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tome 1, Chapitre 23 « Dagda » tome 1, Chapitre 23

Le charme avait cessé d’opérer. Une fraction de temps, une clameur rageuse avait déchiré son cœur. C’était là le prix à payer pour apaiser son courroux et laver l’affront. Néanmoins cela ne se pouvait pas, il n’était pas en mesure de s’affranchir de ses propres règles. Ainsi, malgré les tourments qu’elle avait réveillés en lui, il n’en ressentait pas moins une immense jouissance. N’était-ce pas pour cette raison qu’il avait tant insisté auprès de cette sœur afin qu’elle lui narre une histoire qui, ironie du sort, était l’un de ses fruits, pourri de ses entrailles. Portant une main à sa poitrine, il en exfiltra une très fine lame dont il effleura le cou gracile de sa victime. Un mince filet de sang se dessinait, à mesure que la lame traçait son sillon. Il s’empressa de lécher avec délectation et, en même temps que le teint de la jeune devenait de marbre, le métal prenait une teinte écarlate.

– Ah… comme il serait tentant, soupira-t-il, tandis qu’il faisait pointer sa dague vers le bas, libérant le sang prisonnier de la lame sorcière et rendant à la novice les couleurs de la vie.

– Sachez ma chère qu’en d’autres circonstances, je n’aurai eu aucune hésitation à vous saigner pour laver l’affront que vous venez de me faire. Soyez-lui reconnaissante de sa présence, d’autant plus qu’elle éprouve pour vous des désirs de nature saphique et non sadique. Alors, sera-ce une faiblesse de ma part ? Sans doute, mais j’ai envie de vous offrir la suite de ce récit.

La tête toujours posée sur les genoux de son seigneur, la jeune femme remue faiblement, comme si elle émergeait d’une profonde narcose.

– Je vous en prie, murmura-t-elle, tandis qu’elle se lovait contre le corps dénudé et luisant de ce dernier.

Étendu sur une couche de paille et d’herbes sèches, le prince Hippolyte se redressa soudain. Autour de lui, tout avait retrouvé sa place et le ténébreux pandémonium avait disparu.

– Que… que m’est-il arrivé ? bredouilla-t-il, tandis qu’il tentait de rassembler ses esprits.

À la place, l’ombre secoua la tête et l’invita) se joindre à elle. Avec difficulté, celui-ci étira ses membres et s’approcha de la table sur laquelle reposait un arc sans flèche ni carquois, une dague au manche d’ivoire et un anneau scintillant.

– Celle que tu cherches est au fond d’une grotte, gardée par un dragon d’argent. Seules ses larmes t’ouvriront le passage, car il est invulnérable. Ensuite, tu devras être capable de renverser ton regard afin de voir au-delà du miroir. Enfin, alors, tu pourras t’unir à celle que tu chéris et par là la délivrer de l’emprise de celui que l'on appelle l’homme aux yeux-miroirs.

Le prince Hippolyte ne savait que penser de cet oracle. Cependant, il s’empara des objets déposés et suivit la silhouette au travers des boyaux obscurs qui s’enfonçaient toujours plus profond dans la terre, jusqu’à déboucher dans une vaste caverne.

– Je ne puis aller plus loin, reprit-elle d’une voix chevrotante, je n’en ai pas le droit. Quant à toi, confie-moi tes effets, à l’exception de tes habits, car tu n’auras besoin que de l’arc, de la dague et de l’anneau pour accomplir tes épreuves.

Un instant, il hésita puis lui tendit son baudrier où était ceinte son épée. Puis il passa autour de son torse l'arme dénudée, la bague dans une poche et la lame à sa taille. Ainsi, paré, il plongea dans l’obscurité silencieuse, se remémorant chacune des paroles de la sorcière. Ses pas résonnaient dans la caverne silencieuse, guidé uniquement par le faible lumignon qu’il devinait dans le fond.

– Penses-tu que je ne t’entende pas, petit homme ? ricane une voix surgie de l’ombre. Tu fais plus de bruit qu’un troupeau d’oliphants. Viens donc me défier si tu es assez téméraire. Tu découvriras dans ma tanière les ossements de tes prédécesseurs ; ils ne manquaient pas courage, eux. Ah, ah, ah.

Glacé par le rire sinistre, le prince se figea.

– Hélas je n’ai pour toutes armes qu’un arc sans flèche. Je n’ai même pas de casque ou de bouclier qui m’aurait protégé de son souffle, se lamentait-il.

Néanmoins, il ne manquait pas de bravoure, au contraire de ce qu’affirmait son adversaire et il ôta l’arc de son torse pour mieux le brandir devant lui. La corde était en boyau de cerf et le corps en bois d'if. Admiratif du travail d’orfèvre qui avait nécessaire à sa réalisation, le jeune homme le caressait avec douceur. Il en tira un son si pur et si cristallin que ce dernier lui arrache des larmes, en même temps que de nouvelles cordes se matérialisaient et l'arme vile se métamorphosa en Dagda. Intrigué, le jeune cessa de jouer.

Serait-ce là la solution à ce mystérieux oracle ?

À cela, il n’existait qu’une seule réponse et s’armant de son courage, il s’engagea dans l’étroit couloir.

– Ah, ah, ah. Alors petit homme, tu te décides enfin à me rejoindre. Tu n’es peut-être pas lâche que cela finalement, s’esclaffe le ver au fond de sa grotte.

Mais le prince ne relève pas l’offense et se contente de descendre les quelques degrés qui le séparent encore de son adversaire, les doigts à fleur de corde.

– Sont-ce là tes seules possessions ? ricana le ver. Un simple arc, et sans flèches qui plus est ! Qu’espères-tu faire ? Contemple donc ce qu’il demeure de ces héros qui sont venus me défier au fil des éons. Je crois qu’il y en a qui sont encore suspendus çà et là ; je suis paresseux.

Le dragon explosa d’un rire sinistre qui se répercuta sur les parois de la caverne. Indifférent, le jeune homme poursuivait sa progression, les doigts tendus au-dessus de la corde, et ce ne fut qu’en vue de la figure de cauchemar de son adversaire, qu’il commença à la pincer.

– Que… que fais-tu ? hoqueta ce dernier. En face de lui, le prince ne cessait de jouer de sa harpe imaginaire, tout en pleurant des larmes amères.

– Arrête petit homme, glapit le ver, le corps écrasé par la douleur.

Cependant, il ne s’interrompit que, lorsque celui-ci n’eut plus que la force d’ouvrir les paupières.

– Je te présente Dagda, murmura le prince Hippolyte, tandis qu’il contournait son adversaire prisonnier de rets invisibles. Derrière lui, il découvrit un passage qui le conduisait vers une salle de lumière.

À l’intérieur, c’était un palais de Glaces et de miroirs au milieu desquels trônait lune jument à la robe noire, entravée par de lourdes chaînes. De l’autre côté, se tenait une silhouette encapuchonnée.

– Ainsi, donc, tu as triomphé, murmura-t-elle.

– À présent saisis-toi du poignard et déchire le voile qui enferme celle qui tu cherches, ajouta-t-elle d’une voix sourde en désignant l’animal immobilisé.

Entre ses doigts, la dague vibrait, avide. Néanmoins, il se retenait. Il ne pouvait le faire, quand bien même, elle serait la prison de sa chère.

– Pourquoi en est-il ainsi ? chuchota le jeune homme.

– Telles sont les lois qui gouvernent ce monde, fut la réponse.

Le prince hésitait, tout, autour de lui, n’était qu’un jeu de reflets et de faux-semblants, de mensonges et de trahisons. En était-il de même pour celui ou celle qui lui parlait, car selon ses paroles mêmes, il n’était pas en son pouvoir de l’accompagner dans la grotte.

– Renverse ton regard, avait dit l’oracle.

– Qu’il en soit ainsi, jura-t-il en tranchant de sa lame le poitrail noir de l’animal qui répandit une traînée écarlate sur le sol mate.

Dans le miroir, son interlocuteur venait de s’effondrer, tandis qu’à ses côtés la jument arborait une tache blanche qui n’était pas là auparavant. Sa lame, toujours entre ses mains et dégouttant de sang, il la maintint quelques instants à hauteur de son visage puis frappa le miroir, la plongeant dans la marque albâtre. Tout d’abord, rien ne se passa puis, dans un fracas épouvantable, le miroir vola en éclat, révélant une forme recroquevillée au milieu des débris tranchant. Abandonnant sa dague, il se précipita auprès de celle qu’il savait être sa belle. Il tira des plis de son habit l’anneau doré, qu’il s’empressa de lui passer à l’annulaire. Il savait qu’il briserait alors le lien qui l’unissait à son frère haï.

Derrière, la jument, désormais délivrée de ses chaînes, s’approcha des deux jeunes gens.

– Ainsi, tu as changé ton regard et te défier des apparences. Maintenant que tu l’as délivrée, je vais vous ramener sur tes terres, où ton père t’attend, prince Hippolyte.

Entre ses bras, la damoiselle remuait faiblement, comme si elle émergeait d’un cauchemar sans fin.

– Oh, vous être venu…

– Ne parlez donc pas autant. Mélamine va nous aider à nous enfuir.

La jeune fille se tut et hocha la tête. Elle tenta alors de se redresser pour mieux s’échouer sur l’épaule de son héros. Ce fut avec son aide, qu’elle s’installa sur la croupe de la jument, avant qu’il n’en fasse autant.

– Accrochez-vous fermement à ma crinière ou vous risqueriez d’être séparés à jamais? les avertit cette dernière tandis qu’elle prenait son élan.

Elle était face à la surface miroitante qui tapissait le fond de la grotte.

– Prince, pensez fermement à votre royaume. Ce portail nous transportera là-bas.

Le jeune ferma alors les yeux et se concentra sur ses souvenirs tandis qu’une image se dévoilait en reflet. Le vent siffla soudain à leurs oreilles et lorsqu’il les ouvrit, ce fut pour découvrir une plaine qui s’étendait à perte de vue sous un ciel nocturne.

– Est-ce là le royaume de votre père ? interrogea l’animal.

Pendant quelques minutes, il scruta l’horizon avant de reconnaître le donjon du château où il avait passé toute son enfance.

– Oh oui, souffla-t-il. Je reconnaîtrais nos terres entre mille, de même que la forteresse de pierre qui veille sur elles. Peux-tu nous y conduire ?

– Bien sûr. Je vous ai amené jusqu’ici, je puis vous conduire plus loin.

Le prince remercia la jument et lui flatta l’encolure. Puis elle s’élança jusqu’à arriver aux portes d’un village à la lisière d’une forêt.

– Je ne puis aller au-delà. Les gens des lieux sont superstitieux et ils voient en moi un démon.

– Cela ne fait rien, chuchota le jeune homme en même temps qu’il mettait pied à terre. Puis il aida sa fiancée à mettre pied à terre. À pas de loup, à l’abri dans les ombres, ils marchèrent ainsi jusqu’aux portes du village. Là, ils se séparèrent, la jument reprenait la direction de la forteresse de l’homme sans visage, tandis qu’eux cherchaient une auberge où passer la nuit.

La jeune femme frissonnait sous ses mots ; prononcés par cet homme, ils étaient semblables au claquement de la lanière d’un fouet. Chaque fois que sa voix se brisait, c’était pour ressentir la morsure du cuir dans sa chair. Elle ne saisissait pas si c’était de la colère, de la haine ou un sentiment inverse qui habitait cet homme, pendant qu’il lui narrait cette histoire. Il lui donnait la sensation d’être hanté par des affects contradictoires et par une jalousie incommensurable. Ces yeux avaient disparu, remplacés par des puits sans âme où brûlaient des flammes infernales. Bientôt elle ne les vit plus, assoupi qu’elle était :

– Adieu gent demoiselle ! rauqua l’homme, puis il la rejeta sur le lit défait. Je me serai bien repu de votre âme. Hélas, je ne puis la compromettre.

Dans le reflet glacé d’un miroir, une jeune femme au sourire insolent se délectait du spectacle.

– Quel dommage, ricana-t-elle doucement.

– Ne dis plus un mot !

– Ou quoi, mon cher bourreau.

Mais la réponse ne vint pas et la glace se brisa. Au même instant, la fenêtre s’ouvrit avec fracas, faisant s’engouffrer le souffle glacial de la tempête qui sévissait dehors.


Texte publié par Diogene, 14 décembre 2016 à 12h54
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