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tome 2, Chapitre 12 « Le Veilleur, l'Ange et le Chevalier » tome 2, Chapitre 12

Nyx demeurait penchée par la fenêtre, d’où elle admirait la vaste forêt. Sa figure contrite trahissait sa fureur, en même temps qu’une sourde inquiétude qu’aucun ne lui connaissait ; personne ne lui en fit non plus la remarque.

— Ainsi donc, nous voici devenus, par une ironie dont seul le destin possède le secret, alliés de circonstances, murmurait-elle, les yeux perdus dans le vague.

Soudain, elle tourna la tête. Jareth se tenait à quelques pas d’elle, l’air grave.

— Me permettriez-vous de m’entretenir quelques instants avec vous, Dame Nyx ?

La manière, dont il avait prononcé son nom, n’avait échappé à personne, surtout pas à l’intéressée elle-même, dont les lèvres se pincèrent.

— Qui redoutez-vous ? Non, pardon ! Que redoutez-vous ?

La dame de glace demeurait silencieuse, ses yeux fixaient toujours le sombre horizon.

— Autrefois, j’ai aperçu un ange à la fenêtre d’occident, souffla-t-elle. Il n’était pas bien grand – de la taille d’un enfant – et dans son regard j’y lisais bien trop de choses qui n’étaient pas de son âge.

— Est-ce l’amour qui vous pousse ainsi vers lui ?

— De l’amour ? répéta-t-elle en écho. Peut-être…

À ces mots, Jareth comprit qu’il venait de découvrir une faille, l’unique, sans doute, dans le cœur de l’impitoyable Nyx. Cependant, il n’insista pas. Il la savait imprévisible et, comme pour conformer ses craintes, elle ajouta :

— Ce serait mal me connaître, que d’affirmer que vous m’avez piégé, chasseur. En la circonstance, je me dois de me plier et comme je vous l’ai promis je vous apporterai toute l’aide nécessaire. Néanmoins, sitôt le danger écarté, je poursuivrai ma quête. Ne l’oubliez pas, chasseur.

Jareth s’éloigna. Cette femme était si imprédictible qu’il se sentait par avance découragé par l’ampleur de la tâche qui l’attendait. Pendant ce temps, le commandeur Ficini s’était entretenu avec Nostria, dont le regard perçant pointait en direction de Nyx, toujours accoudée sur le rebord de la fenêtre.

— Jareth ! s’exclama-t-il. J’ai besoin de votre avis éclairé.

Ce dernier leva des yeux aux reflets tristes. Quel que soit le monde ou le royaume, l’argent demeurait un agent de mort.

— Le seigneur Baldavi se procurera bientôt, s’il ne l’a pas déjà fait, le Nocturm Al-Iksir. Cependant, comment opérera-t-il pour le lui administrer ? Personne, hormis vous-même, ne sait où se cache l’Enfant.

Pour toute réponse, Jareth produisit un parchemin dont le sceau avait été brisé.

— Comprenez mon embarras, commandeur. Ce n’est, hélas, qu’une question de temps, quelques jours tout au plus, avant que le seigneur Osario ne dévoile mon secret.

— Je vous remercie, murmura Ficini, dont le visage pâlit aussitôt qu’il découvrit le nom qui figurait en haut de la missive.

Les doigts crispés sur le manuscrit, il ne desserrait pas les dents.

— Commandeur, je crains que vous ne vous fourvoyiez, chuchota une voix.

Il crut un instant que ce fut ce scélérat de Jareth qui aurait tenté par là une manœuvre désespérée pour l’amadouer. Puis il reconnut la main parcheminée de dame Nostria, posée sur son bras.

— Il a agi selon mes ordres. Nous regrettons tous les crimes dont il a pu se rendre coupable. Néanmoins, sachez que jamais il n’a versé la moindre goutte de sang. La justice ne nous appartient pas. Notre ordre veille seulement à l’équilibre de ce monde. C’est pourquoi il a besoin de vous, et vous de lui.

La fureur et la colère ne le quittaient pas. Depuis qu’il s’était absenté pour se rendre dans ce temple, il avait vu tout son univers basculé, à tel point qu’il se demandait s’il y demeurait encore ou s’il en avait été exilé.

Suis-je sur ce navire qui, dans la nuit, se perd dans les brumes de l’éternité à la recherche d’un port, que jamais il ne trouve ?

Les yeux dans le vague, il se ressaisit toutefois bien vite, car il possédait là l’occasion de mettre un terme aux sournois agissements du seigneur Baldavi et démanteler tout son réseau d’influence et de corruption. Cependant, il ne donnerait aucun blanc-seing à Jareth, dut-il partager avec lui des liens, dont la nature lui échappait encore, et cela même s’il avait la parole de Dame Nostria. Non ! Trop de cadavres entouraient ce mystérieux personnage que l’on avait surnommé le Veilleur d’Ombre.

— Dame Nostria. Je ne me permettrai pas de remettre en cause votre parole. Mais je désire toujours entendre de la vérité de la bouche même des coupables. Jareth, expliquez-moi donc pourquoi un homme est mort dans mes appartements.

Ses lèvres s’étirèrent en un mince sourire qui le faisait ressembler à un Pierrot lunaire, mi-ironique, mi-mélancolique.

— Commandeur ! L’homme qui s’est introduit chez vous ce matin, alors que vous veniez de quitter vos appartements, s’est écrasé au bas de vos murs. Cependant, nulle main, surtout pas la mienne, n’a porté sur sa personne. Il était seul lorsqu’il a effectué son ultime pirouette. Il avait seulement croisé… son regard.

Ficini s’interrogeait. Rien dans ses paroles n’arrivait à le convaincre, alors même que son cœur lui soufflait qu’il était sincère.

Un jour, je vous confierai mon secret.

Pourquoi n’éprouvait-il aucune surprise ? Pourquoi était-ce si naturel ? Les réponses lui échappaient, comme les questions. En face de lui, Jareth feignait l’étonnement, puis se ravisa.

— Jareth. Puis-je savoir pourquoi vous avez marqué une hésitation lorsque vous avez fait allusion à son regard ? Ne serait-il pas plus juste de corriger votre propos en « votre regard » ? Que lui avez-vous montré ?

Jareth demeura un instant muet. Ficini percevait la peur qui l’habitait et ne devinait que trop l’origine de son trouble.

— Nous apporterez-vous votre aide et votre soutien, commandeur ? l’interrogea Nostria qui brisa le silence.

Par la fenêtre de son esprit, une caravane passe. Ce sont des chameliers qui, au rythme lent de leurs animaux de somme, placent leurs pas dans les leurs. Que transportent-ils, ainsi ? questionne un enfant. Du temps, répond un homme. Pourquoi sont-ils aussi pressés ? insiste l’enfant. Parce que le temps transporte avec lui l’éternité, murmure l’homme.

— Suis-je cet homme ? s’interroge le commandeur, les yeux clos. Suis-je ce pèlerin qui accompagne ce petit garçon le long de son odyssée ?

L’image s’évanouit sans un bruit. Nyx dardait sur lui un regard ambigu, comme si elle éprouvait quelques difficultés à se saisir de lui.

Cet enfant, où l’avait-il déjà rencontré ?

Soudain, la réponse s’imposa à lui ; coup de tonnerre dans un ciel trop clair. Désormais, il le reconnaissait ; un petit garçon qui pleurait au milieu de ruines calcinées et de corps figés pour l’éternité.

— Ma dame ! Sur mon âme, je me range à votre combat ! murmura-t-il dans un souffle à peine audible.

— Hélas, je ne saurai comment vous exprimer ma gratitude, ainsi que celle de notre ordre, commandeur Ficini.

Puis, elle se tourna en direction de dame Nyx.

— Ma chère, je n’ignore point que sous vos airs d’ange de douleur se cache une sorcière. Serrez-vous en mesure les visions du comte Osario ; le temps nécessaire au Veilleur qu’il administre à l’élixir à l’Enfant ?

Elle esquissa un sourire las, dépourvu de toute animosité et de mépris.

— Hélas, soupira-t-elle. Je ne le puis. Les pouvoirs de ce mortel sont bien trop proches de ceux de mon frère et je ne pourrais l’abuser bien longtemps. En revanche, je le sais friand de certains lieux de luxures qui offrent des perversions hors de tout propos. Cependant qu’il ne me sera guère difficile de m’y introduire, je serai alors un gibier de choix pour sa personne. Je doute qu’il ne désirât point m’accrocher à son tableau de chasse, lorsqu’il me verra.

Nostria hocha la tête, puis se dirigea vers la bibliothèque où elle se saisit d’un ouvrage aussi poussiéreux que volumineux. Elle ployait presque sous son poids, mais elle refusa l’aide de Jareth qui s’avançait vers elle, avant de le déposer sur un lutrin. Elle l’ouvrit et découvrit une minuscule fiole en cristal argenté. À sa vue, Nyx hoqueta de dégoût.

— Vous avez conservé… cette chose ?

Ficini et Jareth s’échangeaient des regards interrogateurs.

— En effet. Cependant, il n’a jamais été dans nos intentions d’en user contre vous, Nyx, affirma Nostria sans perdre de sa contenance.

— Bien sûr que non, rétorqua-t-elle. Vous ne pouvez rompre l’équilibre de la balance et favoriser l’un ou l’autre des fléaux.

Nostria étrécit les yeux.

— Toute puissance, aussi immense soit-elle, possède ses propres limites. Nous, comme vous.

Nyx soutenait son regard incendiaire. Furie, ses yeux lançaient des éclairs tandis que sa crinière se métamorphosait en une folie de serpent venimeux. De longues minutes, les deux femmes s’affrontèrent du regard jusqu’à ce que, excédé par ces enfantillages, Ficini prit la parole :

— Dame Nyx, j’aurai une question à vous soumettre.

Plongée dans une colère noire, elle lui décocha une œillade assassine. Impassible, il ne la releva pas et poursuivit :

— Qu’espériez-vous obtenir de mes hommes, envoyés par vos soins au couvent ?

Radoucie, elle esquissa de nouveau un sourire. Néanmoins, elle n’en demeurait pas moins attentive, prête à lancer l’une de ses mortelles piques à son adversaire, si le besoin s’en faisait sentir.

— La réponse est fort simple, commandeur. Vos hommes ont croisé la route de l’Enfant.

Sous ces pieds, le sol venait de s’ouvrir et s’apprêtait à l’engloutir. Était-ce une coïncidence, ou bien…

— Le destin est plein d’ironie, n’est-ce pas, commandeur, le coupa Nyx, acide.


Texte publié par Diogene, 7 février 2018 à 19h11
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