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tome 1, Chapitre 8 tome 1, Chapitre 8

Décidément il pesait une malédiction sur mes weekends. Une tâche chiante m’y attendait à chaque fois.

Lassé par cet état de fait, je décidais de réduire l’ampleur de ma corvée autant que possible.

Je passais voir Manu directement chez lui. Pas de coup de fil avant. Où pouvait-il être de toute façon ? Je lui faisais mon rapport et lui demandais mes sous tout de suite après. J’évitais ainsi une de ses tirades interminables. Puis mon employeur (quelle horreur quand j’y pense) s’occuperait de la suite avec Hadrien.

C’était simple, carré, infaillible.

« Bonjour. Steve passe par là. Il habite là. Tu me dois çà. Je suis pressé. Au revoir. »

Et évidemment…

Quelqu’un attendait devant l’immeuble de Manu, quelqu’un qui aurait voulu y entrer mais n’ayant pas les moyens de le faire, quelqu’un de blond et de trapu.

L’entrée du bâtiment étant profonde, je ne pus voir Steve avant d’y pénétrer moi-même.

En résumé j’étais pris sur le fait.

« Vous habitez ici ? » Me demanda-t-il poliment.

Complètement pris de court, je répondis instinctivement sans prendre le temps de réfléchir.

« Non je passe voir quelqu’un. »

« Moi aussi mais il ne répond pas. Vous pourriez m’aider à rentrer ? »

Le fait qu’il ne me reconnaisse pas, me calma, et me permit d’être légèrement moins stupide.

« Pourquoi je ferais ça ? Je ne vous connais pas. »

Steve le lança un regard noir me faisant réaliser une autre bêtise de ma part. Jamais il ne m’était venu à l’esprit que sa présence, soit une coïncidence.

Comment croire cela alors qu’il venait au moment où Manu préparait sa revanche par personnes interposées ?

Quant au fait que Steve connaisse l’adresse, cela s’expliquait avec la manie de ce pigeon de Manu de raconter sa vie.

Un seul aspect avait été négligé par moi : que Steve soit présent à l’instant même de mon arrivée.

Je n’étais même pas la cible.

L’explication était tout simple, et se lisait dans la rage émanant de Steve. En fait il attendait depuis déjà pas mal de temps. Le contrarier dans cet état d’esprit était à mon avis contre-indiquer.

Sans me vanter prendre des coups je connaissais. Ça ne voulait pas dire que j’aurais eu forcément le dessus, et surtout je ne voulais pas me donner du mal pour une connerie pareille.

Avec le recul la réaction adéquate me parait évidente : faire celui qui ne veut pas se prendre la tête et se barrer.

De toute façon il y avait peu de chance que Steve abandonne sa garde afin de me courir après.

Ensuite je refilerais le bébé à Hadrien, puisqu’il avait l’air de tant y tenir.

Seulement il faut aussi prendre en compte mon état d’esprit à cet instant.

Au départ j’étais résolu à clore cette affaire. Et puis même si je désirais éviter la bagarre, je ne voulais pas donner l’impression de m’enfuir. Cette impression à qui ? A mon petit égo bien sûr.

J’optais alors pour une solution intermédiaire complètement foireuse.

J’effectuais un hochement d’épaule signifiant « après tout je m’en fous. »

J’appelais Manu sur son portable afin qu’il m’ouvre. Par chance il ne fit pas trop d’histoire.

Une fois qu’il eut raccroché j’ajoutais dans le vide :

« Ils le réparent quand ton interphone ? »

Ce n’était pas tout à fait dans le vide, puisqu’à l’intention de Steve. Ainsi il ne se doutait pas que j’évitais d’appuyer sur l’interphone. Car il risquait de faire le rapprochement, s’il connaissait le nom de famille de Manu, et jetais un coup d’œil.

Mon plan initial était que pendant que Steve perdait du temps à chercher la bonne porte, moi j’allais directement chez Manu et ôtait son nom de sa sonnette. Bien penser en si peu de temps, non ?

Sauf que j’aurais fait quoi si l’étage était indiqué sur les boites aux lettres ? Dieu merci ce n’était pas le cas.

D’ailleurs l’absence cette info renforça la mauvaise humeur de Steve.

Pourquoi ne me demanda-t-il pas qui je passais voir ?

Peut-être que malgré ses menaces du regard il n’osait pas réellement s’en prendre à moi, ou que la colère le gênait dans ses réflexions, ou qu’il était simplement con ?

Je rentrais rapidement faisant fi des simagrées de bienvenue de Manu tout en choppant l’étiquette à la porte comme prévu.

« Ah j’attendais ta visite. » Me dit-il d’un ton voulu nonchalant alors qu’on pouvait lire dans ses yeux : enfin quelqu’un à qui parler.

Puis vint encore une faille à mon nouveau plan. Elle se résuma à une simple action : Manu s’empara d’un bloc note avant que je lui fasse mon compte-rendu. Il était clair que mon deal ne se réglerait pas rapidement. En tous cas sûrement pas avant que Steve sonne éventuellement à la porte. Or il était nécessaire d’en parler afin que Manu ne gaffe pas.

« Steve est dans l’immeuble. » Dis-je simplement sans doute dans le but de compenser le cinéma, qui allait suivre.

Ça ne loupa pas. Manu agita les bras, tourna en rond dans la pièce…

Le pire est que la large majorité de ses gesticulations, n’était que du spectacle. Pour une fois qu’il lui arrivait un truc, Manu exploitait jusqu’au bout. Même lui avait conscience dans le fond, que Steve n’était pas en mesure d’enfoncer sa porte sécurisée.

Je lui laissais poursuivre son numéro jusqu’à qu’il propose d’appeler la police. Là je lui rappelais qu’il avait voulu acheter un appareil de photo de contrebande. J’insistais bien là-dessus. Il fallait absolument ôter ce projet du crâne de Manu.

Il était possible d’inventer une histoire inculpant uniquement Steve. Enfin ça le serait sans Manu dans le coup.

Une fois le pigeon calmé, je lui montrais l’étiquette de sa sonnette, et lui affirmais qu’en l’absence de bruit, Steve croirait l’appartement inoccupé.

On passa alors à un autre registre. Manu se mit à murmurer, puis à m’écrire des messages sur son bloc-notes !

Un long couloir séparait le salon où nous nous trouvions, et la porte d’entrée. Il suffisait juste de ne pas trop élever la voix.

Comment Hadrien le supportait-il ?

Moi j’étais déjà gavé. Il était temps de revenir aux priorités : prendre mon pognon, et me barrer.

Malgré les pénibles interruptions de Manu destinées à me faire réduire mon volume sonore, je parvins tout de même à m’exprimer. J’indiquais déjà que Steve n’allait pas trainer éternellement dans les couloirs de l’immeuble. Il finirait par attirer l’attention.

Mon interlocuteur rassuré, j’en vins à mes petites affaires en y mettant une pointe de subtilité.

« Je te donne l’adresse de Steve, et tu réglera la suite avec Hadrien. »

Le « avec » donnait l’importance à Manu, dont il avait tant besoin. Cela me permit d’obtenir mon fric sans trop de problème.

Il y avait même un supplément grâce à « ton intervention contre l’attaque de Steve. »

Cette générosité n’en était pas une. Puisque Manu jugeait plus sage de reporter mon départ le temps, que l’on soit assuré de celui de Steve.

Il est vrai qu’en sortant je dévoilais que l’appartement était utilisé. Quand il était motivé, Manu parvenait parfois à réfléchir.

Ne vous leurrez pas. Son but était seulement de retenir ma compagnie. Il n’en était pas question !

Vous me jugez sans cœur face à sa détresse ? Et Manu lui ne l’était pas à s’agripper à des gens dont il avait au final rien à foutre ? Il ne désirait pas des amis, mais des toutous hochant la tête à chacune de ses divagations.

Très peu pour moi. Je m’assurais que le couloir était désert, puis partais.

Le pauvre Steve quand j’y pense.

Tout le monde sort à un moment le samedi, ne serait-ce que pour prendre l’air ou faire des courses. Et cela constituait une opportunité. Seulement il manquait le facteur Manu dans ce raisonnement.

Quant à la grande question : comment était-il remonté jusqu’à son arnaqué ?

Honnêtement je m’en foutais ? Et Manu aussi si ça se trouve.

A la rigueur il cogiterait là-dessus en guise de passe-temps, puis lassé songerait à autre chose.


Texte publié par Jules Famas, 10 novembre 2015 à 08h26
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