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tome 1, Chapitre 19 « Chapitre 5, Partie 3 » tome 1, Chapitre 19

Elidorano avait été surpris quand le Uo avait tiré les rideaux du chariot réservé aux invités. Car la créature monstrueuse à laquelle il s’attendait ne s’y trouvait pas. Aucune bête ne jaillit tous crocs dehors pour les déchiqueter joyeusement. Non, à l’intérieur se trouvait seulement un homme. L’individu était de stature imposante et semblait un combattant aguerri certes, mais il n’exsudait pas la terrible soif de sang qu’Elidorano avait perçu en s’approchant du chariot.

Ce devait être son imagination. Le Ledgovas avait le visage bienveillant et le sourire facile. Il se montra courtois et s’excusa même de ses habits de voyageur poussiéreux. Ecalune était un membre éminent du culte de Gener. Il se devait donc de représenter au mieux ses confrères et le Guide. Il n’y avait aucune raison de se méfier d’un tel personnage.

C’était ce que la plupart des Ambulants pensaient et ce que ses sens lui soufflaient. Pourtant à aucun moment Elidorano n’avait baissé sa garde en sa présence. Il se souvenait très bien de son premier contact avec les cultistes de Gener, des tueurs fanatiques appartenant à la Main des Châtiments. Ecalune en faisait partie aussi. S’il était difficile de percer le masque amical du Ledgovas, son cheval lui avait par contre fourni des informations intéressantes. C’était un pur-sang à la robe noire comme le jais, grand, élancé et fougueux. L’équidé devait couter une petite fortune. C’était également un animal extrêmement placide. Il obéissait à la lettre aux ordres de son maître et au contraire faisait la sourde oreille aux injonctions des Ambulants chargés de l’approvisionnement des bêtes. Le cheval était de toute évidence rompu au combat. Ce qui impliquait que le Ledgovas était riche et avait déjà participé à des batailles d’ampleur considérable. Peut-être était-il noble également. La race de la monture pouvait indiquer un rang ou une ascendance prestigieuse.

Le visage du cultiste était particulier lui aussi. Il avait cette étrange cicatrice en forme de serpe qui serpentait de la joue jusqu’aux sourcils. Mais le plus captivant était ses yeux qui brillaient intensément à la lumière. Parfois Elidorano voyait son reflet dans le regard du Ledgovas. Et quand il focalisait son attention sur les pupilles d’Ecalune, les globes oculaires disparaissaient, comme un mirage qui se dissipe après un examen attentif. Alors il voyait ce qui se trouvait véritablement dans les orbites du cultiste de Gener. Des étranges sphères dont la surface transparente renfermait un nuage constamment en mouvement. La matière vaporeuse gagnait parfois en opacité, devenant aussi sombre que de la suie, puis retrouvait sa teinte initiale quelques minutes plus tard.

Elidorano estimait que le palier de danger du Ledgovas se situait à peu près entre croiser un litorac dont la progéniture était menacée et avoir un anaconda affamé autour du cou.

Quand Elidorano trouva le cultiste de Gener, celui-ci priait. Le guerrier s’était débarrassé de ses vêtements, ne gardant qu’un caleçon. A genoux dans l’herbe, il avait disposé devant lui un calice en argent orné de rubis et de diamants sur un tapis de laine plié en quatre. Il avait dans sa main droite un couteau ensanglanté qu’il pointait vers le ciel. Son autre bras tenait un lapin par la nuque, le fluide rouge vif qui s’écoulait de la gorge tranchée de l’animal tombait dans la coupe déjà remplie aux trois-quarts. Les yeux fermés, le Ledgovas semblait méditer.

Hésitant, Elidorano fit quelques pas en avant et s’éclaircit la gorge.

-Tu es l’assistant du Uo si je me souviens bien ?

Le cultiste n’avait pas esquissé un geste, lui tournant toujours le dos. Le Ledgovas parlait le Courant avec fluidité et presque sans accent.

-Oui. Je m’appelle Elidorano. Tu dois avoir de nombreuses questions à notre sujet ou sur les Ruhons. Je suis là pour y répondre.

Son interlocuteur déposa sa lame et la dépouille du lapin. Ensuite il récupéra le calice de ses deux mains et le brandit en l’air.

-« Okaner !

Artères de la terre,

Et larmes des cieux.

Colonnades de feu

Qui embrase le vent.

Tu as perdu le cœur des hommes,

Et gagné le sommeil éternel.

Tu es l’air et le sang de ce monde,

À jamais.

Fais de moi ton porte-parole,

Le héraut de ta vérité,

Dépose donc sur mon épaule,

Probité et sagacité. »

Le Ledgovas porta le calice à sa bouche et vida goulument le récipient. Avant de se redresser et de faire face à l’Ambulant. Un grand sourire sur ses lèvres écarlates.

-Je suis enchanté de te rencontrer, Elidorano. Et je compte bien profiter un maximum de tes connaissances. Mon nom est Ecalune. N’hésite pas à l’utiliser, il rouille autrement.

Le Ledgovas éclata de rire, comme s’il venait de raconter une bonne blague. Puis, s’apercevant que ses vêtements trainaient toujours dans l’herbe, il entreprit de se rhabiller. Le guerrier enfila son pantalon brun qu’il boucla avec une épaisse ceinture en métal. Après ce fut au tour d’une chemise en lin. Il compléta le tout en sanglant son fourreau au niveau de la taille, son épée était richement orné et arborait un manche d’un blanc immaculé. De l’ivoire. Probablement.

Curieux, Elidorano demanda :

-Ton dieu n’est-il pas Gener ?

Le cultiste lui fit signe de s’asseoir à ses côtés. Réticent, Elidorano obtempéra néanmoins.

-Vous les Ambulants ne connaissez pas grand-chose de notre culte n’est-ce pas ? Okaner était le frère de Gener. Dans l’ancienne langue il signifie…

-Espoir. murmura Elidorano.

Ecalune le dévisagea un instant, surpris.

-C’est cela. Au contraire de Gener, Okaner tenait les hommes en grande estime. Il descendit sur Leeri pour converser avec eux et leur donner le véritable espoir. Pendant un temps, les humains l’écoutèrent et ils connurent le bonheur. Ils vécurent en harmonie, réalisant ce qu’ils désiraient vraiment. Mais un jour Ijinalda, un des premiers Ledans, assassina le dieu dans son sommeil. Quand il apprit l’acte qu’avait commis l’humanité, Gener entra dans une grande colère. Il décréta que les hommes, pour avoir commis une telle atrocité, étaient tous des pêcheurs. Il les bannit de son royaume et les emprisonna dans Leeri. À leur mort, les humains voyaient leurs âmes se réincarner indéfiniment. Le seul moyen de rompre le terrible cercle était de faire suffisamment amende honorable pour apparaître lavé de ses pêchés aux yeux du dieu Gener. Alors Il accueillait ces âmes immaculées en son cœur, où son frère réside encore. Le rôle du culte est de guider les hommes vers leur absolution et les aider à payer leur dette.

-Je ne comprends pas. Dans ce cas pourquoi pries-tu Okaner ? Ne vaut-il pas mieux solliciter Gener, qui lui est encore vivant ?

-Okaner n’est pas mort. Il vit au travers de notre dieu mais aussi de tout être vivant. L’espoir est toujours en toi et en moi, bien qu’il ne soit pas aussi pur. De plus il aurait été trahi en terres marchandes. Depuis que j’ai franchi la frontière je prie matin et soir pour le repos d’Okaner.

Elidorano resta silencieux. Il se demandait si par prière le Ledgovas impliquait le sacrifice d’un animal matin et soir. Peut-être l’homme après cet acte de foi avait le droit de manger la bête.

-Assez parlé de moi et de mon culte. C’est de ton peuple que je souhaitais discuter !

Au début, Elidorano traita des différents peuples habitant en terres marchandes et leur situation géographique. Le sujet cibla plus particulièrement les Ruhons et l’Ojalah puisqu’ils s’y trouvaient. Le jeune Ambulant lui parla ensuite du quotidien au sein d’un Convoi. Il décrivit le rôle des Ambulants et des Lectavis, la chaîne de commandement en partant du Uo et les tâches journalières qu’accomplissait chacun. Il expliqua comment chaque Ambulant remplissait ses fonctions suivant son métier et ses compétences.

Le Ledgovas posait des questions précises et l’interrompait souvent, demandant des explications quand il ne comprenait pas tel ou tel élément de la culture Ambulante.

-Combien êtes-vous au sein du Convoi ?

-Nous sommes quatre-cent trente-six personnes au dernier décompte, qui remonte au début de la sanois chaude.

-Où étiez-vous il y a une sanois ?

-Chez les Mustav-laz. Nous sommes restés près d’un cycle à An-alaz, leur capitale. Puis nous sommes partis en direction du sud. Nous avons traversé la voûte aux mille facettes il y a six jours.

-Tous les Convois voyagent autant ?

Le Ledgovas ne s’intéressa que très peu aux Ruhons, aux Brolls et aux Lectavis. Par contre il était friand de détails sur le passé des Ambulants. Ainsi il demanda à voir un jeu de Mandeilon et voulu absolument apprendre le fonctionnement et les rouages du jeu. De même, il se passionna pour les Primitifs et les ville-mobiles Antarès et Mediville. Ecalune posa aussi de nombreuses questions au sujet des talents d’alchimie des Ambulants. Puisque le Uo lui avait ordonné de satisfaire la curiosité du cultiste, Elidorano daigna faire une démonstration sous les yeux du guerrier fasciné.

Le Ledgovas se saisit du morceau de pierre qui était il y a quelques secondes une brindille de bois.

-Donc tous les Ambulants possèdent à divers degré le talent de… transformer la matière, que vous appelez alchimie.

-Mais les Primitifs sont bien plus doués que nous, ce sont des maîtres en ce qui concerne l’alchimie.

Ecalune ne dit rien, faisant rouler le bâton rocheux entre ses doigts. Elidorano pouvait deviner les pensées qui traversaient le membre de la Main des Châtiments en ce moment. Le Ledgovas avait très certainement fait l’analogie entre les Ambulants et les Ledans. Le cheminement du cultiste était si évident qu’Elidorano ressentit une bouffée de mépris pour lui. Bien sûr il garda un visage avenant pendant tout le temps de réflexion que s’accorda le guerrier.

-Il y a autre chose qui m’intrigue. J’ai dû mal à comprendre la manière dont les Primitifs se font respecter et instaurent l’ordre. Tu évoques sans cesse les dix Principes des Ambulants. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’un écrit ou d’une loi que nul ne devait enfreindre. D’après toi tous les Ambulants s’y tiennent, mais c’est une vision idéale. Mettons qu’un membre de ton peuple, pour je ne sais quelle raison tue une personne. Que se passe-t-il ?

-Cela dépend. Si l’Ambulant commet un meurtre, alors c’est le Uo qui décide de la sentence, bien qu’il peut s’en remettre à la justice Ruhonde par exemple, si la victime était un Ruhon.

-Donc les Principes ne sont pas différents des autres lois que tes Primitifs ont établies.

-« Non ! Ce sont deux choses clairement différentes ! Un Ambulant n’enfreint pas les Principes en tuant un Ruhon. Mais en commettant un meurtre il transgresse les lois de notre peuple. Comprends bien, on ne peut pas établir de lois écrites chez les Ambulants. Je vais essayer d’expliquer pourquoi.

Les Principes dictent notre conduite. Qu’on le veuille ou non, on ne peut les ignorer. Ils sont au nombre de dix :

-Tu respecteras ta part des contrats.

-Tu obéiras aux Primitifs.

-Tu ne tueras pas un Primitif.

-Tu ne tueras pas un Ambulant.

-Tu ne compromettras pas ton peuple.

-Tu ne compromettras pas le Convoi.

-Tu obéiras au Uo.

-Tu ne prendras pas part directement aux querelles des autres peuples.

-Si deux contrats entrent en conflit, le premier établi sera prépondérant.

-Tu respecteras l’ordre d’importance des Principes.

Comme tu peux le constater, nous ne pouvons en aucun cas tuer un Ambulant et encore moins un Primitif. Toutes ces règles permettent à notre peuple de ne pas sombrer dans le chaos. Cependant, si nous ne pouvions tuer un étranger, alors nous serions sans défense contre lui. Des brigands pourraient attaquer notre Convoi et nous massacrer sans craindre pour leur vie. Bien sûr nous avons les Lectavis pour nous protéger, mais nous ne sommes pas naïfs au point d’être totalement dépendant d’eux. »

-Donc les Primitifs n’établissent aucun loi de ce genre car l’obéissance des Ambulants étant absolue, ils perdraient leur libre arbitre.

Elidorano acquiesça. Il trouvait toujours curieux que les étrangers butent sur les Principes. C’était pourtant très simple.

-Autre chose. Tu m’as parlé des Contrats. Ils sont d’ailleurs évoqués dans le premier Principe. Quels est leur intérêt ?

-Ce n’est pas pour rien que nous somme réputés pour être des marchands fiables et indéfectibles. Quand nous établissons un contrat, nous nous engageons à respecter notre part du marché quoi qu’il advienne. C’est quelque chose de très fort, en particulier lorsqu’il s’agit de gagner la confiance de notre interlocuteur. L’acheteur sait par exemple que nous ferons tout notre possible pour que la cargaison commandée arrive dans les délais.

À nouveau Ecalune sembla très intéressé.

-Tu ne vas pas me dire que les contrats n’ont des applications qu’au niveau commercial. Imaginons qu’un Ambulant jure fidélité à un seigneur étranger à l’aide d’un serment. Alors si ce seigneur ordonne à l’Ambulant de s’en prendre à son peuple, il le fera n’est-ce pas ?

-Bien sûr, puisque respecter un contrat est le premier Principe édicté, il outrepasse tous les autres. C’est pour cela qu’un contrat ne doit pas être pris à la légère. De plus l’Ambulant doit prêter serment de sa propre volonté. Sous la contrainte de la force ou d’un Principe d’obéissance, cela ne fonctionnera pas.

Le Ledgovas resta silencieux un moment, ses étranges yeux luisant sous les rayons du soleil comme des petits miroirs.

-Je ne te crois pas. Fais-moi une démonstration.

Interloqué, le jeune Ambulant répéta bêtement la question.

-Une démonstration ?

-Oui. Faisons un contrat. Par exemple tu fais le serment que tu répondras à toutes mes questions avec honnêteté puis je répondrai à mon tour à tes questions en toute franchise. Cela me semble acceptable non ?

Elidorano retint un juron. Le cultiste l’avait piégé. S’il n’acceptait pas le contrat sa sincérité pendant toute la discussion qu’ils avaient eue serait remise en question. Ce qui serait un coup dur porté à la confiance du Ledgovas. Il sera encore plus difficile pour le Uo de s’en faire un allié. D’un autre côté accepter la proposition était risqué.

Ecalune arborait un petit sourire satisfait, semblant suivre à son tour le cours de ses pensées. Elidorano eut subitement envie de frapper le Ledgovas. C’était une curieuse réaction étant donné que le rapport de force n’était pas en sa faveur. Le cultiste l’avait-il mit en colère ? Le jeune Ambulant soupira. Il n’avait pas vraiment le choix, les ordres du Uo étaient clairs.

-Très bien. Faisons un contrat. Je répondrai honnêtement à toutes tes questions jusqu’à ce que je déclare « l’entrevue est terminée ». À ce moment tu répondras à ton tour avec sincérité jusqu’à ce que tu souhaites clore l’entretien. Maintenant serrons-nous la main.

Le Ledgovas obtempéra.

-C’est tout ? demanda Ecalune, surpris.

Un frisson parcourut le dos d’Elidorano. Il ressentait déjà le besoin de répondre à son interlocuteur et il détestait ça.

-Oui. Le contrat doit être explicite pour les deux parties et un contact physique est nécessaire. Mais une convention écrite fonctionne tout aussi bien.

-Je vois. Commençons par la première question alors. M’as-tu laissé intentionnellement gagner la partie de Mandeilon ?

-Oui.

La réponse était évidente et Elidorano l’avoua sans aucune gêne.

-Pourquoi ?

-Laisser de petites victoires pour obtenir un accord plus favorable par la suite est une technique qui a porté ses fruits en diplomatie.

-Tu ne crois pas en le dieu Gener n’est-ce pas ?

-Non.

Elidorano comprit le sens des questions du Ledgovas. La première question était assez simple et visait à tester sa sincérité. Ensuite le cultiste avait estimé la liberté d’action de son interlocuteur en posant deux questions, l’une vague et l’autre précise. Si Elidorano ne se trompait pas, Ecalune allait maintenant sortir le grand jeu.

-Lors de notre longue discussion, as-tu répondu en toute honnêteté à chacune de mes questions ?

-Non.

La réponse avait fusé aussitôt, contre sa volonté. Le dialogue devenait délicat. Elidorano avait sous-estimé le Ledgovas.

-Toi et le Uo, tenteriez-vous de me manipuler ? murmura Ecalune, les traits dangereux.

De nouveau le besoin de répondre se fit pressant. La bouche de l’Ambulant semblait être dotée d’une volonté propre et s’ouvrit en dépit de ses efforts. L’assistant du Uo se lança dans une lutte silencieuse pour en reprendre le contrôle.

-L’entrevue… L’entrevue est terminée. souffla finalement Elidorano luttant contre l’envie de répondre.

L’étrange pulsion qui lui serrait la poitrine s’évanouit peu à peu, libérant ses poumons de leur terrible étau. Elidorano devina que son front devait être lustré de sueur. Le Ledgovas, quant à lui, semblait à la fois déçu et amusé.

-Dommage, dommage. Cela devenait intéressant.

Elidorano rongea son frein. Le cultiste se moquait ouvertement de lui !

-C’est à ton tour de me répondre désormais, Ecalune.

Son interlocuteur acquiesça. Ils savaient tous deux que le Ledgovas n’était pas tenu de répondre en toute sincérité. Seule sa parole l’y restreignait. Et en ce qui concernait Elidorano, le cultiste aurait tout aussi bien pu le jurer sur son dieu Gener et sur son calice toujours ruisselant de sang.

-Depuis quand es-tu en terres marchandes ?

-Environ un cycle.

-Combien d’hommes as-tu amené avec toi ?

-Quatre cultistes sont encore à Tarem.

-C’est tout ?

-Un plus grand nombre ne serait pas passé inaperçu n’est-ce pas ? sourit-il.

-Quel est votre but ?

-Nous sommes venus avec l’intention de développer notre relation diplomatique avec les seigneuries Ruhondes. Nous avons ignoré vos peuples trop longtemps alors qu’en s’ouvrant au commerce, l’apport économique serait très intéressant pour l’empire Dezan.

-Donc votre culte souhaite arpenter plus souvent la terre maudite où votre dieu adoré est mort ?

-Parfois le devoir envers notre royaume passe avant le reste.

Elidorano marqua un temps d’arrêt. Le Ledgovas commençait à lui taper sur les nerfs. Allait-il le prendre pour un imbécile encore longtemps ?

-Alors pourquoi as-tu tenu à rencontrer notre Convoi ? Cela ne faisait pas partie de tes plans.

Ecalune sembla hésiter.

-Il se trouve que la situation diplomatique de Tarem est plus complexe qu’il me le paraissait au premier abord. J’ai donc pensé aux Ambulants, qui ont une grande influence au sein des terres marchandes.

-Tu as alors rencontré Talada à Tarem et après avoir échangé plusieurs choppe de vin dans sa taverne préférée il t’a confié que notre Convoi était sur la route entre Tomroe et Tarem. C’est cela ?

-Oui. Je pense qu’avec l’appui de ton Uo, le Majah me prêtera une oreille plus attentive.

-Parce que vous ne comptez pas le tuer ? demanda Elidorano.

-Pardon ?

-Le Majah. Tu ne comptes pas l’assassiner ? C’est pourtant ce que cinq de tes hommes ont fait à Tomroe.

-Ce sont des inepties. Si le Majah de Tomroe est mort j’en suis profondément désolé.

-Donc tu ne nies pas le fait que cinq cultistes de la Main des Châtiments se trouvaient à Tomroe.

Le Ledgovas soupira d’un air ennuyé.

-Si ce que tu dis est fondé, ce que je doute, je l’ignorais totalement.

Elidorano plongea sa main dans sa besace et en retira une de ses toiles qu’il étala brutalement sur le plateau de mandeilon, renversant les pièces.

-Peut-être que tu les reconnaîtras mieux ainsi ! Bon ils ne sont pas aussi laids que dans la réalité et ils ont un peu de sang sur le visage mais appelons ça une vue d’artiste tu veux bien ?

Le Ledgovas se leva lentement, le visage sombre. Sa main vint caresser la garde de son épée.

-Oh rassieds-toi s’il te plait. Nous ne sommes pas dans ton temple sacrificiel ou même en empire Dezan. Nous avons de bonnes manières ici. De plus il y a une bonne cinquantaine de Lectavis qui patrouillent dans les environs, avide d’en découdre. Tu vois cet homme là-bas ? Il s’appelle Baradan, je ne l’ai jamais vu sourire excepté quand il a coupé la main à des brigands.

Ecalune se rassit, le visage impassible.

-Donc il s’agissait bien de connaissances. Je suis navré de t’apprendre la triste nouvelle. Il semblerait que tout le monde n’est pas apprécié que les cultistes de Gener s’immiscent dans leurs affaires. Mais cela ne concerne que les Ruhons, tu peux me le dire à moi. Votre véritable but était de faire la guerre au culte de Naplot n’est-ce pas ? En tuant les Majah vous affaiblissez considérablement leur influence sur la société ruhonde.

-L’entrevue est terminée. gronda-t-il.

-Ah mais ce n’est pas comme si tu avais été sincère pendant tout l’interrogatoire ! Tu ne veux pas répondre ? Très bien je vais le faire à ta place. Toi et tes amis fanatiques se sont séparés en groupes de cinq et se sont introduits dans les capitales ruhondes des seigneuries les plus importantes tactiquement pour assassiner leurs dirigeants. Et à Tarem… Eh bien tu t’es rendu compte qu’il y avait un hic. Le Majah de Tarem est ce qu’on nomme ici un Dictateur. C’est un homme qui ne croit pas en Naplot et supporte à peine leur présence en ville. Le tuer ne ferai que faciliter l’accession du culte au pouvoir n’est-ce pas ? Tu as donc cherché une autre solution. Et c’est nous, ce petit coup de pouce qui va te permettre de convertir le peuple de Tarem à ta religion.

Ecalune ne répondit pas. Visiblement il avait pris la décision de l’ignorer. Elidorano continua, imperturbable.

-Seulement voilà, j’ai quelques modifications à apporter à ton récit. En fait c’est plutôt moi que je devrai corriger. Talaca, en provenance d’Antares, n’est jamais passé par Tarem, et le connaissant je mettrai ma main à couper qu’il n’a jamais mis les pieds dans une seule taverne de sa vie ! Selon toute probabilité tu l’as rencontré sur la route et vous avez fait un brin de chemin ensemble. Ce qui soulève une ennuyeuse question : comment pouvais-tu savoir que nous nous trouvions au nord de Tarem ?

L’assistant du Uo reprit son souffle et laissa filer quelques secondes, faisant monter le suspense.

-J’ai une hypothèse, mais avant de la formuler, il me faut soulever une question. L’objectif de la Main des Châtiments était-il uniquement de déstabiliser le culte de Naplot ? Autrement dit, n’aviez-vous pas un autre objectif ? Pour plusieurs raisons, je soupçonne que tu te trouves en terres marchandes depuis plus de deux cycles déjà. L’argument principal étant que tu as traversé l’Eldlialtel il y a peu. La colonne vertébrale du monde ne traverse pas l’empire Dezan et tu arpentes visiblement pour la première fois les terres marchandes au vu de tes connaissances quasi inexistantes sur les peuples qui y cohabitent. Or quand j’ai mentionné la voûte aux mille facettes, tu n’as même pas cillé ! Ce terme n’est utilisé que par les Mustav-laz même si toute personne étant entrée dans l’Eldlialtel comprendrait la référence. Tu as donc franchi la colonne vertébrale du monde récemment ! Ce qui nous donne une contrainte temporelle d’environ deux cycles au minimum. Mon hypothèse est donc… tadaaa… que tu as vu le Convoi en traversant l’Eldlialtel !

-Tu te penses malin hein ? Tu es comme un enfant qui ne réalise pas encore les conséquences de ses actes. Tout ton Convoi paiera le prix de ta petite provocation. siffla Ecalune.

Elidorano l’ignora.

-Deux questions restent en suspens. Quel est ton véritable but et pourquoi donc l’Esprit-monde t’a-t-il montré notre Convoi ?

L’Ambulant agrippa violemment les rebords du plateau de Mandeilon et se pencha en avant, approchant son visage à quelques centimètres du Ledgovas. Une sourde colère déformait la voix d’Elidorano.

-Sache que les Ambulants détestent les menteurs et apprécient encore moins les assassins. Je te conseille de faire attention à ce que tu dis et fait au sein de notre Convoi.

Elidorano tapota la toile.

-Les Esprit-lames n’ont pas le monopole de la violence.

Sans lui laisser le temps de répliquer, il partit en direction des Kew.


Texte publié par Louarg, 26 septembre 2015 à 17h12
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