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tome 2, Chapitre 16 « La Chambre des Secrets » tome 2, Chapitre 16

Dans le miroir se dressait un fantôme noir. Ses yeux luisaient dans les ténèbres et sa barbe était d’ébène. Même sa peau était de la couleur du charbon. Seules ses dents, que dévoilait un sourire plein de cruauté, étaient ivoire. Entre ses doigts, il tenait une minuscule boîte d’argent. Plaquée contre son torse musculeux, sa proie ne se débattait plus, au contraire, elle le suppliait de mettre un terme à son supplice.

– Donne-moi… gémissait-elle.

– Vraiment…

Sa voix doucereuse était plus tendre encore qu’une caresse, en même temps qu’elle déchaînait dans son être une tempête émotionnelle qui l’anéantit.

– La mérites-tu ?

L’homme fit une pause.

– C’est que… tu m’as déçu.

Dans sa bouche, le reproche sonnait faux. Hélas, les mots la blessaient et cela seul lui importait.

– Pourquoi ? Pourquoi ?

Secouée de sanglots, elle s’agrippait à cet homme qui la tenait au creux de sa main.

– Pourquoi ? lui susurra-t-il en écho. Mais parce que je suis le Diable. Regarde-moi !

Et la femme releva la tête.

– Embrasse-moi, lui murmurait son regard.

Alors elle prit son visage entre ses mains et plaqua ses lèvres sur les siennes. Une langue s’insinua en elle, puis en vint une autre plus rude, plus chaude encore.

– Tu es à moi…

Sa voix était devenue celle de son esprit. Semblable à un serpent, elle l’enserrait dans ses anneaux, jusqu’à briser le peu de liberté qu’elle possédait encore. En elle, la chair agile s’agitait, fouillait, chatouillait, souillait son âme ainsi mise à nu.

– Prends-moi ! Je suis à toi ! sanglota-t-elle, en même temps qu’elle s’agrippait et s’empalait sur son corps raide.

– Exquis, ronronna-t-il en rejetant la tête en arrière.

Les yeux baissés, il contemplait son visage pâle et défait.

– Sais-tu ce que j’attends de toi ? lui glissa-t-il au creux de l’oreille, comme il se penchait sur elle et écrasait sa tête sur le miroir qui se fractura.

L’homme d’ébène se saisit alors de l’un des éclats. Il brillait de mille feux, pareil à l’un de ceux qu’il avait ramassés, il y avait tant de temps déjà. Soudain pris de rage, il balança son poing dans ce qu’il restait du miroir brisé. Un instant, les éclats flottèrent, comme suspendus dans leur mouvement. Ils volaient, mais l’homme les avait coupés dans leur élan. Il attrapa l’un d’entre eux et l’approcha de sa prunelle ardente. Il hésita, puis l’éloigna pour mieux la planter dans celle de sa proie ; la femme ne hurla pas. Elle aussi était figée, ses hanches collées aux siennes, tandis que sa bouche s’ouvrait sur un cri grotesque. Face à elle, l’homme souriait. Il lui suffisait d’un claquement de doigts pour que reprenne le cours du temps. Alors, elle hurlerait et arracherait son présent. Quelle tristesse ce serait que d’abîmer cette beauté !

– Ah ! soupira-t-il en ôtant l’éclat.

À l’extrémité, perlaient de minuscules gouttes de sang qu’il lécha. Puis, il souffla sur l’orbite désormais vide et redonna vie à cet œil qu’il avait crevé.

– Vis ! chuchota-t-il.

Rien ! Ni douleur ni terreur n’habitait le regard neuf de cette femme perdue dans le plus grand des tourments.

– Demande, le supplia-t-elle.

L’homme dardait sur elle des prunelles démentes. Elle le sentait qui lui dérobait son âme. Mais c’était là une sensation grisante, car elle ne s’était jamais sentie aussi sereine autrement qu’en cet instant même.

– S’il te plaît…

Sa voix était à peine audible, elle n’était plus qu’un gémissement inarticulé.

– Plus tard, ricana-t-il dans un murmure. Ton esprit est encore trop meurtri pour m’accueillir. À place, prends ceci et oublie.

– Pourquoi ? geignait-elle.

– C’est ainsi, lui glissa-t-il en la relevant.

Puis il ouvrit la main. Au creux de sa paume reposait un minuscule coffret de la taille d’une noix.

– Qu’est-ce que c’est ? l’interrogea-t-elle.

Elle contemplait la boîte, sans comprendre. Non qu’elle ne sut, mais elle était incapable d’en appréhender la nature. Quelque chose la choquait ; réaction qu’elle avait déjà eue devant certaines gravures d’Escher. Elle ressemblait à un casse-tête à la géométrie torturée, avec des angles impossibles et des dimensions cachées. Lui, il se délectait. Il se nourrissait de son sentiment de perdition face au chaos.

– Un présent, Solange. Seulement un présent. Rien qu’une petite attention de ma part à votre égard. Ouvrez-la donc, ronronna-t-il.

Cet homme était un fauve, une panthère qui se glisserait dans la nuit pour mieux vous saisir. Avec appréhension, elle obéit et s’en empara. Dans sa paume, la chose roulait dans sa paume, comme elle en sentait les battements. Pendant ce temps, son bourreau avait relevé sa crinière et l’embrassait dans le cou. Allait-il la mordre, comme le comte ? Elle l’ignorait, fascinée qu’elle était par le coffret qui respirait.

– Ouvrez-la, lui susurra-t-il, ses mains glissaient sur les épaules de sa victime.

Elle n’osait pas. Ses membres étaient paralysés, le souffle lui manquait, elle suffoquait.

–… ou désirez-vous un peu d’aide ?

Un petit cri jaillit de sa gorge, tandis qu’elle sentait glisser dessus ses doigts effilés aux griffes acérées.

– Je… euh, déglutit-elle.

Dans le miroir, un fin collier écarlate courait à l’endroit où il avait déposé sa traîtresse caresse. Terrifiée, ses phalanges dansaient toutes seules, guidées par les vibrations et les pulsations qui émanaient de la chose. Sans qu’elle ne puisse se l’expliquer, un frisson brûlant se propagea dans son corps.

--Qu’est-ce que…

Mais elle n’acheva pas sa phrase qu’un index se posait sur ses lèvres. Il était glacé, ou du moins se l’imaginait-elle.

– Ouvre-la !

Sa voix n’était plus de velours. Elle était rugueuse, râpeuse. Ce n’était plus un homme qui s’exprimait, mais un être dont les yeux reflétaient toute l’étendue de sa cruauté et de son avidité.

– Bien sûr ! Je pourrais te tuer. À quoi bon, puisque je t’ai brisé et puis… tu m’es bien trop précieuse et je n’aime pas casser mes jouets, surtout les poupées.

Ses paroles forçaient son esprit. Chacun d’entre eux était un fer porté au rouge qui apposait sa marque et empoisonnait un peu plus son âme.

Soudain, la boîte s’ouvrit et découvrit une minuscule créature, de la taille d’un dé à coudre. Elle bondit et lui mordit le bout du majeur, lui arrachant un cri. Une goutte incarnate perla et disparut aussitôt, aspirée avec avidité par le parasite qui rougit. Rassasiée, elle courut sur le dos de sa main, puis le long de son bras jusqu’à sa nuque, dans laquelle elle planta ses invisibles crochets. Timide, elle tendit la main vers la base de son occiput.

– N’en faites rien, gronda l’homme, dont le visage était celui d’un démon. Il serait regrettable d’en arriver à semblables extrémités.

– Ne vous inquiétez pas. Vous vous entendrez fort bien, ma chère Solange, ajouta-t-il en se reculant.

Son reflet dans le miroir était celui d’un monstre noir, couvert d’une toison épaisse qui ne dissimulait qu’à grand-peine tous les attributs de son anatomie.

– Ôtez-le et vous mourrez ! Ses crochets sont imprégnés d’un venin foudroyant. Cependant, tant qu’il se nourrira, il vous injectera l’antidote.

Un sourire sardonique se dessina sur ses lèvres et dévoila des rangées de crocs. Terrifiée, Solange demeurait stoïque, paralysée par la terreur. Du regard, elle le suppliait de le débarrasser de cette abomination.

– Surtout pas. Il sera mes yeux, mon ouïe et mon évangile.

Solange ferma les yeux. Des larmes roulaient le long de ses joues et personne n’était là pour les recueillir ; le démon avait disparu. Nauséeuse, les jambes flageolantes, elle tituba jusqu’à une cabine de toilettes vide. Penchée au-dessus de la cuvette sale, son estomac se contracta à plusieurs reprises, puis expulsa un long jet de bile. Maladroite, elle se saisit des rares feuilles de papier qui demeuraient dans le distributeur, puis essuya comme elle put la substance verte et brûlante qui lui maculait la commissure des lèvres. Soudain, elle porta sa main à sa nuque, puis la retira, déçue. Quelque chose manquait.

Avec lenteur, elle se redressa et, à tâtons, elle chercha le bouton de la chasse. Un instant plus tard, un vrombissement jaillit du mur et un flot aqueux emporta les reliefs de son malaise. Elle demeura quelques secondes hébétée, contemplant les lieux comme si elle les découvrait, puis se dirigea vers le lavabo.

– Bonjour, toi ! se murmura-t-elle à elle-même, un sourire peint sur les lèvres.

– Bonjour, moi, ronronna son reflet.


Texte publié par Diogene, 22 février 2018 à 18h52
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