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tome 2, Chapitre 21 « Les Perles de Dame Nyx » tome 2, Chapitre 21

– Pourquoi ? murmura-t-il.

Ses yeux étaient grands ouverts et ses flancs pulsaient d’une douleur sourde. Ni ses bras ni ses jambes ne se mouvaient et c’était à peine s’il remuait la tête, tout juste clignait-il des paupières. On l’avait transporté dans un abri – une grotte ? –, la voûte était noire et il régnait une puissante odeur de musc ; ourks ou lukaos. Il n’avait encore vu personne, bien qu’il entendît avec distinction des pas humains, de même que les chocs d’une lame sur du bois mort. Épuisé, Jareth ferma les yeux et replongea dans le flot de ses souvenirs. Il revoyait ces deux figures démentes habitées par la haine. Ces hommes savaient qu’ils allaient mourir, mais aussi qu’ils transcenderaient ainsi leur condition de mortel. Il n’appartenait pas au corps de garde du commandeur Ficini. À qui ? Il excluait qu’ils fussent rattachés à la milice du seigneur Baldavi.

Ces soldats étaient des fanatiques, non des mercenaires. En effet, alors qu’il avait tenté d’abaisser leur garde en suscitant dans leurs esprits leurs pires cauchemars, ils étaient demeurés de marbre. Leur conditionnement était si profond, qu’il les avait seulement décontenancés. Aussi avait-il abandonné son enveloppe charnelle afin de porter son message à dame Nostria, qu’il ne se fut pas sacrifié en vain.

Soudain, une silhouette s’approcha. Il la devina grâce à la minuscule lampe à huile qu’elle tenait entre ses mains. Il essaya de tourner sa tête en sa direction, en vain, en plus de lui arracher un gémissement douloureux. Des mains gantées de soie se posèrent alors sur son visage. Il s’efforça d’entrevoir celui ou celle qui, ainsi, se penchait sur lui. Mais il renonça, car il se sentit chavirer. Cependant, à leur contact, il s’apaisa. Ses lèvres s’entrouvrirent, mais un doigt posé dessus l’empêcha d’aller plus loin.

– N’essayez pas de parler, Jareth. Vos cordes vocales sont endommagées, vous devez les reposer.

Cette voix ! Bien que le timbre fut fort différent, il croyait la reconnaître. Mais cela ne se pouvait… impossible même !

Jareth ferma les yeux. Que s’était-il passé ?

– Pourquoi ? coassa-t-il.

Des lèvres se posèrent sur les siennes. Jamais, elle ne l’avait touché d’aussi près, pourtant… Était-ce la réponse à sa question ? Quelque chose d’humide s’écrasa sur sa joue.

– S’il te plaît, n’ouvre pas les yeux, murmura la présence tandis qu’elle se retirait.

Sa main s’attarda encore quelque temps sur son visage, puis elle disparut elle aussi. Un vide s’ouvrit en lui, en même temps que ses yeux. Ce fut fugitif, le temps d’un battement de doulibri, mais cela lui suffit. Il se rendormit.

Les doigts crispés autour de son pendentif, Nyx se concentra et projeta son esprit vers Nostria. Elle se recomposa son masque de reine de glace, dissimulant ses fêlures intérieures. Elle ignorait si elle serait dupe ou non – au fond, peu lui importait – car, malgré ces événements aussi inattendus que fâcheux, cela ne contrariait en rien son dessein. Cependant, si elle s’inquiétait pour lui, elle devinait la délicatesse de sa propre position. Elle avait tout de suite reconnu les deux écuyers qui avaient accompagné le seigneur-chevalier Kakeru, lors de son arrivée au monastère. Le seigneur Baldavi et le comte Osario en échange de l’Enfant, tel serait le marché.

Soudain, le visage sévère de dame Nostria apparut. Mais il se décomposa, sitôt qu’elle aperçut le corps étendu sur la natte. Son regard glacial se coula vers Nyx qui ne perdit surtout pas de sa contenance. Ses sentiments n’appartenaient qu’à elle et Nostria n’aurait que sa propre version des faits. Ses yeux allaient et venaient, comme pour sous-peser la sincérité de la scène qui s’offrait à elle.

– Qui ?

Le ton était aussi sec que cinglant et la réponse devait être immédiate. Nyx se mordit les lèvres. Mais elle ne pouvait garder le silence ; elle avait prêté serment. De plus, son frère l’avait trahi, alors l’équilibre ne serait rétabli qu’en les aidant à fuir.

– Styrr, souffla-t-elle d’une voix glaciale.

En face d’elle, Nostria étrécit les yeux.

– Ils ont agi sur ordre du Carnifex, non du mien. D’autre part, j’ai pris soin de maquiller la dépouille d’un pauvre bougre, afin de le faire passer pour mort. Hélas, je ne puis le guérir dans un délai aussi court et le rendez-vous avec le seigneur Baldavi aura lieu dans trois jours.

Nostria dardait sur elle ses yeux délavés qui perçaient l’obscure clarté. Au fond de sa poitrine, le cœur de Nyx se serrait, car elle devinait la réponse de son interlocutrice.

– Venez nous chercher, Nostria. Au temple, j’ai plus de ressources, bien que j’ignore si cela sera suffisant, murmura-t-elle, agenouillée, une main sur le front brûlant de Jareth.

Nostria semblait désireuse d’ajouter quelque chose, mais s’abstint et hocha la tête. Elle redoutait d’en arriver à d’autres extrémités. Hélas, les chemins des possibles se rétrécissaient de plus en plus.

– Pourquoi ? soupira Jareth dans son sommeil.

– Pourquoi ? lui chuchota-t-elle en écho. Dormez, Jareth !

Il s’en retourna dans le rêve.

Cependant, il ne fallut pas plus de temps à un ourks pour dépecer un ilnaïsh que Nostria apparut dans la grotte, à quelques pas du corps étendu de Jareth. Nyx se garda bien de lui faire la moindre remarque à ce sujet, bien qu’il lui en coûtât. Elle détestait l’idée d’être pieds et poings liés. Enfin, tel était le jeu et si son frère n’avait pris autant de liberté… La rage bouillonnait en elle ; mais s’opposer à la grande prêtresse, voilà une erreur qu’elle ne commettrait pas. Néanmoins, elle se délectait de la situation, elle pourrait bientôt lui rendre la monnaie de sa pièce et leur duel futur n’en serait que meilleur.

– Ah ! soupira Nostria.

Elle était suivie de deux silhouettes encapuchonnées, dont on ne devinait rien, pas même la figure. Lentement, ils déposèrent une litière sur laquelle ils glissèrent Jareth, toujours inconscient. Puis, elle pencha sur lui afin de l’examiner. Elle s’attarda sur les plaies qui ornaient ses flancs ; toutes étaient recouvertes d’un emplâtre marron à l’odeur tenace. Ensuite, elle plaça sa main au-dessus de son cœur, avant de se tourner vers son interlocutrice.

– Que lui avez-vous donné, Nyx ?

Pour toute réponse, elle lui tendit un sachet d’herbes et un creuset en pierre, où demeurait encore un peu de pâte. Nostria les examina un long moment, puis porta son regard inquisiteur sur la dame de glace.

– Êtes-vous satisfaite ? répliqua-t-elle d’un ton sec.

Nostria n’ajouta rien, aucunement dupe du trouble qui habitait sa redoutable adversaire. Puis, elle ordonna à ses deux portefaix qu’ils emportassent Jareth. Un instant plus tard, ils avaient disparu par le portail grand ouvert.

– Venez avec moi, Nyx !

Aucune froideur, aucune hostilité ne transparaissait dans ses paroles.

– S’il vous plaît.

– Et pourquoi vous suivrais-je ? lui rétorqua-t-elle, bravache.

Nyx se savait assez puissante pour repousser d’autres attaques des émissaires de Styrr.

– Nyx… Ne m’insultez pas et je ne vous ferai pas l’affront de vous humilier.

Outrée, elle étrécit les yeux ; regard venimeux. Mais il était inutile de la contredire et elle accepta.

– Fort bien, Nostria. Je vous suis, conclut-elle acide.

La prêtresse s’avança la première, Nyx dans ses pas, après qu’elle eut ramassé les affaires de Jareth. Alors qu’elle franchissait le seuil, un sentiment étrange se saisit de son cœur et sur ses joues d’albâtres roulèrent des larmes argentifères.


Texte publié par Diogene, 29 mars 2018 à 19h24
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