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tome 2, Chapitre 17 « Chapitre 17 : Le Sourire de l'Ange » tome 2, Chapitre 17

– Est-ce que tu l’as vu ?

La princesse demeurait muette et ses yeux clairs embrassaient l’horizon embrasé, par le soleil qui se couchait. Dans quelques heures, la nuit tomberait et elle aurait besoin d’un abri, avec une fenêtre, car elle aimait contempler les étoiles dans la plaine noire.

– Oui, soupira-t-elle.

Suspendu à son cou, le cœur minéral palpitait de plus belle, à l’unisson de ses émotions.

– Te sens-tu prête ou désires-tu rester encore un peu ? l’interrogea la jument, le museau entre ses mains menues.

– Avons-nous encore le temps ?

L’animal releva la tête et huma le fond de l’air. Un vent frais s’était levé et ébouriffa sa crinière blanche.

– Oui ! hennit-elle. Je ne ressens aucune présence hostile.

La jeune fille fit quelques pas en direction d’un massif et y cueillit quelques brassées de fleurs colorées, semblables à des marguerites, si ce n’était leurs reflets bleutés.

– J’ignore s’il les appréciera et, cependant, elles flétriront bientôt, mamonna-t-elle, en serrant le bouquet dans son poing.

– À l’impossible, nul n’est tenu, rétorqua Mélanime. Toutefois, les chemins détournés existent et tu es libre de les emprunter. Il te suffit de les chercher.

Songeuse, la princesse sans nom se perdait dans la contemplation de l’horizon.

– Faut-il que je grandisse pour que cela puisse advenir ? murmura-t-elle, sans qu’elle ne comprît pourquoi semblable pensée lui était venue.

– Tu le découvriras bien assez tôt. Maintenant, partons ! Car il nous faut nous rendre par delà l’horizon.

La jeune fille soupira. Elle agrippa la crinière albâtre de l’animal et se hissa sur son dos. Elle ne possédait aucun souvenir de n’avoir jamais monté à cheval. Pourtant, chacun de ses gestes était empreint d’une étrange familiarité. À cru, elle n’éprouvait aucune inquiétude. Ainsi sur sa monture, elle se sentait emplie d’une énergie nouvelle. Elle ignorait tout de sa destinée. Elle savait seulement au fond de son cœur que bien des épreuves et des tourments se dresseraient sur le chemin qui la conduirait jusqu’au sourire de l’Ange, aperçu à la fenêtre d’Orient. Autour d’elle, l’obscurité grignotait peu à peu la plaine ; elle dévorait les ombres et éteignait les lumières. Plus aucun son ne lui parvenait, la lande était à présent muette.

– Où sommes-nous ? chuchota-t-elle à l’oreille de la jument, comme le paysage achevait sa métamorphose.

– Nous sommes sur le domaine de l’Homme en noir et de la femme de cristal. Lui règne sur la terre, elle sur la voûte céleste. Aussi longtemps que durera la nuit, tes pieds ne devront fouler ni la terre ni le ciel. Ainsi, jamais ne pourront-ils exercer d’emprise sur ton âme et ton esprit. Néanmoins, je t’avertis. Ils règnent sur des légions de démons qui te séduiront et te tenteront.

La princesse n’eut pas le temps de répondre que la jument s’élança au travers de la plaine, devenue soudain mouvante. Les mains enchevêtrées dans la crinière de sa monture, elle voyait les ombres grandir et tout envahir, tandis qu’une lune rageuse les transperçait de ses raies cristallines.

– Que se passe-t-il ? songea-t-elle, tandis qu’elles traversaient le champ de bataille mortel.

En effet, pour chaque noire silhouette qui tombait, deux autres se relevaient et leur adversaire redoublait ses assauts célestes.

– N’aie crainte, princesse ! Je suis la Tisseuse d’histoire et il est des lieux qui n’appartiennent qu’à moi ! souffla la jument dans son esprit, tandis qu’elle accélérait sa course.

Derrière elles, s’étendait désormais un paysage apocalyptique. De la terre jaillissait des légions de ténèbres sur lesquelles s’abattaient des pluies mortelles. C’était un combat vain et sans fin, dont nul ne connaissait le dessein.

– Pourquoi s’affrontent-ils et qui sont-ils ?

Mais la jument, concentrée sur sa course, ne dit pas un mot. Soudain, elle ralentit son allure. Non que la guerre se fut achevée, mais elle arrivait en vue d’une forêt d’arbres morts. Sans hésitation, elle s’y précipita et aussitôt cessa le fracas de la bataille.

– Ferme les yeux, princesse. Autrement, il t’en cuira et tu te perdras ! lui intima l’animal. Ces bois nous déroberont à leurs regards, mais ne nous protégeront pas des dangers qui hantent ces lieux.

La princesse s’empara alors de son mouchoir en soie et le noua derrière sa tête, ses yeux dissimulés derrière le tissu. Désormais aveugle, elle se fierait à ses autres sens, surtout à son ouïe, qu’elle avait fine. Toutefois, et malgré ses efforts, elle n’entendait rien, sinon un silence assourdissant. Même le bruit des sabots de sa monture était étouffé par les mousses et les fongus, dont l’odeur douceâtre trahissait la présence. Parfois, il lui semblait apercevoir une tache lumineuse qui aussitôt s’évanouissait. Soudain, elle crut percevoir un chant dans le lointain.

Était-ce le fruit de son imagination ? La princesse s’interrogeait, car Mélamine s’était arrêtée, les sens aux aguets. Elle le devinait aux brusques mouvements imprimés à son encolure.

– Pas un mot ! Pas un souffle ! Nous arrivons sur le territoire des trois démons.

– Qui sont-ils ? murmura la jeune fille.

– Ils appartiennent à l’un des contes du Grimoire des Âmes. Ils tentent les voyageurs égarés par la faim, la soif et le froid. Je suis leur maîtresse, car c’est à moi qu’ils doivent leur existence. Toi, tu ne m’appartiens pas et s’ils sentent ta présence, ils te refuseront le passage. Aussi, lorsque je te l’ordonnerai, tu prendras une grande inspiration et tu la retiendras. Penses-tu en être capable ?

– Je crois ! affirma-t-elle.

Elle ignorait tout de ce mystérieux grimoire, pourtant elle sentait une familiarité entre celui-ci et le livre dont parlait si souvent son ami. Quel lien existait donc entre lui et Mélamine ?

– Enfouis ces pensées au fond de toi, ma petite, car si nous ne le retrouvons pas, nous courrons au-devant d’un immense danger.

Comme la princesse se récriait, la jument fit surgir dans son esprit l’image d’un être hermaphrodite, homme et femme dos à dos. La peau de l’homme était de la couleur du bois d’ébène et celle de la femme était encore plus pâle que le plus blanc des marbres. L’un comme l’autre possédait un visage d’une beauté monstrueuse, à même de séduire et de plier la plus farouche des volontés. Au fond de leurs yeux brûlaient des flammes vives et malignes, reflet d’une avidité déguisée en un amour infini.

– Qui sont-ils ? souffla la princesse à Mélamine.

– Ile est l’homme en noir et la femme de cristal. Comprends à présent pourquoi leur combat est vain et le danger que tu courrais si tu croisais leur chemin ?

La jeune fille acquiesça. Les mots étaient de bien pauvres choses en regard du tourment et de l’épouvante qui avait soudain saisi son être. Bien que Mélamine ne lui ait présenté que leur insubstance, elle se sentait comme souillée. Qu’en aurait-il été si elle s’était retrouvée en leur présence ? À cette pensée, la princesse frissonna ; un gémissement s’échappa de sa bouche. Crispés autour des crins de sa monture, ses doigts raffermirent leur étreinte. Tant qu’elle serait avec elle, elle n’aurait rien à craindre ; Mélamine le lui avait promis.

– Ne te retourne pas ! Tu contemplerais le désastre. Ils se déchirent. Hélas, l’un ne peut exister sans l’autre. Ils sont condamnés à vivre ainsi pour l’éternité.

– Est-ce une malédiction qu’on leur a jetée, s’interrogea la princesse.

– Non ! soupira la jument. Ils sont nés ainsi. C’est tout ce que je sais à leur propos.

Pourtant, elle ne satisfaisait pas de sa réponse. Elle devinait que Mélamine omettait des pans entiers de la réalité. Cependant, elle avait très certainement d’excellentes raisons et elle ravala ses prétentions. Elle se souvenait de ses paroles lorsqu’elle avait évoqué le grimoire et l’enfant. Elle prit alors une grande inspiration et ensevelit, comme elle lui avait ordonnée, toutes ses pensées et tous ses sentiments. Bientôt, se dresserait, à la place d’une grève entourée de falaises, un désert aride et vide, où nul ne trouverait refuge.

– Je suis prête ! sourda-t-elle à l’adresse de la jument.

– Fort bien, glissa cette dernière. Tiens-toi prête, nous entrons.


Texte publié par Diogene, 1er mars 2018 à 19h02
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