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tome 1, Chapitre 27 « Le Seigneur Dobaso » tome 1, Chapitre 27

Occupé à arracher les tubercules du sol, l’enfant n’en avait pas moins surpris les œillades inquiètes que lançait sa mère à son père qui, accaparé par le bois qu’il fendait, faisait semblant de rien.

Devait-il s’en soucier, s’en ouvrir ?

L’enfant l’ignorait. Seul demeurait le souvenir de la rage qui s’était emparé de lui, juste après que son père fut sorti. Il était alors revenu couvert d’un sang qui n’était pas le sien. Cependant, il avait confiance et tout viendrait à point s’il se montrait patient. Néanmoins, ce qu’il avait lu dans le conte sonnait comme un avertissement. En effet, depuis sa rencontre avec l’homme en noir, son regard avait changé et le vernis de l’histoire avait sauté, levant le voile sur la tragédie et ses protagonistes. Mais qui était-il et où se logeaient ses parents ? Il s’interrogeait : L’oracle, tout d’abord vieillard chenu, était devenu, bien des années plus tard, un vieil enfanton. Et ce bébé dans les bras de sa mère, qui était-il lui aussi ? Lui-même ? Ou d’autres, semblables à lui ?

Soudain, un cri perça entre les arbres et un geai s’envola ; éclat bleu dans un écrin de verdure. Mais surtout, il le surprit. Ce n’était qu’une silhouette, dont il distinguait à peine des ombres des troncs. Cependant, il n’avait aucun doute. Il aurait pu courir, fuir. Au lieu de cela, il se contenta d’accomplir ce pour quoi il était venu. Aussi, quand son panier fut rempli, il s’en retourna à leur tanière où l’attendait sa mère, occupée à la confection de potions. À l’intérieur, le silence régnait transpercé par le bruit des herbes qu’elle broyait dans son mortier, d’où s’échappaient des vapeurs douces et amères. Attablé, l’enfant demeurait muet, mais il devinait la sourde inquiétude qui habitait ses parents. Non qu’ils ne se soient jamais préparés à cet événement, mais ils semblaient possédés, par une précipitation qui n’augurait rien de bon. Il se souvenait du regard ferme de sa mère, lorsque son père était soudain sorti. Néanmoins, il pressentait que cette fois qu’il en ira tout autrement ; il se trouvait au cœur de leur préoccupation. Il repensait à cet étrange noble. Pourquoi s’étonnait-il d’être le seul à en percevoir la nature trouble ? La nature double ? Ses parents ne s’en inquiétaient pas. Était parce qu’il l’avait donné cet agnelle ? Au fond de lui, l’enfant craignait de découvrir l’effroyable secret qui l’entourait. Il en avait effleuré les ténèbres et cela l’avait rempli de terreur.

Dehors, son père achevait de fendre le bois, qu’il entassa dans une brouette pour l’amener au pied de la maison, où il avait aménagé une cache. Par la fenêtre, l’enfant l’observait. Rien ne trahissait la peine ou l’épuisement. Pourtant, ses gestes semblaient moins sûrs et moins dextres. Mais peut-être n’était-ce là que la conséquence de la soudaine présence de cet homme. Cependant, il avait déjà disparu, noyé dans une nappe de brouillard. Il scrutait encore la pénombre à sa recherche, quand sa mère l’appela.

— Danse ! Cours ! Vole ! Reste donc insouciant, petit ange.

L’homme en noir s’enfonçait de nouveau dans les bois. Il faisait fuir les oiseaux et tous les autres animaux ; même les arbres et les fleurs se flétrissaient à sa vue. Lui se contentait d’en sourire et d’en rire. Il était l’indicible, l’invisible, obscur et sans nature. Chemin faisant, il finit par croiser une caravane de marchand qu’il rejoignit. Il était toujours si amusant de mêler aux mortels sujet de si nombreuses plaisanteries et autres sournoiseries.

C’était une enfilade de chariots auxquels étaient attelés des bœufs, des fourragères traînées par des ânes, encadrées par des mercenaires à cheval ou à pied et une nuée de marchands, de femmes et d’enfants.

— Oh là ! Gentilshommes, où vous rendez-vous ainsi ? s’écria-t-il dès qu’il aperçut la tête du cortège.

— À Jorda ! annonça le cavalier. Je suis Vitango Escarcerri, chef de la caravane et marchand de soie. Et vous ? Qui êtes-vous, homme aux yeux troubles ?

À ces mots, ce dernier esquissa un sourire, exquis.

— Je n’ai, hélas, aucun nom à vous donner. Non, que je n’en ai point ! Seulement, sa prononciation est si délicate que vous n’en effleuriez même pas la première syllabe.

Surpris, le mercenaire haussa un sourcil.

— Ah ! Cependant, vous pouvez m’appeler Dobaso. Cela vous sera plus aisé.

— Eh bien, seigneur Dobaso. Que nous vaut votre présence en ces lieux ? Nous ne vous avons jamais croisé sur cette route. D’où venez-vous ?

L’homme en noir, qui s’était baptisé du nom de Dobaso, étira un peu plus encore son sourire.

— Je vais là où me portent mes pas, seigneur marchand. Je n’ai nul endroit où l’on m’attende, alors je me joins à ceux qui acceptent ma présence.

Comme son interlocuteur semblait dubitatif, il ajouta, sournois :

— Et je sais me contenter de peu…

Il guettait la lueur qui ne manquerait pas de s’allumer dans son regard. L’homme le dévisageait. Il percevait presque la tension qui l’habitait. Amusé, il laissait le vent gonfler sa cape et révéler la lame d’argent ceinte à sa taille.

— Ma foi, c’est une arme de fort belle facture que vous possédez, seigneur, fit remarquer l’homme lorsqu’il en aperçut la garde.

— En effet, susurra ce dernier en la tirant de son fourreau. C’est un cimeterre, je l’ai rapporté d’un lointain voyage.

Puis, il se fendit de quelques passes, avant de le rengainer.

— Vous m’impressionnez, seigneur Dobaso. Que diriez-vous de joindre vos forces aux nôtres ? Nous en avons encore pour une bonne semaine de marche, avant d’arriver à Jorda, et les routes sont peu sûres.

Sourire enjôleur, l’homme en noir ne brisa pas le silence et éperonna sa monture qui se mêla aux autres cavaliers. Sa queue fouettait l’air avec violence et chassait des mouches imaginaires.

— Merci pour votre hospitalité, Seigneur Escarcerri.

Ce dernier ordonna alors la reprise de la marche de la caravane qui s’ébranla. Pendant ce temps, la nouvelle recrue avait pris place non loin d’un chariot tiré par deux chevaux de trait, dont chaque pas marquait le sol d’une empreinte profonde.

— Ainsi donc, vous avez rejoint notre compagnie seigneur, fit le conducteur.

— En effet, je suis le Seigneur Dobaso.

— Seigneur… grommela son interlocuteur.

— Ce titre en vaut bien un autre, énonça l’homme aux yeux doubles en haussant les épaules. Non ?

L’autre opina du chef

— Je ne vous contredirai pas. Moi, je n’ai pas de titre. Cependant, je constate que vous n’en tirez aucune gloire.

— Y verriez-vous un mal, monsieur…

— Etorre Ravano. Je fais commerce de lainage.

— Monsieur Ravano, reprit le cavalier.

— Je vous en prie. Que sont-ils, sinon des mots, que l'on pare de toutes sortes de vertus.

L’homme en noir semblait sous-peser ses pensées et demeurait silencieux.

— Voilà seigneur Dobaso. Ce ne sont rien de plus qu’un assemblage de consonnes et de voyelles, acheva le marchand, sombre.

Pendant ce temps, le convoi étirait son cortège d’un bout à l’autre de la forêt. Elle ne s’arrêterait que sitôt arrivé dans la prairie, dont les contours se dessinaient à l’horizon.

Lui, ralentissait ou accélérait le pas de sa monture. Ainsi, saluait-il un à un les caravaniers et leur escorte, jusqu’à ce que l’on décidât que le temps était venu de monter le camp. Disposés en cercle sur la plaine, les attelages dessinaient un insolite carrousel, à côté duquel les bêtes paissaient et enfermaient les marchands dans une bien étrange prison. Au centre, hommes et femmes se relayaient autour d’un immense feu, où bouillaient d’imposantes marmites et rôtissaient les gains de la chasse.

— Vous ne mangez rien, s’étonna soudain une femme aux yeux aveugles et laiteux.

Elle lui tendait un bol dans lequel baignait une cuillère en bois. C'était un ragoût de viande et de tubercules.

— Non. Je préfère savourer les bruits de la nuit. Mais puisque vous me l’offrez de bon cœur, je l’accepte volontiers.

L’aïeule sentit des doigts fermes effleurés les siens. Puis le récipient disparu. À la place, elle tenait entre ses mains une petite bourse de cuir. Elle l’ouvrit et découvrit au fond un minuscule objet métallique, de la taille d’un ongle de pouce.

— Qu’est-ce que c’est ? souffla-t-elle.

— Un souhait, ronronna l’homme, tandis qu’il s’enfonçait entre les caravanes, tout occupé à déguster son dîner.

— Un souhait ? répéta-t-elle.

— Un souhait, affirma-t-il tandis qu’il se glissait hors du campement. Son visage était de la couleur du ciel et ses dents scintillaient.

Il arriva près de sa jument. Celle-ci le reconnut et trotta dans sa direction. Il lui flatta l’encolure puis mit le pied à l’étrier. Il s’éloigna alors en direction de la colline qui surplombait le campement.

– Où vous rendez-vous donc ainsi, Seigneur Dobaso ? s’enquit une voix dans les ténèbres.

– Partager ma solitude, maintenant que vous êtes là, Seigneur Escarcerri.

Dans sa bouche les r rappelaient les tambours-tonnerre, qu’ils sortaient jadis en temps de guerre.

– Vous ne voyez donc aucun inconvénient à ce que je me joigne à votre compagnie.

– Aucun.

Les montures des deux hommes avançaient d’un pas aussi calme que l’était la nuit. Ils ne s’arrêtèrent qu’arriver au bord d’un à-pic. A leurs pieds s’étendait la plaine tachetée des quelques foyers orangés, d’où s’élevaient de minces colonnes de fumée.

– Ne craignez-vous aucun danger, au point de vous exposer ainsi en un lieu aussi dégagé ? murmura le seigneur Dobaso.

– Non ! Affirma Escarcerri. Nous sommes tous gens d’armes et la seule forêt que nous avons traversé est à des lieues derrière nous. De plus, au-delà de ces collines, ce n’est qu’un désert brûlant inhospitalier, cerné de marécages malsains.

À côté de lui, le seigneur Dobaso ne disait mot, se contentant de scruter l’horizon.

— Mais ce ne sont pas là vos seules raisons, ajouta-t-il à demi-mot. Au moins, je l’imagine.

L’autre ne souriait pas, son visage restait impassible.

— Cependant, vous semblez craindre autre chose, car vous ne m’auriez pas accepté ainsi au cœur de votre caravane.

— Nous louons votre dextérité et vous nous avez fait don de votre loyauté, le temps de notre voyage. Cela nous suffit.

— En effet, et puis qu’accomplirait un homme seul face à vos gens ?

— Bien des choses, Seigneur Dobaso, bien des choses…

Dans le ciel, la lune fut cachée, révélant un champ étoilé.

— Et une femme, Seigneur Escarcerri ? Et une femme ? murmura une voix de moins en moins grave.


Texte publié par Diogene, 18 février 2017 à 18h29
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