cela, poursuit-il.

Jareth sourit. Il ne pouvait le lui refuser. Où serait le jeu, sinon ? Soudain, il commença à rire et son adversaire se joignit à lui. L’un comme l’autre, ils étaient sincères.

Alors Jareth, quelle est ta question ? Je l’aperçois qui te consume. Il serait dommage que tu meures par sa faute.

Le sourire de Jareth s’étira.

– Je te rassure, je ne refuse jamais une invitation. Je médite seulement sur mon choix.

– Si tu y tiens. Je n’y vois aucun inconvénient. J’en profiterai pour m’occuper d’une certaine chose, lui confia-t-il alors qu’il ramassait une poignée de pierre qu’il brisa entre ses doigts. Il se saisit ensuite du fragment qu’avait donné l’enfant à Jareth et en passa le tranchant dans le creux de sa paume. Un sang noir et épais s’en échappa. Le sourire aux lèvres, il traça un cercle sur le sol, avant de déposer en son centre l’ensemble. Il psalmodia d’étranges paroles, un instant plus tard tous étaient devenus semblables à l’éclat de miroir qui gisait au creux de sa main.

– Alors Jareth ! s’écria-t-il, tandis qu’il frappait le sol de son talon et les fragments s’envolèrent. Tu t’es décidé ? As-tu enfin choisi ?

L’étranger prit une profonde inspiration et souffla sur la nuée qui se dispersa aux quatre coins du rêve. Pendant ce temps, Jareth ne se départissait pas de son sourire, malgré la douleur qui irradiait son être.

– Qu’est-ce qui t’amuse autant, Jareth ? Partage donc ton hilarité avec moi, balança l’homme en noir, comme il s’époussetait les mains.

– Notre rencontre et notre impuissance réciproque. Je n’ai pu t’empêcher de me dérober ce fragment qu’il m’a confié, mais tu n’as pu le conserver, toussa Jareth, les côtes meurtries.

En face de lui, les lèvres de l’homme s’étiraient et ses yeux pétillaient d’une joie malsaine, qui se métamorphosa bientôt en un rire tonitruant.

– C’est tout à fait exact et je ne te ferai pas l’affront de te révéler pourquoi je ne le puis. Tu connais déjà la réponse. De plus, comment me sustenterai-je si je ne pimentais pas un peu l’enjeu ? J’ignore où s’en est allé le fragment, déclama-t-il presque emphatique. Tu as ma parole.

L’homme se tut. Son œil luisait d’un éclat inquiétant, fauve prêt à fondre sur sa proie : il le disséquait du regard, un véritable méchant de mauvais film d’épouvante.

– Je te fais confiance, ronronna Jareth ? Je doute que tu brûles de connaître ma question, à présent.

– Cela se devine avec autant de facilité ? Oh ! Pauvre de moi ! s’offusqua-t-il d’une voix de fausset.

– Il faut croire, rit Jareth. Allons, je vais te satisfaire, une simple formalité. Quelle est la couleur de ton autre œil ?

L’étranger parut presque surpris, pourtant il ne se départit pas de sa superbe.

– Je souhaite que tu mesures, avec soin, toutes les conséquences d’un tel acte, car il n’y aura pas de retour en arrière possible, susurra-t-il en soulevant sa mèche couleur aile de corbeau.

– Je garderai ton secret, toussa Jareth.

– Je n’en attendais pas moins de ta part ! Maintenant, il est temps pour nous de nous quitter et de nous faire nos adieux. À bientôt, Jareth !

Une douleur fulgurante lui vrilla les tempes. Autour de lui, l’obscurité s’épaissit encore et l’écrasa ; il sombra.


Texte publié par Diogene, 20 avril 2018 à 21h04
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